L’ère de l’intello indigent ?

Proposition d’erratum pour L’ère de l’individu tyran d’Éric Sadin, au sujet de Julian Assange et WikiLeaks

paru dans lundimatin#317, le 13 décembre 2021

Suite à la décision de la Haute Cour de justice britannique qui donnait vendredi dernier son feu vert à l’extradition d’Assange vers les États-Unis, nous publions ici un article qui remet les idées au claires à propos de Julian Assange et de WikiLeaks. Pour ce faire, les auteurs proposent de corriger le dernier livre d’Éric Sadin, L’ère de l’individu tyran.

AVERTISSEMENT AUX LECTRICES ET LECTEURS

L’ouvrage L’ère de l’individu tyran, de Éric Sadin, paru en 2020 aux éditions Grasset, contient des informations erronées, des omissions importantes et des interprétations tendancieuses au sujet de Julian Assange et de WikiLeaks.

En cela ce livre alimente la désinformation et le désintérêt pour une importante affaire judiciaire en cours et pour la survie menacée d’un homme. Il s’inscrit dans la continuité d’une persécution politique trans-nationale qui dure depuis plus de dix ans, dont des médias, des auteurs, des éditeurs, se font négligemment ou sciemment des agents informels.

Créé en 2006 par Julian Assange, WikiLeaks reçoit, authentifie, publie et archive des documents classés ou restreints qui leur sont transmis par des lanceuses et lanceurs d’alerte au moyen de leur système sécurisé en ligne, après avoir analysé l’intérêt public et la portée historique de ces documents. Les publications de WikiLeaks, en partenariat avec de nombreux médias à l’international, ont permis d’exposer des crimes et la corruption de puissances étatiques et privées. En 2010, WikiLeaks et les médias partenaires ont révélé des crimes de guerre commis par les États-Unis en Irak et Afghanistan, grâce à des documents communiqués à WikiLeaks par une ex soldate de l’armée américaine, Chelsea Manning. De longues années de persécutions politiques ont alors commencé pour Chelsea Manning, Julian Assange et WikiLeaks en représailles de ces publications.

Arrêté en 2019 par les autorités britanniques à l’ambassade d’Équateur où il avait asile politique, Julian Assange est désormais incarcéré « préventivement » dans la prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres. Affaibli par des années de menaces de mort, abus de ses droits et par des conditions de détention extrêmes, il est en attente d’un verdict dans le procès d’extradition vers les États-Unis, qui l’accusent de conspiration d’espionnage, pour son journalisme avec WikiLeaks. Il risque 175 ans de prison.

Publier des informations erronées ou tendancieuses et en omettre d’autres cruciales au sujet de Julian Assange et WikiLeaks en 2020, alors même que la situation du journaliste est critique, alors même que des informations et éclairages sont disponibles, et que l’alerte donnée maintes fois ces dernières années par des journalistes, des avocats, des instances internationales, des organisations de défense des droits, des collectifs civils partout dans le monde, c’est participer à un assassinat politique, et ouvrir la voie à l’établissement d’un précédent juridique dangereux pour la liberté d’informer et la démocratie.

Commentaires et correctifs pour l’Ère de l’individu tyran, de Éric Sadin, au sujet de Julian Assange et WikiLeaks

1.

p.11 « David et Goliath »

Julian Assange est la figure de proue de l’argumentaire d’Éric Sadin, qui convoque le fondateur de WikiLeaks en ouverture de son livre pour ne presque plus le mentionner ensuite.

Le premier paragraphe du premier chapitre du livre est titré « David et Goliath ». Dans cet épisode de la Bible et du Coran, un petit fils de berger abat un grand colosse courageux d’un simple jet de caillou. Cette analogie a déjà été employée pour décrire le « combat » de Julian Assange contre le super-pouvoir États-Unis, y compris par des soutiens. C’est une histoire facile à raconter, qui nous semble toutefois insatisfaisante pour rendre compte du travail journalistique accompli par WikiLeaks et leurs partenaires médias, un travail qui n’est pas l’œuvre d’un seul homme et ne concerne pas que les États-Unis. Notons également qu’un caillou paraît petit aux vues de la taille et des contenus des archives documentaires historiques hébergées par WikiLeaks.

Surtout, si l’analogie pouvait peut-être fonctionner en 2010 quand Julian Assange était encore libre et les États-Unis récemment déstabilisés, elle ne tient pas en 2020 alors que, jugé coupable de rien, Assange peine à survivre en prison de haute sécurité à Londres. Point de David victorieux, juste un énorme Goliath et ses potes qui anéantissent méthodiquement un prisonnier politique coriace, en espérant passer l’envie à d’autres. S’il faut avoir recours à un mythe, Prométhée semble plus pertinent. Il serait également intéressant de préciser la nature du combat : peut-être bien le « Combat du siècle pour la liberté d’informer » [1]. Mais Éric Sadin ne s’en préoccupe pas, qui ne cite même pas l’affaire judiciaire en cours entre les États-Unis et Assange et WikiLeaks, tout occupé qu’il est à faire rentrer 2020 dans 2010 pour suivre son idée.

2/

p.11 « …, de hacker des données sur des serveurs et d’organiser leur rapide et massive diffusion sur les réseaux »

p.130 « Le cas le plus emblématique fut la création par Julian Assange en 2006 de la plateforme WikiLeaks, qui, par la capacité de ses membres à hacker des renseignements confidentiels... »

p.130 « Assange, qui s’imaginait inaugurer une nouvelle posture politique uniquement vouée à procéder à l’infiltration de serveurs... »

Oui, Julian Assange est un informaticien de génie, un activiste politique avec des idées et la capacité de penser hors des formats, et il est connu pour des faits de « hacking » dans le passé. Mais Éric Sadin démontre une ignorance phénoménale du sujet et commet une erreur en décrivant WikiLeaks, en l’occurrence la publication des Journaux Afghans et des Câbles diplomatiques auxquels il fait référence, comme une entreprise de piratage informatique. C’est Chelsea Manning, ex-soldate de l’armée américaine, qui, pour lancer l’alerte sur des crimes commis par les États-Unis en Irak et Afghanistan, a communiqué des documents confidentiels de l’armée à WikiLeaks, via leur plateforme anonyme sécurisée de dépôts de documents en ligne (la technologie de WikiLeaks ne l’a pas trahie, Chelsea Manning a été dénoncée plus tard par quelqu’un d’extérieur). Ensuite de quoi, les équipes de WikiLeaks et d’autres médias partenaires ont analysé ces documents et publié de nombreux articles d’analyse exposant les crimes des États-Unis dans leur « Guerre contre la Terreur », ainsi que les archives des documents sources, toujours disponibles en ligne pour la recherche et l’histoire. Avant publication, WikiLeaks a mit en œuvre des protocoles de réduction des risques pour protéger les personnes sur le terrain qui auraient pu être mises en danger par ces publications, notamment en caviardant des noms [2].

3/

p.12 « Le lanceur d’alerte »

Totalement effacée de l’histoire telle que la raconte Éric Sadin, la lanceuse d’alerte pour les publications dont il est question ici est en réalité Chelsea Manning, ex-soldate de l’armée américaine qui a communiqué les documents confidentiels à WikiLeaks. Julian Assange est le journaliste, et l’éditeur en chef à l’époque, de WikiLeaks, qui a publié lesdits documents.

Éric Sadin n’est pas le seul à faire cette confusion entre « lanceur d’alerte » et « journaliste ». On la retrouve aussi chez des soutiens d’Assange et WikiLeaks. WikiLeaks capacite de manière inédite les lanceurs et lanceuses d’alerte, où qu’ils·elles soient, mais WikiLeaks est fondamentalement un projet journalistique de réception, authentification, analyse et archivage d’informations d’intérêt public et historique.

Les compétences technologiques déployées par WikiLeaks se retrouvent dans leurs capacités à résister aux attaques contre leurs archives, à sécuriser la réception anonyme de documents via une plateforme dédiée en ligne, ou encore dans leurs capacités à authentifier avec certitude les documents reçus (WikiLeaks n’a publié aucune fausse information depuis ses débuts). Rien à voir avec du piratage informatique, qui nuirait au contraire à l’ambition du projet. Certes WikiLeaks met en œuvre une réflexion politique radicale sur le pouvoir de l’information, et réalise d’importantes mises à jour techniques et critiques des médias qui peuvent faire débat, mais WikiLeaks demeure une organisation journalistique. De nombreux journalistes et syndicats de journalistes de plusieurs pays reconnaissent Assange comme journaliste, en particulier devant la menace venue des États-Unis, à laquelle la profession fait désormais face collectivement.

En effet, pour son travail avec WikiLeaks, Assange est accusé de conspiration d’espionnage aux États-Unis, mais les chefs d’accusation [3] portés contre lui mettent en cause des actions réalisées de tout temps par tout bon journaliste d’investigation, comme par exemple la sollicitation d’informations intéressantes auprès de sources, la protection solide des sources (en particulier à l’ère numérique), et même la publication de secrets d’états. [4] [5]

D’où l’importance de ne pas colporter la fausse information qu’Assange et WikiLeaks seraient des « hackers », au risque de participer à une propagande d’État visant à faire condamner un journaliste.

Contrairement à ce que le texte d’Éric Sadin pourrait laisser croire, ce ne sont donc pas de vagues reproches qui sont faits ici ou là à l’encontre d’Assange, mais bien des accusations formelles graves qui menacent la survie d’un journaliste persécuté, ainsi que l’avenir de la presse indépendante sur toute la planète (qui deviendrait, si un tel précédent venait à être établi, une juridiction américaine, en somme). [6]

4/

p.12 « Apôtre de la transparence généralisée des affaires publiques ou privées, supposée représenter un des leviers fondamentaux de sociétés pleinement démocratiques et libres »

Non, la philosophie d’Assange et WikiLeaks n’est pas « la transparence généralisée de toutes les affaires publiques et privées » sans discriminations. C’est manquer une articulation essentielle : Assange et WikiLeaks œuvrent pour la transparence des puissants ET la vie privée pour les faibles - « Privacy for the weak, transparency for the powerful ». L’objectif est la justice sociale, la méthode est la transparence des puissants. Dans cette perspective, les personnes qui gouvernent/dominent doivent rendre des compte, prendre leurs responsabilités, être transparentes dans leurs activités, tandis que les personnes gouvernées/dominées doivent être informées de ce qui est fait en leur nom, pouvoir délibérer, choisir qui pourrait les représenter, être protégées, pour ne pas perdre leur agentivité, leur capacité à s’organiser, à se déterminer. Hillary Clinton qui détourne sa boîte mail personnelle pour des usages politiques échappant à l’examen public ne rentre pas dans cette dernière catégorie.

Peut-être qu’Éric Sadin ne croit plus dans des contre-pouvoirs ou dans un équilibre possible des pouvoirs, pour estimer que la transparence et la responsabilité sont un levier fondamental « supposé » de démocratie. C’est triste, mais merci de ne pas en dégoûter les autres.

Enfin, Assange lui même concède que le secret d’État peut avoir de la valeur dans certains contextes, à certains moments [7]. Sa remise en question est structurelle. Encore faut-il l’avoir écouté.

Or, parmi les personnes qui agitent Assange comme une figurine au service de leur propos, peu semblent avoir pris la peine de l’écouter ou le lire dans le texte. Pourtant, ses partages furent riches, quand il n’était pas à l’isolement 24/7. Il est vrai qu’en langue française, c’est un peu le désert. Pour reprendre des mots de Xavier de La Porte [8], nous pourrions avancer que ce qui permet à Éric Sadin de dire autant d’âneries en si peu de signes au sujet d’Assange et WikiLeaks, c’est qu’il évolue « dans un vide ».

5/

p.12 « Mieux vaut alors s’empresser de rejoindre le chœur des acclamations »

Où est ce chœur en 2020 ? De quel journal Assange fait-il la une en 2020 ? Et pourquoi non ? Nous aimerions nous lever demain et découvrir que des journaux titrent : Libérez Assange, prisonnier politique ! L’honnêteté intellectuelle aurait voulu que le texte - la pensée ?- de Sadin, bloqué en 2010 sur une vision fantasmatique et datée d’Assange et de WikiLeaks, soit actualisé...

6/

p.12 « Très vite, les États-Unis demandèrent son extradition depuis son lieu de résidence, Londres, où il finit par trouver refuge au sein de l’ambassade d’Équateur ».

Là, c’est carrément étonnant. Il est rare de lire le récit correct et complet de cet épisode de la vie d’Assange et WikiLeaks, il est encore plus rare de le trouver à ce point raté. Curieusement aussi, Éric Sadin ne mentionne pas l’affaire Suédoise - lorsqu’après une visite en Suède, le fondateur de WikiLeaks est accusé d’agressions sexuelles présumées sur deux femmes, et que s’en est suivi une affaire juridique truffée d’irrégularités, qui a nuit aux femmes, et dont le rapporteur de l’ONU sur la torture, Nils Melzer, a statué qu’elle avait été instrumentale dans la persécution politique d’Assange . [9]

Voici :

Dans la foulée des publications de WikiLeaks exposant les agissements criminels des États-Unis en 2010, Assange est accusé d’agressions sexuelles sur deux femmes suédoises, suite à un séjour dans ce pays. Après avoir clôt l’enquête préliminaire une première fois puis l’avoir réouvert, la justice suédoise, qui avait autorisé Assange à partir, veut à nouveau l’entendre, en Suède, et pour cela recourt à un mandat d’arrêt européen et demande à la Grande-Bretagne, où il se trouve alors, de l’extrader. Arrêté puis libéré sous caution avec bracelet électronique, Assange et son équipe légale se battent des mois contre cette extradition. Non pas parce qu’Assange ne veut pas collaborer à l’enquête au sujet des agressions sexuelles présumées, mais parce que la Suède refuse de garantir qu’elle ne l’extradera pas ensuite vers les États-Unis – qui n’ont, à ce stade, pas inculpé Assange, mais où Assange a de bonnes raisons de croire qu’une enquête et des accusations sont en cours de fabrication contre lui.

En 2012, alors qu’Assange s’apprête à perdre dans le procès d’extradition avec la Suède, il se rend à l’ambassade d’Équateur, à qui il demande formellement asile politique en protection de la persécution des États-Unis. Il l’obtient. Assange réside jusque en 2019 dans l’ambassade d’Équateur sans jamais sortir par crainte d’être arrêté, ce qui est qualifié d’équivalent à de la détention arbitraire par un groupe de travail de l’ONU. Suite à un changement de présidence et de politique en Équateur, l’asile politique d’Assange est révoqué, et il est arrêté à l’ambassade par les autorités britanniques en avril 2019. Il est incarcéré au motif qu’il n’avait pas respecté sa caution en 2012, lorsqu’il s’est rendu à l’ambassade d’Équateur pour demander l’asile politique. Cette peine accomplie, il est ensuite maintenu en prison car désormais, oui, les États-Unis l’ont inculpé et demandent son extradition à la Grande-Bretagne. Pour ses faits de journalisme des années 2010 avec WikiLeaks, Assange est accusé d’espionnage et risque 175 ans de prison. Début 2021, un premier verdict rendu à Londres rejetait l’extradition, tout en refusant de libérer Assange, maintenu à l’isolement en prison de haute sécurité. Les États-Unis ont fait appel de ce jugement de non extradition lors d’audiences en octobre 2021, durant laquelle Assange fait un AVC. Le 10 décembre, la Cour de Haute Justice britannique a annoncé accepté cet appel, annulant la décision de première instance de ne pas extrader Assange, ouvrant de fait la voie à l’extradition. Celle-ci n’a plus guère qu’à être validée par la secrétaire d’État après des formalités. La défense d’Assange a annoncé vouloir faire appel désormais à la Cour Suprême, mais il n’est même pas garanti que cet appel sera permis. [10] [11]

Donc non, cela n’a pas été « très vite » à ce que les États-Unis inculpent Julian Assange et demandent son extradition, au contraire (il fut même un temps où l’administration Obama avait renoncé à poursuivre). D’ailleurs, le fait que les États-Unis n’avaient pas formellement inculpé Assange ni demandé encore son extradition a été longtemps retenu contre lui par la presse et l’« opinion », et participé à ce qu’il manque de soutiens toutes ces années : on lui reprochait de brandir une menace exagérée ou inexistante des États-Unis seulement pour échapper à une enquête au sujet d’agressions sexuelles présumées en Suède…

Globalement, les observateurs perspicaces ont noté que c’est précisément la lenteur qui caractérise cette affaire judiciaire - ces affaires imbriquées - la lenteur qui devient le moyen d’un assassinat politique par procédures.

7/

p.130 « C’est à cette aune qu’il faut relever la différence avec Edward Snowden, alors que les deux ont souvent été rapprochés au titre de leur statut de « lanceur d’alerte ». Car le second n’a jamais décidé d’en faire un métier... »

Ici, Éric Sadin reprend la rhétorique bancale du bon et du mauvais lanceur d’alerte, qui opposa un temps dans les médias non pas Assange à Snowden mais Manning à Snowden (mais comme nous avons vu, Sadin a mal compris le concept de lanceur d’alerte et efface Chelsea Manning de l’histoire). Cela pour soutenir son argument selon lequel « le propre de la participation aux affaires publiques ne réside pas dans des entreprises systématiques de dénonciation, mais dans la mise en œuvre d’actions concrètes sur le terrain de la vie commune ». Argument bancal, puisqu’il s’appuie sur une présentation fallacieuse des motivations et actions des protagonistes cités, et qu’il méprise des conséquences sociétales de leurs actions et la complexité de celles-ci dans le réel. Là où Sadin décrit Assange comme un mauvais lanceur d’alerte, un individu seulement intéressé à « prétendre peser sur le cours des choses » et « faire trembler l’ordre établi », il lui oppose un autre, Snowden, le bon lanceur d’alerte, qui « par son courage, opérait un geste politique, dans la mesure où il contribua à éclairer les consciences et à modifier, peu ou prou, certaines pratiques et cadres législatifs ».

Le même énoncé pourrait valoir pour Assange, d’une part.

D’autre part, les effets des révélations Snowden sont paradoxaux (cet énoncé pourrait valoir à propos des effets des publications de WikiLeaks, aussi). En France, avec la loi de 2015, le gouvernement a légalisé des pratiques illégales de surveillance - un exemple de modifications de cadres législatifs post Snowden qui serait un blanchiment de pratiques invasives et liberticides, plutôt que leur remise en question. [12]

Le travail de WikiLeaks a eu des conséquences sociales et politiques au-delà d’une déstabilisation des pouvoirs (ce qu’il serait permis d’apprécier positivement en soi, mais qui reste une simplification). Il serait long de tout développer ici. Pour citer un exemple, en rapport avec les publications des Journaux de Guerre mentionnés dans le livre de Sadin, le professeur Paul Rogers concède que « les publications de WikiLeaks ont joué un rôle dans la fin officielle de l’engagement militaire américain en Irak » [13]. Ce travail, pour lequel Julian Assange, WikiLeaks et Sarah Harrison ont reçu de nombreux prix, a également influencé le journalisme d’investigation, qui s’en est trouvé inspiré et redynamisé [14]. Pourquoi Éric Sadin semble-t-il, par sa formule, dénigrer le fait que des personnes aient envie de traduire leurs convictions politiques dans le métier de journaliste ? Sous-entendre qu’il serait louche, illégitime, que des individus souhaitant plus de justice sociale s’investissent dans ce métier, c’est moche.

D’autre part, opposer Assange et Manning à Snowden, c’est oublier que Snowden vient après eux·elle. En plus d’honorer ses principes, Snowden n’a pas oublié d’observer le sort qui leur avait été fait, au tribunal et dans la presse, et a construit son action en conséquence dans le but du meilleur impact possible pour ses révélations.

C’est aussi omettre l’assistance fournie par WikiLeaks, notamment par Sarah Harrison, à Snowden dans sa mise à l’abri et l’obtention de son visa en Russie après ses révélations, et c’est oublier le respect et le soutien mutuels que ce sont témoigné ces personnes, quand bien même leurs cultures politiques et leurs points de vue pouvaient être différents. Depuis l’arrestation d’Assange, Snowden ne manque pas de s’exprimer en défense des droits du journaliste.

Enfin, c’est omettre aussi que le public n’a eu accès qu’à une petite portion du vaste ensemble de documents communiqués par Snowden à quelques journalistes. L’immensité des informations qu’il a transmis au péril de sa vie est aujourd’hui inaccessible et inexploitée, ce qui est, pour certain·e·s, suffisant pour questionner l’efficacité du mode d’action qu’il avait choisi.

Ainsi se terminent nos commentaires.

Page 14 et 15, Éric Sadin en a quasiment déjà fini avec Assange et WikiLeaks, qui ne revient qu’une fois dans ses pages. Il l’a posé comme un des « événements inauguraux » d’une « séquence historique qui aura vu (…) le sol sur lequel nous évoluions devenir plus meuble »... Et alors, écrit-il, « on assistait à l’expression d’une méfiance grandissante à l’égard des instances de pouvoir de toutes sortes : responsables politiques, institutions publiques, organisations internationales, ‘élites’, organes de presse ».

Tiens donc.

Nous sommes page 15 d’un livre qui en fait 344 et notre méfiance est maximale.

Nous n’avons pas d’avis sur le reste du livre. Nous n’avons pas pu le lire en entier, il nous est tombé des mains, et par la force de la gravité, il n’y est pas remonté.

Toutefois, à l’aune de ce petit condensé de foutaises réactionnaires, nous nous disons que certaines bibliothèques technocritiques abritent peut-être un faux-ami.

Des individus

[1Hacking Justice, le Combat du siècle pour la liberté d’informer, de Clara Lopez Rubio et Juan Pancorbo https://lesmutins.org/hacking-justice

[2Debunked : ’WikiLeaks Did Not Redact The Afghanistan War Logs’ https://wlcentral.org/node/379

[4Les États-Unis VS Assange, Une histoire populaire du journalisme d’investigation https://lundi.am/Les-Etats-Unis-et-le-Royaume-Uni-contre-Julian-Assange

[5The U.S indicment of Julian Assange poses grave threats to Press freedom - The Trump DOJ is exploiting animosity toward Assange to launch a thinly disguised effort to criminalize core functions of investigative journalism, Glenn Greenwald & Micah Lee, the Intercept, 2019

[6La jurisprudence Assange https://lundi.am/LA-JURISPRUDENCE-ASSANGE

[8Éric Sadin est-il le BHL de la révolution numérique ? Xavier de La Porte, Bibliobs, 2016 https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20161208.OBS2371/eric-sadin-est-il-le-bhl-de-la-revolution-numerique.html

[10Deux ans après l’arrestation d’Assange, 2021 https://lundi.am/Deux-ans-apres-l-arrestation-d-Assange Ré-ouverture du procès farce du siècle https://lundi.am/Reouverture-du-proces-farce-du-siecle-de-Julian-Assange /

[11La justice britannique ouvre la voie à l’extradition d’Assange, Jérôme Hourdeaux, 2021 https://www.mediapart.fr/journal/international/101221/la-justice-britannique-ouvre-la-voie-l-extradition-de-julian-assange-vers-les-etats-unis

[12Rollback or Legalisation ? Mass surveillance in France and the Snowden paradox, Félix Tréguer, 2016 http://explosivepolitics.com/blog/rollback-or-legalisation-mass-surveillance-in-france-and-the-snowden-paradox/

En France, des services de renseignement sans vrais contre-pouvoirs https://www.felixtreguer.fr/2021/06/en-france-des-services-de-renseignement-sans-vrais-contre-pouvoirs/

[13L’affaire Assange est-elle politique ? https://lundi.am/L-affaire-Assange-est-elle-politique

[14Ce que le droit à l’information doit à WikiLeaks, Jérôme Hourdeaux, 2021 https://www.mediapart.fr/journal/international/101221/ce-que-le-droit-l-information-doit-wikileaks

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