La quadrature du cercle ou projet pour une guérilla littéraire féministe

Julie Sas

paru dans lundimatin#222, le 23 décembre 2019

« Elles disent qu’elles ont appris à compter sur leurs propres forces. Elles disent qu’elles savent ce qu’ensemble elles signifient. Elles disent, que celles qui revendiquent un langage nouveau apprennent d’abord la violence. Elles disent, que celles qui veulent transformer le monde s’emparent avant tout des fusils. Elles disent qu’elles partent de zéro. Elles disent que c’est un monde nouveau qui commence. »

So she took out her pen-knife, she did not have a glass pen she did not have a feather from a hen she did not have any ink she had nothing pink, she would just stand on her chair and around and around even if there was a very little sound she would carve on the tree Rose is a Rose is a Rose is a Rose until it went all the way round. Suppose she said it would not go around but she knew it would go around. So she began.

Gertrude Stein, The World is round (1939)

Il y a quelque part une sirène. Son corps vert est couvert d’écailles. Son visage est nu. Les dessous de ses bras sont couleur d’incarnat. Quelquefois elle se met à chanter. Elles disent que de son chant on n’entend qu’un O continu. C’est ce qui fait que ce chant évoque pour elles, comme tout ce qui rappelle le O, le zéro ou le cercle, l’anneau vulvaire.
Monique Wittig, Les Guérillères (1969)

A rose is a rose is a rose. Apparu pour la première fois dans le poème « Sacred Emily » (Geography and Plays, 1922), l’aphorisme devenu célèbre de Gertrude Stein est repris par l’autrice, entre autres occurrences, dans un livre pour enfants intitulé « The World is round » paru en 1939. Ce texte, stylistiquement emblématique de l’œuvre de Stein, présente une forme fragmentée et une écriture radicalement expérimentale faite de jeux de reprises et de répétitions, de diversions narratives, de dérapages syntaxiques. Y figure, à une époque où « le monde était rond et [où] on pouvait tourner tout autour en rond et en rond » [1], Rose, une petite fille qui inscrit en cercle sur un arbre, à l’aide d’un canif qu’elle polit avec une pierre pour mieux en aiguiser la pointe, la phrase « a rose is a rose is a rose ».

« Tout geste est renversement » [2], déclarent à deux reprises Elles, personnage collectif désignant les Guérillères , dans un livre éponyme de Monique Wittig (Les Guerrillères, 1969), à l’ouverture et à la fin de la narration, cerclant un récit lui-même fragmenté, conflictuel, fait de reprises, d’emprunts, de répétitions. Poème épique à l’écriture lacunaire, Les Guerrillères décrit le soulèvement de Elles contre une entité abstraite dont on devine qu’il s’agit d’un langage oppresseur, et présente une composition en trois parties, dont chacune est délimitée par l’inscription d’un cercle sur une page blanche. Tout geste est renversement, toute révolution est circulaire.

Centre et circonférence (désordre)

Les cercles et effets de circularités dans les écritures de Stein et de Wittig ont ceci en commun qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’entreprises littéraires féministes dont l’usage radical et expérimental de la langue sert un projet de dépassement du genre - littéraire : l’épopée, le conte ; mais aussi identitaire : critique du masculinisme de la langue et du binarisme de genre. Qu’ils soient graphiques, narratifs ou formels (inscrits, décrits, ou donnant forme au langage), les cercles sont omniprésents dans ces œuvres en tant que force de bascule. Bascule d’un cadre normatif, renversement des assignations arbitraires de la langue, bouleversement des formes d’embranchements du littéraire au politique, ils visent un projet littéralement et tactiquement révolutionnaire.

Si la figure du cercle renvoie, dans son acceptation commune et sur un plan symbolique, à l’harmonie, à la complétude (et pour certains, au genre féminin), elle semble plutôt se référer, dans les œuvres de Stein et de Wittig, à une forme paradoxale, instable et dangereuse. Cercle-scopique, cercle-cible, éclatement, aveuglement, révolution, la figure du cercle ne désigne pas tant la finitude que des processus de déstabilisation, qui recoupent une volonté marquée d’affirmer l’inachèvement et le désordre de toute chose - du langage et de l’entreprise littéraire en particulier.

Dans « Quelques remarques sur Les Guerrillères » texte issu de l’ouvrage « La pensée straight » (2001), Monique Wittig, qui explicite le processus d’écriture qui l’a amené à la rédaction du livre, décrit les cercles des Guerrillères comme des « labyrinthes concentriques » où viendrait se perdre son personnage pluriel. « Peu à peu, explique-t-elle, le cercle se vide de son labyrinthe pour devenir une simple ligne circulaire » [3]. Dans le livre, les cercles servent alors, paradoxalement, de scansions des différentes parties du textes, soit d’éléments graphiques venant organiser le récit. Ambivalence du cercle qui à la fois fait se perdre (des personnages dans processus d’écriture) et structure (le texte final), concentre et divise. Ainsi, la forme stable et achevée du livre est marquée, organisée par son processus chaotique d’écriture. Un tel projet d’incorporation du désordre de l’écriture dans la forme du livre témoigne plus largement d’un rapport contrarié du langage à son référent, mais aussi à sa capacité à produire un sujet, une identité. Le centre est partout, la circonférence nulle part.

Eclatement

A plusieurs égards, les cercles et effets de circularités dans les textes de Stein et de Wittig ne renvoient ainsi pas tant au concentrisme qu’à la déroute, à l’éclatement : éclatement formel du livre, du langage, de la phrase, du sujet de la phrase, mais aussi du sujet tout court, de l’identité.

A rose is a rose is a rose. Au-delà de son évident principe formel de répétition ou de reprise, l’aphorisme de Stein engage un jeu sur la prédication, pris dans une logique de circularité contrariée du sens et du sujet. La répétition du prédicat se perd comme un écho. Rose désigne un nom propre, puis un nom commun, et puis ? Cette perte progressive et potentiellement vertigineuse du référent traduit un rapport à la fois conflictuel et renouvelé du langage au réel et semble pointer une défaillance voire l’impossibilité du langage à designer ce qui est. Ainsi l’apparente tautologie de l’énoncé (A=A) produit paradoxalement l’instabilité du sujet, son ouverture à un champ des possibles. Plus largement, cette instabilité du sujet, qui marque le principal rouage narratif et poétique de l’œuvre de Gertrude Stein (voir en particulier Autobiographie d’Alice Toklas et Ida, à propos des stratégies steiniennes de désidentifications et de portraits en négatif), se décline chez l’autrice par l’usage de syntaxes souvent désorganisées et pourtant sur-articulées, qui, par effets de retards, de reprises et de polysémies, font éclater le sens de la phrase et conduisent à une diffraction des identités. Autant de dérapages syntaxiques, de portraits en négatifs, d’irruption par effraction de personnages ou de sujets dans le récit ou dans la phrase qui dessinent abstraitement des cercles dont le centre aurait été perdu.

« Créer des intervalles, trouer la phrase au niveau grammatical, déstabiliser l’ordre convenu du discours » [4]. C’est dans une même logique d’éclatement du langage, du référent et du sujet que s’inscrit le projet de Wittig des Guerrillères. « Texte parasite », « composé d’éléments complètement hétérogènes, de fragments de toutes sortes, pris un peu partout, qu’il a fallu faire tenir ensemble » [5], ce poème épique se présente d’emblée comme une forme centrifuge. Par processus d’appropriation énonciative, l’élément constitutif de ces fragments est un pronom personnel, qui est aussi le personnage pluriel principal de l’épopée : « Elles ». Ici, l’éclatement du langage et du sujet recoupe une stratégie de subversion du pronom personnel et de l’identité de genre. Omniprésent dans le texte, le pronom désigne en effet moins le genre féminin pluriel qu’une entité opaque et englobante, dont l’identité se décline en termes à la fois objectiviste et singulier, au-dessus des catégories de sexe. Ainsi, Elles dispute l’universalité du ils, Elles cherche à « dérober l’universalité du pronom ils » [6] explique Wittig. Éclatement, dispersion ; contre l’uni-versalité, il faut être versatile.

Aveuglement

Finalement, ces processus d’éclatement et de diffraction à l’œuvre dans les textes de Stein et de Wittig, tendent à produire une forme d’aveuglement chez le lecteur et organisent le récit autour d’un point aveugle. Le cercle relève ici d’une question optique, oculaire, au caractère paradoxalement cécitaire et éclairant. L’expérience de lecture relève du jamais-vu ; les mots deviennent des points aveugles autour desquels s’organise un projet langagier, social et politique révolutionnaire. Un brouillage visuel et intelligible qui appelle à lire entre les lignes. Chez Stein comme chez Wittig, le sens émane moins de ce qui est littéralement écrit, que du champ des possibles que ces écrits convoquent - sur les plans formel, sémantique, langagier, mais aussi politique - par jeux de polysémie (rayonnement du sens), stratégies inclusives et mises en conflits. En témoigne notamment l’organisation dialectique des pages dans Les Guerrillères : le livre tout entier s’articule en effet autour d’un principe de mise en regard des pages de gauche (« page du texte ») et de celles de droite (« pages de l’histoire » [7]) dont Wittig dit qu’elles se trouvent « en conflit l’une avec l’autre de chaque côté de la pliure » [8]. La diffraction du regard et la fragmentation séquentielle de l’épopée semble indiquer que quelque chose se dessine hors du texte même, dans ses angles morts. Par jeux d’agencements et travail de compositions, ce « quelque chose », ce point aveugle, cible finalement les assignations arbitraires de la langue, un langage oppresseur. Monique Wittig comme Gertrude Stein sont conscientes du paradoxe qu’il y a à utiliser le langage, légué par un projet politique de domination, pour transcender et subvertir cette politique. C’est donc en quelque sorte en creux, en hors-champs, que le projet littéraire féministe, dans sa visée politique et sociale, se déploie.

Cible

Zero in. En anglais, l’expression désigne l’action de diriger l’attention, de se centrer, de se focaliser sur une chose ou une personne. Elle renvoie à la fois à l’idée de cible (au sens notamment guerrier du terme) et de commencement, de table rase. Cercles-cibles, les circularités langagières et formelles de Stein et Wittig reposent sur un postulat (autant qu’il est un projet) littéralement et politiquement révolutionnaire : pour un subvertir l’ordre, il faut renverser le discours. Pour atteindre la révolution, il faut viser le langage. Cette réinvention passe donc par des formes de désordres (de l’écriture), d’éclatements (du sujet), d’aveuglements (du lecteur) et s’inscrit chez les deux autrices dans un certain traitement de la violence - qui se présente à la fois comme objet et sujet de l’écriture. En effet, de la narration d’une guérilla augmentée d’un « conflit  » formel entre les pages du livre des Guerrillères chez Wittig, à la dérangeante image d’un canif aiguisé à l’aide d’une pierre servant à inciser l’écorce d’un arbre dans les mains d’une enfant chez Stein, une violence, latente ou explicite, se déploie dans ces écrits. Cette violence, qui s’exprime formellement dans l’usage radicalisé de la langue, se trouve accentuée par l’évocation récurrente de sons (une voix, un chant, comme un souffle ou bien un cri de guerre) ou, au contraire, par l’occurrence de silences - qui sont lourds de sens.

Dans « Composition as explanation » un essai poético-théorique écrit par Gertrude Stein en 1926 qui discute des rapports entre processus d’écriture, perception du temps (notamment générationnelle) et composition, l’autrice évoque l’influence de la Première Guerre mondiale sur le modernisme et sur son écriture en particulier. Dressant un parallèle entre guerre et composition, elle explique : « […] war is a thing that decides how it is to be done when it is to be done. It is prepared and to that degree it is like academies it is not a thing made by being made it is a thing prepared. Writing and painting and all that, is like that, for those who occupy themselves with it and don’t make it as it is made. » [9] Dans un autre texte intitulé « Patriarchal Poetry » [10], écrit un an plus tard, Stein met la radicalité de son écriture au service d’un projet littéraire qui vise à déstabiliser la pensée lorsque celle-ci recoupe une logique ou une catégorisation patriarcale. C’est donc dans une confrontation directe à deux facteurs de mutisme - la guerre, qui annule tout langage et le patriarcat, qui confisque la langue - que l’entreprise littéraire de Stein s’inscrit consciencieusement. La radicalité de son écriture, et à certains égards, sa virulence, relèvent ainsi d’un « cycle de la violence » dans laquelle est prise le projet littéraire même.

Chez Monique Wittig, la guerre est ouvertement déclarée. A la fois sujet de la narration et rouage d’une transcendance du langage, dans sa dimension genrée en particulier, la violence est le moteur même du livre des Guerrillères. « Le rythme est tributaire avant tout de la façon dont le texte est fragmenté. Ici, il n’y a pas de fluidité, pas de lien entre les séquences. L’effet recherché est de souffle court, de rapidité, comme dans une bataille, comme quand des pieds nombreux frappent contre le sol. » [11] explique Wittig dans La pensée Straight. Le personnage principal du livre, Elles, est décrit par l’autrice comme « colérique » ; Elles « met le monde sans dessus dessous » [12]. Dans un texte intitulé « Le Cheval de Troie », Wittig explicite les liens que peuvent entretenir un projet littéraire radical avec l’entreprise guerrière : « Toute œuvre littéraire importante est, au moment de sa production, comme le cheval de Troie. Toute œuvre ayant une nouvelle forme fonctionne comme une machine de guerre, car son intention et son but sont de démolir les veilles formes et les règles conventionnelles » [13]. Dans cette visée, il faut « porter un coup avec les mots » [14] par le biais de stratégies de détournements : « Et pour en revenir à notre cheval, si on veut bâtir une parfaite machine de guerre, on doit se garder de l’illusion que les faits, les actions, les idées peuvent dicter leurs formes directement aux mots. Il faut en passer par un détour, et le choc des mots est produit par leur association, leur disposition, leur arrangement, aussi bien que par chacun d’eux dans son utilisation isolée » [15]. Ce travail de contour et de détour, de cerclage et d’éclatement, à l’œuvre chez Wittig comme chez Stein, vise un projet littéraire radical qui redessine la ligne de partage conventionnelle entre langage et politique. Par là-même ce projet engage de nouvelles formes de représentativités.

Si les mots servent à brouiller les choses, c’est parce que la bataille sur les mots est indissociable de la bataille sur les choses
Jacques Rancière, La haine de la démocratie

Révolutions

Elles disent qu’elles ont appris à compter sur leurs propres forces. Elles disent qu’elles savent ce qu’ensemble elles signifient. Elles disent, que celles qui revendiquent un langage nouveau apprennent d’abord la violence. Elles disent, que celles qui veulent transformer le monde s’emparent avant tout des fusils. Elles disent qu’elles partent de zéro. Elles disent que c’est un monde nouveau qui commence.
Les Guerrillères, Monique Wittig

Une révolution désigne à la fois le mouvement d’un objet ramené périodiquement au même point autour d’un centre ou d’un axe, ainsi qu’un changement d’envergure intervenant dans une structure politique et sociale qui se produit quand un groupe se révolte contre les autorités et prend le pouvoir.

Le terme, dans son sens politique, est presque galvaudé pour parler de ce que désignent, dans le paysage géopolitique et social actuel, les formes plurielles de soulèvements, de protestations sociales et de redéfinition des identités - qu’elles procèdent d’une organisation structurée ou non, qu’elles fassent usage, ou non, de la violence. L’idéologie néo-libérale, par la flexibilité insidieuse qui la caractérise, - laquelle peut se targuer de sans cesse parvenir à tout incorporer à son propre système, dans une conscience pourtant aiguë de ses propres limites - s’est déjà appropriée le terme de révolution, comme elle s’est appropriée les termes de « crise » ou d’ « identité », avec lesquels elle est d’ailleurs souvent associée. Loin de défendre l’idée naïve et vaine qu’un texte peut changer le monde, on peut toutefois supposer qu’à partir de la lecture attentive de textes qui radicalisent ou inventent de nouveaux langages, des textes révolutionnaires - ici Stein et Wittig -, il est possible de tirer des enseignements quant aux possibilités de (ré)embranchements du littéraire au politique.

Il faut commencer par recommencer. Et recommencer à commencer. « [...] I said to myself this time it will be different and I began. I did not began again I just began » [16]. Dans « Composition as explanation », Gertrude Stein discute de l’importance de l’idée de commencement radical dans son processus d’écriture. La répétition obstinée de ce terme dans le texte redouble comme un écho le sens propre du mot tout en lui conférant une dimension performative sans cesse renouvelée. C’est ainsi à force de table rase, qu’une écriture et qu’une pensée nouvelle émergent. La « tabula rasa » ou « rasum tabulae » désigne la couche de cire qui recouvrait les tablettes servant de support à l’écriture pendant l’Antiquité. Ce qui matériellement semble actif dans la couche de cire désignée – une puissance de ne pas écrire, une écriture dans la passivité – se rejoue dans l’écriture révolutionnaire – qui chaque fois recommence et fait recommencer à zéro, répète jusqu’au point zéro, qui est une puissance de ne pas être, en soi. Puissance de ne pas être qui, lorsqu’elle s’inscrit dans un rapport critique à des normes langagières, politique et sociales, peut s’entendre comme forme de résistance et potentiel créatif.

Si un projet langagier et politique révolutionnaire appelle de nouveaux commencements, il implique ensuite une stratégie d’ouverture et d’incorporation dans la composition, à laquelle doit s’articuler un sens de la distribution. Il faut voler au pouvoir le pouvoir de tout prendre.

« Using everything » est ainsi le deuxième principe directeur de l’écriture chez Stein, d’après l’autrice dans Composition as explanation. « This brings us again to composition this the using everything. The using everything brings us to composition and to this composition » [17]. Les appropriations et stratégies d’incorporation d’éléments hétérogènes et disparates dans les écritures de Stein, mais aussi de Wittig, en particulier lorsqu’elles concernent la composition, témoignent, au delà d’une logique propre au texte, d’un sens politique de l’altérité et d’un rapport à la distribution, nécessaire au projet révolutionnaire. Dans une note au texte « Composition as explanation » de Stein, publiée dans l’ouvrage « Revolution : a reader », l’autrice Lisa Roberston remarque : « « Using everything » can relate to the conduct of living and working where engagements are not formed on the basis of prior classifications. Just as nothing is already beautiful, nothing is already revolutionnary. There is not an appropriate or desirable kind of content, there is no already existent revolutionary conduct or vocabulary. Revolution uses everything » [18]. Ainsi, ce principe d’incorporation ne doit pas s’établir sur la base d’a priori. C’est une dynamique propre au projet révolutionnaire que de se saisir des lieux et des formes les plus inattendus, les moins prévisibles, les mois pré-déterminés, non pas dans une recherche d’innovation, mais dans un souci d’ouverture et par le prisme de l’expérience et de l’expérimentation. « There is not a heroism of revolution, there is a distribution » [19] souligne Lisa Robertson.

Ce sens de la distribution, du potentiel, recoupe, dans le projet révolutionnaire, la recherche de formes radicales. « Radical » dit « racine », c’est-à-dire fait entendre la question du commencement. » [20] fait observer Marie-José Mondzain dans Confiscation des mots, des images et du temps, un livre qui cherche à rendre au terme radicalité « sa beauté virulente et son énergie politique ». L’autrice en appelle au courage de former et formuler des ruptures constructives, et à l’imagination créatrice. « Ce qui manque radicalement, dit-elle, c’est la présence d’une vie politique nécessairement fondée par l’énergie transformatrice de la zone vivante et rebelle des images et des mots. » [21]

Ainsi la guérilla littéraire - telle que déployée dans les écritures de Gertrude Stein et de Monique Wittig - se présente comme le champ de bataille sur lequel il est possible d’œuvrer à l’incessante construction et déconstruction du langage, dans une relation critique et transformatrice à son cadre normatif. Elle nous engage redéfinir les termes de notre rapport au politique, à faire l’expérience du potentiel radical de nos limites.

Julie Sas est artiste et autrice. Elle a publié, entre autres, Notes de la rédaction aux éditions Héros-Limite en 2017.

[1Gertrude Stein, Le Monde est rond, Esperluète éditions, 2011, édition bilingue, traduction revue par Anne Attali, p.13

[2Monique Wittig, Les Guérillères , éditions de Minuit, 2019, pp. 7 et 197

[3Ibid, p. 148

[4Ibid, p. 146

[5Ibid, p. 147

[6Ibid, p. 149

[7Ibid, p.148

[8Ibid, p.148

[9Gertrude Stein, Composition as explanation, dans « Revolution : a reader », Lisa Robertson et Matthew Stadler, Paraguay Press & Publication Studio, 2015, p. 134

[10Gertrude Stein, Patriarcal Poetry, [https://monoskop.org/media/text/stein_complete_writings/#y345], consulté le 27/11/2019

[11Op. cit., p. 149

[12Ibid, p. 151

[13Monique Wittig, « Le cheval de Troie », dans La pensée Straight, Op. Cit., p. 124

[14Ibid, 127

[15Ibid, 127

[16Op. cit., p.140

[17Ibid, p. 140

[18Ibid, p.140

[19Ibid, p. 145

[20Marie-José Mondzain, Confiscation des mots, des images et du temps, éditions Les Liens qui Libèrent, 2019, p.71

[21Ibid, p. 63

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