Le poète, ce théoricien qui n’aime pas trop la théorie
Il y a des ouvrages (entendons-le en un sens très matériel) avec des textes dedans qui en composent la matérialité (même en dehors de l’objet-livre), et ces derniers tracent des lignes. Ça pense. Ce n’est pas gratuit.
Ce n’est pas gratuit au sens où ça cherche creuse hésite tente quelque chose en vue de quelque chose d’autre. Même si on ne sait pas toujours très bien ce qu’on fait ni vers quoi on tend. Mais de le savoir, précisément, n’est pas le cœur de l’affaire.
Ces ouvrages-là sont le plus souvent fabriqués par des poètes qui refusent de se prendre pour des poètes. Ce qui ne signifie pas qu’ils tafferaient moins que les autres, bien au contraire, c’est beaucoup de taf la « poésie » faite par des poètes qui refusent de se prendre pour des poètes.
Dire que ça pense ne signifie pas que les ouvrages auxquels nous pensons seraient des ouvrages théoriques. C’est même contre la structure discursive que ça pense. Ça veut pas non plus dire que la théorie est absente, avant, pendant, après la fabrication de ces ouvrages, mais, et si c’est le cas, il s’agit soit d’en faire usage pour autre chose soit de la diluer dans quelque chose qui la dépasse.
On a raison de se battre contre le capitalisme et ses structurations raciales et patriarcales. On a raison d’utiliser la théorie pour mieux comprendre où nous sommes, où nous voulons/pouvons aller et comment.
Pour autant, c’est très bien d’être dépassés. Même quand on a raison. Surtout quand on a raison. On ne peut pas avoir vraiment raison d’ailleurs, politiquement j’entends, si on n’accepte pas que quelque chose d’inemployable ou de non réductible à un genre existe, a le droit d’exister, et que (soyons lyriques) notre vie en dépend.
Formulons les choses autrement : il y a dans chaque poète sérieux (donc drôle et honnête avant tout) un théoricien désarmé qui se cache dans des buissons.
On va examiner ici deux cas incurables de poètes-théoriciens qui n’écrivent pas de théorie, pas vraiment de poésie non plus d’ailleurs et qui dans le fond n’aiment pas trop ni les poètes ni les théoriciens. Et on va montrer que non seulement ça pense, dans ce qu’ils font, mais que c’est précisément parce que ça pense que nous est offerte la possibilité, pardon, d’en faire un petit quelque chose théoriquement.
Cas 1 : le renard de la littéralité
Nous confions ce charme à vous
palmiers intra-muros — et
Thoth Uzeba Owieke Anoubis mots
d’hévéas qui poussez
— et à vous sèves souterraines —
filles et garçons morts prématurément —
riverain.e.s des palmes — ex ténué.e.s
sous les noix année après année mois
après mois jour après jour heure après
heure. — Nuit
après nuit adjurons tous les jeunes
dépossédés d’Okumu —
et enfants qu’on déplace de Pejehun…
Les poètes aussi, ça leur arrive d’avoir des idées. Mais alors il faut qu’ils en fassent quelque chose. C’est le cas de Benjamin Fouché. Il a des idées, il en use. Il use de la théorie de la littéralité (selon Jean-Marie Gleize), et le fait en marxiste. Et quand BF fait usage (en marxiste) de la littéralité de JMG (qui n’est pas marxiste), bah ça devient autre chose que ce qu’en fait JMG dans ses textes non théoriques, ça fabrique un champ explosif d’exposition objective, où des trucs se mêlent, frictionnent, bref ça rend compte d’un état du monde, d’une totalité, pas nécessairement achevée (ouf, on respire les copains), mais oui, d’une totalité quand même — le poème comme totalité avec du monde dedans — et cela, non du point de vue du poète (ouf, deux fois), mais du point de vue du monde qui fait effraction dans la chambre du poète et l’empêche de rester assis à sa table de poète.
Pourquoi ? Car il lui manque des choses au poète, des êtres, des rapports entre les êtres, entre les choses, alors faut partir en quête de matériaux neufs (les traces d’une enfant morte par exemple), bref quitter sa table de poète, sortir de chez soi, enquêter.
Prenons un exemple (cf. « Notre vallée », in Destins critiques de Walter Benjamin, Abrüpt, à paraître) : le poète œuvre à sa table, à sa table de poète, mais quand il entend que ça s’agite en bas de chez lui (ce sont les « émeutes » consécutives à l’assassinat de Nahel par la police française), bah le poète sent qu’il ne peut plus rester à sa table de poète, qu’il ne peut plus rester poète, car c’est ridicule de rester à sa table de poète, de rester poète quand un gamin se fait assassiner et que ça crame en bas de chez soi. Ça ne veut pas dire ici que le poète qui cesse d’être poète et cesse d’écrire de la poésie contente d’être de la poésie rejoint les gamins dans la rue (il pourrait), ça veut dire que poète fait autre chose que d’être un poète qui écrit de la poésie, il réouvre un vieux dossier par exemple, pose à plat quelques indices de quelque chose qui a eu lieu et qui n’est pas sans rapport avec ce qui se passe en bas de chez lui. Enfin, l’enquête peut commencer.
Et c’est donc la naissance du poète enquêteur et archiviste. Celui qui cherche des matériaux, les manipule, les expose en les organisant. Après l’enquête et l’archivage des matériaux, l’exposition et son organisation est la seconde phase de son boulot de poète qui a quitté sa table de poète, qui a cessé d’être poète. Et c’est là qu’intervient la théorie. La théorie, nous l’avons déjà dit, c’est la théorie de la littéralité de JMG (cf. La littéralité, Questions théoriques, 2015). Attention, si le poète fait tout pour qu’on cesse de le traiter de poète, et bien qu’il use ici d’une théorie, il n’est pas un théoricien pour autant, mais un enquêteur puis un exposant qui use de la théorie, mais pour en sortir, pour décrire sans trahir ce qu’il trouve, ce qu’il voit ou ce qu’il entend, et non pour le théoriser (pour un approfondissement de décrire/théoriser selon G, allez voir sa notice dans le volume de la Pléiade qui regroupe les textes de Ponge). Ne pas trahir, c’est parvenir à ne pas retenir/réduire/ajuster ce qu’on expose aux attendus de la poésie ou aux exigences de la théorie, et cela en un sens très précis (nous y reviendrons à la fin de cette section).
Intervient alors un principe rythmique. Ce principe rythmique est crucial, car le seul rapport concret à la totalité — on serait tenté de dire dans l’art, mais nous pensons en général, dans la vie, les rencontres, etc. — c’est le rythme (Eisenstein le disait déjà et il avait raison déjà).
Encore faut-il se mettre d’accord sur la nature des matériaux que le rythme, en tant que principe structurant d’une totalité — qui n’est pas l’œuvre elle-même mais une totalité à l’œuvre — est chargé de faire tenir dans l’ouvrage. Eh bien ces matériaux qu’il manipule et organise, expose, souvent ce sont des rapports de police, des extraits de journaux, etc., mais ça peut être aussi, et de plus en plus souvent dans le cas de BF, des fantômes et de la douceur. Précisément : cet usage de la littéralité rend possible, à rebours d’un néolyrisme (toujours subjectiviste et donc bourgeois car amputé de la totalité des rapports sociaux), un rapport honnête, précis, aux fantômes et à la douceur. Comme s’il fallait suffisamment de retenue pour permettre un tel rapport. Comme si les fantômes et la douceur, pour qu’ils puissent exister dans le texte, dans l’ouvrage, en tant que fantômes et en tant que douceur, et d’une façon très concrète, toujours matérielle, il fallait que le poète ait entrepris d’abord de sortir de chez soi (littéralement et dans tous les sens). Sinon ce n’est pas sérieux, et tout devient gratuit = les rapports de police, les extraits de journaux, les fantômes et la douceur deviennent une soupe trop grasse et peu goûtue (Walter Benjamin disait aussi : « un mauvais poème de printemps », cf. « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne », in Œuvre, II, traduction de Maurice de Gandillac revue par Pierre Rusch, Gallimard, Folio, pp. 131-132).
Ce qui est d’autant plus problématique que les « fractions fantômes » sont investies dans les ouvrages de BF d’une fonction historique, celle d’ « en finir avec toutes les fractions » (cf. Merveilles du monde, Al Dante, 2024, p. 65). Organisés politiquement, les fantômes sont vraiment redoutables, donc pas question de jouer au poète avec eux, de faire de la poésie contente d’être de la poésie, au risque de voir les membres de la fraction se transformer en indécrottables trotskystes. Et ça c’est vraiment très problématique, car les trotskystes pèsent lourd dans nos échecs et la désertion des luttes.
En résumé : 1) temps de l’enquête : accumuler des matériaux, les archiver ; 2) temps de l’exposition : manipuler et organiser la mise en rapports de ces matériaux selon la théorie de la littéralité de JMG + un principe rythmique qui structure le poème comme totalité, inachevée, inachevable, une totalisation du monde qui tient comme lieu d’exposition de ces matériaux.
Ainsi le poète qui a quitté sa table de poète et a cessé d’être poète, il ne cesse pas de fabriquer quelque chose qu’on appelle « poésie » et qu’on range dans les librairies au rayon « poésie ». Seulement le poète cesse d’être poète dans sa façon d’écrire de la poésie, et du coup il fabrique une poésie qui cesse d’être de la « poésie » au sens de la poésie qu’on appelle « poésie » et qu’on range dans les librairies au rayon « poésie ». Ça veut surtout dire, tout ça, que son écriture fait un bond vers le monde, sa cruauté, ses antagonismes, ses résistances (littérales et spectrales). Et qu’il tente d’organiser tout ça, le poète, tout ce qu’il peut extraire et exposer en l’organisant au sein de son ouvrage. Mais attention : il a beau manipuler tout ça, cette réalité (réelle, virtuelle, bref toute la réalité), qu’il réorganise dans l’espace textuel de son ouvrage, continue de dépasser le poète, de l’excéder. Insistons : cette construction (qui comprend l’exposition et son organisation) n’est pas faite pour nous revenir, retenue et réduite, ajustée aux instincts sublimatoires du poète, non, « nous ne deviendrons pas des géants tristes. Nous n’observerons pas la petite morte comme une forme taillée pour nous, à la mesure de nos manques, comme une forme frappée du sceau de l’inestimable, et du nouveau. Ou comme un ultime retranchement, une forme de riposte face à l’avilissement que subissent les choses du fait de pouvoir être taxées comme marchandises. Non. Nous n’en ferons jamais une forme allégorique. » (« Notre vallée », in Destins critiques de Walter Benjamin, op. cit.)
Cas 2 : le poisson radioactif
… le vivant s’incruste pour mieux résister et le poète est très certainement le descendant du premier poisson énervé qui a voulu en découdre avec les eaux.
Charles Pennequin, on sent que les matériaux, la théorie, tout ça, il préfère les laisser tranquilles. Quand la baraque brûle, il faut se tirer et vite. Pas question de rassembler en urgence tous nos matériaux, de se saisir d’une théorie préalable du poème avant de se faire la malle. Pas question non plus de se trouver une bande d’arrêt d’urgence ENTRE DEUX CATASTROPHES (cf. PV nique ton père), d’y planter sa tente avec videur hygiéniste à l’entrée et de se mettre à théoriser la perte de tous ces matériaux qu’on a abandonnés dans la maison qui brûle avec une théorie préalable du poème au milieu des flammes.
En fait, ce qui pense (on s’appuie ici sur un texte précis : « Poète poisson », in Dehors Jésus, P.O.L., 2022) chez CP, c’est pas CP (ou alors c’est accessoire). Entendons-nous : c’est très bien que CP pense, mais en l’occurrence, ici, ça pense dedans. Pas à côté, pas avant : dedans. Dedans le poème. Pas dedans la maison qui brûle, hein ! Dehors ! Il faut que ça sorte. Ça pense dedans, mais dehors, hors de la maison qui brûle, hors de la Poésie, des Poètes et de toutes ces belles choses qui brûlent avec elle.
Entendez, la maison du poète est en train de cramer, quand il s’échappe, ce n’est pas une promenade de santé, au sens où, quand il s’échappe, il cesse lui aussi d’être poète (on précise ça au cas où les gens trouveraient ça très aimable de s’échapper d’une maison qui brûle tout en restant poète) : « Les poètes sont des individus. Ils portent trop la trace de l’individu et de sa ruine. Ils aiment se promener dans la poésie après une bonne douche bien chaude. Mais hormis ça (Ils aiment la propreté poétique.) (Ils aiment la probité aussi.) (Ils sont immanquablement tendus vers la probité.) (Et puis ils font trop de courbettes.) (Tous les poètes sont courbés.) (C’est-à-dire qu’ils épousent les angles des murs.) (Ils sont vassaux de leur poétique et de leur histoire.) (Même modernistes.) (Ils aiment à prêcher.) (Ils font des sermons.) (Même les plus aventureux sont de fins sermonneurs.) (C’est les pires mêmes.) (Ils aiment à rappeler que tout cela ne vient pas de rien pour poétiser la vie.) (Ça ne vient pas d’une lubie d’hurluberlu de poète et d’ailleurs ils se font acteurs de tout ce qui s’est joué dans la poésie.) (Ils prêtent modestement leur corps et leur voix à l’Histoire.) (La Grande.) (Celle des poètes.) (Ils aiment à interpréter ce qui n’a plus cours et même si c’est ultra-novateur on dirait qu’ils lorgnent toujours vers le siècle précédent.) (Ils ont trop de respect pour les avant-gardes pour en fonder une.) (Tous les musées ont gagné et tous les jours un poète de sous-préfecture a la chance de faire figurer ses gribouillis sous les dessins d’Henri Michaux. » (Ibid., p. 142.)
Bref, il faut déguerpir. S’arracher au plus vite, à tout prix, avec ses pieds et par la bouche, et ce afin d’éviter de rester comme un con, assis, au milieu du salon pendant que la maison brûle. Sortir de chez soi = rencontrer quelque chose qu’on ne connait pas déjà = sortir le moi du texte = sortir du texte un autre soi, plein d’autres soi. « Le moi est une attaque à la personne déconstituée que je suis. » (« Petit Jésus », in Dehors Jésus, op. cit., p. 113.)
Si le problème de la théorie c’est qu’elle canalise la vivance, la séquestre à l’intérieur d’une forme fixe, la pétrifie, l’interdit, le problème de la poésie c’est qu’elle fait trop souvent de la vivance une brillance, avec un poète pour tenir la torche. Bref, la vivance du poème doit sortir dehors et bouffer tout ce qu’elle trouve. Pas seulement des asperges sauvages et des fruits de saison. Tout ce qu’elle trouve. Elle doit bouffer des déchets radioactifs, même si c’est pas très goûtu. Pourquoi des déchets radioactifs ? Car ce n’est pas naturel la poésie, c’est un artifice, nous sommes des artifices, un feu d’artifice et ça c’est goûtu. Bouffer des engins pyrotechniques, oui c’est goûtu. Il faut que ça explose dedans, dehors, dedans-dehors. Pas pour se sentir vivant (la belle affaire sentimentale), mais parce que « le poète doit devenir un être vivant extrêmophile pour continuer à faire exploser l’existant, c’est-à-dire exister dans le présent. » (« Poète poisson », in Dehors Jésus, op. cit., p. 147.)
Ce n’est pas rien tout ça. Ce n’est pas gratuit. Et, pardon, cher poète, qui ne souhaite surtout pas montrer que ça pense, mais là ça pense vraiment et ce n’est pas rien ce que ça pense. Par ex. : ça pense un truc à l’endroit de l’écologie politique, un truc essentiel même, le fait que l’écologie politique elle doit rester politique, pas poétique, et que l’écologie politique, si elle veut devenir révolutionnaire, il va falloir qu’elle apprenne à se défaire de son naturalisme, car le naturalisme bah ça reproduit purement et simplement, dans la poésie comme partout dans la société, la déchirure ontologique marquant l’avènement du capitalisme, c’est-à-dire la séparation de l’homme et de la nature.
Bon, à vrai dire, ça c’était juste un exemple, pas très arbitrairement choisi, car ce « poète poisson » qui bouffe des déchets radioactifs, il arrête pas de penser. Il pense tellement que je ne parviendrai jamais à poser mes grosses plumes théoriques sur ses écailles pour tenter d’en extraire tous les trucs dont je pourrais faire des slogans assez efficaces du genre « Ça ne marchera pas nos révolutions si nous n’éructons pas des choses totalement incompréhensibles » (Ibid., p. 144).
Aubervilliers – Villeneuve d’Ascq : jumelage improbable
En gros, on a dit : y en a un qui pense ce qu’il fait (bref qui kiffe la théorie et l’assume, même s’il en sort assez vite finalement), et un autre qui refuse de penser ce qu’il fait pour que ça pense dedans, uniquement dedans, dedans mais dehors… (tout ceci s’offrant comme une matière théorique assez exemplaire par ailleurs ;)). Et nous, on dit : ils trichent. Ce sont des théoriciens ! Des putains de théoriciens du poème ! Des théoriciens, et d’envergure les coquins, mais cachés dans les buissons du langage. Alors un coup ce sont les buissons d’Aubervilliers, un autre les buissons de Villeneuve-d’Ascq, n’empêche que ce sont des buissons et que ça pense dedans.
Attention ça ne pense pas pareil dans les buissons d’Aubervilliers et dans ceux de Villeneuve-d’Ascq, et ce n’est pas qu’une question de géographie, bien que ce ne soit pas accessoire la géographie, au sens où je serais curieux de voir le renard à Villeneuve-d’Ascq et le poisson à Aubervilliers, mais là on s’égare.
Reprenons : ce n’est pas qu’une question de géographie, donc, ou de méthode, ou de théorie préalable, car ce qu’ils font n’a vraiment rien à voir. Entendez : ce qu’ils font au moment où ils le font et ce que ça donne à la fin quand c’est imprimé-numérisé-brefquandçasemetàcirculer. Voyez : le premier est un renard qui enquête, manipule des matériaux, les expose en les organisant (aussi bien des fantômes que des rapports de police), tandis que le second est un poisson qui file à contre-courant bouffer des déchets radioactifs pourvu que ça rallume en nous un truc qui ne nous appartient pas, un truc qui nous lie au proche et donc au lointain, à moins que ce ne soit au lointain et donc proche (le théoricien que je suis en raffole, il faudra y revenir…) Rien à voir, donc, entre ce que l’un et l’autre de ces deux poètes font et défont, et pourtant, il y a bien une ou deux ou plus (à vrai dire au moins six) lignes communes qui lient ces deux sentiers discordants et amis.
Lignes & formes-commune
(7 propositions à discuter au congrès annuel de l’APMTIS [3])
(7 propositions à discuter au congrès annuel de l’APMTIS [3])
1.
la poésie c’est pas naturel — le capitalisme tue la poésie — donc le capitalisme tue pas uniquement la nature — mais aussi ce qui est pas naturel — bref l’écopoésie c’est de la bouse — les écopoètes devraient bouffer de la bouse — ça les guérirait sans doute de la belle nature — et les réconcilierait avec nos déchets
2.
les poètes c’est chiant — (surtout quand ça porte des écharpes de poètes) — la poésie ça se fabrique — sans se prendre pour des poètes — (ni pour des donneurs de leçons) — bref faut rester des ouvriers du texte — toujours mal payés c’est vrai — mais ceci est un autre problème
3.
l’inspiration est une escroquerie — au boulot ! ça vient pas tout seul — sans se forcer sans se retenir — la « poésie » suppose de s’y coller — patiemment/frénétiquement — avec ou sans méthode — avec une théorie préalable ou pas — la poésie ça se fabrique
4.
alors autant s’y coller à plusieurs — sans être une avant-garde — qui regarde son nombril d’avant-garde — bref soyons une avant-garde — qui file vers le monde — et tente de le transformer — pas seulement en théorie — pas seulement en poésie
5.
préférons le terme de collectif — à celui d’avant-garde — on a le droit de pas être d’accord — sur les trucs qu’on tente — les collectifs qui tentent des trucs — pourraient même tenter des trucs très différents — s’agit seulement de tenir une ligne — d’être conscient de ses buts
6.
suffit pas de rester souder — faut se répandre — et rester proche — si proche —
proche de là où on est — proche de là où on vient — même quand c’est difficile — même quand c’est impossible — surtout si c’est impossible [4]
7.
rester proche c’est-à-dire — proche de l’enfance et de ses pets — tenaces odeurs de rouille de silice — et de nos fantômes-camarades — accepter d’être traversés — par ce tout qui nous excède — et ce lointain surnaturel — qui nous unit et nous dé-fait
Pierre-Aurélien Delabre
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