L’extension de la rébellion londonienne

Ou les chemins de traverse d’un gilet jaune.
(Feuilleton satirique et sociographique)

paru dans lundimatin#212, le 14 octobre 2019

Extinction Rebellion est apparu brutalement dans le champ médiatique et militant français, d’abord avant l’été à la suite de l’occupation/expulsion du Pont de Sully. Et plus récemment (pour ne considérer que les actions parisiennes) avec les blocages d’Italie Deux et de Châtelet.

Il faut avouer que cette irruption a le don pour provoquer des réactions intéressées et qui aident peu à la réflexion...

On pense notamment à toute une presse et une clique politique qui veut oublier et faire oublier la précédente irruption, plus massive et violente : celle des Gilets Jaunes. Cela a pu se traduire cette semaine à la fois par l’unanimisme béat de la France Inter, ou le soutien moral d’Anne Hidalgo, mais aussi par la provocation à la répression de Ségolène Royal. Plus près du sol, et donc de nous, on voit poindre un débat sur les modalités d’action et les ambitions politiques de ce mouvement. Débat, ou plutôt désaccords que nous tâchons de relayer dans nos colonnes - encore cette semaine..

Mais puisqu’une critique unilatérale d’XR, quand bien même elle émerge du « terrain », ne nous permettra pas de comprendre ce qu’il y a d’aussi d’important et d’« attirant » dans la mobilisation dont XR s’impose comme fer de lance, nous avons voulu publier aussi ce point de vue différent (notamment parce qu’enthousiaste) qui nous provient d’outre-manche.

Ce texte se veut l’entame d’un « feuilleton satirique et sociographique qui essaie de décrire le mouvement XR d’un point de vue ethnographique et de raconter les actions de blocages de Londres ». Et dont nous espérons pouvoir publier la suite prochainement.


« And so even though we face the difficulties of today and tomorrow, I still have a dream. It is a dream deeply rooted in the American dream ».

Martin Luther King

La prise du palais des singes

Dans mon sommeil britannique, je me suis laissé surprendre par un rêve étrange. La scène se passe quelque part au Pôle nord. Sur la banquise glacée, le Palais de Westminster est posé là par on ne sait quel destin. Poussée par de mauvais vents sur cette île des mers hyperboréennes, une Sainte femme, qui n’est autre que l’ambassadrice des négociations sur les pôles arctique et antarctique, patine autour du Palais. Aux députés de la chambre des communes et à son éminent PM, Sir Boris Johnson, la courtisane sirène les vertus de l’écologie tout en louant les qualités du néolibéralisme pour empêcher la fonte des glaces. Quand… soudain une bande de pingouins, de manchots et autres Empereurs un peu canards, venue des profonds restes polaires, surgit dans ce paysage d’ordre, de beauté et de volupté. Depuis le petit matin, les pingouins rebelles prennent d’assaut les principales artères des grandes villes mondiales. En souvenir de la prise du Palais d’hiver, ils encerclent le « Parlement des singes », si bien dépeint par l’artiste Banksy, et tout le petit monde de la démocratie représentative, armés de « jabotages », de clappements de becs, de glapissements, et autres armes par destination. L’harmonie de ces vastes étendues blanches que le glaciologue, Claude Lorius, décrivait autrefois comme les « premiers jours du monde, intact et sacré », est rompue par la cacophonie d’une armada de petites pattes palmées marchant maladroitement sur la glace. Ici les petits alcidés très agités avancent en désordre suivie de l’armée flegme mais disciplinée des empereurs. Au cliquetis des becs s’ajoutent les cris et bagarres de jeunes mères se volant des cailloux, moins pour protéger leurs progénitures que pour reconstituer de petits monticules à partir desquels elles effectueront leur rite habituel : se mettre au sommet pour plonger sur leurs proies. Ségolène est cernée !! Le peuple des Pingouins exige de Ségolène qu’elle renonce à son titre d’ambassadrice de la fonte des glace qu’elle a tant honoré par son inaction. En lieu et place une Assemblée citoyenne de pingouins, tirés au sort, se propose d’agir dans la prise de décision publique pour le climat et la justice écologique.


Devolved Parliament, Banksy. Oeuvre vendue la semaine dernière aux enchères pour 10 millions de livres.

Tout ceci n’était qu’une scène hautement improbable sortie de l’esprit d’être délirant et fiévreux… jusqu’à ce que le lancement du mouvement international « Tell the Truth » (Lundi 7/10.2019) ne métamorphose d’abord les artères commerciales de Paris, puis le centre politique de Londres. La Pompadour de l’écologie s’est alors soudainement remémoré qu’E. Macron l’avait adoubée du titre d’« ambassadrice des négociations sur les pôles arctiques et antarctique ». L’occasion était si belle de pouvoir enfin incarner une fonction qu’elle se lança en quête d’un fromage aussi fait que la logorrhée d’un Boris Johnson. Dans son style politique, tout droit sorti de l’âge des glaces, l’ambassadrice en appelait à la « répression rapide » d’Extinction Rebellion, décrit comme étant à la solde de « groupes violents », de formes de militantisme illégitime et décrédibilisant ses initiatives.

Photo Z. Plummer, militante XR.

Toujours très informée, notre experte du climat assimilait des dizaines de chercheurs, parmi lesquels Vandana Shiva, Naomi Klein, Noam Chomsky, A.C. Grayling, Philip Pullman, Rowan Williams, etc…, à des groupes « illégitime et violents ». Il est vrai que ces derniers, parfois très engagés dans l’études de changements climatiques, ont l’audace de soutenir la Déclaration de Rebellion et que, dans une lettre ouverte parue dans The Guardian, ils soutiennent le principe d’une désobéissance civile et pacifique face à l’inaction des politiques alors qu’il y a une urgence à prendre des décisions politiques. D’autres personnalités, comme les actrices Ruby Wax, Juliet Stevenson ou encore le modèle Daisy Lowe étaient quant à elles présentes lors du sit-in de blocage du pont de Westminster au matin du 7 octobre. Mais à force de voyager sur les vastes étendues blanches dans un placard taillé sur mesure, et de fréquenter le parlement des singes de zones glacières inhabitées, l’ambassadrice semble en avoir oublié qu’il y avait encore des humains sur terre.

Pourtant le rêve d’une initiative citoyenne sur le climat, et d’une écologie sociale et populaire, commence à prendre corps. Au petit matin du 7 octobre 2019, de petits groupes s’étaient insinués dans le cœur de la machine urbaine londonienne. Venus à pied, en train et parfois à vélo, ils commencent par encercler la résidence du premier ministre (10 Downing street). Ici un groupe effectue un sit-in, tandis que d’autres s’enchainent à des véhicules posés en travers de la route. En file indienne, des rebelles drapées du sang rouge de la terre déambulent entre la résidence du premier ministre et le pont de Westminster au milieu duquel des jeunes femmes méditent sur le blocage de la circulation. Puis, comme sortie de la Tamise, une pieuvre géante et rose s’empare d’une avenue. L’octopus rose sera rapidement arrêté par des policiers vêtus de Gilets Jaunes police au motif qu’il/elle était lourdement armée (mercredi 9/10). Mais rien n’y fait… et des centaines de mères nourricières se rendent à leur tour devant Westminster où, sous les yeux de la Reine Mère, elles allaitent leurs nourrissons au sein et au biberon (mercredi) comme pour rappeler que ce capitalisme consumériste n’a pas encore absorbé les beautés de la vie. Un peu plus loin encore des activistes aspergent de sang le Ministère des finances (jeudi 11/10/2019) et tendent une banderole exigeant : « l’arrêt des financements de la destruction du climat ». Depuis ses yeux gelés, Ségolène ne voit toujours pas que les militants d’Extinction Rebellion arborent un message illégitime, mais digne d’un Jean Jaurès : « War is not the solution to the problems we face in the 21st ».

Photo Z. Plummer, militante XR

Il fut un temps où les ambassadeurs avaient pour mission de porter le message et d’incarner l’art de diplomatie. Il est révolu depuis que le corps politique empêtré dans sa dérive autoritaire et répressive du mouvement social, porte en lui une rhétorique de guerre civile qu’E. Macron a produite dans les éléments de langage mobilisés pour contrer les solidarités et détruire les fraternités du mouvement des Gilets Jaunes. Comment ne pas entendre dans les déclarations d’un Boris Johnson décrivant les « Eco-warriors » comme des « croutes peu coopératives  », installées dans des « bivouacs à l’odeur de chanvre » (sic), l’écho, proche ou lointain, d’un B. Griveaux méprisant : « La France des fumeurs de clopes qui roulent au diesel ». Face à ce langage paresseux des élites, en total décalage avec des mouvements sociaux et des formes politiques très imaginatives et innovantes, il est encore quelques lumières… Ainsi le père de Boris Johnson rejoignant mercredi les XR installés à Trafalgar square en déclarant : « Je me montre parce ce que je pense que ce qu’ils font est très important ». Puis ajoutant prendre comme un compliment les insultes proférées par son fils à l’encontre d’XR. Face à cette démocratie représentative, devenue incapable de représenter quoi que ce soit si ce n’est un mépris social très profond pour ceux qui restent dans le camp des humains, l’exigence d’une démocratie directe capable d’agir sur la décision publique se pose avec urgence. Elle est une revendication commune du peuple des Pingouins, que ceux-ci soient maculés de vert ou de jaune.

(A suivre).

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