La Comète de Halley, de Marius Loris Rodionoff

Juliette Riedler

paru dans lundimatin#493, le 20 octobre 2025

La Comète de Halley paraît en septembre 2025 aux éditions Zoème. Il s’agit du septième livre de Marius Loris Rodionoff, historien et poète, petit dernier d’une série de textes portant notammant sur la guerre d’Algérie (Désobéir en guerre d’Algérie, paru au Seuil en 2023, Procès Verbaux, aux éditions Al Dante en 2021) et sur la justice (Objections, chez Amsterdam en 2022). Habitué à partir du réel, des documents et donc des mots des autres, le poète et chercheur approfondit ce sillon avec La Comète de Halley, livre de collage/montage entièrement constitué de fragments de manuels d’histoire allant du Moyen-Âge à nos jours. Débutant en 529 et s’achevant en 2000, le livre traverse en quelques soixante-seize pages mille cinq cent ans d’histoire de France. Le poème devient l’unité de mesure du temps et le témoin de ce qui retient l’attention de son auteur attentif, farceur et malicieux.

Les quelques soixante-dix poèmes qui constituent autant de jalons pour faire passer quelque chose de l’histoire de France telle qu’elle est racontée dans les manuels les plus basiques et épais qui soient sont tous très brefs. Ils sautent d’une période à une autre sans principe directif a priori. Ce sont le goût, la fantaisie et la révolution tant politique qu’astronomique qui guident les choix ainsi que le montage des vers. Ces derniers sont saisis par un soucis de la coupe, de la suspension, de l’absence, mais aussi par une grande condensation dans laquelle l’onomastique joue un rôle capital : c’est elle qui nous offre à goûter l’époque dont il est question.

530-610

Venance Fortunat poète italien de Ravenne s’est exilé en Gaule
Pour des raisons inconnues la reine Radegonde à Poitiers
Une peste ravage l’Auvergne est dépeuplée
Charibert meurt sans héritier
Interdit l’esclavage
Les Avars attaquent mais est capturé
Galswinthe est assassinée sur ordre du roi
Sa concubine Frédégonde
Les monnaies wisigothiques circulent
Une basilique en l’honneur de saint Saturnin

Dans La Comète de Halley il n’y a pas de hiérarchie entre ce qui relève du royal et du trivial, du « haut » et du « bas » et l’anecdote, précisément lorsqu’il s’agit des rois, revêts des atours tous particuliers. Ainsi par exemple la mention d’Henri IV blessé à la bouche (poème 1594) et de Robespierre blessé à la mâchoire (poème 1794) – l’occasion de dire que Marius Loris Rodionoff fait ses débuts en gueulant ses vers dans les cafés, sous la grande aile de Charles Pennequin. Cet effet de rime interne est complété par les nombreux clins d’oeil du livre avec notre contemporain : la fin du monde s’empare [déjà] de l’Occident en l’an 1000, un certain Melanchton riposte dans l’histoire de France en 1521, entre autres.

L’humour, lié au total décalage des éléments entre eux, et la surprise d’apprendre deux ou trois choses, fondent le plaisir de lecture. Je prends ainsi connaissance de l’existence d’une « armée de colonelles », en 1591, ou bien de cette fermière de l’Orne [qui] aurait perdu le contrôle / D’un fromage au lait de vache et donné naissance au camembert. (Oups !)

La Comète de Halley, comme le précise la quatrième de couverture, « a longtemps été suspectée d’exercer une influence désastreuse sur la Terre ». En s’appuyant sur des manuels usuels de la cinquième république, le recueil se fondait nécessairement sur une histoire majoritairement constituée de batailles et de morts, de victoires et de défaites. Mais l’enjambement toujours surprenant du vers, la compulsion des noms, la fatrasie des substantifs, l’arbitraire du passage d’une séquence historique à une autre, la mise à l’as desdits monarques qui se succèdent, les mentions de Landévennec, Loudun, Marseille, Paris ou Quercy, produisent un effet d’embrassement et de vitesse lumineuse qui déplace radicalement l’Histoire du côté du langage et du jeu. À noter les drôleries, les faiblesses, les bizarreries, les joyeusetés, de cette histoire majuscule qu’on nous fait prendre pour un socle et un progrès, se dégage un effet de désencombrement rafraichissant et libérateur.

Juliette Riedler

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