Le Titanic français

Olivier Bordaçarre

paru dans lundimatin#236, le 30 mars 2020

Quelle joie ineffable ! Quel bonheur indicible ! D’observer depuis les confins de nos confinements le réjouissant spectacle du naufrage d’un gouvernement.

[Photo : Jean-Pierre Sageot]
Les incapables séculaires et les menteurs de profession, les méprisants encravatés et les goguenards médiatisés, les architectes des misères sociales et planétaires, les défenseurs des inégalités et des injustices, les petits courtisans serviles de la finance, fabulistes et moralisateurs, les penseurs de printemps et les arracheurs de mains, les avides de pouvoir et les protecteurs de carrières, tous psychologiquement infectés par le virus de la domination de classe, confinés dans leur milieu, dans leurs familles idéologiques, dans leurs cloaques décisionnels, dans leur discours et leurs conflits d’intérêt, obsédés par leurs convictions et leurs contrats, malades de jalousie, d’envies, de stratégies et de projets, accrochés au radeau de leur mission, bégayant des françaises-français à longueur d’antenne mais barbotant innocemment dans la crasse ignorance de la réalité de ces françaises-français, petits provocateurs et curés de bas-étage, emmerdeurs publics et pourfendeurs de libertés, profiteurs d’indemnités et calculateurs de bénéfices, planqueurs de pognon et donneurs de leçon, minuscules penseurs au verbe lourd d’insignifiance, tous maintenant, vont et viennent sur le pont de leur Titanic, affolés comme des mouches dans un nuage d’insecticide, criant leur bonne foi, jurant devant le peuple qu’ils ont embarqué par abnégation pour lui, tous maintenant, ne s’étant préparés au pire, cherchent à qui mieux mieux la chaloupe ou la bouée de sauvetage, hurlent SOS et promesses pour amadouer encore, faire croire à l’histoire, chercher l’ultime soutien, mais de chaloupe point et de bouée encore moins.

Les voici livrés, pieds et poings liés par l’historique de leurs insuffisances et de leurs obscénités, à l’inéluctable.

Leur Titanic, dont ils espéraient tant, sera envoyé par le fond. Leur édifice s’effondre et coule à pic.

C’est un spectacle revigorant que les peuples devraient applaudir chaque jour jusqu’à disparition complète du décor.

Quelle joie magnifique de les voir tous et toutes se débattre dans le marigot de leurs incompétences ! Quel bonheur de se dire enfin qu’il est entièrement confirmé que nous ne voteront plus jamais pour ces malades en phase terminale. Oh, non, plus jamais ! Rangez vos urnes et vos isoloirs, faites-en des tas et aspergez-les d’essence ! Dansons autour de cette fin lumineuse ! Ils ne nous y prendront plus. Le vaccin est enfin découvert !

Nous n’en pouvions déjà plus de vos violences, de vos haines, de vos mépris. Voici que vous sombrez corps et biens ! Quel plaisant événement. Finie la mascarade électorale, finie la centralisation de nos vies dans le bureau élyséen d’un petit bonimenteur de salon, finie la crise organisée méthodiquement depuis des lustres.

Quelle bouffée d’oxygène libératrice que cette vision de débâcle ! Eh non, il n’y aura pas assez de bouées pour tout le monde ! D’ailleurs, vous n’aviez, dans votre certitude de premiers de cordée, pas prévu la moindre bouée. Alors vous tombez les masques en dernier recours, et bientôt, vous nous présenterez vos excuses, quand vous aurez de la flotte jusqu’au cou. Vous commencez déjà à revoir votre copie, à nous informer qu’il y a des choses qu’on ne doit pas soumettre au marché, que l’appât du gain n’est pas un projet suffisant, qu’il faudrait peut-être rouvrir les librairies, que l’essentiel n’est pas là où vous nous l’aviez dit à votre arrivée, que les services publiques doivent être protégé, nourris, choyés, que la solidarité est une notion qui vaut le coup, que la culture c’est drôlement important, bref, que vous vous êtes plantés sur toute la ligne, que le capitalisme pandémique est une vraie saloperie.

Vous êtes trempés de honte et vous nous sortez vos dernières cartouches. Mais nous ne bougerons pas d’un pouce. Nous allons applaudir à votre défaite tous les soirs au coucher du soleil pour vous souhaiter bonne chance dans les tréfonds. Cette fois-ci, vous ne nous volerez pas notre printemps. Nous allons le vivre sans vous. Et quand nous irons enterrer nos vieux, morts de votre misère, vous serez déjà loin. Au fond. Oubliés. Effacés.

Nous nous organiserons sans vous, puisque vous nous aurez prouvé votre inutilité. Nous allons mondialiser la liberté, la justice, la beauté, le rire. Nous ferons pousser nos radis sans vos réformes. Dans l’oubli total de vos lois, de votre police, de vos contrôles.

Ah, quel bonheur de se sentir libéré de cette engeance !

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