L’autonomie relative

« La dissidence est toujours une guerre »
Jacques Fradin

paru dans lundimatin#343, le 13 juin 2022

La semaine dernière, nous publiions une interview de l’excellente revue de la dissidence sexuelle, Trou Noir. Lecteur de lundimatin et de Trou Noir, Jacques Fradin a saisi l’occasion d’approfondir une question clef et centrale : l’autonomie.

Entretien avec le Trou Noir, La Revue de la Dissidence Sexuelle, lundimatin, LM 342, 6 juin 2022 :

« La dissidence sexuelle est également une guerre ».

« Exister en dissidence sexuelle est un acte de résistance dans une guerre des mondes ».

« Tous les fragments de marginalité, d’originalité, se verront écrasés, c’est-à-dire privés de leur monde ».

« Il nous semble que le coup de force, que nous devons réactualiser, produit par les groupes militants des années 1970, est d’avoir fait voler en éclats l’inconscient libidinal présent dans toute action politique ».

« Il n’y a plus qu’un seul monde, et il est capitaliste ; sans quoi il n’y aurait pas ces luttes et ces combats que nous devons mener quotidiennement ».

Comment partir de la tradition des vaincus (toujours ressuscités et repartant sans cesse au combat) ?
1830, 1848, 1871, 1920, 1977, 2015, ad infinitum.
La tradition : maintenir la tension des luttes, persévérer dans la lutte, reprendre la lutte, la défaite important peu.
Ainsi « l’autonomie » doit-elle d’abord se penser en termes de lutte, d’abord se caractériser par la lutte, la lutte reprise sans cesse ; la guerre des mondes, la lutte qui ne s’achèvera jamais.
Ou encore : la forme de vie « autonome », extérieure au monde capitaliste, hors de lui, hors la loi, cette forme est toujours une forme de lutte.
« Autonomie » signifie : forme de vie en lutte, commune combattante, contre société éphémère arc boutée à la lutte.

Partons spécifiquement de la grande expérience italienne de « l’autonomie » ; « le laboratoire italien » et l’échec de ses expérimentations.
Reprenons les expériences d’avant l’écrasement contre révolutionnaire, d’avant la récupération, l’expérience autonome, « le coup de force que nous devons réactualiser ».
« L’autonomie » désignait, globalement, la sortie du capitalisme envisagé comme totalité « sociétale » (affective, culturelle, sensible), un dessein de contre société.
Ou même, mieux, le fait crucial de ne pas être entré dans le capitalisme, la divergence.
Mais, cette seconde voie, certes la plus radicale, impliquait qu’existait encore une forme sociale ou de sociabilité a-capitaliste ou pré-capitaliste (« une communauté autonome ») ; forme sociale, et cela est le plus décisif, capable de se développer, de croître, hors de la totalité capitaliste  ; capable non simplement de résister au capitalisme, mais surtout de l’ignorer. L’indifférence culturelle (au capitalisme) étant le noyau de cette sociabilité ; non simplement l’absence de relations marchandes monétaires ou comptables, mais l’absence de toute « avidité » consumériste (le grand refus du transport mécanisé, par exemple) [1].
Malheureusement un tel développement « autonome », une extension géographique, culturelle, sensible, etc., de tout ce qui caractérise « une communauté » non capitaliste, un tel déploiement ne s’est jamais produit. Bien au contraire : tel est le sens profond de la défaite.
La colonisation capitaliste, géographique, culturelle, sensible, est devenue totale.
Les formes sociales a-capitalistes sont devenues autant de ruines fumantes ; une sorte de Syrie universelle.
Impossible de « réactualiser » ce qui est désormais pensé comme « primitivisme ».
La seconde voie, du saut au-delà du capitalisme, ne peut plus être considérée comme une possibilité.
Pour rester italien, on peut lire toute l’œuvre de Pasolini comme une ode funèbre pour ces sociabilités évanouies : le monde paysan d’avant, un peu enjolivé par le poète.
Il ne reste donc que la première voie : au sein de la totalité capitaliste, au sein du despotisme, devenant plus totalitaire chaque jour, la voie de sortie de cette totalité despotique implique la lutte.
« Il n’y a plus qu’un seul monde, et il est capitaliste ; sans quoi il n’y aurait pas ces luttes et ces combats que nous devons mener quotidiennement ».
D’abord la lutte.
Jusqu’à la guerre civile.

Mais l’échec des expérimentations italiennes a généré une répression globale : la guerre civile est devenue interdite, forclose ; l’interdiction répressive (et violente) de la violence s’est propagée partout : avec le motif « victimaire ». Il n’y a plus de combattants, il n’y a plus que des « assassins », des « hors la loi » qu’il faut effacer.
Si, encore une fois, nous désignons par « autonomie », l’émancipation communale, la sortie hors du capitalisme et la constitution d’une contre société, sur le modèle « convivial » des formes sociales précapitalistes (ou du style « décroissance heureuse »), formes désormais évanouies (ou en liquidation autoritaire), il doit être posé que cette contre société est, au moins, toujours en tension, « en stress » ; avec ses sociabilités renouvelées, mais combien perverties, avec « la camaraderie révolutionnaire », toujours trop éphémère.
L’autonomie se pense dans la lutte.
Et doit se penser comme une lutte infinie.
Étant jetée au sein de la totalité capitaliste, étant jetée « minoritairement » (oh combien ! « l’arrière » c’est epsilon, non pas, au grand jamais, les 99% ! [2]) dans un océan « majoritaire » de « satisfaits » (les consommateurs touristes, voilà les 99% !), la contre société affinitaire, qui renouvelle la bohême, est encerclée et toujours en voie d’ingestion.
Voilà l’hypothèse qui doit diriger la pensée de l’autonomie.
L’autonomie, la sphère autonome hors du capitalisme, trouve son noyau (combattant) dans la lutte.
Et dans une lutte qui ne peut plus imaginer être victorieuse.
Mais qu’importe.
Aussi l’autonomie, d’après la défaite des années 1980, est-elle toujours « autonomie relative ».
Si nous acceptons de désigner sous le titre « autonomie absolue », une forme sociale a-capitaliste, aussi totale que le capitalisme ; et donc aussi expansive que lui [3] ; par exemple une forme pré-capitaliste de très longue durée, pour rendre la chose « concrète ».
Forme sociale « primitive » dont nous avons acté l’évanouissement, la disparition sans retour.
Le capitalisme consistant en la colonisation de tous « les extérieurs », géographiques, culturels, sensibles, affectifs. La colonisation de la vie quotidienne ; avec ses supermarchés.
Si l’on veut rester « positif », on peut dire qu’il existe encore, peut-être, des traces d’autonomie ou d’extériorité au capitalisme (encore au niveau affectif, familial ?) ; mais que ces traces sont infimes et de mesure nulle (epsilon).
Ce qui est souvent désigné par « marges » (les bohêmes), ou failles, ou fissures, ou interstices (« l’insurrection interstitielle »), est à la fois aussi ancien que le capitalisme (mais ce n’est pas son double, c’est uniquement son ombre) et toujours aussi incapable de s’étendre.
Pour parler aujourd’hui de l’autonomie, quarante années après l’écrasement contre-révolutionnaire des forces de la désertion (toujours l’exemple italien, avec Berlusconi comme emblème), et dans le cadre d’un environnement colonial ouvert par la défaite et par l’ingestion des 99% rendus inertes ou touristes (permettant le développement capitaliste du Sud, ce Sud originairement sécessionniste), nous devons parler des marges encore autorisées.
La désertion et la constitution de sensibilités non capitalistes, ni consommatrices, ni touristes, ni spectatrices, ni voyeuristes, se placent dans un espace (culturel) encerclé par les forces stato-capitalistes ; forces qui, elles, assument la guerre civile, et en position dominante.
Les extériorités ne prennent plus que la forme d’utopies (de rêves mélancoliques), néo-indiennes, voire pré-historiques, le primitivisme post-apocalyptique, ou, encore, l’utopie monastique, l’organisation collective de la solitude (prière et travail, dans l’immobilité).
La force du capitalisme tient en sa capacité d’ingestion de toutes les contestations ; la pornographie industrialisée en étant le prototype le plus élaboré, le plus « libéré » au nom de « la liberté », et sous ce nom de « libération » l’exploitation la plus violente [4].
L’autonomie, elle-même, l’idée « d’auto-déploiement » ou d’indépendance [5], est devenue un élément clé du déploiement du capitalisme (« culturel »).
Inutile de dresser une liste des récupérations, récupérations toujours violentes de « la liberté ».
« L’analyse critique » a été censurée, puis transformée en réservoir (think tank) pour la légitimation de « l’action publique », locale ou nationale.
« La recherche pure » (purement théorique) a été transformée en rouage de l’industrie ; élimination des mathématiques conceptuelles au profit des « bricolages ingénieux », priorité donnée au « pratique », à « l’utile », puis à l’efficacité ; l’informatique étant le parfait exemple de l’élimination du conceptuel, de la pensée, au moyen de la mobilisation retorse du « rejet général (et fasciste) de la pensée » (la haine de l’école ! l’horreur des maths !), élimination, évidemment effectuée au nom de « la libération », de la libération hors de la pensée, du « ne plus avoir à penser ».
Ne parlons même pas de l’état désespéré de « l’art » ; maintenant intégralement soumis au régime marchand, sous la coupe des « amateurs richissimes », le grand retour des mécènes féodaux – ne parlons pas des « vedettes de l’art » (et du « vedettariat » en général – « les influenceurs » !), démultipliant l’usage de la sous-traitance.
Et bien sûr, et nous arrêterons là, l’absorption ou la reconfiguration de toutes les sensibilités en voyeurisme : la désubjectivisation resubjectivante par le système médiatique ; la constitution d’un homme nouveau « hors sol », le consommateur touriste (et là encore l’analyse critique de la pornographie, autant qu’elle subsiste et est audible, cette critique est « capitale »).
L’horreur du capitalisme culturel développé : le tourisme et les touristes ; les masses destructrices. Avec les tours operators organisant des visites guidées, avec historiens guides mercenaires, visites des « marges », néo-indiennes par exemple, avec, cette fois-ci des sociologues, visites des « réserves », de lions, d’éléphants ou de « tribus authentiques ».
L’authentique, « l’ethnique » (l’autochtone), l’amical, le plaisant, le convivial, voilà tous les traits de la révolte dont le capitalisme s’est emparé ; maintenant, si l’on paye bien, on trouve facilement des « amis » souriants et décontractés ; le sourire « amoureux » est une marchandise de luxe ; le tourisme est devenu affaire rentable de « groupes affinitaires ».
Les formes de vie, résiduelles et « protégées » (pour le commerce touristique), encore « immédiatement communales » (pour le spectacle), sont également des objets de luxe.
Retournement complet de l’autonomie (et de sa pauvreté assumée – toujours « la décroissance ») en produit de luxe (les nouveaux sentiers de la transhumance, où les bergers deviennent des idéologues du capitalisme « ouvert »).
Les nouvelles destinations « plus humaines », « plus éthiques », pour le touriste classe moyenne en recherche de supplément d’âme (supplément que l’on trouve au catalogue des « aventures » sans risque).
Maintenant l’âme se vend : plus le prix est élevé, comme les croisières de luxe pour observer les derniers ours blancs mourants, plus le prix est élevé, plus l’âme s’élève – le retour des indulgences.
Et pourquoi pas « l’amour libre », ou le sexe libéré, devenu marchandise d’attraction.
Inutile, donc, de fantasmer sur l’autonomie.
Aujourd’hui l’autonomie ne peut plus exister que comme lutte, et, même, lutte permanente, si difficile ; l’autonomie est une forme de vie en lutte.
Avis aux thésards : si le sujet de votre thèse n’est pas « choisi » en radical conflit avec les autorités académiques, et « choisi », de plus, pour ouvrir un long conflit, une vie de recherches « autonomes », une vie monastique de recherche « hors » de l’académie, sans espérance de « récompense », de « carrière », ou de soutien d’un quelconque patron, alors il ne peut être question de « recherche autonome », ni même d’indépendance. La soumission à l’ordre académique, avec sa concurrence, est la porte ouverte à la corruption, intellectuelle et financière (l’espoir d’une bourse), corruption qui désigne le capitalisme.
Les anciennes stratégies à la Grothendieck, être d’abord reconnu pour mieux combattre ensuite du haut de sa réputation académique, avec tous les titres de reconnaissance, l’agrégation par exemple, ces anciennes stratégies ne sont plus soutenables ; et même, participent de la récupération spectaculaire ; où « les autorités », devenues critiques sur leurs vieux jours, animent le cirque médiatique.
Maintenant, la désertion doit commencer loin en amont : refuser les concours, ou encore les invitations médiatiques (l’intellectuel devenu médiatique est immédiatement perdu : la question prioritaire est celle du silence) ; toujours « choisir » des thèmes de rupture, au risque de la censure.
Car la face cachée du capitalisme « tolérant » ou « ouvert » est la censure (déconcentrée et décontractée) la plus pointilleuse : point besoin d’interdiction, il suffit de couper les crédits.
Maintenant, la véritable pensée critique se tient dans le silence. Le retrait radical.

L’autonomie est désormais le terme le plus populaire et, peut-être, le plus central du nouveau vocabulaire capitaliste ou du vocabulaire du nouveau capitalisme culturel.
Ce qui a été nommé « capitalisme de séduction » (Clouscard). Où il est obligatoire d’être plaisant, aimable, drôle, ironique, superficiel, « sociable ». « Ne pas se prendre la tête » pourrait être son slogan. Le capitalisme est un gigantesque « traité de savoir vivre », uniquement pratique.
Le préfixe « auto » se retrouve partout, depuis, évidemment, les chères automobiles, devenues plus radicalement des véhicules « autonomes », animées par leurs propres règles et leur propre mouvement, mais, cependant, fortement téléguidées, les « règles propres » étant définies en usine ; jusqu’aux autochtones (à protéger) liés à l’habitation d’un sol, d’une terre censée les définir par une longue tradition, totalement réinventée (« l’éthique » reconstruite pour les besoins du tourisme) ; ne parlons pas des « régions autonomes » et autres inventions bureaucratiques.
Avec le clou des auto-entrepreneurs, l’espèce de réalisation corrompue du travail autonome (si une telle chose existe [6]), du rêve glauque de la liberté en étant « à son compte », buraliste (ou trafiquant de drogue), dans la concurrence débridée.
L’autonomie est devenue un impératif catégorique, depuis l’école, l’élève DOIT être autonome [7], en passant par la vie de famille, SOIT autonome crie le parent stressé, le réfrigérateur est à ta disposition, jusqu’au salarié auto-organisé (et responsable de son niveau de production), voire en auto-gestion [8] (et responsable de son quartier), là où tout est fortement encadré, téléguidé, comme l’autonomie de l’automobile, qui n’a de sens que purement mécanique.
Bien que tout à fait ambiguë, et même auto-contradictoire, l’autonomie se confond toujours avec la liberté, l’indépendance, mais au sens restreint de la liberté libérale, par exemple la liberté du style d’une coupe de cheveux, dans le cadre du supermarché « ouvert ».
Dont, encore une fois, la pornographie est le prototype.
Notons bien que la pornographie explose lorsque les insurrections se finissent (vers 1980).
La pornographie est la forme capitaliste pervertie de la sexualité libérée, « à chacun son style » (et l’exploitation, la sexploitation, pour tous) ; encore une réalisation corrompue, récupérée, du thème de « la vie libérée » ou de la quotidienneté émancipée [9]. Où chacun est défini par son « désir propre », où chacun conserve son autonomie ; les relations sexuelles transformées en marché (via une spectacularisation généralisée des sexes ou, plutôt, des organes) avec des agents supposés libres et indépendants.
Mais ce qui nous retiendra davantage que la récupération ordinaire, dans le cadre de la défaite ou de la contre-révolution, de « l’hypothèse autonome » [10], est le sens théorique de l’auto-organisation, de l’auto-gestion, de l’auto-poïèse, puis de l’auto-nomie.
Tel que ce sens se déploie par le concept d’autonomie relative.
Concept qui permet, immédiatement, de poser et analyser l’ambivalence de l’autonomie, l’ambiguïté à la source de toutes les récupérations, et de toutes les défaites du mouvement des autonomes.
Depuis Althusser, l’autonomie relative désigne l’auto-hétéro-nomie des structures auto-poïétiques, dont l’auto-développement, l’INDÉPENDANCE, l’autonomie, est en état de DÉPENDANCE ; dépendance, par exemple, à une source pulsionnelle (combattante) ou énergétique (la question du parasitisme).
Ainsi l’autonomie, pensée comme tension pour une sortie du capitalisme (mais depuis la totalité capitaliste), cette autonomie DÉPEND du développement capitaliste (en inversant les thèses à la Negri) et de son évolution militaro-étatique (le choix, en définitive, de la guerre civile par l’État). L’autonomie reste donc « saprophyte », confinée dans des marges ; marges depuis lesquelles des coups sont pensables (les coups de main des maquisards, l’auto-réduction, le pillage).
Plus généralement, l’autonomie relative, l’auto-hétéro-nomie, désigne, par auto-contradiction, la dépendance de l’indépendance, l’effet d’une détermination en dernière instance (DDI).
Mais nous ne reprendrons pas ici l’analyse en dualité de cette DDI [11].

Nous nous contenterons d’indiquer deux éléments de cette autonomie relative qui permettent d’expliquer « les défaites » ou les récupérations : le retournement de l’émancipation en liberté libérale de marché, le renversement de l’anarchisme autonome en anarchisme capitaliste libertarien, la sécession changeant de camp.
Si l’autonomie relative désigne d’abord la dépendance des structures de pouvoir à la puissance réelle pulsionnelle ou énergétique, thèse à la Negri, par retournement, en dualité, elle désigne également la dépendance des mouvements autonomes à ces structures fortes de pouvoir, inversion de la thèse à la Negri

D’où, en dualité, les DEUX éléments que allons introduire :

1 – L’autonomie relative caractérise d’abord les structures de la domination.

Ce que les marxistes nomment « fétichisme », où les constructions échappent à leurs constructeurs, sinon concepteurs.
Les structures de domination, économiques par exemple (avec l’abstraction réalisée), deviennent indépendantes, comme le « marché libre », ou bien se transforment en automates (mal auto-régulés, l’aspect « relatif » de l’autonomie, mais ce n’est pas le thème que nous pouvons traiter ici, renvoi à la note 10).
Le thème essentiel de la Critique de la Valeur (Wert Kritik), dérivant des thèses de l’École de Francfort sur « l’administration totale », est celui du « golem », cette créature autonomisée.

2 – Mais cette analyse classique doit être complétée.

Toute autonomie, quelle qu’elle soit, récupérée ou pas, n’est qu’une autonomie relative.
Toute autonomie est donc auto-hétéro-nomie.
La cryance en une « autonomie absolue », le retrait hors du monde, ou à la liberté (libérale fantasmée), cette croyance désigne justement l’aspect hétéronomique de l’autonomie, l’aspect de commandement (transcendant), tu DOIS être libre et autonome, « tu dois croire au monde » (l’aspect chrétien dégoulinant).
La faillite de la tension autonomiste et/ou de « l’hypothèse autonomiste » résulte de l’absence de compréhension (ou de la dénégation) que toute autonomie est toujours relative, et en voie de corruption (quelle que soit la forme de la corruption, le vieillissement, par exemple [12]).
Toute autonomie est sous commandement et se déploie (mal) par détermination.
Par exemple l’autonomie n’a jamais su dépasser « le stade saprophyte » (le vol ou autre auto-réduction) pour constituer une contre société « totale », aussi totale que le capitalisme.
Cette évidence aurait dû depuis longtemps réorienter la pensée de l’autonomie (vers l’antagonisme permanent et indépassable : l’autonomie se tient dans la lutte qui sera défaite).
Ce qui signifie que l’autonomie est un combat permanent, une tension illimitée, une tendance sans réalisation ou sans fin.
Encore une fois, l’autonomie ne peut être pensée en termes « statiques » de réalisation (d’utopie auto-reproductive) mais toujours en termes « dynamiques » de lutte faillie à toujours recommencer.
L’autonomie se tient dans la lutte permanente et n’est qu’une figuration de cette lutte.
Il n’y a pas à chercher de « modèle d’autonomie », préhistorique ou utopique.
L’autonomie est là, immédiatement, dans le mouvement sans fin de l’antagonisme.
L’autonomie est là où la lutte se maintient.
L’autonomie réalisée, établie, est une auto-contradiction.
Les espaces décolonisés n’existent que comme moments de rupture, toujours menacés.
Et c’est dans la rupture, infiniment faible, infiniment vaincue et infiniment reprise, que se tient « la réalité pratique » de l’autonomie.
L’espace autonome, hétérogène à la totalité capitaliste, n’est qu’un champ de bataille et un champ de ruine (une Syrie universalisée).
L’espace hétérogène est l’effet de la lutte : « la sociabilité des ronds-points » ; sans qu’aucune forme de reproduction sociale alternative ne puisse se maintenir et constituer un ordre alternatif (ce qui est encore une auto-contradiction : l’espace autonome doit se penser comme faible et ne jamais tenter de fortifier sa faiblesse).
C’est par et dans la rupture que se conquiert l’espace hétérogène. Mais c’est là que se produit le heurt avec la logique capitaliste et son État. Il est donc impossible d’imaginer une sécession pacifique (or « le pacifisme », la politesse, les bonnes manières, la bonne éducation, sont devenus des modes privilégiés de l’ingestion capitaliste).

Pour compléter cela, partons d’un schéma classique de l’autonomie, le schéma italien :

L’autonomie peut se concevoir à différents niveaux :
1 – D’abord l’autonomie culturelle qui peut se penser (ou pas) en termes de forme de vie, de contre société, d’ordre des sociabilités marginales, de communisme des marges, autonomie qui peut se déployer par sécession (et par l’organisation de « bandes », style Bande à Bonnot).
Mais cette autonomie culturelle, aussi célèbre et célébrée soit-elle (les sécessions artistes), est tout à fait insuffisante, trop facilement récupérable (comme le montre la marchandisation posthume des sécessions) ou trop facilement destructibles (les sécessions sont d’abord posthumes).
Encore et toujours, il faut se placer dans le cadre dominant du capitalisme culturel, total et développé ; tel que, par exemple, il se propage après la grande défaite italienne des mouvements autonomes, dans les années 1980 (mais, là encore, défaite que Pasolini anticipait et décrivait : la petite bourgeoisie devient le modèle de la vie).
Il n’existe plus de foyer hétérogène capable de porter la subversion culturelle, dès lors que le touriste universel classe moyenne domine l’univers. L’autonomie se confond alors avec la migration en camping-cars, à l’intérieur du cadre marchand ; pour la visite des « galeries d’art » des « foyers touristiques » : la franche rigolade en « visitant » Saint Paul de Vence !.

2 – L’autonomie culturelle doit donc se combiner avec l’autonomie politique.
Ce qui est nommé « politique post-politique » (note 9, Autonomia, Post-Political Politics).
Ou, pour employer les termes de la Théorie Critique de Francfort, l’ordre pratique des espaces décolonisés (toujours note 9, George Katsiaficas, The Subversion of Politics, European Social Movements and the Decolonization of Everyday life).
L’ordre pratique des espaces décolonisés : la constitution de Zones Autonomes, dont le prototype est l’espace zapatiste (mais dont il n’existe que des versions déceptives en Europe – encore une fois, le critère étant l’extension, la progression, le déploiement, le soutien par « l’arrière », ces Zones sont vouées à la régression).
La conjugaison de l’autonomie culturelle, d’une contre société communiste, et de l’autonomie politique, de cette contre société séparée par sécession, cette conjugaison constitue sans doute une forme de vie plus élaborée.
Mais cette forme de vie ne se déploie (plus) jamais dans un espace vierge ; celui que les colonisateurs imaginaient, les terres vierges à coloniser (ce pourquoi il a existé des colonies anarchistes – mais l’exemple des colonies « socialistes » du foyer juif palestinien n’est pas de bonne mémoire).
La forme de vie autonome se déploie plutôt dans un trop plein.
Toujours dans le cadre du capitalisme totalisant.
Les contre sociétés communales sont donc toujours en lutte (et les colons israéliens sont toujours armés).
Plus spécifiquement même, cas italien, zapatiste ou syrien, les contre société naissent DE et DANS la lutte.
Sans parler du fait crucial que ces contre sociétés sont minoritaires, marginales, ne représentent jamais un espoir partagé (« ce sont des extrémistes »), il faut insister sur l’aspect militaire des communes autonomes (des fronts de lutte, mais sans arrière, des poisons sans eau).

3 – L’autonomie culturelle, puis politique, est propulsée vers l’autonomie militaire.
Bien entendu, cela n’est concevable que dans un cadre exceptionnel : des années de plomb.
Et la lutte militarisée est vouée à l’échec (sauf retournement étatique modèle israélien).
Le capitalisme est un ordre total, culturel, politique, qui intègre une force armée politique, un État, une force militaire, force sans commune mesure avec celle des communes, minoritaires et marginales.
C’est l’inertie des masses, leur indifférence au projet d’autonomie, qui est le noyau de l’échec (nous avons toujours le modèle de la révolution de 1848, qui se termine par Napoléon III).
Comme l’autonomie doit se penser comme lutte, elle doit s’appuyer sur une base arrière (« un soutien populaire ») ; ou ne rester qu’une guérilla.
Certainement, la guérilla permanente est-elle l’oxygène de l’autonomie.

4 – Mais l’autonomie ainsi introduite, culturelle, politique, militaire, n’est pas encore une autonomie capable de subsister.
Nous le disons sans cesse : l’autonomie, l’ordre pratique des espaces décolonisés, se définit par la lutte et non pas par une réalisation, « une subsistance ».
Pour le dire autrement : l’autonomie n’est pas « productive ».
Le paradoxe de l’autonomie, pensée comme anti-capitalisme, est que l’ordre autonome ne peut arriver à « l’auto-subsistance » (nous répétons qu’il est « saprophyte ») ; l’espace autonome (la Zone) a toujours besoin du noyau « productif » du capitalisme (beaucoup plus étendu). L’ordre auto-organisé du capitalisme, dont l’autonomie est la critique pratique, sort, paradoxalement, renforcé : il devient l’arrière nécessaire.
C’est bien là que se situe l’inertie « des masses », leur indifférence politique à un supposé projet d’émancipation : le capitalisme apporte « la subsistance », voire le bien-être (consumériste) ; et cela semble indépassable (nous retrouvons la vieille rengaine : réforme ou révolution ?). Pire, la constitution de Zones est plutôt le signe de la régression matérielle (de la pauvreté monastique, certes volontaire, mais peu attractive – le déclin des vocations est très partagé). L’acceptation de la régression matérielle, de la pauvreté volontaire, « en échange » de la liberté (supposée) n’est pas (ou plus) un marché généralement accepté.
Désormais l’ennemi de l’autonomie est le touriste. Touriste qui récupère l’autonomie dans un cadre marchand : le touriste veut profiter du temps libéré pour « vivre sa vie », en devenant un consommateur absolu.
Et d’une manière générique, et bien analysée, c’est l’extension d’une classe moyenne petite bourgeoise (les cadres, par exemple) consumériste qui signe la fin des projets autonomes ; puisque l’autonomie se pense désormais comme la possibilité de dépenser « librement ».
Le totalitarisme de marché est le signe de la disparition de toute espèce d’extériorité, culturelle, politique, économique ; l’imposition de « la paix » (par la pacification économique) et d’une culture pacifiste « non violente » (toute violence, économique, étant déniée) désigne l’impossibilité d’une quelconque lutte militaire. Depuis 1980, et l’écrasement contre-révolutionnaire (des BR et de la RAF), « la violence » est interdite [13].
Nous l’avons exprimé de manière technique en disant que l’extranéité était de mesure nulle (discrète).
Les marges, fissures, interstices, ne peuvent en aucune manière s’étendre : elles sont, au mieux, tolérées (et exhibées comme preuve du « libéralisme »), autant que l’État le décide.
Dans l’englobement économique, tout front de rupture ne peut disposer d’aucun soutien « populaire » ou massif. La forme de vie communiste des marges, saprophyte, n’est aucunement attractive ; et ne peut concerner que des « renonçants » renouvelant les gestes des missionnaires du désert.
Cette forme de vie a été systématiquement délégitimée, de manière négative (le communisme confondu avec la pénurie et l’incapacité de proposer une forme de vie « libérée ») et de manière positive (l’enchantement consumériste).
Le mouvement révolutionnaire actuel survit dans un environnement étouffant ouvert par la défaite : le contre mouvement des défaites (que sont devenus les Gilets Jaunes, sinon des « victimes » ?) et l’inertie des millions.
Dès que l’État assume la guerre civile, le mouvement communiste se retrouve impuissant ; complètement désarmé et complétement vaincu.
Des niveaux de l’autonomie, culturelle, politique, militaire, économique (l’auto-subsistance), lorsque le dernier ne peut être atteint (par la destruction du capitalisme ou la destitution de l’économie) plus aucun autre ne peut être maintenu. Puisque le capitalisme est une forme sociale totale et que l’État militarisé contre-révolutionnaire est le nœud d’étranglement du pouvoir capitaliste.
Il ne reste qu’un communisme parcellaire, menacé et en lutte, lutte permanente toujours à reprendre. La contre révolution se déployant à tous les niveaux, culturel, politique, militaire et, bien sûr, économique, la tension autonomiste doit sans cesse se réinventer.
Cela ressemblant à la guerre des partisans (l’exemple vietnamien) mais uniquement (pour l’Occident pacifié ou colonisé) au niveau culturel ; et, là encore, l’industrie culturelle déploie une force de frappe qu’aucune opposition ne peut concurrencer.
La désertion ne peut jamais être complète ; et le modèle monastique, l’organisation collective de la solitude, s’il avait un sens au haut moyen âge, avec ses forêts vierges, ne plus être qu’un thème « mélancolique ».
Tant qu’une nouvelle organisation économique (si ce terme doit être conservé) de rupture et « réellement autonome », donc nécessairement massive (et non parasitique : ne plus jamais utiliser le transport aérien, ou l’automobile), tant qu’une telle organisation de rupture ne peut se déployer, s’étendre (ou peut imaginer qu’elle se constitue, mais pour finir ingérée), toute tension autonomiste est condamnée.
Et, aujourd’hui, la seule véritable question, celle du déploiement, de l’extension, cette question est hors-jeu.
Alors, après l’échec des mouvements italiens, devons-nous en revenir à Bordiga ?
Comme il faut nécessairement conjuguer deux éléments :
1 – le macro, défaire le capitalisme, sortir de l’économie,
2 – le micro, la forme de vie sécessionniste, la contre société « affinitaire » basée sur une nouvelle sensibilité affective (et effective),
la forme de vie sécessionniste, néo-monacale, ne peut « subsister », et tirer sa subsistance, que comme un appendice (menacé de de devenir folklorique ou « éthique », pour l’industrie touristique), un appendice du capitalisme reconfiguré.
La contre société est nécessairement saprophyte.
Aussi les cartels de la drogue sont-ils bien plus endurants que les Zones en sécession.
Voilà ce que peut signifier autonomie relative, lorsque l’autonomie est pensée en dualité.

La dissidence est toujours une guerre.
Exister en dissidence est un acte partisan dans une guerre des mondes.
Tous les fragments de marginalité, d’originalité, se verront écrasés, c’est-à-dire privés de leur monde ; ils devront donc se défendre (en ZAD).
Il n’y a plus qu’un seul monde, et il est capitaliste ; sans quoi il n’y aurait pas ces luttes et ces combats que nous devons mener quotidiennement.

[1En dehors des « Zones » dont nous parlerons plus loin (Zones défensives), l’expression la plus évoluée de « l’indifférence au capitalisme », et à ses merveilles mécaniques et/ou consuméristes, comme les voyages – nous pointerons « le tourisme » comme l’ennemi implacable de « l’autonomie » – l’expression la plus évoluée du mépris du capitalisme (par la déprise ou la sécession radicale) consiste en « l’utopie monacale » ; utopie que peuvent reprendre certaines communautés de « décroissants », souvent constituées et habitées par des cadres déserteurs.

[2Très simplement, l’échec des insurrections italiennes a tenu à l’absence « d’arrière ».
Les 99% étaient « légitimistes » et rejetaient « la violence », désiraient « le retour à l’ordre » (compensé par l’extension de la société « hédoniste » de la consommation).
« Les minoritaires » sont devenus epsilon.

[3L’autonomie a besoin « d’arrière » (les poissons & l’eau). Elle a également besoin de se déployer, de croître ; et non pas de vivoter « en marge ».
Tant que l’autonomie reste « un saprophyte » du capitalisme, c’est ce capitalisme qui commande.

[4Roman Roszak, La séduction pornographique, 2021 ;
Henri Mora, Désastres Touristiques, 2022.

[5« L’indépendance » est un des termes les plus retors que le capitalisme a su mobiliser.
Ne parlons même pas « des indépendances » des anciennes colonies !
Parlons plutôt des « travailleurs indépendants » ! Les plus soumis à la logique économique : auto-entrepreneurs auto-exploités !

[6On sait bien que l’autonomie originelle (des années 1960-1980) était d’abord dirigée contre le travail. La récupération du « refus du travail » en « travail autonome » est donc une grosse blague ; mais une blague devenue common sense : force du capitalisme culturel de transformer les mots et les significations.
Et la seule arme qui reste est le silence.

[7L’obligation de l’autonomie, comme l’obligation de la liberté, est une belle auto-contradiction.

[8Ici encore, l’autonomie originelle s’opposait à l’auto-gestion ; surtout lorsque cette dernière devenait de plus en plus un élément du nouveau capitalisme.
Il ne peut y avoir « autonomie » s’il n’y a pas « critique pratique » (désertion, abandon de poste, sabotage, « sabotage amoureux », refus de parvenir, mépris des récompenses) de l’ordre du travail.

[9La pornographie peut même se présenter comme l’aboutissement de la lutte anti-cléricale, comme un prolongement, réaliste et réalisé, de la tension autonomiste pour briser les cadres sociaux conservateurs.

[10Julien Allavena, L’hypothèse autonome, 2020.
À la page 20 de cet ouvrage, trouver la comparaison entre « l’hypothèse autonome » et « l’hypothèse communiste » de Badiou.
La différence se tient essentiellement dans l’objectif « autonome » de transformer la vie quotidienne (le retour aux « communautés » pré-capitalistes).
Et c’est justement là, où la vie devait être changée, de fond en comble, que la récupération ordinaire par le capitalisme culturel s’est le plus déployée. La vie quotidienne a été effectivement changée, mais au sens de l’ingestion capitaliste et de la transformation petite bourgeoise de tous (toujours relire Pasolini). Quant au reste, également visé par « les autonomes », comme l’ordre du travail, rien n’a changé ; sinon un retour au « capitalisme monopoliste » (le techno-féodalisme).
Pour analyser en détail « les défaites » du mouvement des autonomes, et la récupération capitaliste subséquente, il faudrait reprendre l’historiographie des mouvements.

Autonomia, Post-Political Politics, second edition, 2007 ;
Introduction by Sylvère Lotringer, In the Shadow of the Red Brigades.
Geronimo, Fire and Flames : A History of the German Autonomist Movement, 2012 ;
Introduction by George Katsiaficas.
George Katsiaficas, The Subversion of Politics, European Social Movements and the Decolonization of Everyday life, 1997 ;
Decolonization of Everyday Life : the essential problem.

Valérie Gérard, Par Affinité : Amitié politique et coexistence, 2019.
L’idée de commune « affinitaire » (sinon « communautaire », voire « communautariste »), localité, proximité, amitié, convivialité, voisinage (avec la fête des voisins !), cette idée reste trop insuffisante ; il y a désormais tellement de clubs affinitaires, boulistes, collectionneurs de vieilles voitures, ferrovipathes impénitents, clubs de randonneurs (et les sentiers de Compostelle), des légions contre-révolutionnaires.

Sur l’utopie monastique :
Pascal Quignard, Sur l’Idée d’une communauté de solitaires, 2015.

[11Nous avons longuement détaillé cette analyse en dualité dans :
Punk anarchism, Éléments de Punk philosophie, LM 277 et suite, à partir du 1er mars 2021 ;
En particulier Miettes 6, La dynamique de la dualité.

Résumons les analyses :

Nous avons en dualité :

L’autonomie relative des structures de pouvoir auto-organisées (auto-hétéro-organisées) par récupération captation colonisation des puissances réelles déstructurantes (ou destituantes), puissances réelles converties en force de domination, en force de loi ;
ET
L’autonomie relative des forces de sécession, dès que la puissance destituante s’auto-organise (s’auto-hétéro-organise) : depuis la conspiration des contre-pouvoirs ou des contre sociétés (« autonomes ») jusqu’aux tentatives permanentes et réitérées de la défense préservation des marges ou des « Zones » (les ZAD).
L’autonomie relative du pouvoir stato-capitaliste compose une force forte, qui peut aboutir à la sécession, la sécession des riches, ou à l’anarcho-capitalisme libertarien.
Cette autonomie forte est duale de l’autonomie faible des Zones à force faible, Zones organisées « faiblement » (toujours la question militaire) selon « la voie pauvre » ; la sécession duale de « la voie pauvre » peut se penser comme sécession monastique ou en termes d’anarcho-communisme autonomiste.
La dualité exprime le conflit permanent et insurmontable.
Ici, on peut dire que le conflit est entre l’anarcho-capitalisme et l’anarcho-communisme ; ce qui signifie qu’une autonomie qui ne serait pas radicalement anti-capitaliste est vouée à l’absorption ou à l’ingestion.
Pour utiliser le vocabulaire actuel : le conflit est politico social et non pas sociétal ; il ne peut y avoir d’émancipation (de « progressisme sociétal ») sans rupture avec le capitalisme.
Tout autre conflit, par exemple entre les « traditionnalistes » et les « progressistes » (du point de vue uniquement sociétal, « le mariage pour tous »), comme cela détermine la politique américaine, tout autre conflit est un leurre.
Voir Sortir des cercles vicieux de la souveraineté, LM 333, du 4 avril 2022.
Pour compléter l’analyse de l’autonomie relative du pouvoir capitaliste, nous pouvons renvoyer au grand débat sur l’abstraction réalisée (ou abstraction concrète).
L’abstraction réalisée est l’effectuation de l’autonomie relative ou de l’auto-organisation de la totalité capitaliste.
Comme cette analyse est bien connue, nous n’indiquerons que quelques références.

Et d’abord, le texte fondateur (dans la lignée de l’École Critique de Francfort) :
Alfred Sohn-Rethel, Warenform und Denkform, 1978.

Pour une introduction récente à la question :
Werner Bonefeld, Real Abstraction, On capital as Real Abstraction, 2019.

Bien entendu c’est l’école de la Critique de la Valeur (Wert Kritik) qui a le plus détaillé la chose.

Pour une introduction :
Anselm Jappe, La Société Autophage, 2017 (édition de poche 2019).

Et pour aller beaucoup plus loin :
The Sage Handbook of Frankfurt School Critical Theory, 2018
Ed. By Beverley Best and Werner Bonefeld
Chap. 17, Alfred Sohn-Rethel, Real Abstraction and the Unity of Commodity Form and Thought Form, by Frank Engster and Oliver Schlaudt ;
Chap. 31, Moishe Postone, Marx’s Critique of Political Economy as Immanent Social Critique, by Elena Louisa Lange ;
Chap. 36, Society and Totality, On the Negative Dialectical Presentation of Capitalist Socialization, by Lars Heitman ;
Chap. 50, The Administered World, by Hans Ernst Schiller ;
Chap. 79, Workerism and Critical Theory, by Vincent Chanson and Frédéric Monferrand.

The Sage Handbook of Marxism, 2022
Ed by Beverley Skeggs and Alberto Toscano
Chap. 24, Totality, by Chris O’Kane ;
Chap. 30, Fetishism, by Anselm Jappe ;
Chap 32, Real Abstraction, by Elena Luisa Lange ;
Chap. 33, Subsumption, Andrès Saenz de Sicilia.

Parallax, The Dialectics of Mind and World, 2021
Ed. By Dominik Finkelde and Slavoj Zizek ;

Objective Fictions, Philosophy, Psychoanalysis, Marxism, 2022
Ed. by Adrian Johnston and Bostjan Nedoh.

[12Comment parler « d’autonomie » dans un monde où l’EHPAD devient un « fait social total », où, donc, de plus en plus de personnes sont des PAD, personnes « dépendantes », voire sous tutelle ?
L’autonomie est-elle liée au « jeunisme », cette force révolutionnaire récupérée par le capitalisme (de Salut les Copains : les boutiques de fringues sont ouvertes) ?

[13La question de « la violence » est une lourde question que nous ne développerons pas.
Disons seulement que la violence interdite est celle des rebelles « hors la loi » ; mais que la violence structurelle du capitalisme (colonisation, exploitation, répression) est déniée : il ne peut y avoir de violence de la part des forces de l’ordre.
Cette question est bien développée, par exemple, par Slavoj Zizek, Violence, 2009 édition anglaise, 2012, traduction française.

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