La vie seule est souveraine

Tribune des malfaiteurs associés de la ZAD d’Arlon

paru dans lundimatin#300, le 16 août 2021

Le 28 janviers 2021, les domiciles de quatre personnes, soutiens actifs de la zone à défendre d’Arlon, ont été perquisitionnés par la police judiciaire. Les policiers cherchaient des preuves de la constitution d’une « association de malfaiteurs ». Depuis, la ZAD à été expulsée. La foret, elle, a été rasée. Jusqu’à ce jour, deux personnes ont été auditionnées par la police.

Ceci est une tribune des soupçonnés « malfaiteurs » de la ZAD d’Arlon et de leurs amis.

Que la catastrophe est devenue sensible

Chaque saison entraîne son lot de catastrophes. Nous nous souvenons de l’été 2020, caniculaire comme il en fut peu, où les villes étouffées de béton gardèrent la chaleur prisonnière. De la pollution de l’Escaut par l’entreprise Tereos, qui asphyxia les poisson sur l’entièreté du fleuve en région walonne. A l’instant où nous écrivons : fonte progressive des glaces au Groenland due au réchauffement global, incendies monstrueux en Russie et en Grèce sur les monocultures de pin et d’eucalyptus, famine pour sécheresse, manque d’anticipation et corruption à Madagascar. Pandémie mondiale favorisée par le transport aérien intensif. [1]

Et chaque fois on se fait la promesse que cette fois il faudra agir en conséquence.

Être à la hauteur de la catastrophe en cours. Puis vient la saison suivante, et on oublie.

Le retour au travail, les départs en vacances, les inscriptions scolaires, la paperasse provoquent une amnésie passagère que seule ravive cette angoisse cyclique revenue à chaque nouveau signe annonçant que la catastrophe est bien là. Et qu’elle va s’intensifiant [2].

En fait d’intensité, la Belgique a connu un épisode traumatique et un drame social qui, de mémoire d’anciens en tout cas, n’a pas de précédent. Les inondations de l’été 2021 et leurs conséquences furent la réunion d’un ensemble de causes de la catastrophe en cours : une gestion incohérente de de notre environnement, devenue sensible par les effets physiques qu’elle produit. Un démantèlement dément et acharné des pratiques et des réseaux de solidarité – étatiques ou non. L’appauvrissement des sols voués à l’agriculture intensive. Et enfin, une bétonisation à outrance qui ravageait déjà des bois, des plaines, des villages, de la beauté [3].

A présent cet ensemble de causes ravage des villes entières, entraînant dans ses flots des vies et ce qu’elles contiennent d’espoirs, de projets, de souvenirs qui étaient accumulés là, dans ce petit jardin, dans cette maison où nous sommes nés, dans ces formes de vie que nous tentons d’habiter. Malgré tout. Désormais dévastées à jamais et nouvelle page du livre des vaincus. Ces inondations, ces crues, ces torrents de déchets et de voitures renversées mettent à nu le visage déjà fort grimaçant de l’Etat, du capital et de la civilisation qu’ils engendrent ensembles. À l’accalmie relative de ces inondations on fit le bilan : 41 personnes ont étés arrachés à l’affection de qui les aiment. On comptait 163 disparus. Et la colère, encore une fois reste muette, sans voix. Mais elle est là, elle s’accumule au rythme du désastre. Parce que c’est toujours les plus démunis qui payent le plus cher. Parce que Liège ne se laissera sûrement pas faire. L’amer monte en même temps que les eaux. Les temps seront bientôt aux débordements. Qui peut encore nier que la catastrophe est devenue sensible ?

Que la ZAD d’Arlon tentait de réduire la catastrophe

Sur l’ancienne Sablière, devenue à présent le plus célèbre désert de Wallonie et peut-être le futur Zoning de Schoppach, la catastrophe pourrait porter le nom d’espèces dont on a détruit l’habitat. Elle pourrait s’appeler : Chenille de Goutte-de-sang , Triton alpestre , Azuré des cytises , Cicadelle verte , Doublure jaune (...gilet…), Hibou Grand-Duc ou Milan Noir. Elle pourrait porter encore tant d’autres noms [4]. Mais ce sont de bien trop beaux noms pour désigner le désastre.

Outre ces espèces, le bois de Schoppach était habités de hêtres, de conifères, d’orchidées sauvages, de chiens et de merles, mais aussi d’humains qui tentaient d’habiter le bois avec eux. Pas malgré eux, pas contre eux, mais avec eux. Tenter de comprendre. C’était cela l’expérience sensible de la ZAD d’Arlon [5]. De l’aveu de policier, ce sont les nombreux soutiens venus de mondes fort divers qui ont retenu la main de l’état jusqu’au 15 mars 2021 , après un an et demi d’occupations des bois. Parce que ce qui s’agrégeait prenait non seulement le parti du refus, mais aussi celui de l’affirmation. Défendre en habitant. Cesser d’opposer les petits bouts d’expériences ou de bonheurs que nous arrachons entre amis, ou plus largement avec des gens dont nous partageons l’éthique, au potager collectif comme en manifestation.

La ZAD est apparue comme réunion de ces deux stratégies. Nous disons qu’elle est « apparue » parce que la ZAD n’est pas le fruit d’une conspiration. Ni du machiavélisme de quelques individus avides de « casser du flic » ou de commettre ce que le langage judiciaire appelle « des violences » (comme tentent de le faire croire Vincent Magnus Bourgmestre d’Arlon, et son compère, Elie Deblire, l’homme aux quarante mandats [6] ) .

La ZAD d’Arlon est le fruit d’éthiques qui tendent à se rejoindre. C’est la révolte logique qui vient, lorsque les libertés de décision sur nos vies sont détruites une à une et sans la moindre gêne. Et qu’elles sont, en plus de cela, détruite par des gens incompétents et arrogants. Arrogance face aux marches climats, arrogance face aux gilets jaunes, arrogance face aux riverains de Shoppach dont le quartier fut amputé d’une ancienne sablière [7] qui formait pourtant un biotope unique, cohérent. Beau.

La ZAD fut la réunion de plusieurs formes de lutte. De la pétition à l’action. De l’interpellation citoyenne à l’occupation physique. Il en aura fallu des corps en mouvement. Il aura fallu bien du monde pour qu’elle puisse se matérialiser. Sa naissance en Belgique, à la suite d’une année de marches climats et d’irruption Gilets jaunes, n’est pas un hasard. Elle est née comme la réunion logique de ces deux mouvements et de ces deux pratiques.

Que la ZAD fait tomber les masques

À Arlon, comme ailleurs, une coterie s’est accaparé la terres et les honneurs, les avantages et l’argent. Un milieu plus ou moins hétéroclite constitué de baronnets élus de peu et assis sur leur siège comme la chèvre reste à son piquet, de fructueux entrepreneurs de la construction en kit collectionneurs de monocultures d’épicéas, et d’intercommunales tellement opaques que même la télé locale s’indigne de leurs manœuvres [8]. Une coterie qui insulte ses citoyens, les intimides, hurle sur l’opposition en plein conseil communal, exproprie, rase pour racheter. Une coterie qui fait expulser de nuit neufs écologistes occupant des cabanes dans un bois de trente hectares, au sud de la Belgique, dans la périphérie d’Arlon. Neufs écologistes réveillés au petit matin, armes d’assauts et de pointes braquées sur la tempe. Le bois, les cabanes, les potagers, le nid du hibou, la pessière, la prairie – rasés ! [9] Rendus à l’état de souvenir. Déchiré le petit journal local. Muet le chant des oiseaux. Et les amitiés tissées rendues comme en exil. [10]

Et c’est nous que l’on accuse d’association de malfaiteur ?!

Nous connaissons d’avance la stratégie de cette coteries, financièrement, familialement et politiquement consanguine. Les élus joueront la carte de la démocratie. La police tentera quant à elle de dépolitiser l’affaire, de la vider de tout contexte, d’en faire le fait d’individus à risque.

Qu’ils viennent donc sur un tel terrain.

Nous n’aurons aucun mal à parler de démocratie avec ceux qui la bafouent depuis des décennies. Vincent Magnus, la veille de la destruction du bois, osait dire en bon père de famille « le bois sera rendu aux arlonais qui pourront s’y promener tranquillement. ». Mensonge démenti par les faits : en quelques jours à peine, la foret n’existait plus. L’honneur n’est pas la première vertu de monsieur le bourgmestre ! Nous n’aurons aucun mal, non plus, à parler d’« individus à risque » vu les scandales provoqués par quelques décisions politiques de ces dernières années.

Nous serions mêmes plutôt satisfaits de participer à ce que nous puissions, enfin, en parler !

Que la répression est devenue leur seule réponse

C’est un fait maintenant établi que comme on traite la marge on finit par traiter tous les autres. Dès lors comment accepter les diverses formes que prit la répression sur la ZAD ? Nous nous souvenons d’Arlon assiégée par les forces de l’ordre en prévision d’une manifestation qui n’eut jamais lieu. Nous nous souvenons de l’intimidation commise envers certains parents de jeunes zadistes, des drones incessant qui survolaient le bois, des écoutes téléphoniques. Nous nous souvenons du jour où ils sont venus à des centaines pour déloger neuf personnes. Nous nous souvenons qu’ils ont empêché la presse de prendre images et vidéos. Nous nous souvenons qu’ils ont violenté une amie médecin, qu’ils l’ont insultée, mise en garde à vue en lui retirant ses lunettes. Nous nous souvenons que peu avant, ils se sont introduits dans le domicile d’une amie, en civile, pour simplement « poser des questions ». Nous nous souvenons que Koen Geens, alors ministre de l’intérieur a qualifié l’un d’entre nous de « propagandiste de la haine », suivant les indications de la Sûreté de l’État, tandis que Jurgen Commings enseignait encore à de nouvelles recrues. Nous nous souvenons aussi que la veille de l’expulsion, un policier a tenté d’ intimider l’un d’entre nous en plein Namur, à la suite d’une lecture de poème pour Still Standing for Culture, à coup de questions sordides : « alors la ZAD ? Et ta sœur, hein, comment va ta sœur ? »

Au coeur de cette polémique, nous pensons discerner les chemins empruntés. Y aurait-il pour certains un chemin de l’honneur, pour d’autre, une autoroute de la perfidie ? Le choix ici, semble limpide, puisque notre position tendra vers le témoignage et le récit de ce qui fut à défendre et méritait d’être défendu. Tout évènement de l’histoire est digne d’être raconté, pour ce qu’il enseigne à l’humanité sur son passé et, souvent lié, sur son avenir. Pour ces raisons, nous n’avons pas peur. De plus nous avons encore beaucoup de souvenirs à leur opposer. Ces cartes seront jouées en temps voulu. Car nous savons que la bataille judiciaire et politique qui vient sera longue, coûteuse et éprouvante.

Mai nous sommes une révolte logique contre le désastre, contre Idelux et son monde.
Nous sommes la nature qui se défend pour simplement continuer à être en vie.

Maxime Decoster, Roland Devresse, R.D. et leurs ami.e.s.

Illustration : Fabien Lafontaine

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