L’organisation des anarchistes sur le front ukrainien

Entretien avec le Resistance Committee

paru dans lundimatin#365, le 9 janvier 2023

Dans la continuité du reportage d’IMPACT en Ukraine, nous avons échangé avec le Resistance Committee, une structure de dialogue et médiatisation, mais également de soutien logistique et de coordination auprès de différents groupes libertaires et antifascistes combattant en Ukraine contre l’invasion russe. Ils nous éclairent un peu plus sur les enjeux politiques sous-jacents à un conflit trop souvent réduit par l’opinion révolutionnaire occidentale à une confrontation entre impérialismes.

De notre point de vue extérieur, on observe du côté « révolutionnaire » une profusion de petits groupes armés, majoritairement anarchistes, et peu de grandes structures révolutionnaires, est-ce le cas ?
Tout d’abord, à partir de cette question, naît l’envie de se demander pourquoi le mot révolutionnaire est posé entre guillemets...
Donc, la profusion ce serait bien… mais on peut plutôt parler de plusieurs groupes de camarades anarchistes intégrés dans les forces de défense. Nous savons que plusieurs socialistes participent également aux forces armées.

Auparavant, nous avions un peloton antiautoritaire davantage uni et constitué de pas mal de personnes : mais il a été fragmenté à la fin du mois de juillet, principalement à cause d’une certaine bureaucratie militaire, mais aussi en partie à cause des différences entre les divers groupes qui le constituaient.

Pour autant, la période actuelle n’est pas moins productive puisque beaucoup de nos camarades dans leurs petits groupes acquièrent une expérience de combat réelle et acquièrent également des compétences militaires utiles que nous trouvons politiquement importantes pour les révolutionnaires.

Sur le front civil, les initiatives les plus intenses en ce moment se retrouvent dans les Collectifs de Solidarité. Beaucoup d’efforts sont déployés pour soutenir les combattants (en premier lieu les antiautoritaires et les militants de gauche) ainsi que les syndicats, l’activité médiatique, etc.

Quel est le rôle du ’Comité de Résistance’, pour assurer la coordination au niveau de la communication ? Avez-vous un travail plus « opérationnel » ?

Le Comité de Résistance est la plate-forme de dialogue, et dans une moindre mesure de coordination, entre les différents libertaires et groupes libertaires engagés dans la défense armée de la société ukrainienne contre l’invasion impérialiste, ainsi qu’une plateforme d’échanges pour les camarades qui nous soutiennent activement.

La base idéologique de notre coopération est définie dans notre manifeste.

Si par ’travail plus opérationnel’ vous entendez des opérations militaires conjointes, ce n’est pas le cas pour le moment, car nous sommes membres de différentes unités des forces armées ukrainiennes opérant dans différentes zones.

Les forces combattantes, côté ukrainien, apparaissent comme un front commun entre différentes factions. Y a-t-il des tensions, des heurts, par exemple avec des unités d’extrême droite ?
Nous n’avons aucune information sur de telles tensions. De plus, les seules tensions politiques qui sont apparues sur place étaient des tensions entre différentes factions d’extrême droite. Généralement, différentes factions politiques sont intégrées dans le cadre de l’armée ukrainienne qui dans sa majorité n’est pas politisée (ou politisée autour de l’idéologie de la ’défense nationale”).
On a vu la mise en évidence d’un « imaginaire soviétique » côté russe, et antisoviétique côté ukrainien. Y a-t-il des marqueurs historiques prédominants utilisés par la résistance, en particulier la période Makhno ?
Le côté impérialiste russe utilise une sorte d’éclectisme de différents symboles chauvins et de mythes historiques. Ils utilisent des symboles pré-révolutionnaires de l’Empire russe combinés à des symboles soviétiques, où l’URSS est comprise comme une nouvelle édition de cet Empire.

La partie ukrainienne utilise des symboles, disons, de son ’panthéon national’ dont Nestor Makhno interprété comme un héro national.

Quant aux anarchistes ukrainiens impliqués dans la résistance ukrainienne contre l’invasion, nous nous référons aussi beaucoup à Makhno.

Dans quelle mesure s’agit-il d’une résistance populaire, dépassant la tutelle étatique ?
Nous avons eu des discussions et des polémiques autour de cette question. Disons-le prudemment : la résistance armée contre l’invasion s’organise essentiellement dans le cadre étatique. Cependant, des dizaines de milliers de personnes sont venues volontairement rejoindre l’armée sans que l’État ne les y contraigne. Certains d’entre eux étaient organisés en ’bataillons de volontaires’ qui existaient depuis 2014 mais qui plus tard, après février, ont été intégrés à l’armée étatique régulière.

L’auto-organisation populaire n’a peut-être pas dépassée celle de l’État, mais elle demeure forte, c’était particulièrement évident dans les premiers temps de la guerre. Dans l’oblast de Kiev, nous avons pu voir dans de nombreux villages des gens ordinaires qui se sont organisés en unités territoriales d’autodéfense, ont établi des points de contrôle, etc. Les actions spontanées (comme par exemple le célèbre “enlèvement’ de chars russes par les agriculteurs ukrainiens avec leurs tracteurs) ont été plus visibles lors du choc initial de l’offensive générale impérialiste en février-mars.

Cependant, l’auto-organisation non étatique joue désormais un rôle très important. Surtout dans le secteur civil - une myriade d’initiatives bénévoles locales aident l’armée avec des équipements et du matériel que l’État ne peut pas leur fournir.

Comment envisagez-vous les 6 prochains mois ? Existe-t-il une forme d’« union sacrée » temporaire ou y a-t-il déjà des tentatives pour stimuler des dynamiques anti-autoritaires locales ?
Il est vraiment difficile de faire des pronostics pour le prochain semestre. Il y a un espoir que la dictature russe se cassera les dents ici et que ses capacités à mener une guerre étendue seront épuisées.

Quant à la situation intérieure en Ukraine : la crise sociale n’est pas seulement prévisible - elle est déjà en route. Il semble que le scénario le plus adéquat soit de se battre pour la justice sociale à l’intérieur mais en même temps de se concentrer sur la défaite des envahisseurs impérialistes (nous pouvons appeler cela la tradition de la Commune de Paris si vous préférez). Sera-t-il possible pour une telle force politique d’apparaître dans ces circonstances, et sous quelle forme, seul le temps nous le dira.

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