Le confinement de Lancieux
La baie vitrée, comme un écran de cinéma
Leur impose en spectacle la mer et les mouettes
Ils les observent en plaisantant, aux repas
Et trempent dans leurs œufs, de divines mouillettes
Ils mangent / ils boivent / ils rient, en face à l’infini
Trois serviettes entachées trainent sur la table
Bleue, jaune, rouge, comme au ciel avant la nuit
Les maillots et les ballons couraient sur le sable
Et ils les plient et les déplient à l’infini
Comme les flots et leurs désirs inavouables
Enfin, le silence qui tombe dans les nuits
Fait doucement vibrer le néant et les diables
Sortent en cachette marcher vers l’infini
Semblant longer de vastes terres arables…
Paysans nus, les chairs piquées, le bain de minuit
Ils attrapent la mort, l’eau du champ véritable
Rois sereins, tout entourés du grand brouhaha
Ils regardent en-haut, baignant leurs chères têtes
Il n’est plus temps de rire ! Ah ! Maintenant ils voient :
Les belles étoiles, l’écran noir de la fête
Révolte I
Marche dans les rues étranges
Les yeux dans la peur des autres
Masques sur le sourire des gens
Bouche humiliée
Je fais le tour de la Colonne de Juillet
Il n’y a personne
Que le Génie de la Liberté
Que ma révolte
Ridicule et puissante
Trash dans les médias qui mangent
Aux grandes tables se vautrent
Frasques des ivrognes dirigeant
Fronde matée
Je vais chez ma mère, dans le pays drouais
Il n’y a personne
Que quelques inquiétants boulangers
Que la récolte
D’un discours qui les hante
Tâche dans le ciel qui change
D’où surgissent les apôtres
Casques sur les crânes des agents
Gueules cassées
Je cours à mon bateau, l’Arsenal est muet
Il n’y a personne
Que quelques enseignants retraités
Qui se survoltent
« Savez-vous qu’ils nous mentent ? »
Bâche tendue je me venge
Le cœur dans le shot des autres
Flasques vidées je suis le géant
Tête penchée
Je vole aux confins du boulevard Beaumarchais
Il n’y a personne
Que mon grand lit dans le bar fermé
Que ma révolte
Ridicule et puissante
Je veux une vie nocturne
Entendre le tumulte
Même si je dors
Seul et serein
Savoir que dehors
Le monde s’agite
Et s’ennuie
Avec frénésie
Entendre les bruits de ville
Vivants
Le trafic incessant
Et les bagarres éclatent
Tout cela me rassure
Terriblement
Je veux l’opulent bordel
Ecouter les insultes
Même si je meurs
Seul et serein
Sentir que les corps
Sont tout élastiques
Et fébriles
Avec frénésie
Enfin rêver au silence
Vivant
L’immensité des plaines
Et les bagarres éclatent
Tout cela me rassure
Terriblement
Je veux grimper des volcans
Crier, crier d’en haut
Même si j’ai peur
Seul et serein
Prier sous la nuit
Les soirées magiques
Et futiles
Avec frénésie
Enfin je rentre chez moi
Vivant
Dans la tendre famille
Et les bagarres éclatent
Tout cela me rassure
Terriblement
J’ai envie de me battre…
J’ai envie de me battre
Je ne fais pas exprès
J’en ai même un peu honte
Pourtant je veux me battre
Et c’est juste, et c’est vrai
Ma colère qui monte
Une force subite
Des rafales de sang
Arrivent par les veines
Des veines dynamites
Qui se gorgent de vent
Et du bleu sur la Seine
Les discours raisonnables
Les histoires d’amour
La vertu, le comptable
Plus rien n’est adorable
Que le dieu du tambour
Qui m’attend et m’accable :
« Tu ne peux te soumettre
Sers tes poings, brave-les
Tous ces fous, tous ces prêtres
Dans la rue pour renaître
Et du cœur inondé
Et de vivre sans maitre »
J’imagine les yeux
Tout brillants de victoire
D’idéal, d’absolu
Je me soulève un peu
Et serrant la mâchoire
J’ai le regard perdu
Du guerrier sans épouse
Sans chef et sans patrie
Qui meurt dans le silence
Et la fierté jalouse
Et la fierté chérie
Ma tête enfin balance
Puis souvent j’ai sommeil
Je ne fais pas exprès
Chaque jour je succombe
Pourtant je veux me battre
Et c’est juste, et c’est vrai
Ma colère qui tombe
Révolte II
Il n’y a plus que ce mot
Qui me réveille encore
Et l’idée que bientôt
Il y aura plein de morts
Des morts qui voulaient vivre
Et se préfèrent morts
Plutôt que vivre peu
Plutôt que vivre rien
Il y aura dans leurs corps
Pourrissant sous la terre
Les poèmes des forts
Oubliés dans les rames
Des métros qui nous mènent
À nos tout petits drames
Des tramways qui entourent
La grande ville pâle
Il n’y a plus que ce mot
Qui me réveille encore
Je me lève et je parle
À voix haute tout seul
Je m’échauffe et je saute
Dans l’eau noire glacée
Mon écran est cassé
Je nage vers l’écluse
Pourrait-elle s’ouvrir
Je me déverserais
Dans une eau bien plus grande
Dans un monde apaisé
Dans un monde qui danse
Qui s’amuse et qui meurt
Je coulerais sans peur
Jusqu’au cœur de ton cœur
Il n’y a plus que ce mot
Qui me réveille encore
C’est la seule raison
Qui m’agite et m’étire
J’ouvre les bras de la ville
Dans la drogue qui court
J’ai le fleuve fébrile
Et mon écran est mort
Et sur les tristes lignes
Je m’endors à moitié
Il y aura dans mon rêve
Tout autour plein de dames
Tout autour plein de corps
Et une bouche d’or
Répétant haut et fort
Le seul grand mot : révolte
Le ciel crève enfin
Les passants s’arrêtent et se blottissent
Comme des feuilles
Le rock se plie au temps
Pauline passe avec un mot doux
Plié en deux
Elle rougit et nos sourires ont la gêne
Des cœurs fermés
J’ouvre mon rade
Sur le boulevard
Le soleil fait briller l’averse
Dans tous les arbres
Le corps brisé comme une équerre
L’aveugle fou mendie toujours
Il se déplie soudain
Dans un craquement
Pour s’adresser aux dieux
Avec la rage
Bientôt il n’y a personne que moi
Commerçant
Dans le vide
Le rock profond se déploie
Et j’ouvre mes ailes de café
Vers la Bastille
Le Génie d’or me toise
— il a la place de la lumière
Tout en haut —
Statue fragile
Jugeant tout bas
Les gens qui musent
Encore plus taciturnes
Marchant comme des disparus
A l’intérieur de leur propre ombre
Sans même assez de force
Pour être vraiment sombres
La ville tombe
L’acharnement du commerçant
Je dors le jour, la nuit je cours
J’ai dans la lune
Quelques bateaux
Quelques amis boivent avec moi
Ce qu’il nous reste
Pour tenir
J’apprends l’amour, la mort le sait
J’ai dans le cœur
Quelques conserves
Quelques frères mangent avec moi
Ce qu’il nous reste
Pour tenir
Je sens le sexe, la fatigue doute
J’ai dans le ventre
Quelques grands vices
Quelques amours couchent avec moi
Ce qu’il nous reste
Pour tenir
J’ai ma révolte, ma mère le sait
Elle a dans l’âme
Quelques souvenirs
Quelques bêtes s’approchent de moi
Pour reste, rester
Et pour tenir