La Parole des Immatures

« Il faut réfléchir aux conséquences avant de priver une jeunesse de voix... »

paru dans lundimatin#176, le 31 janvier 2019

Nous recevons et transmettons ce texte, écrit par une de nos lectrices lycéennes et que nous avons trouvé touchant.
Nous nous souvenons parfaitement de ce que cela coûte de rester toute la semaine, toute l’année, assis dans une classe à se taire. La mise au pas, la sélection, la fatigue, l’ennui et toutes les petites humiliations. Nous nous en souvenons parfaitement même si paradoxalement nous les avons refoulés de notre mémoire pour n’avoir plus comme seuls souvenirs que les bons moments avec nos camarades de classe, la poignée de professeurs sympathiques, les fous rires, les premières fois, les premiers mauvais coups. Lycéens, nous aurions aimé raconter ce que nous vivions comme l’auteur de ce texte y parvient.

Combien d’entre nous on déjà entendu « je pensais pareil à ton âge » ? Ou encore « c’est juste une phase » ainsi que « c’est normal de se rebeller quand on est jeune »... Ce genre de discours réducteur et rabaissant. Ces phrases toutes faites, inutiles, blessantes. Parce que l’on est pas majeur on est incapable d’avoir un avis construit ? Parce que l’on est jeune nos paroles ne sont pas réfléchies ? Nous n’avons pas le droit de vote, pas d’indépendance, pas de responsabilités... Donc pas d’opinion ? Ou du moins, pas d’opinion digne d’intérêt. Notre rôle n’est pas de parler, mais d’écouter. Nous ne savons rien, nous n’avons pas d’expériences, nous ne possédons pas une réflexion propre... Non. On est jeune. On a tout à apprendre. Donc de notre avis on s’en fout. A vrai dire, on a même pas envie de l’entendre. C’est à ça que sert l’école, non ? A nous soumettre aux avis des autres. L’élémentaire, le collège, le lycée... Un parcours dont on sort sans espoir, silencieux. Le but : nous préparer à être rentable dans cette société. Le moyen : nous pousser à être des miroirs.
On a un cours. On l’apprend. On le récite. Félicitations, vous êtes un bon élève !

Ils ne veulent pas que l’on comprenne, ils ne nous enseignent rien, ne nous transmettent pas des connaissances. Ils nous formatent juste. On nous oblige à avaler des tonnes de données inutiles pour ensuite les recracher sur une copie. Plus on sera à leur image mieux ça sera. Plus on leur ressemblera plus on nous valorisera. Un miroir... Ils ne veulent que voir leur reflet à travers nous. La différence, l’originalité, la création ? Des mots bannis de notre scolarité. Nous devons être des clones, ne pas nous démarquer. Il faut renvoyer ce qu’ils nous donnent le plus fidèlement possible. Certes, l’erreur est autorisée... Mais elle est pénalisée. Tout écart mérite sanction. On veut des miroirs lisses, propres, nettes. De parfaits robots, prêts directement à l’emploi. Et ils ne doivent pas être indépendants, surtout pas ! Ils doivent se sentir en sécurité dans ce système, rassurés. Ils doivent en être dépendants. Car seuls, vous n’arriverez pas à vous organiser... Vous avez besoin d’autorité... Vous êtes incapables de vous auto-gérer... Le pouvoir vous est nécessaire... La hiérarchie sinon le chaos... Alors à force, certains y croient. D’autres ont peur d’essayer, alors ils acceptent ce schéma. Et quelques uns pensent qu’une alternative est possible... Mais devant la difficulté à la mettre en place, ils s’y résignent.

Chaque matin on se réveille alors qu’il fait encore nuit. Fatigués, nous allons en cours. On écoute, on écrit, on répond. On se dépêche. On obéit. Puis on rentre chez nous, lassés. On doit encre travailler pour le lendemain. Une fois ces corvées faites, on cherche à avoir du temps libre. Alors on s’endort tard. On est crevé. Et quelques heures après tout recommence. Ce rythme est épuisant. Souvent notre moral tombe en même temps que nos heures de sommeils. En classe on ne cherche plus à comprendre, à s’indigner, à réfléchir. Désabusé on accepte tout, pourvu que les heures passent vite. Tout nous déprime. Au lycée : ces cours chiants, ces profs cons, cette résignation. En dehors : l’actualité catastrophique, notre quotidien si prévisible, le travail qui nous rattrape. Tout est fait pour nous casser, nous briser de l’intérieur. Et en surface nous devons renvoyer le reflet attendu. Charmante société dans laquelle nous sommes impuissants... Quel espoir s’offre à nous ? Être riche et célèbre ? Avoir beaucoup d’argent ? Mais posséder une masse de papiers colorés avec des chiffres inscrits dessus nous rendra t-il heureux ? Nous n’avons pas tous le même avis là-dessus. Certains pensent que... Ah mais j’oubliais ! Notre avis ne vous intéresse pas. Les adultes, EUX, savent ce qui est juste. Ils savent la vérité. Ils savent ce qui est bon pour nous. Combien de fois les profs nous on dit « vous n’êtes pas là pour donner votre avis » ? Donc le lycée, et plus généralement l’école, ne serait pas un lieu adapté à notre liberté d’expression ? Ah bon. J’imagine qu’il est bon de rappeler que l’on passe aux alentours de 32h par semaine au lycée. Notre vie se résume aux cours ! Que nous reste t-il sinon ? Ne parlons même pas des soirées où nous ne pouvons rien faire... Le week-end peut-être ? Entre une sortie le samedi et les devoirs le dimanche il est vite bouclé. Alors les vacances ? Ces deux semaines de liberté conditionnelle ? Vous n’y pensez pas. En plus de ce manque crucial de temps, on manque de moyens. Comment exprimer son opinion quand on est jeune ? Personne ne semble prêt à nous écouter et à nous prendre au sérieux. Il nous reste alors internet... Mais au vu de la surveillance, s’afficher (même) virtuellement semble risqué. Donc ? Concrètement, on fait quoi ? La réponse est simple : on la ferme. Et c’est ce que veux l’école, après tout. Nous devons être des miroirs. Ainsi ils s’admireront à travers nous, et tout sera parfait... Un miroir ne pense pas, ne parle pas. Il renvoie juste ce qu’on lui présente. A l’école, assumer ses convictions signifie prendre des risques. Cela peut prendre différentes formes : votre proviseur qui vous pousse violemment lors d’un blocus devant le lycée, votre prof qui vous prévient que votre copie est trop engagée, ou juste une récrée de loupé car vous êtes retenu seul dans une salle avec un adulte qui vous cri dessus... Le système éducatif devient ingénieux lorsqu’il s’agit de répression. Alors quand, où et avec qui pourrons-nous parler librement ?? Plus tard sûrement. Après. Soyez patients. Mais pourquoi faudrait-il attendre, toujours attendre ?! Notre parole n’est pas légitime car nous ne sommes pas majeurs ? Faut-il avoir au minimum 18 ans pour avoir une conscience politique ? Apparemment oui. Et pourtant, je reste persuadée du contraire... Mais bon. De cet avis ils n’en veulent pas. Après le lycée les études, après les études le travail. Et voilà une belle génération bien silencieuse et soumise ! Toutes nos félicitations ! Vous êtes d’excellents miroirs.

Si la parole ne nous est jamais proposée, nous risquons de la prendre. Et devant ce dialogue absent, seul nous reste la violence. Il faut réfléchir aux conséquences avant de priver une jeunesse de voix...

Nyi, une lycéenne mécontente

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