Il savait qu’il avait eu tort de remonter des territoires communs du sud vers la monarchie du grand nord, mais il voulait revoir ce désert qui l’avait tant marqué, puisque c’est là qu’il avait senti, pour la première fois, que la Terre était une contemplation risquée avant d’être une sphère du vivant. Il avait oublié que le désert, rebaptisé concrete©, était désormais le lieu où le secrétaire de la pureté s’adressait rituellement à l’armée de la régénération. « Cette voix, cette voix », pensait-il, « elle s’est vidée de ce qui fait la voix humaine, elle s’est retournée contre elle-même, contre ses spectres, et les organes à découvert essayent de composer un semblant d’autorité humaine avec des ordres, je veux dire avec des ordures, des ordures de mots, des mordures ? Je ne sais plus moi-même très bien parler, comme si cette infection finissait par m’atteindre », se dit-il, en se demandant s’il ne ferait pas mieux de faire demi-tour au plus vite.
Mais le secrétaire de la pureté continuait à dévaler dans les orifices des militaires tremblants, « vous êtes nos déchets obéissants et par vos actions vous pourrez transformer tout en déchet vous nos virus aveuglés, et vous exploserez quand on vous le dira fini le bullshit fini l’autre fini les choses sans nom qui ne sont pas des hommes, la mascarade est brûlée, voici l’âge des pluies d’excréments bénis, l’âge des sans-peau des tortures civiques des ennemis de l’intérieur, pouvoir aux malfrats ! tout ce qui est libre est en prison ! prosternez-vous devant les menteurs que vous méritez ! désormais chacun pourra renier plus de trois fois tout ce en quoi il n’aura jamais cru assez, vos peurs sont inutiles car votre tour est venu, vous êtes dans la salle de balles, chez vous n’est plus chez vous ailleurs c’est chez Ghoulhou, votre parole est celle de Ghoulhou, votre argent est la survie que Ghoulhou vous octroie avant de vous broyer, votre futur est l’apocalypse au réveil, le son de votre corps mastiqué par Ghoulhou » mais il n’en pouvait plus d’entendre le surmoi des êtres déchus, et il craignait que ses pensées réfractaires soient repérées par les neurotaupes.
Il décida alors de repartir vers les territoires du sud, et se dit : « Me désespère plus encore que ces êtres, anémiés par l’absence de tout contact avec le cœur de la vérité, une fois retournés au néant qu’ils n’ont jamais vraiment quitté, dépecés par les foules qui finiront par les renverser, seront de retour. Encore, encore une fois », dit-il, sur la piste qu’il suivait dans la nuit obscure, accablé par le poids de l’éternel retour, « parce que les sociétés à peine cicatrisées oublieront l’Histoire et qu’à nouveau déferleront les vagues de fer et de sang, à nouveau les faux guides, les faux penseurs, les faux artistes servants les machines en vigueur, pourront infliger leur cruauté ».
Il cessa de marcher. La mélancolie pesait sur ses épaules, et il s’enfonçait dans les sables. À ce moment précis, un jet de lumière lunaire perça l’obscurité, rien qu’un instant, avant de disparaître. Mais ce sont tous les échos stellaires qui alors lui apparurent, « la lune emprunte sa lumière au soleil », pensa-t-il, et il entendit un son qui avait la lenteur des pierres, et traversait le mur du temps, « quel philosophe déjà disait que nous sentons que nous sommes éternels ? Oui », se dit-il reprenant son chemin inexistant, « le retour dernier, c’est celui du non-créé, notre souveraineté ».
Mais, tandis qu’il revenait dans les territoires communs, et qu’il passait devant les gardiens de l’aurore, une pensée le tourmentait : il savait bien qu’un jour il leur faudrait faire face aux adeptes de la monarchie du grand nord.
Atom de Seth






