L’herbe et le sang

Christian Noorbergen

paru dans lundimatin#344, le 20 juin 2022

Je marche – et c’est toujours hier - dans les plaines sauvages d’un pays tout proche, réserve immense d’espace, sans route ni demeure. Les pensées vagabondent et se bousculent, le sol ne peut pas rester intact.

Les traces de pas sont des blessures d’humanité, quand j’aurais voulu la paix du dedans, mais pour maintenir la plaine immobile, quand les troubles du monde déchirent la chair, la peau de la vie grandement se fatigue…
On voudrait ici que la végétation protège. Un peu partout, des sapins élèvent des souvenirs tendus. Un oiseau traverse un ciel vivant. L’herbe est douce et fragile. On dirait la toison secrète d’une femme trop lointaine. Les couches de la mémoire s’entremêlent et le soleil s’éloigne, pour ne pas gêner. Le vent, d’un coup devenu pâle, s’abandonne à l’éphémère brûlé du présent.
Je voudrais chasser ces pensées meurtrières, fuir l’horizon trop noir, et ne voir que ces petits morceaux de lumière qui bougent entre les mousses. Mais comment poursuivre, et comment vivre, quand la peau de la terre se chagrine, et devient trop rouge ?
L’éveil est cruel, la respiration poursuit le va-et-vient amoureux de l’échange, entre l’herbe verte de l’enfance, et le sang d’aujourd’hui.
Et là-bas, sous le dur soleil d’été, il pleut du sang.

Christian Noorbergen

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