Le grand remplacement des passions

De Coluche à Zemmour

paru dans lundimatin#309, le 18 octobre 2021

« Ainsi Zemmour est l’anti-Coluche, le Coluche de droite, l’envers du Coluche. Cette comparaison ne veut pas dire qu’il ne faut pas prendre le Z au sérieux, au contraire, il faut voir de quoi il est le signe : Le grand remplacement des passions politiques. »

La pseudo candidature du Z à la présidentielle de 2022 occupe les médias bourgeois et y à déjà remplacé toutes les questions politiques posées par la crise que nous sommes en train de vivre et le scandale du quinquennat Macron.

Pourtant il s’est passé beaucoup de choses ces cinq dernières années qu’il s’agirait de méditer : démantèlement express des services publics au profit des riches, crise sanitaire mondiale mettant en lumière l’absurdité d’un système capitaliste destructeur du vivant, explosion de la violence policière et disparition de la démocratie.

Comment dans un tel bordel comprendre la montée du Z ?

Une première manière serait de partir du covid19 : la structuration paranoïaque de son discours correspond en tous points à la médiatisation du virus : Un corps étrangers vient corrompre et pervertir le corps sain, etc. Avec cette stratégie efficace en politique qui consiste à nourrir la peur en se faisant passer pour la solution et dont le gouvernement s’est régalé pendant la crise : « ayez peur mais ne vous inquiétez pas, je vais vous protéger. »

Une autre manière serait de partir de l’épuisement de la social-démocratie : Macron en représentant le pouvoir dans sa pureté, c’est-à-dire sans maquillage idéologique est le terminus de la politique affectivement épuisée. Et là Bingo, Zemmour apparaît comme ultime tentative de réenchantement de la politique classique, mais cette fois sur une variante cauchemardesque.

Enfin, nous pourrions appréhender le phénomène Zemmour à partir du phénomène Coluche : En 1981 aussi l’élection est importante, les conjonctures politiques et économiques sont tendues, aujourd’hui encore tout le monde se rappel de l’espoir suscité par la victoire de Mitterrand et de la gauche après 23 ans de contre-révolutionnaires au gouvernement.

Coluche, humoriste de métier bien connu des français se présente aux élections « Comme candidat nul, pour faire voter les non-votants. » Il annonce sa candidature depuis le théâtre du gymnase où il donne ses spectacles : sa candidature est officiellement une blague, un spectacle, il dit alors : « les politiciens sont tellement mauvais qu’ils me volent mon métier, je vais voler le leur ». Mais cette blague, on finit par la prendre au sérieux, « un pour tous, tous pourris », « voter pour moi, c’est voter contre la politique » proclame-t-il et elle devient symbole d’une contestation de la politique.

Un sondage paru le 2 décembre 1980 dans le Quotidien de Paris donne au comédien 10 à 12,5% des intentions de vote. Un score qui rappel les 16% du Z dans un sondage Harris Interactive réalisé pour Challenges et publié mercredi 13 octobre 2021.

Le 16 Mars 1981 Coluche annonce son retrait : « Je préfère que ma candidature s’arrête parce qu’elle commence à me gonfler [1] ». Espérons que le phénomène Zemmour se dégonflera de la même manière (bien que rien ne le laisse présager).

En tout cas la comparaison des deux phénomènes est fructueuse car tout oppose les deux pseudos candidats : Quand Coluche se présente avec une queue-de-pie jetée sur son éternelle salopette, les cheveux en bataille, une écharpe tricolore sur un fond coloré, le Z s’ancre bien droit les bras croisés dans un costume noir, le teint gris dans un fond noir. Si Coluche était alors connu par la justice pour « outrages à agent de la force publique [2] », le Z fut condamné pour « provocation à la haine raciale ». Alors que le Z assiste à une manifestation de la police le 19 Mai 2021, Coluche reçoit une menace de mort signée du groupe Honneur de la Police fustigeant son rôle dans Inspecteur la Bavure. Lorsque Zemmour peut compter sur le soutien de deux banquiers d’affaires passés chez Rothschild, d’élus du RN à la droite filloniste ou de Bolloré, Coluche avait l’appui d’un comité d’intellectuels conduit par Félix Guattari, avec parmi eux des sociologues reconnus comme Pierre Bourdieu, Gilles Deleuze et Alain Touraine.

Alors que Zemmour est reconnu pour ses sorties racistes, sa croisade contre les musulmans, sa misogynie caricaturale, son homophobie, son révisionnisme, sa haine des communistes, Coluche appelait « les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s’inscrire dans leurs mairies et à colporter la nouvelle. »

Ainsi Zemmour est l’anti-Coluche, le Coluche de droite, l’envers du Coluche. Cette comparaison ne veut pas dire qu’il ne faut pas prendre le Z au sérieux, au contraire, il faut voir de quoi il est le signe : Le grand remplacement des passions politiques.

Nous pourrions dire entre 1981 et 2021, « il existe un processus, délibéré, de substitution des passions émancipatrices par des idées de merde, originaire en premier lieu de la droite et de l’extrême droite. Ce changement de passion impliquerait un changement de civilisation et ce processus serait soutenu par l’élite politique, intellectuelle et médiatique européenne, par idéologie ou par intérêt économique [3]. »

« Si le polémiste lance un défi au système, ce n’est pas pour le réformer ou le transformer, mais pour le ridiculiser » dit Christian Salmon dans Slate.fr. Que le clown choisit par les français pour représenter le discrédit du système politique soit le Z et non pas Akira en dit beaucoup sur l’avancée des passions fascistes dans notre pays.

La crise politique, économique, sociale, écologique qui discrédite les systèmes du pouvoir est un terreau propice à ce que pullulent les passions fascistes. Oui il y a une guerre des passions pour ce que Gramsci appelait l’hégémonie culturelle et oui, les fafs sont en train de marquer des points.

En 1981, les capitalistes avaient une utopie socialiste refroidie à refourguer aux masses pour contrecarrer le phénomène Coluche. Aujourd’hui la social-démocratie élimée et ridiculisée par Macron arrivera-t-elle à contrebalancer le phénomène Zemmour ?

Peut-être que seul un projet révolutionnaire d’organisation des passions est aujourd’hui capable d’endiguer l’arrivée d’un Z au pouvoir.

[1Ludivine Bantigny, « 10 mai 1981 : pourquoi Mitterrand a gagné », L’Histoire, 364

[2Frédéric-Joël Guilledoux, Tous candidats !, Albin Fayard, , 212

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