L’hypothèse destituante

« Hérésie, écart, sécession, séparation »
Contribution à l’offensive en cours

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#368, le 30 janvier 2023

Pour la journée de discussion organisée ce samedi 28 janvier à la Parole Errante autour du thème « Reprendre l’offensive », nous avions souhaité partir des hypothèses politiques et révolutionnaires qui trament l’époque et sont autant de points et de coordonnés depuis lesquels se saisir du présent. L’hypopthèse communale, l’hypothèse insurrectionnelle, l’hypothèse des marges et bien sûr, l’hypothèse destituante. Tout naturellement, nous nous sommes tournés vers notre ami Jacques Fradin, meilleur exégète de la philosophie destituante, afin qu’il se joigne à nous. Malheureusement, il en fut empêché, il nous a néanmoins transmis la note de synthèse que nous reproduisons ci-dessous.

La politique destituante ou de la destitution, encore nommée politique négative et, dans la suite, communisme tribunicien, cette politique a été introduite dans la pensée italienne, Agamben, Esposito, Cacciari, Vattimo, vers les années 1980-1990 et développée après 2000-2010 (voir bibliographie sommaire en fin d’article).
L’idée de la politique négative été introduite sous le coup de la défaite de l’insurrection opéraïste et en réaction à la thèse (beaucoup trop affirmative) du « pouvoir constituant » de Negri.
Puissance destituante (Agamben) opposée au pouvoir constituant (Negri).
Chaque terme exigeant une analyse de détail : puissance et non pas pouvoir, poussée négative de « destruction » et non pas construction positive [1].

Nous allons, ici, tenter une introduction limitée (très limitée, pour plus de développements voir note 1), une introduction à la française à cette hypothèse destituante.
Le thème de la politique négative étant très lourd et demandant une longue élaboration (voir Punk anarchism, note 1) nous ne pouvons qu’en rester à une introduction sommaire, au moyen de quelques apologues.

La politique négative consiste en la négation (destruction) du despotisme (on pourrait nommer cette politique destituante : « démocratie sauvage », communisme tribunicien).
Partons de Giorgio Agamben :
Vers une théorie de la puissance destituante, LM 45, 25 janvier 2016.
Posons, en suivant Agamben, que le point de départ des présentes réflexions sur la politique destituante est l’analyse critique de ce qui est nommé « démocratie » (ou « démocratie libérale »), analyse reformulée en termes de DESPOTISME ; ce qu’Agamben (après Benjamin) nomme : État d’exception (permanent).
Le régime politique de l’économie (nommé par antiphrase : « démocratie libérale ») est le despotisme, plus ou moins autoritaire (le pouvoir technocrate économiste du néolibéralisme), le despotisme économique avec son ombre permanente, l’État d’exception.
C’est dans le cadre de ce régime (d’exception permanente) que la seule politique possible (s’il reste de la politique qui ne soit pas de la police) est la politique destituante.
Toute (dite) « politique réaliste » de construction alternative est, réellement, un exercice de police technocratique. Toute construction « bien intentionnée » est « de police ».
Il n’y a pas d’autre politique que la politique destituante. Toute politique constituante de nouvelles institutions est « de police », toute institution étant une machinerie de pouvoir, à détruire ou déconstruire.
Il faut partir du lien :
Politique destituante >> << despotisme à religion économique d’État (la théocratie économique).
Avec les propositions :
Le pouvoir est constructif, toute construction est un exercice de pouvoir (constituant la réalité réaliste) ;
La puissance est déconstructive ; c’est toujours l’agir négatif de destruction (En Réel).
Il n’y a pas de dialectique (classique) puissance / pouvoir, Réel / réalité ; il n’y a qu’une gigantomachie éternelle, autant qu’il y aura des humains, humains définis par cette lutte, pulsion de mort / principe de plaisir.

La politique de destitution correspond à l’État d’exception permanent que nous nommons despotisme (autoritaire).
Le thème du despotisme répond à la question :
Quel est le régime politique associé à l’économie ?
Réponse : c’est le régime politique constitué par la généralisation du système politique de l’entreprise.
C’est donc le despotisme.
Un autoritarisme justifié techniquement, en termes d’efficacité.
Dont le néolibéralisme autoritaire actuel n’est qu’une figure possible ; réalisation du plus vieux rêve physiocrate.
Mis à part l’autoritarisme, à géométrie variable, du despotisme économique (extension du régime d’entreprise), la caractéristique essentielle de ce despotisme est le MENSONGE et, plus exactement, la DÉNÉGATION, le mensonge institutionnel (« nous sommes des démocrates libéraux », « la liberté est la valeur suprême de l’occident »).
Si, de plus, on analyse l’économie comme une religion, la religion des modernes, avec son tissage de croyances mythologiques (ce que nous avons nommé dénégation), alors le despotisme se présente toujours comme un régime politique religieux, une théocratie économique ; d’où dérive l’autoritarisme.
Pour le dire autrement, le despotisme est double ou à double face :

1 – Il se présente comme un système technique et non pas politique : pas de politique en entreprise, le despotisme d’entreprise est justifié techniquement.
Et justifié comme le meilleur possible des systèmes constructifs ; l’idéologie économique libérale de l’agent entrepreneur à la Ayn Rand (nous reprendrons ce point essentiel plus loin, le mythe de « l’agent volontaire », agency), cette idéologie de « la liberté d’entreprendre » servant d’explicitation (la fameuse thèse libérale de la supériorité économique de la propriété privée – notons que, pour nous, communistes destituants, il s’agit, bel et bien, de rejeter, détruire, « l’efficacité », dissoudre l’économie).
Pour les libéraux économistes, toujours autoritaires, il est évident qu’il ne peut y avoir de construction qu’en « ordre », dont l’action des entreprises, ordonnée par la hiérarchie des réussites, est le modèle indépassable.
La première cible de la politique destituante doit, donc, être l’entreprise. Ce noyau expansif de toutes les corruptions.
Reprenons cela en mobilisant une thèse foucaldienne : le pouvoir est constructeur, seul le pouvoir est constructeur. Avec : toute construction implique ou génère le despotisme.

2 – Ce supposé système technique se dédouble en système de croyance (la dénégation), en religion.
Il faut croire en l’économie. Il faut faire confiance à l’action individuelle, à l’entreprise.
Le despotisme est un humanisme, la religion de l’Homme innovant, reposant sur la croyance en l’humain entreprenant, inventif, créatif (humanisme : l’Homme est mis en place de Dieu assassiné ; l’humanisme repose donc sur le meurtre répétitif, thèse freudienne simple).
Le thème de l’économie comme religion est essentiel pour le développement de la politique négative ; politique négative (répétons : la seule politique concevable par temps de despotisme) qui s’exprime comme « athéisme absolu » (anti-humanisme, après la mort de Dieu, la mort de l’Homme) ou comme « nihilisme » post-nietzschéen (se rire des inventions humaines).
Le despotisme économique est une nouvelle théocratie.
Dont la dimension religieuse est essentielle à critiquer.
Ce qui permet comprendre ce qui fait tenir ce despotisme : le conformisme, le légitimisme.
Si les politiques affirmatives, « réalistes », qui prétendent aux constructions « alternatives », sont si bien acceptées, voire demandées, exigées (quel est votre programme ?), c’est qu’elles reposent, de manière très conservatrice, sur le légitimisme.
Il faut croire au monde (et à sa réalité) ; il faut croire en la volonté humaine (en « l’agency » créatrice).
La servitude volontaire et la collaboration (aux œuvres économiques – ou à l’Opus Dei) sont des caractères religieux découlant de la croyance imposée (croyance en la démocratie libérale associée à l’économie innovante).
La politique négative doit autant s’attaquer aux structures, destitution des institutions, refus d’imaginer de « bonnes institutions », tout simplement impossibles (toute institution est corrompue), qu’elle doit s’attaquer aux psychismes pervertis par l’individualisme économique, et la croyance en la volonté (volontaire), en la « bonne volonté » (le mythe économiste de l’agency).
Et si la politique négative est l’expression de l’agir de la puissance humaine, l’agir destituant, si cette politique est donc a-humaine (elle est En Réel, poussée), elle peut se déployer sous forme d’un gigantesque « programme de pensée », celui de la déconstruction du métaphysique (de la volonté ou de la conscience).

La théocratie (de) l’économie

Il peut être intéressant de partir des pavés, du bloc, du massif, constitués par l’œuvre de David Graeber.
Depuis l’ancien :
Toward an Anthropological Theory of Value, The False Coin of Our Own Dreams, 2002 ;
Qui vient juste d’être traduit en français (20 ans après !) ;
Puis :
Possibilities, Essays on Hierarchy, Rebellion and Desire, 2008 ;
Enfin :
The Dawn of Everything, A New History of Humanity, November 9, 2021 ;
Qui vient juste, également, d’être traduit en français (plus vélocement !).
Sans vouloir reprendre tous les autres ouvrages !
Comment résumer les thèses de David Graeber ?
Il n’existe pas d’ordre social naturel.
« L’histoire de l’humanité » décline un grand nombre de « possibilités », ou de variations autour de l’ordre « possible » des sociétés.
L’ordre social n’est ni naturel, ni nécessaire ; il est « aléatoire », contingent.
Cette thèse n’est pas nouvelle.
Il semble qu’elle ait été formulée clairement et complètement, pour la première fois, par le principal disciple de Rousseau, l’Abbé de Mably, lors de sa controverse avec les Physiocrates (et lors de la première attaque en règle de « l’économie »).
Relire : Doutes proposés aux philosophes économistes sur l’ordre naturel des sociétés politiques, 1768.
Bien entendu, cette affirmation : il n’existe pas d’ordre social naturel, devait conduire à l’analyse critique des organisations sociales.
Très longue histoire ; qui thématise le socialisme, la sociologie, le marxisme et toutes les variantes de l’analyse critique.
Deux siècles et demi après Mably (Rousseau) la pensée critique compose une forêt dense.
Dont le massif de Graeber est un quartier bourgeois.
Mais nous savons également, expérience amère de l’échec des révolutions, que de l’affirmation théorique, critique (mais crayon papier), que l’ordre n’est pas naturel (mais est « imaginaire » ou symbolique), est purement accidentel, ne se déduit pas qu’il est possible de changer l’ordre (quelle que soit la manière dont on s’y prend, Léniniste, Maoïste, Communaliste, etc.).
Ce n’est pas parce que l’histoire s’analyse (de manière critique, et après coup) comme un champ de multiples possibilités, qu’il est possible de modifier « la possibilité » contingente dans laquelle nous sommes englués.
Cela est bien connu ; et constitue le destin de la pensée critique : l’échec des révolutions (de la Commune à la Révolution Culturelle, etc.). Le cynisme économique.
Si la pensée critique introduit l’OUVERT (qu’il reste à analyser), elle n’introduit pas l’OUVERTURE (qui reste à construire).
Et il ne s’agit pas simplement de la si fameuse différence entre pensée (critique) et pratique (révolutionnaire).
Il s’agit, plus fondamentalement, de la question de l’OUVERT, ou de l’EN-DEHORS.
Comment penser la non naturalité ; essentiellement qu’il n’y a pas de « nature humaine » (troqueuse ou voleuse, sur quoi fonder l’économie comme ordre social naturel, l’ordre des « gredins » — greeding process). Et donc, que l’on ne peut se fier à « l’humain » (se fier : croire en lui).
Cela fait presque cent années que cette « limite interne » de la pensée critique est analysée (critiquée). Critique de la critique.
Par exemple « la déconstruction » de Derrida (depuis 1960) peut être lue comme une critique de la critique.
Nous n’allons pas, ici, chercher à reprendre toutes les controverses (avec les noms comme repères : Foucault, Lacan, jusqu’à Badiou et Zizek).
Nous supposerons la chose connue.
Et tenterons de nous placer après l’analyse critique de l’échec des critiques et des révolutions et des diverses tentatives « d’ouvrir les possibles » (ou de réinitialiser « les voies oubliées »), toutes tentatives qui ont failli.
Est soulevée la question du temps long de l’évolution.
Qui concerne l’espèce ; et non pas les individus.
La non naturalité, la contingence, l’ouverture, les possibles, etc., cela renvoie au Réel.
Un reste sans rien qui reste, mais qui détermine tout (négativement).
Le reste abyssal ou l’Abyme.
Ce reste, le Réel, n’est ni subsistant, ni existant, ni persistant, ni permanent, ni substantiel.
Ce fond sans fond nommé (depuis les Grecs) Chaos (en grec « ouvert » ou « ouverture »).
La contingence renvoie à l’aléatoire de l’historial (sa non naturalité).
Et cette contingence s’explique toujours En Réel.
Une réalité (un ordre) est toujours contingente, mais n’est jamais remplaçable (par décision).
Il y a alors la nécessité d’une pensée théorique du temps long (ou du long temps).
Et ici, il s’agit de faire basculer le socle métaphysique ; d’introduire la pensée du Vide (autre nom du Chaos).
La question fondamentale est alors :
Comment combiner le long terme (du changement du rapport au monde) et le court terme (où le rapport au monde est figé) ?
Le long terme.
Sortir du métaphysique : après la déchristianisation, la « déséconomisation » (la nouvelle laïcité).
La déséconomisation renvoie à un classique : l’abolition de la propriété (et du propriétarisme).
Avec, par exemple, la fin de l’auteur (Foucault).
Nécessité d’une longue critique de Hayek et du libertarianisme.
Pour les économistes (libéraux libertariens) la propriété est le seul mode « efficace » de rapport au monde (s’approprier le monde, la nature, la vie, la pensée – les droits d’auteur).
L’abolition de la propriété signifie l’arrêt du développement économique.
C’est cela qu’il faut d’abord penser : l’arrêt du développement (la décroissance).
Et toujours bien voir que l’économie, l’économisme, « l’égoïsme gredin de la profitation », est une forme religieuse, une forme ritualisée des comportements.
Ce long terme doit se combiner avec le court terme.
Le court terme.
Toujours maintenir la lutte dans l’objectif de la déséconomisation.
Penser les luttes particulières comme des éléments locaux du grand mouvement vers la déséconomisation (avec toujours le modèle de la déchristianisation).
Reprendre « le schéma zapatiste » : non pas « l’idéal » (nécessairement religieux) d’une future société « plus démocratique » (« néo-indienne ») mais le RAPPEL permanent de l’objectif de long terme : SORTIR de l’économie.
La combinaison du court terme (les luttes locales) et du long terme (la nouvelle laïcité) doit s’examiner au cas par cas ; mais doit sans cesse être examinée (par exemple par une critique de « l’écologisme », ou de l’écologie libérale, qui maintient l’économie).
Nous disons que l’économie est religieuse : c’est une structuration des comportements.
Il s’agit de changer cette structuration : toute lutte locale doit s’appréhender de ce point de vue, la lutte permet-elle de changer les comportements ?
C’est là que l’on retrouve la contingence : la structure méta-psychologique n’est pas naturelle, elle résulte d’une longue guerre de colonisation ou de conformation (la conversion).
Le long terme réapparaît sans cesse : contrebalancer le long terme de la conformation conversion religieuse par un long terme de déséconomisation. Combien y a-t-il fallu de temps pour que le christianisme hégémonique s’évanouisse ?
L’idée que la structure méta-psychologique de l’économie n’est pas naturelle (mais forcée) renvoie à l’absence de nature humaine. Absence qui est le point initial de la critique du métaphysique ; mais qui entraîne la dissolution de tout volontarisme (l’anti-humanisme).
Cette absence (de nature humaine) est pensée depuis, spécifiquement, plus d’un siècle (la psychanalyse et le marxisme).
Cette pensée (et ses conséquences ravageuses pour « l’action », l’absence d’auteur, par exemple) doit être systématiquement déployée.
Quel qu’en soit le coût psychologique (ou « narcissique »).
L’appauvrissement du soi est au fondement de l’appauvrissement radical écologique.
Et, encore une fois, cela ne suffit pas : c’est nécessaire mais non suffisant (toujours l’impuissance de la pensée critique, ou l’impuissance de la focalisation sur le court terme, voire sur l’immédiat – la question de l’URGENCE, qui a tant perturbé les luttes, en séparant le court terme, toujours urgent, du long terme, au-delà de toute urgence).
Si l’on reprend le schéma de la lutte anti-religieuse, on comprend ce que signifie long terme, « au-delà de l’urgence » (faut pas être pressé, ou efficace, ou encore économiste !).
Les luttes locales, de court terme, devant l’urgence (de la dévastation), doivent toujours s’inscrire dans l’objectif de long terme, qui récuse l’urgence.
Peut se déployer une critique de l’écologie « pure », qui vire toujours à l’écologie économiste (libérale) et reste un réformisme (dont on connaît la critique depuis longtemps).
Insister sur cette question permanente (depuis plus de deux siècles) de l’urgence.
L’urgence écologique ne peut être abordée de front : l’urgence est toujours secondaire et n’est qu’un alibi pour le pire réformisme (« réalisme »).
Les luttes de court terme, immédiates, dans l’urgence, sont des impasses : elles se heurteront toujours au mur de la croyance économique (tant que ce mur n’est pas démoli).
On retrouve la plus vieille question du réformisme réaliste.
Radicalement, la lutte écologique doit se penser comme « appauvrissement » (au sens le plus général, l’abandon du volontarisme – voilà ce qu’implique « bifurquer »).
C’est ce thème de « la voie pauvre » qui doit être placé à la première place (bien avant la défense de la nature).
Lié à ce thème est la question de l’inégalité.
Impossible de penser l’écologie en dehors de la question de l’inégalité.
L’économie mobilise l’inégalité comme force productive (« le désir d’enrichissement ») ; il est donc primordial de s’affronter à la question de l’inégalité.

Institution ou destitution ? Penser la destitution

Il semble essentiel, aujourd’hui, de penser la destitution ou la politique négative, contre les politiques affirmatives.
Pourquoi aujourd’hui ? Parce que nous sommes dans le champ des ruines de ces politiques constituantes (ruine du négrisme, par exemple). Parce que « champ de ruines » signifie intensification de la guerre sociale et de la répression policière.
Et parce que nous ne pouvons, dans ce cadre de haute conflictualité, nous contenter d’un « appel » à un grand retour à « l’animisme » (ou à « la convivialité », à « la fraternité »).
Faire face au despotisme autoritaire exige bien d’autres choses que des « utopies primitivistes » (ou un refuge idéaliste dans le fantasme de bonnes institutions).
Penser la destitution est un sujet vaste et tortueux. Nous allons donc, d’abord, résumer sauvagement ce thème, en empruntant une seule direction : celle de la critique du « positivisme ».
Mais cette critique, bien que très restreinte (et, peut-être, secondaire), elle-même oblige à explorer de nombreux tunnels. L’exploration sera donc, encore, limitée.
Et se limitera à deux choses : la présentation de l’espace du positivisme, puis l’introduction de l’idée de « la sortie du positivisme » (une des « sorties » qu’il faut emprunter pour « la destitution »).
Pour concentrer au maximum, dans une toute petite boîte rouge, posons que le débat s’organise entre, d’un côté, la destitution ou le communisme tribunicien, et, de l’autre, la politique constructive ou affirmative, ou le pouvoir instituant.
Précisément, il s’agit de casser la dialectique « classique » qui est supposée mettre en musique la destitution, ou plus simplement la critique, pour encore plus limiter, ET la reconstruction. Dialectique ordinaire de la destitution, du pouvoir destituant, ET de l’institution, du pouvoir instituant. Pas de destitution sans reconstitution.
Alors, « le positivisme » est une expression de cette dialectique classique (autant que Comte peut être lu en termes hégéliens, « progressistes » par exemple).
« Sortir du positivisme » signifie : rejeter toute dialectique du style :
Savoir, critiquer, espérer >> monter des scénarios, développer une stratégie, dans l’incertitude, par exemple >> organiser, mobiliser,
Avec le dogme qu’il faut espérer (savoir, critiquer) pour agir.
Toute politique instituante pose le savoir, l’espoir, l’utopie, AVANT la lutte, espoir qui « in-forme » la lutte ; alors que la politique destituante pose toujours la lutte AVANT ; l’agir vient toujours AVANT, il est IN-DOCTE et sans espérance [2].
Notons par ailleurs, qu’il y a bien longtemps (la dernière guerre) que la pensée économique est passée du déterminisme à l’indéterminisme ou à l’aléatoire, « les possibles », MAIS en conservant sa capacité de calcul. En témoigne le rôle clé de « la théorie des jeux » et l’introduction massive de la pensée par scénarios (hypothèses « probables » ou probabilistes).
Ce glissement vers le calcul stochastique n’introduit en aucune manière une limitation à la calculabilité ; on considère même qu’il s’agit d’un progrès dans l’ingénierie sociale ; « progrès » qui a ouvert un immense champ de nouvelles possibilités, vers le calcul stochastique à la base de « l’ingénierie financière » (ingénierie qui est la nouvelle logique du monde).

Bien entendu, ce positivisme des ingénieurs peut être présenté de diverses autres manières.
Par exemple, ce positivisme peut être introduit comme l’analyse historique « des tendances » : le positivisme est un empirisme.
Le positivisme est lié aux « généalogies » (l’analyse empirique des tendances) et jamais à « l’archéologie » (l’analyse théorique des logiques).
Le positivisme est, au mieux, une « analyse fine », une description empirique détaillée, des dites contradictions. Et, sur la base de l’analyse de ces contradictions, permet d’introduire des « potentialités », potentialités ici définies empiriquement comme des tendances « possibles ».
La question est alors : quels sont « les possibles » qu’ouvre le mouvement multiforme complexe (les tendances) ?
Ce positivisme (empirisme) circonscrit un champ politique de type ingénierie sociale (savoir, prévoir, agir).
Ce type politique (le positivisme d’ingénieur) repose sur l’élimination ou le refus de deux caractéristiques politiques :

(a) Le chaos n’est jamais introduit ; il est toujours réduit à du probable, du possible ; ce qui autorise une pensée par scénarios (qui n’est jamais de la politique, mais est toujours de l’ingénierie « réaliste »).
Le chaos mène de l’imprévisibilité à l’erratisme et au désordre ; et donc à la guerre civile (dont le thème est essentiel).
Nous disons (en termes heideggériens) que l’historial erratique (le fameux « risque » incalculable) doit être substitué, analytiquement, à l’histoire empirique des tendances potentielles.

(b) Le point de vue de la lutte (de la guerre civile) n’est pas introduit comme déterminant (en dernière instance).
Même la version négriste de l’opéraïsme qui introduit la lutte comme le déterminant, en reste à une signification technique de la détermination (toujours le marxisme des tendances).
La lutte est à la fois ce qui génère le chaos ET détermine tous les mouvements (« historiques »). Mais détermine au chaos, c’est-à-dire négativement, par destitution, dissolution, destruction, déconstruction.
Toute description « fine » des « possibles » (en termes ou pas de scénarios) doit en passer par une introduction aux luttes. Et par une pensée de l’erratique, de l’imprévisible (« l’événement » à la Badiou).
Et c’est finalement cela qui distingue radicalement l’analyse politique (en termes de destitution) de l’analyse positiviste (en termes d’affirmations constructives) : la place des luttes. Viennent-elles AVANT (sans programme ni projet, et comme puissances destituantes) ou APRÈS (inscrites dans un mouvement historique de possibilités, des tendances, et comme pouvoir constituant).

POLITIQUE NÉGATIVE

Le point de départ (de la politique négative) est, donc, « l’axiome opéraïste » : la lutte vient toujours AVANT.
Il est possible de déployer cet axiome, d’essayer de le comprendre et de le développer en termes « d’éthique politique » (l’éthique se tient dans la lutte) ET / OU en termes « analytiques » (non ontologiques).
La grosse difficulté est de produire une pensée de « la résistance » MAIS où cette (dite) résistance n’est pas une réaction ou un effet secondaire (comme la résistance à l’oppression).
C’est la fameuse question de l’analyse opéraïste de la dynamique du capitalisme. Le mouvement du capitalisme est-il endo-organisé (plutôt qu’auto-organisé) ou est-il l’effet de l’antagonisme, de la lutte ?
En termes économistes ordinaires : l’économie répond-elle à un principe d’équilibre ou fonctionne-t-elle au chaos ?
Notons que la seconde position (le capitalisme fonctionne à la crise) peut exiger une analyse, analyse « anti-économique » (dont l’objet est la reprise de la fameuse « critique de l’économie »).
Mais nous avons développé cela en détail depuis plus de 40 années ; nommons cela « reformulation du marxisme » (de la critique de l’économie).
L’analyse du fonctionnement au chaos s’étend au-delà de la simple critique « traditionnelle marxiste » de l’économie.
Cela s’applique à l’imaginaire (à l’utopie) des communes auto-organisées (avec, par exemple, le mirage d’une monnaie « libérée » comme le bitcoin – renvoyons aux débats sur ce bitcoin « libertarien »).
Un grand nombre de difficultés apparaissent (ou un grand nombre de problèmes).
Pour résoudre ces difficultés, il est nécessaire de parcourir un champ analytique complexe, et, pour résumer, il est nécessaire de « surpasser » la manière dialectique classique de penser (avec) « les contradictions ».
Le chaos est la forme analytique de la contradiction (lorsque l’on abandonne une vision « progressiste », hégélo-marxiste, de l’histoire).
On passe donc des contradictions (motrices de l’histoire, comme les luttes des classes) au chaos (moteur de l’historial, les luttes ou la guerre civile, qui maintiennent le chaos).
On sort d’une logique progressiste de l’histoire pour passer à une logique de l’antagonisme avec son désastre répétitif.
Notons que ce déplacement analytique (de l’histoire à l’historial) est le seul qui peut permettre de dépasser « le progressisme », sans tomber dans le réactionnaire.
Toute critique « écologiste » du « progrès » (désastreux) doit se déployer dans ce cadre (nous offrons donc une pensée non philosophique de la lutte écologiste).
Bien entendu, cela exige de lourds développements (renvoyons entre autres à PUNK philosophie, toujours note 1).

Du point de vue éthique (l’engagement militant), « la révolution opéraïste », qui consiste à mettre la lutte AVANT (à penser en termes d’antagonisme), implique qu’il faut se plonger dans le FLUX CONSTANT des révoltes, des insurrections, des subversions, des sabotages, etc. Ce qui est résumé sous le nom de « résistance », mais qui est d’abord une « forme de vie » (que nous nommons « anarchiste PUNK »).
Au centre de la politique négative (de destitution) se tient la révolte, envisagée comme « forme de vie » et non pas comme méthode (chemin) pour l’émancipation. L’émancipation n’est autre chose que la révolte (que l’on sait faillible et, pour l’instant, faillie).
Chaque chose, chaque affect, chaque désir, chaque élan amoureux, chaque réalisation monumentale (ou non), etc., doit être regardée avec les lunettes de l’antagonisme.
Par exemple, regarder une cathédrale (« monument en péril » style Stéphane Bern) comme un fleuve de malheur avec des gargouilles pissant le sang (déploiement de la critique du fétichisme).
L’éthique s’adosse à une encyclopédie des émeutes et des révoltes (une encyclopédie illimitée).
Ce qui nous intéresse est l’historial au chaos (et non pas l’histoire magnifique des harmonies futures ; laissons cela aux économistes libéraux).
L’historial est l’historial des révoltes ; analysable en termes de guerre civile permanente (l’accumulation primitive permanente qui est au cœur de « la stasis »).
Maintenant, point éthique fondamental, poser que les révoltes (etc.) sont permanentes, se reprennent sans cesse, implique que « les lexiques » utilisés par les révoltés, disons toujours une sorte de millénarisme chrétien, sont SECONDS.
Il y a d’abord la révolte (analysée comme le Réel déterminant et ayant la primauté – critique de la métaphysique des fondements archiques, le Réel est an-archique et désubstructurant), révolte constante (inaliénable, insurpassable, toujours reprise).
Révoltes sans cesse reprises ET dont « les langues » (et les poèmes) importent peu.
L’encyclopédie des révoltes se combine à une encyclopédie des utopies.
La révolte génère de l’utopie ; non pas l’inverse.
Et pour penser « en dualité », la révolte apparaît (dans la réalité, mais non pas En Réel) comme un REFUS, le GRAND NON.
Qui définit la politique négative.
Si le Réel est « l’impossible » (signification complexe à examiner), c’est aussi parce que la réalité (réalisée) est toujours « impossible à supporter » (et renvoie à une extériorité qui peut être montée imaginairement ou mythologiquement comme un « au-delà » où se situerait la rédemption).
Ce qui importe, et est seul « éthique », est le soutien apporté à la révolte. La prise de parti.
Et, le cas échéant, selon les circonstances (ou les « situations »), « l’engagement dans la lutte ».
Mais l’engagement est aussi variable et multiforme que la lutte, cette « événémentialité diffuse ».
Les professionnels de la révolution, style « envoyés du Komintern » (les anges communistes), ne sont qu’un exemple possible (et souvent désastreux, relire Jan Valtin, Sans patrie ni frontière, Out of the Night ou moins connu, mais plus significatif, Ni lumière ni étoile).
L’enchantement de la révolte, permanente et sans cesse réactivée, par une utopie glorieuse (qui promet « la fin heureuse ») est tout à fait secondaire ; et cet enchantement se révèle TOUJOURS DÉCEPTIF, déjà contre-productif.
Les illusions perdues sont pires que les engagements trahis : les premières conduisent aux seconds.

Il ne faut donc pas trop s’intéresser aux « constructions ».
L’institution est toujours seconde, limitée, impermanente ; seule la révolte (du NON) est permanente.
Et la grande question est celle du pouvoir (ou du poids) du « réalisme » : pourquoi toujours autant de « constructeurs » ? Pourquoi toujours autant « d’agents » mobilisés pour des constitutions (d’institutions) ?
Pourquoi « la richesse » attire-t-elle plus que « la pauvreté » !
Les affirmations, projets, programmes, possibles espérés, etc., ne sont que des « lexiques » ou des langages liés à des modes, et toujours temporaires (et qui ne peuvent « arrêter » la lutte).

Partons alors de l’ordre constituant (de la réalité constituée, qui est toujours désastreuse).
L’axiome de l’inégalité, tous les humains sont inégaux, est une proposition, une position imposée, qui est fondamentale. Voilà la norme fondamentale (à la Kelsen) ; ou bien, si l’on préfère, un principe constituant la réalité et préalable à tout autre.
L’inégalité, imposée comme principe constituant, permet de déployer, ensuite, l’ensemble des règles de l’ordre social ; en particulier les règles économiques [3] ; mais les règles juridiques tout autant, l’inégalité économique entraînant l’inégalité juridique [4] : selon que vous serez puissants (riches) ou misérables…

Pour ne pas rentrer dans le labyrinthe de l’inégalité quotidienne envahissante [5] (le squelette de l’ordre républicain), nous résumerons cette inégalité par deux propriétés :

L’inégalité s’exprime par l’apartheid.

Le dernier épisode de la série vacancière consacrée à l’inégalité introduisait « la racialisation » comme un effet de l’inégalité, de son maintien, de son développement, colonial, de son renforcement violent (relire note 1).
Nous pouvons insister sur ce mouvement en affirmant que l’inégalité conduit à un cloisonnement extrême de « la » république, république ainsi divisée.
« Notre » république, au sein de laquelle « nous » sommes incarcérés, collés, mis en tas [6], est un système colonial, basé sur des réseaux démultipliés de séparations, l’apartheid fractal et l’inégalité hiérarchisée que cet apartheid stratifie [7].

La république de l’apartheid, ou de l’inégalité, ne peut être « démocratique ». Sauf en diluant le sens du terme « démocratique », « démocratie » qui implique, au moins, l’égalité : la participation égale de tous ; ce qui implique, au moins, la dissolution de l’économie et de ses chefferies.
La démocratie, égalitaire, repose sur la lutte frontale contre les clans de copains corrompus : le capitalisme de connivence, les Dupont et Dupond, Brigitte et Saint Louis de Gonzague (François Villeroy de Galhau, Bruno Le Maire, Jacques Massu, Alexandre Arnault, etc.).

L’inégalité (et le despotisme qu’elle structure) repose(nt) sur la violence [8].

Sur la violence de l’économie, sur la colonisation interne toujours à reprendre et à étendre [9], l’accumulation primitive sans cesse à recommencer et à déployer (comme dans les privatisations).
Une expression frappante de cette violence structurelle de l’économie est, bien sûr, la violence répressive : la discipline ; tenir, contenir, maintenir, contrer les éruptions régulières de la rébellion égalitariste (lire Saïd Bouamama, voir note 5).
Éruptions par lesquelles paraît « la conjuration des égaux », le communisme des soulèvements ; ce communisme qui n’existe que dans et par l’insurrection.
La république est donc divisée, clivée, morcelée, brisée, en guerre civile permanente ou en conflit colonial intérieur. La république est, alors, maintenue de force (et par la force) grâce à des « membranes » : des frontières intérieures empilées (voir note 5).
Divisions, classements, stratifications, « membranes » (apartheid), qui font l’objet de la plus permanente dénégation [10].

Avec le mythe scandé de l’unité : unité de la communauté, du commun, du comme-un de la république (une & indivisible).
Mythe, métaphysique ou religieux, qui se réalise sous forme d’une gigantesque prison ou d’un camp de regroupement (éradiquons les séparatistes !).
Pour tenir l’unité mythique de la république, il faut réprimer, depuis la répression policière jusqu’à la répression psychique, il faut refouler l’évidence de l’apartheid et de ses bantoustans.
Réprimer l’évidence le plus violemment possible ; jusqu’à extirper la possibilité même de penser l’inégalité.
Cacher l’inégalité, la dénier, convertir à la croyance républicaine (de la démocratie où tous sont égaux, sauf les incapables ou les incompétents, les illettrés et ceux qui ne savent pas compter – et les « indigènes » sous-développés).
La république a dû construire (récupérer, en fait) un vaste appareillage religieux de constitution psychique. Où les agents classés, stratifiés hiérarchiquement, doivent se penser, par dénégation, « citoyens égaux ».
Mais il est très difficile de briser les miroirs (déformants) ; une forme généralisée du syndrome de Stockholm est partout à l’œuvre [11].
Les citoyens incarcérés dans le cloître national doivent toujours se penser comme « des relégués égaux ».

Malheureusement (puisque) nous sommes français.
Le communisme est la puissance tribunicienne.
Malheureusement (puisque) nous sommes français, sans jamais l’avoir choisi (on ne choisit pas sa naissance), l’espace de nos « actions », au mieux, s’il y a « action », cet espace est borné par des frontières bien visibles et quantité d’autres, invisibles. Des frontières subjectives ; ne parlons pas de Frontex mais plutôt des « valeurs européennes » (démocratie & liberté), des valeurs incorporées et qui soumettent.
Inutile de se défausser. Combien de volontaires pour le Rojava ? Combien d’engagés, sans demander lesquels, pour combattre en Ukraine ? Combien de corps, puisqu’il s’agit de corps (de sport militaire) ? Sans parler de la colère téléguidée, depuis son fauteuil, télécommande en main : « il faut buter Poutine », les salauds de Mollahs. Pourquoi autant de « petits propriétaires » abandonnent-ils les banlieues qui les ont vu naître ?
Inutile donc de se défausser pour une cause (une juste cause) bien lointaine (et, peut-être, si proche) et pour laquelle nous ne sommes que des spectateurs, des sportifs de canapé.
Inutile de se défausser, dès lors que l’impuissance ou les gesticulations de salon, le salon du cloître national, dès lors que l’excitation à vide rend ridicule toute nouvelle posture « anti-impérialiste » (pour garder cet exemple classique).
Nouvelle posture manière Edwy Plenel : l’éructation devant l’impérialisme grand russe, nouvelle manière d’être (enfin) reconnu, « agrégé ». La puissance éternelle du grégarisme.
Car, pour toujours suivre l’exemple anti-impérialiste, défendre la Palestine contre l’agression israélienne (« l’impérialisme israélien »), la cause sacrée avant toute autre, soutenir la Palestine contre la colonisation et la volonté de solution finale, défendre, soutenir, ne peut se faire que depuis l’enclos français, avec toute l’ambiguïté que cela signifie, même pour les réfugiés politiques (soumis à une réserve certaine).
Nous sommes cloîtrés ou enfermés. Traqués jusque dans les greniers de nos pensées.
Il n’y a donc pas à discutailler ou à se défausser (sur l’imaginaire de « notre » action, fantasmatique et depuis « notre » canapé) :
L’anti-impérialisme anti-capitaliste anti-occidental doit, « pour nous autres » (français attrapés) se déployer EN FRANCE. Dans la douce France des pitres style Stéphane Bern !
Doit donc se déployer comme « anti-France », pour parler Canard Enchaîné.
C’est en luttant EN FRANCE, contre le macronisme néolibéral spectral, par exemple, que nous pouvons défendre « cette cause sacrée avant toute autre », la Palestine envahie, occupée, détruite, exterminée.
Où sont les « Brigades Internationales » pour la Palestine ?
« Nous », les cloîtrés, devons lutter depuis l’intérieur du cloître, depuis les catacombes de la Macronie (sans l’espoir de changer la France ! Mais lutter est un devoir sans rétribution).
Nous aimerions que les défenseurs de salon télé de l’Ukraine agressée, par la Russie impérialiste (dixit Edwy Plenel), se trémoussent autant pour la Palestine exterminée, par un Israël qui partage les mêmes fantasmes que la Russie : revenir aux origines glorieuses, Jérusalem d’avant avant, l’Ukraine lieu de la Russie originelle, quand la capitale de la Russie était Kiev [12].
Nous aimerions que ceux qui s’excitent sur leurs canapés (comme de vulgaires supporters de foot) s’auto-analysent pour tenter d’échapper à l’emprise idéologique qui fait de ces excités footballistiques de simples perroquets religieux.
Refuser le modèle de civilisation occidental, style OTAN, et si cher au voleur Zemlinsky (voir Pandora papers) – comme à Netanyahou le voleur – pour nous français incarcérés, implique de lutter contre cette France impérialiste, appropriée par des voleurs en bande, la caste de la défense de l’économie libre (et coloniale).
Lutter contre cette France impérialiste colonialiste, vendue comme « démocratie ouverte » de « tradition chrétienne » [13].
Ne jamais oublier que le capitalisme (français, de connivence et de corruption), que son accumulation primitive sans cesse recommencée (comme le pillage par les privatisations ou par la destruction des services publics), que le développement économique a pour fond le plus lugubre racisme colonial [14].
Plutôt que « buter Poutine », télécommande en main, pourquoi ne pas dénoncer sans relâche, et par priorité, le système colonial français (la Françafrique, par exemple, mais, aussi et surtout, la relégation des pauvres « racisés »).
Aimer Bolloré et haïr les banlieues de la relégation (et des indigènes de la république) : Versailles ou Trappes ?
Priorité : la (si fameuse) question des banlieues ; et, plus largement, du logement.
Prendre « le logement » comme le phare. Qu’y a-t-il de plus inégalitaire que « le logement » ?
Le phare éclairant toute action (écologiste, en particulier) : comment construire ou reconstruire pour tous ? Comment reconstruire les villes en cassant la division en « quartiers » ? Quel urbanisme égalitaire (et écologique) ?
Alors, comment défendre « la ligne » anti-impérialiste anti-occidentale ? Comment défendre cette ligne depuis notre catacombe ?
Et, encore une fois, sans imaginer que les gesticulations, depuis notre silo [15], toujours les magnifiques ukrainiens qui se battent pour défendre le despotisme des oligarques maison, sans imaginer que les sauts sur canapé aient un quelconque sens.
La plus vieille morale de la paille et de la poutre, gonflée aux stéroïdes de la propagande occidentale (libertarienne).
Maintenant & ICI, la question politique pour les incarcérés, empris de l’économie ou fans de la démocratie représentative, la question centrale est celle du « collectif », ici & maintenant.

Collectif, union (sinon communion), solidarité, communauté (encore la communion, mais la communion sans union), « fraternité », à mettre au féminin pour que rien ne change.
Et derrière tout cela, la lourde question de « la discipline » (Badiou) : l’ordre des bagnards nationalisés.
Discipline, terme horrifiant ; signifiant chefferie, patronage, paternalisme, hiérarchie et, finalement, formation militaire.
Comment ne pas tourner en rond ?
Lorsqu’au centre de l’économie se tient « l’individualisme », voire l’hyper-individualisme, le culte du créateur ou de l’ingénieur prométhéen (Jancovici).
« Faire confiance aux individus pour agir sur les structures », voilà ce qui est réactionnaire, « libertarien » (à la Ayn Rand).
Sortir de l’économie implique, entre autres choses, comme détruire les banlieues, implique de liquider l’individualisme, le culte de l’auteur créateur, du petit dieu en son bureau (des méthodes), liquider le culte de l’entrepreneur innovant visionnaire (Steve Jobs le sauveur).
L’individualisme monté en crème, voilà ce contre quoi il faut lutter.
Le collectif, donc, mais avec la lutte interne (pour l’institution auto-destituante), le combat contre les chefferies « bénies des dieux » (Emmanuel).
Renforcer l’inefficacité pure de la démocratie sauvage, la lenteur des palabres : voilà des éléments de politique négative [16] (la seule politique démocratique, celle du communisme tribunicien ou destituant : « la véritable démocratie » se tient dans la puissance destituante, la puissance négative du NON – ce qui arrête, ce qui freine, ce qui ralentit).
Ne jamais céder dans la lutte contre l’individu providentiel, contre « l’agent créateur ».
Surtout que l’ennemi est à l’intérieur (du soi vampirisé) : l’intérieur égotique de l’intérieur nationalisé (l’agent sur canapé qui se pense visionnaire).
Il existe un anarchisme individualiste, anarcho-capitaliste, libertarien, de Ayn Rand à David Friedman, puis à la caricature, Elon Musk, tout un portrait de famille américain (appuyé sur le culte de « la frontière »).
Le libertarianisme, voilà le véritable ennemi : à l’intérieur de l’intérieur (le perroquet idéologique qui se regarde comme un grand penseur, Michel Onfray).
L’individualisme égotique, créateur, innovant, « l’auteur », avec droits de propriété intellectuelle, cela est une création (une projection) du capitalisme entrepreneurial (ce qu’il faut destituer). Et, peut-être, la plus grande difficulté dans la lutte contre le capitalisme, contre l’économisme, contre l’entreprise, se tient-elle là ? Se tient dans cette croyance métaphysique dans « la volonté ».
Le capitalisme, comme le colonialisme, est un humanisme, une croyance religieuse dans le sujet créateur, dans l’ingénieur salvateur. (l’humanisme c’est l’homme mis en place de dieu ; mais la place divine est maintenue – la politique négative est nécessairement un anti-humanisme, une critique de la volonté, du pouvoir des entreprises).
Il est temps de déployer un anti-humanisme rigoureux ; avec la mort de l’auteur (après la mort de dieu). Éliminer toute ambiguïté sur « l’agent », « agency », l’agent plein de bonne volonté, qui n’est que le ventriloque de l’ordre économique des créateurs (ou des auteurs, des découvreurs).
En France, puisqu’il n’y a que là où nous pouvons « agir », ou du moins « parler », nous avons le grand Michel Onfray, comme prototype français du petit entrepreneur libertarien, se revendiquant « anarchiste » (mais de droite), Politique du Rebelle, Traité de résistance et d’insoumission (on se tient les côtes sans pisser dans la culotte !).
Le triomphe de l’économie, façon Ayn Rand, n’est que l’expression de la métaphysique (chrétienne) du « génie créateur », de l’agent volontaire et de la volonté, toujours l’agency !
« Faire confiance aux individus pour agir sur les structures », voilà ce qu’il faut critiquer sans relâche.

Comment penser la lutte hors des canons métaphysiques de la volonté ?

Comment ne pas redoubler le capitalisme (l’auteur, l’acteur, l’innovateur, le créateur même, l’agency) en démultipliant l’individualisme (des agents rebelles ou des figures révoltées) ?
Comment sortir de la guerre des égos ? [17]
Comment disparaître ?
Comment échapper à l’affreuse propagande en style Paris Match, avec ses figures royales et ses femmes admirables, à la Olena Zelenska ?

Nous le répétons : sortir de l’économie implique sortir du métaphysique.
Sortir de la CROYANCE religieuse en l’action volontaire. « Le résistant » est déterminé par le NON, par le refus (nous disons : il est En Réel de désubstruction, et ce Réel est a-humain, avant toute volonté, même et surtout divine).
Refus : de l’économie, du créateur, de l’ingénieur, du prophète, du messie, de l’auteur, du grand écrivain.
Le résistant est déterminé, il n’est jamais déterminant.
Ce sont des siècles (ou des millénaires) de rébellion qui s’incorporent : le corps (individuel) n’est qu’un moment passant d’un mouvement permanent (qui dépasse toute incorporation, toute existence – jamais « nous » ne serons contemporains de « nos » actes).
C’est pourquoi, « nous », les malheureux français cloîtrés, devons D’ABORD lutter pour l’anti-France, et EN FRANCE.
Simples porteurs (locaux) d’une tradition millénaire de révoltes.
Dénoncer l’impérialisme étriqué ; dénoncer le colonialisme et le racisme : parler des banlieues françaises avant que de parler du Donbass ; sinon on pourrait croire à la manipulation (pour cacher les divisions).
Le communisme est (le mouvement permanent de) la puissance destituante.
Le communisme est la puissance tribunicienne.
L’erreur la plus fatale est de concevoir le communisme – bien que considéré comme « mouvement permanent » et non pas comme « ordre nouveau » – comme une puissance constituante (guidée ou non par une « idée »), comme un mouvement de construction « d’un monde nouveau ».
Bref, de voir le communisme comme une AFFIRMATION, un chemin, de traverse ou en sous-bois, VERS un état de repos, sinon un ordre ou un État.
Le communisme est la révolution qui ne peut s’arrêter.
La destitution qui déconstruit toutes les institutions.

Mais plutôt que de reprendre la théorie de la dualité, des deux axiomes qui sont nécessaires à l’expression de l’univers pluriversalisé, théorie que nous avons exposée de nombreuses fois et de diverses manières (cf. par exemple Punk Anarchism, voir note 14), nous allons, ici, introduire l’idée de « mouvement permanent », de révolution permanente et inachevable, en complétant des développements sur le gnosticisme généralisé (le gnosticisme généralisé est le communisme) par une note sur le futurisme (russe) généralisé.

Le communisme est le futurisme généralisé.
Toujours En Futur, sans réalisation acceptable.
Toujours En Avant, sans repos concevable.

Le futurisme généralisé sera obtenu par concassage, broyage, malaxage du futurisme russe historique.
Notons que nous excluons le futurisme italien (pourtant à l’origine du russe), un préfascisme, pour ne conserver que le futurisme russe KOMFUT.
En étant tout à fait conscient du potentiel fasciste à la Marinetti : force, vigueur, activité physique, pratique enthousiaste, vitesse, énergie, avions, automobiles.
Quand sera-t-on conscient du potentiel fasciste de la conduite automobile ?
Mais ce potentiel fasciste peut facilement être désactivé, en éliminant l’AFFIRMATIF, l’enthousiasmant, le splendide, l’espérance. En éliminant tout affect de JOIE (trépignante ou religieuse). En éliminant toute référence à l’enthousiasme chrétien.
Désactivation parallèle à celle que nous avons effectuée pour généraliser le gnosticisme en communisme (cf. annexe, à la fin).
Comme le gnosticisme a été (plus que) sécularisé [18], le futurisme sera déflaté.
Le thème du messianique est déflaté en engagement communiste « fidèle », en mouvement infatigable (et sans espérance : le devoir communiste ; là où se tient la discipline du soi).

La célébration enthousiaste des « machines », des avions en particulier, par le futurisme historique, surtout italien, doit être transposée en « patience de la lutte », de lutte éternelle.
La violence physique est (aussi) typique du futurisme italien préfasciste. Elle doit s’inscrire dans le plus long temps de la révolte. Et du retour permanent des insurrections (le Réel).
Il s’agit bien de construire, de constituer (cf. le Constructivisme), mais avec la pleine conscience que toute construction sera inachevée et finalement mauvaise (axiome gnostique) et, donc, à reprendre sans cesse. La critique destituante doit toujours accompagner la constitution.
Toute institution ne sera que provisoire ; en attente de destitution ; institution auto-destituante.
Le futurisme étant, du reste, caractérisé par sa réflexivité, son second degré, l’ironie qu’il porte sur ses propres œuvres (avec le Dadaïsme comme apogée).
Il ne s’agit pas de « réconcilier » l’œuvre d’art, la commune, et « le monde moderne », comme le voudraient certains constructivistes russes (une avant-garde futuriste) – qui échoueront au mieux au Bauhaus, au pire dans la glorification des grands barrages soviétiques – mais de TORPILLER (soyons futuriste !) ce monde.
Empêcher de fonctionner en se focalisant sur le fonctionnement.
Augmenter le chaos au-delà de toute planification gouvernementale possible (celle de la gouvernance au chaos).
Il faut donc rompre avec le futurisme soviétisé ou incorporé aux plans de développement ; ce futurisme qui se pensait comme « le corps des ingénieurs de l’âme » ou « le corps des ingénieurs de l’art ».
L’abstraction totale, à la Malevitch, est bien la rupture de l’abstraction, géométrique ou économique.

Nous avons expliqué, par ailleurs (ici repris en annexe), que le communisme était un gnosticisme généralisé, une hérésie, une sécession.
Prenons ce terme de SÉCESSION, qui rappelle un célèbre mouvement artistique viennois.
Par un glissement parallèle à celui effectué pour généraliser le gnosticisme, nous pouvons argumenter que le communisme est un futurisme généralisé KOMFUT.
Nous allons effectuer sur le futurisme la même opération que celle que nous avons effectuée sur le gnosticisme (voir l’annexe plus bas).
Soit dire prélever extraire du futurisme russe historique un « noyau axiomatique » propre à permettre un recommencement, une refonte de l’alliage KOMFUT.

Axiomes du futurisme généralisé

(À lire avec les axiomes du gnosticisme généralisé).

1- L’Homme est En Futur.
Son essence d’être sans essence le rend ouvert et indéterminé.
« Derrière la réalité, il y a une autre réalité cachée. » Devise du symbolisme russe fin de siècle.
Il y a le réel et la réalité ; et la réalité n’est pas réelle.
Le seul réel est l’Homme, puissance indéterminée.
Rejet de tout positivisme.

Les sens, en tous sens, ne permettent pas d’explorer, comprendre ou prendre « le monde empirique » (la réalité déformée par l’intuition travaillée). Les sens ouvrent des espaces inexplorés, des sphères invisibles (« surréalistes »). Ce sens sont spirituels, idéels, et non pas matériels, empiriques positivistes.

2- L’Homme est en mouvement.
Il rejette, outrepasse les formes, les cadres, les traditions.
Y compris les formes ou traditions communistes.
Le communisme est le surpassement du communisme.

3- L’Homme est En Lutte.
Contre le monde stable et les réalités (toujours) monstrueuses.
Le futurisme est un gnosticisme.
Rejet de la réalité : rejet de l’art réaliste.
Introduction de l’irrationnel, de l’absurde, de l’envers obscène stabilisant toute réalité (Kafka).

4- Le chaos des gouvernances sera retourné en espace de liberté.
Le chaos du monde ne peut être surmonté : l’ordre est « au chaos ».
Faire monde veut alors dire étendre le chaos.
Nous devons apprendre à vivre dans le chaos, insurpassable.
Et cela, non pas à la manière gouvernementale (de la gouvernance par le chaos) mais à la manière poéthique.
Trouver les singularités, les catastrophes, les failles, les fissures, les cracks d’Holloway.
Et se réjouir de tous les défauts (de la construction par une divinité ratée, l’homme volontaire). Se réjouir de tous les viaducs (de toutes les voies) qui s’écroulent.

5- Faire œuvre et non pas ouvrage ; et, encore moins, production ou travail.

L’œuvre futuriste, En Futur, « constructiviste », est l’explosion de l’autre révolution, de la révolution permanente, celle de l’éthique politique ou de la poéthique.

Je sais
Ça viendra
Je roulerai du tambour
Et tout sera.
Mais maintenant,
Traqué
Dans le grenier
De ma tête,
Je glorifie les révoltes de l’avenir.
Je mets à la dialectique de Marx
Des moteurs poétiques
De cent chevaux.
Regardez
S’écouler les rangs des années à venir.
Secouant les têtes par l’explosion des pensées,
Dans le fracas de l’artillerie des cœurs,
Monte du fond des temps
UNE AUTRE RÉVOLUTION,
La troisième révolution,
Celle de l’esprit.

L’œuvre futuriste, la commune, est la seule voie de salut.
C’est un chemin, un cheminement sans fin et déceptif.
Puisque seul l’Homme peut sauver l’Homme, il ne le fera, En Femme, In-Fâme, que par l’errance.
Créer une nouvelle langue et non pas polir les anciennes.
Refuser le beau langage ou le grand style du Debord académisé.
Glorifier les échecs, les impasses et non les réalisations, au reste instables.
Vive tous les ponts Morandi !
Comprendre le rôle fondateur de l’erreur.

6- La commune n’est pas une puissance affirmative, mais une puissance négatrice.
En cela elle est le seul salut de l’Homme par l’Homme.
Le communisme est ce qui dit NON, je refuse, et s’oppose opiniâtrement.
Hérésie, écart, sécession, séparation.
La communauté communiste sera donc désastreuse (fonctionnant au dés-astre).
Telle est sa puissance tribunicienne.
La vie n’a pas à être représentée (mimesis) mais doit être réinventée. En vain.
Ainsi la commune communiste sera une œuvre.
LEBENSKUNST. TODESKUNST.

La création ratée, du gnosticisme généralisé, que vise le KOMFUT, est « le pompier ».
Pompes et circonstances, appareils et constrictions, machines et tortures.
Délices et espérances.
L’En Futur n’est pas l’à venir.
Mais l’ouvert de la constance négatrice.
Le Futur de l’Homme par l’Homme. Et, peut-être, pour l’Homme.

Annexe : Le gnosticisme généralisé est le communisme

Devenir hérétique.
Partons d’une définition généralisée du gnosticisme (très courte introduction).
Il ne s’agit pas ici de produire une histoire de la gnose et des gnosticismes, mais, à partir d’une telle histoire, de conceptualiser ce qu’il est possible de nommer « gnosticisme généralisé » (ou définition généralisée dudit gnosticisme).
L’histoire de la gnose est donc une carrière, une mine, dans laquelle nous allons extraire des termes généraux (définissant un gnosticisme généralisé).
La caractéristique importante de ces termes généralisés est qu’ils sont arrachés à leurs contextes historiques et, en particulier, philosophico-religieux, pour être « sécularisés » (théorisés et rendus aptes à s’intégrer à une pensée de scission communiste ou hérétique).
Pour dire les choses autrement : il y a dans la gnose historique des éléments révolutionnaires, éléments qu’il faut arracher à un magma philosophico-religieux (totalement muet aujourd’hui).
Les éléments de la définition généralisée, que nous nommerons axiomes gnostiques, forment un noyau minimal, noyau qui peut être considéré comme le point de départ d’un cheminement pour briser l’unité supposée du christianisme européen.

Axiomes gnostiques (du gnosticisme généralisé) :

1— L’Homme a toujours la primauté : centre, départ et terme de la pensée ; L’Homme détermine les entités anonymes (de la religion, de la philosophie, etc.) sur lesquelles il jouit de la primauté.

2— L’Homme est un Dedans Vide enfermé dans un Dehors Plein (de richesses), le Monde.

3— Ce Monde est une création ratée dont la défaillance illimitée ne peut se mesurer sur une échelle de perfections divines et ne peut se comparer à un quelconque infini ontologique.

4— L’Homme comme Dedans Vide est défini par son immanence (un agir-penser radical ou immanent) et non par un état (d’) absolu (voire un état de nature).

5— L’agir radical (non absolu) peut générer une « science du Monde » (Gnose au sens strict), science en immanence (transcendantale, par axiomes), aussi bien « science critique » (économie critique, par exemple) que « science de la philosophie » (ou des structures dualistes du penser métaphysique).

6— Cette science en immanence (transcendantale) peut soutenir l’agir en vue de la transformation du Monde, et forme l’expression généralisée de la sotériologie gnostique (le Salut par la Gnose). Il y a donc une visée du Salut du sujet (assujetti) par L’Homme.

Le thème largement débattu du « messianique » est ici déflaté en « messianicité immanente ou radicale ». Le messie qui n’est qu’un porteur de valises.
L’objet des axiomes étant d’éliminer les variations mythologiques qui font le charme des gnosticismes historiques. Ainsi d’opérer une transformation apte à introduire une Sortie de l’économie.

Les critiques (violentes) de la gnose (et des supposés gnostiques : Heidegger & Marx), par Vögelin par exemple, n’ont vu que l’aspect religieux ou mythologique ou mystique de cette gnose. Ici nous rompons avec ce mauvais mysticisme vague, pour en arriver à la Gnose science (critique) [19].
Peut-être le point clé de cette science (cf. axiome 1) est-il la critique du fétichisme, ici du fétichisme des abstractions, des substances, des naturalités, etc.
Comme application, la question du Salut (sotériologie) ou du Sauveur est impitoyablement déflatée : seul L’Homme en immanence est Sauveur du sujet (social) par son agir éthique politique (et cette éthique politique n’est « qu’humaine », c’est-à-dire faible, très faible).
La généralisation de la gnose, l’éradication de ses développements sulfureux mystico-religieux, est nécessaire pour libérer un noyau gnostique (ici axiomatisé) de toutes les normalisations mondaines ou historiques (comme pseudo-christianisme), finalement pour faire entendre le Cri de l’Homme qui s’est PERDU dans les rets de l’Histoire Monde.
Encore une fois la Gnose généralisée doit être distinguée d’une gnose historique religieuse chrétienne spiritualiste. Il y va d’une sorte de pragmatique (agir politique pour le Salut signifie agir sans tenir compte de ce Salut : moyens sans fins !).

Dans ce cadre on peut repenser « l’Adversaire Malin » de l’Enfer Monde : l’économie et ses circuits (ou Cercles d’emprisonnement), son Panoptique ou ce Dehors Plein (de cadeaux fictifs) dans lequel nous sommes empris, englués.
Enfin, thème essentiellement para-augustinien, on n’oubliera pas le thème grandiose de la création ratée, du démiurge fou et méchant (ou fou de puissance richesse, Elon Musk), de la défaillance intentionnelle, la création du Monde étant La Guerre (la pensée économique n’étant qu’une entreprise de blanchiment ou de lissage, de polissage, entreprise évidemment elle-même contaminée par le Mal qu’elle cherche à forclore).
Comment transformer le Monde (Marx) plutôt que simplement le nier ? Et pourquoi faire ? Dès lors que l’histoire devient un historial erratique ?

Finalement (pour cette courte introduction) la généralisation axiomatique cherche à montrer le lien entre le dualisme métaphysique et la duplicité, duplicité du fondement unitaire voire totalitaire (c’est là que Vögelin rate sa cible – encore une fois, il vise une gnose abâtardie, celle que nous cherchons à remplacer, il ne connaît que la gnose philosophique).
La gnose ne peut en aucune manière exprimer une pulsion révolutionnaire (ou bien une réaction conservatrice se voulant aussi révolutionnaire, pour une révolution conservatrice) si elle reste religieuse (mystique), si elle se déploie toujours comme une variation sur le thème de l’UNITÉ, de l’Un Tout ou de L’Homme Unifié (aussi) sujet (de volonté), ou celui de la subjectivité absolue (même modifiée à la Deleuze Negri) ou du Réel comme Totalité.

Bibliographie sommaire à propos de la pensée italienne de la destitution

Martin Hägglund, Radical Atheism, Stanford UP, 2008.

The Italian Difference, Between Nihilism and Biopolitics,

Ed. By Lorenzo Chiesa and Alberto Toscano, re.press Melbourne, 2009

Gianni Vattimo, Nihilism as Emancipation, pp. 31-35 ;

Roberto Esposito, Community and Nihilism, pp. 37-53 ;

Lorenzo Chiesa, Giorgio Agamben’s Franciscan Ontology, pp. 149-163.

Massimo Cacciari, The Unpolitical ; On the Radical Critique of Political Reason, Fordham UP, 2009.

Between Nihilism and Politics, The Hermeneutics of Gianni Vattimo,

Ed. By Silvia Benso and Brian Schroeder, SUNY Press, 2010.

Gianni Vattimo and Santiago Zabala, Hermeneutic Communism, From Heidegger to Marx,

Columbia UP, 2011.

Slavoj Zizek, De la Croyance, Éditions Jacqueline Chambon, 2011.

Giorgio Agamben, Vers une théorie de la puissance destituante, LM 45, 25 janvier 2016.

Roberto Esposito, Politics and Negation, Polity Press, 2019.

[1L’explicitation de ce que signifie « politique négative » ou « puissance destituante » a fait l’objet de longs développements.

Philosophie du Zapatisme, Courte généalogie de la politique négative, LM 300, 16 août 2021.

Et de manière plus élaborée :

Punk Anarchism, Miettes 1 à 10 + Annexe et Épilogue, LM 277 (1er mars 2021) à LM 296 (12 juillet 2021), tous les 15 jours.

Voir plus bas note 15.

[2Renvoi à : Comment généraliser la révolution copernicienne opéraïste ? sur John Holloway, LM 108, 13 juin 2017.

[3Nous avons développé, comme Cahiers de vacances, une Analyse politique de l’économie, en insistant sur le thème Inégalité et Hiérarchie, LM 348 à 349, fin août début septembre 2022, en quatre épisodes ; le dernier (4/4, LM 349 du 7 septembre 2022) étant consacré à la « racialisation » de cette inégalité.

Ici nous repartons du principe fondamental de la constitution républicaine  : tous les hommes sont inégaux. Principe qui permet le déploiement de l’économie (dont l’inégalité est l’axiome fondamental).

Nous laissons le lecteur se débrouiller avec ce qui semble le principe de la république : l’égalité (de façade, de bâtiment officiel) et « les droits humains » (qui ne s’accordent pas avec « les droits économiques », le droit mercantile ou le droit des corporations, la lex mercatoria qui prime toujours).

[4Nous laissons au lecteur le travail d’illustration de ces formules.
Les illustrations étant tellement nombreuses qu’elles défient le résumé.
Comment les entreprises (les corporations) peuvent-elles se payer des armées d’avocats corrompus ? N’est-ce pas de l’abus de biens ?
Comment analyser « le secret des affaires » ? Etc. Etc.
Comme introduction à cet océan (de la corruption) :
Les enquêtes de Médiapart en bande dessinée, numéro justice, La Revue Dessinée, Édition Spéciale.
Pour plus d’actualité suivre Médiapart.
Par exemple, 16 janvier 2023, Blandine Flipo, Les folles économies de la famille Ciotti au détriment de la Sécurité Sociale ;
Ou encore, 15 janvier 2023, Dan Israel, Le mirage des petites retraites à 1200 euros.
La littérature sociologique ou économique sur l’inégalité est massive.
Thomas Piketty, Une brève histoire de l’égalité, 2021
Oxfam France, Nouveau Rapport, La Loi du plus Riche, nouveau rapport sur les inégalités mondiales, 16 janvier 2023.
Et, pour (ne pas) finir, renvoyons au grand livre de Saïd Bouamama, Des Classes Dangereuses à l’Ennemi Intérieur, Capitalisme, Immigration, Racisme, Syllepse, 2021.

[5Encore une fois, nous laissons au lecteur attentif la tâche illimitée de rédiger des petites fiches sur les différents aspects de l’inégalité, de Ciotti aux travailleurs âgés, pour reprendre les exemples cités dans la note précédente.

[6Une bonne image de cette république est le navire esclavagiste. Ou le train de Transperceneige.

[7Pour ne citer qu’une étude récente sur ce sujet :

Ann Laura Stoler, Interior Frontiers, essays on the entrails of inequality, Oxford UP, 2022.

Pour plus de références renvoyons à la bibliographie de l’ouvrage.

[8Rendons ici hommage à Sven Lindqvist :

The Dead do not Die, Exterminate all the Brutes and Terra Nullius, New Press, 2014, new edition ;

En complement :

Raoul Peck, Exterminate all the Brutes, Denoël, 2021.

Sur un film autour de l’œuvre de Sven Lindqvist.

[9Comme nous avons traité ce sujet plusieurs fois, ne renvoyons qu’à une série (de LM) :

Pacification et colonisation, la violence fondamentale et structurelle de l’économie, 1/9, LM 123, 20 novembre 2017.

Le dernier article de la série, La question politique de la valeur, 9/9, LM 143, 23 avril 2018, est un élément d’une analyse consacré à : Le noyau politique colonial de l’économie, valeur, évaluation, mesure, calculabilité, comptabilité, servitude.

Auxquelles il faudrait ajouter : classement (= mesure), hiérarchie, inégalité.

L’inégalité n’est rien d’autre que ce qui rend possibilité la mesure. Et, donc, est à la base d’une société « rationnelle » : la rationalité économique, le calcul générique, repose sur l’inégalité (voir note 3).

[10« Nous sommes en démocratie », l’égalité est un principe constitutionnel, etc. Voilà ce que clame la prêtrise républicaine.
Nous avons déjà abordé ce thème :
Qu’est-ce que le despotisme économique ?

Série 1/4 à 4/4, LM 203 à LM 206, août septembre 2019.

[11Sans vouloir revenir à Freud et à toute la psychanalyse critique, ne citons que :

Gil Anidjar, Blood, A Critique of Christianity, Colombia UP, 2014 ;

Commencer par la conclusion :

On the Christian Question, Jesus and Monotheism ;

Conclusion qui contient une introduction complète aux derniers textes de Freud sur la religion.

Et, en plus général :

Tristan Dagron, Le soi subjugué, Servitude volontaire et cliniques de l’aliénation, Vrin, 2022.

Ce thème essentiel de la conversion, de l’incorporation, de la soumission, de la conformation et du conformisme, thème religieux exploré, au moins, depuis Freud, a fait l’objet d’une analyse intensive depuis le développement du fascisme (par l’école de Francfort, entre autres).

[12Voir, par exemple, les bylines d’Elli Kronauer.

[13Reprendre Sortir des cercles vicieux de la souveraineté, LM 333, 4 avril 2022.

[14Admirons l’Association Survie, Ensemble contre la Françafrique.

Billets d’Afrique, novembre 2022, n° 322, Quand les intérêts français priment sur la démocratie ;

Billets d’Afrique, décembre 2022, n° 323, Pétrole brut, Scandale brut ; à propos d’Agnès Pannier-Runacher et de Perenco ; l’invisibilisation des militaires français au Sahel.

[15Catacombe, silo : on reconnaîtra sans peine le lexique de Günther Anders, La Catacombe de Molussie, traduction L’Échappée, 2021.

Puisque la question politique, dans le cadre de l’impuissance (puis de la puissance négative), est celle de l’agir en situation de despotisme (« notre » république), l’ensemble des écrits des proscrits de l’ère fasciste est, de nouveau, d’une actualité nécessaire.

Bien sûr, Walter Benjamin, ses écrits sur la violence (repris par Agamben, voir Gil Anidjar, Blood, note 11) ou, pour nous limiter, Hermann Broch, Les Somnambules.

Maintenant Les Somnambules sont des agités télécontrôlés.

[16L’explicitation de ce que signifie « politique négative » ou « puissance destituante » a fait l’objet de longs développements.
Philosophie du Zapatisme, Courte généalogie de la politique négative, LM 300, 16 août 2021.

Et de manière plus élaborée :

Punk Anarchism, Miettes 1 à 10 + Annexe et Épilogue, LM 277 (1er mars 2021) à LM 296 (12 juillet 2021), tous les 15 jours.

Voir Lee Edelman, Merde au futur (No Future).

Dans cette note, « politique négative » ou « puissance destituante » est rendue par « communisme tribunicien ». Non pas un communisme de la construction (de barrages ou de réseaux), mais un communisme « qui freine » (communisme du Katechon, Agamben, Esposito).

Il Potere Che Frena : Saggi Di Teologia Politica in Dialogo con Massimo Cacciari, Aracne Editrice, 2015.

Massimo Cacciari, The Withholding Power, An Essay on Political Theology, Bloomsbury, 2018 ;

Il Potere Che Frena, Adelphi, 2013.

Il faudrait développer cette question du Katechon, réintroduite par la pensée italienne récente, Agamben, Esposito, Cacciari.

[17Cette « guerre des égos », si connue des universitaires (pas très universels), est la réduction lilliputienne des cercles vicieux de la souveraineté (voir note 13).
Voir Aude Vidal, Égologie, Écologie, individualisme et course au bonheur, Le Monde à l’envers, 2017.

[18Sur cette question conflictuelle du « sécularisme critique », en partant d’Edward Said,

Critical Secularism, boundary 2, volume 31, number 2, summer 2004, edited by Aamir Mufti.

Ou bien encore :

Gil Anidjar, The Jew, the Arab, A History of the Enemy, Stanford UP, 2003.

Nous recommandons d’explorer toute l’œuvre de Gil Anidjar (voir note 11).

[19La Théorie Critique de l’École de Francfort est un bel exemple de Gnose (déflatée).
Essentiellement, par sa Dialectique Négative.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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