L’Empire les quatre fers en l’air

Eduardo Casais

paru dans lundimatin#302, le 30 août 2021

Enlisé dans l’ornière afghane

Allons, il en reste tout de même quelques raisons de lever un verre. Trinquons à l’écroulement de la marche de l’empire U.S. en Asie centrale.

Embourbés que nous sommes dans la sentine climatique, pandémique, hygiénique, prophylactique, politique, bureaucratique, économique, logistique, sécuritaire, judiciaire, idéologique, obscurantiste, le fait de voir les américains s’écraser pitoyablement le museau sur les chemins poussiéreux d’Afghanistan, c’est jouissif. Assez beau pour qu’on puisse oublier pendant un instant les acariâtres nouveaux locataires du palais présidentiel à Kaboul et le tragique imbroglio que les paladins de l’Ouest en débandade laissent derrière eux et tant pis pour les Afghans.

Depuis le 16 août 2021, les soldats des États Unis et des unités de l’OTAN encore présentes en Afghanistan mènent une opération militaire délicate. Il s’agit d’assurer la fuite des diplomates, fonctionnaires et sous-traitants occidentaux détachés dans le pays, ainsi que des hommes de paille afghans en perdition, suite à la chute de Kaboul. C’est l’épisode final de l’effondrement du régime fantoche installé dans le pays par les États-Unis et soutenu à coup de milliers de milliards de dollars et d’une guerre dévastatrice de 20 ans – la plus longue jamais engagée par les États Unis.

Les images du chaos régnant à l’aéroport de la capitale sont saisissantes. Elles évoquent d’emblée celles de la chute de Saïgon en avril 1975. On y voyait des collabos vietnamiens risquer leur vie pour tenter une fuite hasardeuse et pour beaucoup impossible. Ils essayaient d’escalader les grilles de protection de l’ambassade des EUA, s’écrasant les uns les autres ; ils s’accrochaient aux trains d’atterrissage des hélicoptères, les empêchant de décoller. Les troupiers américains essayaient de contrôler la foule à coups de crosse, pendant que des camarades s’occupaient de lancer à la flotte le précieux matériel de guerre américain, hélicoptères y compris, ne fût-il tomber entre les mains des vietcongs victorieux.

Le 16 août 2021, sur le tarmac de l’aéroport de Kaboul, on voit les foules en panique courir de-ci de-là, éperdues. Tous cherchent à se glisser dans l’un des appareils de l’US-Air-Force ou frétés par le Pentagone pour procéder à l’évacuation. Tâche pratiquement impossible. Trop de monde. Insuffisamment d’avions. Surtout, ça urge. Les Talibans ont déjà calé leurs fesses dans les fauteuils du palais présidentiel dans la capitale proche. Les collabos et les factotums afghans craignent pour leur vie. Ils se bousculent sans ménagement. Ils s’agrippent aux échelles de bord, ils font des acrobaties pour tenter d’accéder à la cabine. Ils se cramponnent aux trains d’atterrissage des avions prêts à s’envoler, pour les empêcher de partir sans eux. Ils mettent leur vie en danger, angoissés par la crainte que les rebelles ne viennent leur demander des comptes sur leur passé de valets des interventionnistes étrangers. Radio Canada parle de sept morts [1] dans le chaos des évacuations. Les jours suivants le décompte monte à douze morts et on parle de restes humains trouvés dans la structure d’un avion après l’atterrissage. Dans la semaine, les américains ont évacué environ 37 000 personnes, déclare Jake Sullivan, le National Security Advisor U.S.

Cette fois-ci la déroute des EUA et des « jagunços » [2] de l’OTAN est bel et bien consommée. Le désastre est complet sur tous les plans, militaire, politique et idéologique. L’impossibilité d’une victoire militaire était devenue évidente dès 2010-2011, au vu des minces résultats produits par la stratégie d’intensification mise en place en 2009 par le président Obama. Les 150 000 soldats étrangers, sans compter les plus de 100 000 mercenaires des sociétés militaires privées [3], constituaient une gêne certaine pour l’action des rebelles. Mais ceux-ci maintenaient intactes leur capacité de nuisance et leur détermination jusqu’au-boutiste.

Dans l’antichambre d’Obama, ça grenouillait ferme. En juin 2009, Le général McKiernan, commandant en chef de la coalition, a été limogé en plein exercice de son commandement – un fait rare, dont Douglas MacArthur, le héros de la Seconde Guerre, fut un précurseur illustre. Le successeur, général McChrystal ne tarda pas à prendre, lui aussi, la porte de sortie, à peine un an plus tard. Il s’était permis d’exprimer des vues acerbes et de faire de l’humour sur les compétences du cabinet du président [4].

Aussi, dès 2010 l’OTAN et Washington ajustent-ils leur stratégie. Il faut se retirer des combats, limiter l’intervention à des actions de support aérien, de renseignement, de logistique et d’entraînement et confier les opérations sur le terrain aux troupiers afghans. On se met en retrait, on prend de la hauteur – au sens littéral : par l’usage intensif de l’aviation et des drones – et on arrose le pays de dollars, afin d’en faire un État viable. La solution sera donc politique.

Pourtant, il aura fallu aux États Unis encore dix ans pour retirer les billes du jeu. Au total, une vingtaine d’années, pendant lesquelles ils ont semé la destruction à travers le pays, ont subi plus de 22 000 victimes militaires, dont environ 2 400 morts, et dépensé quelque 144 milliards de dollars rien que pour financer la « reconstruction et l’édification d’une force de sécurité. » [5]

Le mardi 18 juin 2013, la coalition procède au transfert officiel du contrôle du pays au gouvernement de Kaboul. Dans son allocution, le secrétaire général de l’OTAN déclare qu’« Il y a dix ans, il n’y avait pas de forces de sécurité nationales afghanes... vous avez maintenant 350 000 soldats et policiers afghans, une force formidable […] Nous continuerons d’aider les troupes afghanes dans les opérations, si nécessaire, mais nous ne planifierons plus, n’exécuterons plus ou ne dirigerons plus ces opérations et, d’ici la fin de 2014, notre mission de combat sera terminée » [6].

À l’aube de cette journée mémorable, en guise d’hommage bruyant au passage du flambeau, les rebelles commettent un attentat à l’ouest de la ville, faisant au moins trois morts et plus de trente blessés… On ne saurait mieux augurer de l’avenir. Autant pour la solution politique.

Regardons tout de même de plus près ces arrosages de dollars que les américains désignent par l’euphémisme de « nation building », autrement dit la construction d’une nation par la mise en place du pouvoir de l’État. En décembre 2019, le Washington Post publia une série de documents appelés par la suite « Afghanistan papers », destinés à faire connaître l’usage et les résultats obtenus par la dépense de 144 milliards de dollars d’aide pour la reconstruction, le développement et la création des forces de sécurité afghanes depuis 2001. En raccourci, ces documents révélaient qu’une grande partie de ces sommes aurait été gaspillée, détournée ou volée, et n’aurait fait qu’exacerber les problèmes existants, voire en créer de nouveaux. Je cite quelques passages instructifs du rapport produit sur le sujet par le service de recherche du Congrès américain [7].

« Les Afghans me racontent que, de tout cet argent, seuls quelque 10-20% arrivent réellement en Afghanistan. Au village il n’arrive que moins de 10% de cela. Vous [les États Unis] nous dites [aux Afghans] que vous venez de dépenser un milliard de dollars, et nous ne voyons que 50 millions de dollars de routes. Vous embauchez un grand entrepreneur, qui embauche à son tour 15 sous-traitants. Le premier gars prend 20%, puis le suivant prend 20%. Mais qui irait embaucher un tas d’experts américains pour faire ce que les réfugiés de la diaspora afghane ou des experts indiens pourraient faire pour dix fois moins cher ?... Ces Américains que nous embauchons voyagent en Afghanistan en première classe ou au moins en classe affaires, entourés chacun de cinq gardes du corps... L’argent que vous dépensez n’arrive pas au village, n’aide pas vraiment. » (Haut fonctionnaire US rapportant des entretiens avec des responsables afghans)

« Lorsque nous sommes arrivés en Afghanistan [en 2009], il n’y avait qu’un seul officier dans le personnel de la FIAS [la coalition] qui savait parler le dari, mais il n’y a été que peu de temps. L’armée de l’air l’a retiré en juillet pour l’envoyer au Japon... nous en avons ri, car un tel système est fou. Même aujourd’hui, nous sommes toujours là en Afghanistan, mais voulez-vous devinez combien de membres de l’armée ou de civils américains parlent le dari ou le pachto ? C’est lamentable. » (Michael Flynn , ancien directeur du renseignement pour les forces de l’OTAN)

« Ton boulot n’était pas de gagner, mais seulement de ne pas perdre... » (Membre anonyme du National Security Council)

« Un jour, les coopérateurs U.S. ont voulu instaurer un programme de santé publique pour apprendre aux Afghans à se laver les mains. C’était carrément une insulte pour le peuple. Ici, les gens se lavent les mains cinq fois par jour avant la prière ! » (Tooryalai Wesa, ex-governador de Kandahar)

« L’Afghanistan fonctionne comme ça. On s’appuie sur ses amis, ses supporters, sur les caciques locaux, on s’appuie sur les détenteurs du pouvoir de fait, et non pas sur les pouvoirs créés par les américains. » (Richard Boucher, ex-membre du gouvernement et ex-ambassadeur américain)

« Bien sûr qu’on est en train de jouer sur les deux tableaux. Savez-vous pourquoi ? Parce que quand vous serez partis, nous serons toujours là, car nous ne pouvons pas déplacer physiquement notre pays. Et la dernière chose que nous voulons, en plus de tous nos autres problèmes, c’est d’avoir fait des Talibans nos ennemis mortels. » (Ashfaq Kayani, chef du renseignement pakistanais Inter-Services Intelligence, rapporté par l’ambassadeur américain Ryan Crocker)

Je terminerai avec une pertinente question posée par un haut fonctionnaire des gouvernements de Bush et d’Obama et qui offre la clé de l’échec du « nation building » voulu par les États Unis. « La grande question est de savoir pourquoi les États Unis entreprennent des projets qui dépassent leurs compétences ? » (Jeffrey Eggers)

Quelle supériorité morale, quelle exemplarité éthique, quelle crédibilité peut-on accorder aux piètres évangélisateurs occidentaux, ces auto-désignés paladins de la démocratie, de la paix, de la civilisation, des droits de l’homme, du respect de la femme, de l’intégrité en affaires, de la tolérance d’opinion et de l’efficience rationnelle, lorsqu’ils nous démontrent, au cours de vingt longues années de présence sur des terres étrangères, l’inanité de leurs entreprises militaires, la criminalité de leurs agissements sécuritaires, la futilité de leurs efforts de reconstruction, l’imposture de leurs montages politiciens et la tartuferie de leurs onctueux prêchi-prêcha ? Aucune, zéro ! On ne peut que leur jeter un « bon débarras ! »

Quelques uns n’apprennent jamais

Au tout début du 19e siècle, Hegel annonçait la Fin de l’Histoire, en proclamant la monarchie prussienne comme l’aboutissement de l’Idée Absolue et le terme suprême du développement social. [8] On saute à 1989. Le haut fonctionnaire et politologue américain Fukuyama nous en sert une resucée, cette fois-ci à la gloire du libéralisme démocratique. « Nous assistons peut-être non seulement à la fin de la guerre froide [...] mais à la fin de l’histoire en tant que telle : c’est-à-dire le point final de l’évolution idéologique de l’humanité et l’universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que forme finale de gouvernement humain. » [9] Ces annonces nécrologiques étaient assez prématurées.

Les deux premières décennies du 21e siècle ont apporté un démenti cinglant au pronostic de Fukuyama. La compétition entre les grandes puissances, notamment entre la Chine, les États Unis et la Russie ; les relations tendues jusqu’au bord de la rupture entre les puissances régionales rivales, Turquie, Iran, Pakistan, Inde, Arabie Saoudite, Israël ; le délitement d’États tels que l’Irak, la Syrie, le Yémen, l’Afghanistan, la Libye ; le chaos grossissant qui, du Moyen Orient, s’étendit à la péninsule arabique, puis à l’Afrique orientale et centrale ; les conflits armés survenus dans l’antichambre de l’Europe, Balkans, Ukraine, Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie ; les émeutes civiles qui ont fait basculer le pouvoir en Tunisie et l’Égypte ; les violentes manifestations populaires de racine économique et sociale qui ont secoué l’Europe, l’Amérique Latine, Hong Kong ; enfin la montée en puissance des mouvements politiques d’extrême droite, prêts à franchir le seuil du pouvoir, déjà arrivés au trône en Autriche, au Brésil, à Washington… Eh bien, tous ces symptômes, s’il y a quelque chose vers quoi ils pointent, ce n’est certainement pas « l’universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que forme finale de gouvernement humain », mais plutôt le bouillonnement du chaudron de l’histoire.

L’humanité est piégée dans une cage serrée et se tape la tête contre les murs en cherchant une sortie impossible à trouver. Le milieu physique se dégrade à grande vitesse. Les forêts sont brûlées, les champs bétonnés, les montagnes violentées, les eaux souillées, l’air contaminé, l’atmosphère encombrée de quincaillerie satellitaire. Les ressources vitales se raréfient et frôlent l’épuisement. La terre se réchauffe et court à l’effondrement climatique. Les virus et les bactéries se gaussent de l’outrecuidance des experts qui nous font miroiter jeunesse et santé éternelles, alors qu’on plonge dans une pandémie qui a déjà emporté des millions de vies. La majorité vit du revenu du travail, mais le travail se fait de plus en plus rare et les légions de chômeurs grossissent inexorablement. Le logement est inscrit dans la loi comme un droit « opposable », alors que les jardins, les places, les espaces sous les viaducs et les porches des grandes bâtisses se remplissent de tentes et de couches improvisées pour abriter les sans abri. Les banques centrales nous inondent d’argent à bon marché, pendant qu’un nombre grandissant de gens s’arrachent les cheveux, car ils auraient besoin de plusieurs vies pour s’acquitter des dettes contractées. Les parents s’affligent, car ils prévoient que leurs enfants n’auront pas leur niveau de vie et connaîtront probablement des jours difficiles. Les pouvoirs, tous les pouvoirs, se gargarisaient naguère de tirades sur la « libre circulation des biens et des personnes », la « liberté d’expression » ou le « respect de la vie privée et familiale » – ils y ont mis une sourdine, tout cela est désormais abrogé.

Tout est mis en capilotade. Faut-il alors s’étonner que les guerres éclatent, les rébellions se déchaînent, les foules s’agitent, les émeutes éclatent, que l’autorité tombe dans le discrédit et que la défiance s’installe dans les esprits ?

Un ami vient de me transmettre un nouveau texte de Fukuyama, qu’il accompagne d’une remarque personnelle. « Les Américains ont d’excellents historiens, mais ils ne comprennent pas l’Histoire, d’où que leur politique extérieure soit une suite d’échecs. »

Fukuyama dit maintenant que « le sommet de l’hégémonie américaine a duré moins de 20 ans, depuis la chute du mur de Berlin en 1989, jusqu’à la crise financière de 2007-2009. » Pourquoi les États Unis ont-ils rétrogradé ? L’auteur d’expliquer : « Le plus grand défi à la position de l’Amérique dans le monde est interne. La société américaine est profondément polarisée et n’a pas réussi à faire le consensus sur pratiquement rien. La polarisation a commencé par les habituelles questions politiques comme les impôts et l’avortement, mais depuis lors elle s’est portée sur l’identité culturelle pour y déclencher une lutte acharnée […] L’attrait des institutions et de la société américaines pour les gens du monde entier […] a été énormément réduit : personne n’oserait dire que la démocratie américaine fonctionne bien, ou qu’un pays quelconque doive imiter le tribalisme et le dysfonctionnement politiques américains. » [10]

Celui qui possède quelques lumières de marketing aura repéré du premier coup ce qu’on appelle en publicité la « testimonial evidence ». On vend un produit non pas parce qu’il satisfasse les besoins précis du client, même pas parce que le rapport qualité/prix soit avantageux, mais parce qu’une célébrité crédible et aimable le vante. Pour Fukuyama, il s’agit de vendre la démocratie libérale comme la star George Clooney vend les capsules de café instantané Nespresso !

Ce qui le chagrine, c’est que les États-Unis ont perdu le sourire enjôleur, l’allure lisse d’un George Clooney. C’est ça le hic ! Pour réorienter les relations internationales et remettre l’Amérique sur le piédestal, il est oiseux de connaître l’anthropologie ou la sociologie de l’Équateur, du Burkina-Faso, du Tadjikistan, ou de quel-qu’autre des 197 États reconnus par les Nations Unies. Il suffit de lui refaire le maquillage et la présenter devant le monde bien sapée, bien coiffée, bien gracieuse et parlant d’une voix bien cajoleuse. Son attrait sera redoré, le monde entier oubliera ses soucis et ne pensera qu’à l’imiter...

Après sa débâcle au Vietnam et les fiascos en Irak, Syrie, Libye, Somalie, etc. l’Amérique aurait pu se poser quelques questions et pratiquer ce qu’elle enseigne dans ses écoles de gestion, l’exercice des leçons à tirer (« lessons learned »). Non, rien.

C’est en 1958 que Lederer et Burdick ont publié « The Ugly American » (Le Vilain Américain). Un film [11] en a été tiré ultérieurement. Les auteurs y dissèquent les anomalies de fonctionnement de l’appareil de politique étrangère américain, en se servant de faits et épisodes réels présentés sous la forme d’une fiction. Ils en tirent pour le lecteur les principaux enseignements [12].

« La liste de nos ambassadeurs à travers le monde montre que, trop souvent, la fortune personnelle, la loyauté politique et la capacité à éviter les problèmes sont des qualités qui l’emportent sur la formation. »

« Il semblerait normal que les ambassadeurs, au moins auprès des principales nations, parlent la langue locale, [cependant,] cinquante pour cent de l’ensemble du personnel du Foreign Service n’ont pas la connaissance parlée d’aucune langue étrangère. […] Comme nous devons compter sur des interprètes qui sont presque toujours des non-Américains, nos informations sur place sont à la fois de seconde main et sujettes à une certaine censure et à des modifications à notre insu. »

« Les Américains qui ne parlent pas la langue ne communiquent qu’avec le seul segment restreint, petit et généralement bien loti de la population autochtone parlant couramment l’anglais. Ils ne reçoivent donc qu’une image incomplète et souvent trompeuse de la nation qui les entoure […] La plupart des Américains sont limités, à la fois par les contraintes officiels et par les barrières linguistiques, à vivre entre eux. [Les locaux désignent cela par] SIGG, Social Incest in the Golden Ghetto (Inceste social dans le ghetto doré). »

« Pendant le conflit d’Indochine, les auteurs n’ont pu trouver aucun fonctionnaire militaire ou civil américain (ou français) qui ait lu, ou même étudié un résumé du plan d’opérations communiste global contenu dans les Œuvres choisies de Mao Tsé-Tung [...] disponibles en librairie dès 1934. [Pourtant,] il expose un modèle de stratégie et de tactique que les communistes d’Asie du Sud-Est ont suivi sans faillir. »

« Nous payons pour d’immenses autoroutes traversant les jungles asiatiques où il n’y a pas d’autres moyens de transport que le vélo et la marche. Nous finançons des barrages où le plus grand besoin immédiat est une pompe portable. Nous fournissons plusieurs millions de dollars d’équipements militaires qui ne gagnent aucune guerre et n’élèvent pas le niveau de vie. [...] Si le seul prix que nous sommes prêts à payer est le prix en dollars, alors nous ferions mieux de nous retirer avant d’être jetés dehors. »

Deux tiers de siècle passés, les Afghanistan Papers de 2020 ne disent-ils pas la même chose, ne rapportent-ils pas les mêmes doléances ? Comme si l’on n’apprenait jamais rien.

L’islam radical n’est pas la variable explicative

En 2001, les États Unis, directement frappés dans leur « homeland » par Al Qaïda, ont exigé du gouvernement Taliban de Kaboul que celui-ci leur livre Ben Laden, le chef du groupe terroriste auteur de l’attentat contre les tours du World Trade Center à New York. Les Talibans ont fait la sourde oreille. La riposte était toute prête. Les États Unis ont envahi le pays, chassé les Talibans du pouvoir et obtenu des Nations Unies le mandat par lequel était créée pour « six mois » la coalition de l’OTAN pour « assister » le nouveau pouvoir à Kaboul. [13]

Personne ne savait grand-chose sur les anciens seigneurs afghans. Excepté le journaliste Ahmed Rashid, auteur du best-seller « Taliban » (2000). Hissé au rang de grand spécialiste en la matière, on se l’arrachait aux plus hauts échelons de Washington et de Londres. Rashid a enchaîné avec une nouvelle étude destinée à éclairer le public occidental sur les racines de l’islam militant.

Selon lui, la désintégration de l’URSS avait laissé les anciennes républiques soviétiques d’Asie Centrale à majorité musulmane, devenues nouveaux États indépendants, livrées aux mains d’autocrates corrompus, formés à l’école du parti stalinien. Assis sur d’enviables réserves de pétrole et de gaz, soucieux des ambitions hégémoniques des puissances régionales musulmanes, Turquie, Iran, Pakistan, les nouveaux despotes craignaient la contamination islamique. Peu dispos à laisser libre cours au prosélytisme de l’islam, ils ont adopté la manière forte, tortures, assassinats, disparitions, n’importe quoi pourvu que ça décourage les vocations et balaie l’islam des rues et des chaumières.

L’islam n’a pas disparu, mais il a plongé dans la clandestinité, s’est radicalisé et une sorte de loi de Gresham a fait que le mauvais islam a chassé le bon. Les nouveaux militants, le Coran dans une main et la kalachnikov dans l’autre, sont des guerriers plutôt que des théologiens. Ils y vont à la hussarde, plus soucieux de contrôler la longueur des barbes ou la coupe de la bourka que de s’emmêler dans des débats byzantins sur les contours émancipateurs, humanistes, culturels et philosophiques de la civilisation musulmane. Agglutinés en plusieurs groupes rivaux, ils nous font infailliblement penser aux sectes chrétiennes qui au long des siècles se sont frappées mutuellement d’anathème et ont cherché à se liquider physiquement les unes les autres.

L’islam militant appelle au djihad au nom de Allah contre les infidèles, afin de réaliser deux desseins. Primo, l’établissement « du califat et d’un système islamique qui résoudront tous les problèmes et créeront une société idéale. » [14] Secundo, l’instauration de la charia, la loi tirée du Coran, « non pas comme un moyen de créer une société juste, – remarque l’auteur – mais simplement comme un instrument pour contrôler les comportements individuels et les codes vestimentaires des musulmans. » [15]

La dichotomie bon et mauvais islam peut être pratique, mais elle est hasardeuse. Pratique, car elle autorise une rhétorique qui ménage la chèvre et le chou. Le bon musulman, autrement dit le modéré, est un croyant comme les autres, il se réclame de l’oumma, la nation islamique, et ne renie ni sa communauté ni son histoire. Cela devrait calmer ses frères en islam les plus soupçonneux.

Contre les tenants du « choc des civilisations » qui s’obstinent à diviser le monde en blocs possédant une haute densité identitaire : l’Occident démocratique, l’islam rétrograde, la Chine confucéenne, les slaves orthodoxes, etc., il fait valoir la richesse de l’histoire de l’islam, sa diversité culturelle, sa contribution unique à l’avancement de la pensée et de la science occidentales, la variété des courants nationalistes, politiques et religieux qui le parcourent, donc sa souplesse et son potentiel d’adaptation. Cela devrait apaiser la méfiance de l’Occident vis-à-vis des « civilisations non-occidentales [qui] essaient de devenir modernes sans devenir occidentales, [...situation qui…] exige de l’Occident qu’il retienne les pouvoirs économique et militaire nécessaires pour protéger ses intérêts contre ces civilisations. » [16]

Rashid nous dit que le clivage entre bons et mauvais musulmans suit l’interprétation qu’on prête au djihad. Le djihad est « La façon dont un individu peut devenir un meilleur musulman et être au service de la société (plus grand djihad) ; il peut aussi être un appel à la guerre sainte contre les non-musulmans (moindre djihad). » Et il développe : « Les mouvements djihadistes mondiaux d’aujourd’hui [...] ignorent le plus grand djihad prôné par Le Prophète et adoptent le moindre djihad comme une philosophie politique et sociale complète. Pourtant, nulle part dans les écrits ou la tradition musulmanes, le djihad ne sanctionne le meurtre d’hommes, de femmes et d’enfants non musulmans innocents, ou même des musulmans, sur la base de l’appartenance ethnique, de secte ou de foi. C’est une perversion du djihad, utilisée comme une justification pour massacrer des innocents, qui définit en partie le nouveau fondamentalisme radical des mouvements islamiques les plus extrêmes d’aujourd’hui. » [17]

On connaît la rengaine. La doctrine du Christ, elle aussi, prône l’amour, la fraternité et la tolérance. « Aimez-vous les uns les autres », « ne faites à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fît ». Ce qui n’a pas empêché la papauté et les « très chrétiens » souverains alliés de mener de honteuses guerres saintes, les croisades, contre les maures d’Espagne, les baltes, les géorgiens, les albigeois, les arabes de Terre Sainte ; ou les inquisiteurs du Saint Office de torturer et brûler les hérétiques, les juifs et les « nouveaux chrétiens » ; ou l’archevêque Arnaud Amory d’ordonner à ses soldats, lors du siège de Béziers, « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! » ; ou les factions engagées dans les guerres de religion de massacrer allègrement les adversaires ; ou les gardiens de la foi de brûler joyeusement les femmes accusées de sorcellerie. Tout cela pendant des siècles, jusqu’à l’orée du 19e siècle.

Les textes sacrés contiennent toutes les épices utiles pour accommoder tous les palais. « Nulle part dans les écrits ou la tradition musulmanes, le djihad ne sanctionne le meurtre », disait Rashid ? Voire. Je lis dans le Coran « Tuez les idolâtres partout où vous les trouverez. Saisissez-les, assiégez-les, mettez-vous en embuscade pour les prendre […] Tuez ceux qui ne croient pas en Allah ni au dernier jour, et qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son Apôtre ont interdit, et quiconque ne pratique pas la religion de la vérité […] Ô vous qui croyez ! Combattez les incroyants qui sont près de vous, et qu’ils trouvent en vous de la rudesse ; et sachez qu’Allah est avec ceux qui (Le) craignent. » [18] Il faut être sourd pour ne pas y entendre l’appel au djihad, fût-il « moindre ». C’est simple. La doctrine de l’islam à l’égard des non-croyants ne comporte que trois options : ils se convertissent, ou ils se soumettent et paient le tribut, ou on les extermine.

L’intégrisme, tous les intégrismes, soient-ils chrétien, hindouiste, juif, islamique, laïc, etc. ne sont que le revers râpeux de la fausse monnaie idéologique qu’on veut nous fourguer. « Ma doctrine est bonne et clémente », dit le prêcheur. « Peut-être bien, mais alors que penser de tous les abus, tous les excès commis en son nom ? » « Ils ne sont le fait que de quelques brebis égarées, de quelques hallucinés que nous réprouvons. » Le tour est joué !

De fait, « Toute idéologie qui prétend incarner la seule Vérité est soupçonneuse, malveillante, calomnieuse à l’égard de ceux qui la contestent. » [19] Les religions monothéistes possèdent, chacune d’elles, la Vérité révélée. Ce qui les rend furieusement concurrentielles et hargneuses. Il en va de même pour ce qu’on appellera les religions laïques. Le marxisme-léninisme, sous forme de socialisme scientifique. Ou le néolibéralisme, sous prétexte de TINA (« there is no alternative »). Le ver est dans le fruit. Un léger frémissement, une discrète émanation tellurique, un mince sursaut social, et voilà l’intégrisme qui montre le bout du nez pour soupçonner, calomnier et réprimer les incroyants. Gare à l’hérétique ! La société n’a qu’à suivre, en se tenant à carreau. Les modérés, les tolérants, qu’ils ferment le clapet, détournent le regard, sifflent de côté, fassent ce qu’il leur chante, pourvu qu’ils ne gênent pas – c’est à ce prix qu’on leur fichera la paix, il y va de leur peau.

Tout en reconnaissant l’appréciable différence qui sépare le comportement d’un affable modéré de celui d’un enragé fondamentaliste, je me dis que, ayant crié mon dissentiment, au moment où les sbires m’embarquent dans le panier à salade, peu me chaut que le spectateur modéré s’apitoie sur mon sort. Je lis dans sa pensée : « Pauvre mec, il a peut-être raison, mais pourquoi diable n’a-t-il pas été plus prudent ? » Objectivement, il se rend le complice de l’enragé. La différence est de degré, non pas de nature.

Ce n’est pas parce qu’il est une théocratie fondamentaliste que le nouveau pouvoir Taliban à Kaboul pose un problème. Fût-il modéré, la difficulté demeurerait entière. La configuration géopolitique, sociologique et culturelle de certains pays les rend simultanément alléchants et casse-gueule pour leurs semblables plus gourmands. Ainsi, la Russie a attiré, puis englouti les armées de Charles XII de Suède (1709), cassé la machine de guerre napoléonienne (1812) et broyé la puissance militaire du Reich nazi (1944). L’Afghanistan se trouve en bonne place parmi les doucheurs de mégalomanes.

Alexandre le Grand (330 à 327 avant J.-C.) a dû batailler ferme pour soumettre les satrapes rebelles de la région où se trouve l’Afghanistan. La bataille de Polytimetos fut un tel désastre que le grand homme menaça de la peine de mort les survivants qui oseraient rapporter la vérité. Finalement, l’épuisement de l’armée l’amena à revoir à la baisse ses rêves de conquête et à regagner à pied sa capitale, Babylone.

Au 19e siècle, en plein ’Grand Jeu’ [20] entre les empires russe et britannique, les forces britanniques ont eu des rencontres tout aussi désastreuses avec les Afghans. La 1re guerre anglo-afghane (1839-1842) se termina par une désastreuse retraite massive de Kaboul, dont le seul survivant, le Dr Brydon, devint une légende historique. Évidemment, l’Angleterre a riposté pour sauver la face, mais a laissé Kaboul aux Afghans. « Depuis ce retentissant échec, l’ambition anglaise visant à soumettre tout le territoire montagneux de façon définitive ne s’est plus réveillé qu’en de rares occasions. » [21]

Au cours de la 2e guerre anglo-afghane (1878-1881), les Britanniques, engagés dans une politique dynamique (forward policy) contre la Russie, ont dépêché en Afghanistan une force sous la direction du général Burrow. La défaite fut totale et humiliante. Une fois encore, des représailles ont suivi, mais Kaboul a été laissée tranquille.

Le 20e siècle a connu deux nouveaux épisodes. Le premier fut la 3e guerre anglo-afghane (1919), motivée par la volonté britannique de créer un tampon qui protège l’Inde contre l’expansionnisme de la nouvelle puissance soviétique née de la révolution de 1917. Au lieu du protectorat recherché, le conflit s’est soldé par la constitution d’un État afghan indépendant, et tout le monde est rentré chez soi.

Le second fut l’intervention soviétique (1979-1989) destinée à soutenir le régime ami installé à Kaboul pouvant faire échec à la menace d’encerclement présentée par la progression des États Unis au Moyen-Orient, dans le golfe Persique et au Pakistan. Elle s’est terminée par l’effondrement et le retrait de l’armée soviétique, suivi d’une guerre civile et de l’émergence du pouvoir des Talibans.

L’Afghanistan est un verrou que, depuis le milieu du 18e siècle, lorsque l’empire afghan Durrani s’étendait sur l’actuel Afghanistan et Pakistan et une partie de la Perse et de l’Inde, toutes les puissances ayant des intérêts dans cette région du monde souhaitent contrôler. Il ferme la voie entre la Russie et la péninsule indienne, et entre l’Iran et la Chine. Il est sur le chemin des conduites de gaz et de pétrole et sur le passage de la nouvelle Route de la Soie. Comme si cela ne suffisait pas, il a comme voisins, d’un côté, l’Iran chiite, qui se voit volontiers en protagoniste du monde musulman, mais contre lequel intriguent les musulmans sunnites ; de l’autre côté, le Pakistan, où habite une grosse fraction de l’ethnie pachtoune, la plus importante d’Afghanistan, et qui se veut un temple du sunnisme conservateur. Pour comble de malheur, « L’Afghanistan est assis sur des gisements dont la valeur est estimée à 1 000 milliards de dollars ou plus, y compris ce qui pourrait être les plus grandes réserves de lithium du monde - si quelqu’un peut les faire sortir du sol. » [22]

Ce polygone de forces a mené à l’échec les interventions soviétique et celle des États-Unis/OTAN. Le fait d’être placé dans la focale de ce faisceau d’intérêts matériels, politiques et idéologiques irréconciliables constitue le grand problème. Le fondamentalisme islamique ne fait qu’y ajouter un souci de plus. Avec ou sans lui, le problème resterait entier.

Le vertige impérialiste

« Une caractéristique frappante du présent est qu’aucun parti politique dominant, où que ce soit dans le monde, ne prétend même pas vouloir changer quoi que ce soit de significatif [...] Le résultat est un fatras de cynisme, de désespoir et d’évasion […] un environnement conçu pour nourrir l’irrationalisme sous toutes ses formes. Au cours des 50 dernières années, le revivalisme religieux à caractère politique a prospéré dans de nombreuses cultures différentes. Ce processus n’est pas terminé. L’une des causes principales est le fait que toutes les autres voies de sortie ont été fermées par la mère de tous les fondamentalismes : l’impérialisme américain. » [23]

Ce diagnostic, produit il y a vingt ans, mais qui semble tenir toujours bon la barre, apparut en réponse à la théorie de la guerre des civilisations de Huntington. « La prochaine guerre mondiale – affirmait celui-ci – s’il y en a une, sera une guerre de civilisations. [...] L’Occident utilise en effet les institutions internationales, la puissance militaire et les ressources économiques pour diriger le monde de manière à maintenir sa prédominance, à protéger ses intérêts et à promouvoir ses valeurs politiques et économiques [...] L’axe central de la politique mondiale à l’avenir sera probablement [...] le conflit entre "l’Occident et le reste". »

En quelques mots, Huntington résumait la représentation que l’Empire se faisait du reste du monde : son pré carré, son domaine exclusif, où seuls ses intérêts et ses valeurs auraient cours – un gouvernement mondial dont les États-Unis tiendraient les rênes. L’auteur prenait soin d’ajouter qu’il n’estimait pas la violence désirable, ni inévitable. Mais il n’en recommandait pas moins à l’Ouest de stocker les ressources et les armes nécessaires pour faire face à cette éventualité.

Toutefois, n’est-il pas excessif d’accuser les États-Unis d’enfanter les fondamentalismes ? Pas vraiment, si l’on fait foi à un spécialiste, en l’occurrence Zbigniew Brezinski, conseiller du président Jimmy Carter. Contrairement aux idées acquises, affirme-t-il, l’aide de la CIA aux moudjahidin n’a pas commencé après l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en fin décembre 1979, mais avant. Dès le 3 juillet 1979, le président Carter donnait l’ordre d’aider secrètement l’opposition au régime pro-soviétique de Kaboul. Cette opération secrète fut une excellente idée – se réjouit-il – car elle a attiré les soviétiques dans le piège afghan, on leur a servi sur un plateau d’argent leur « guerre du Vietnam » à eux. Mais cela ne revenait-il pas à engendrer des groupes intégristes comme les Talibans ? Peut-être bien, rétorque Brezinski, mais l’important c’est que, au bout du compte, la fin de l’empire soviétique pèse autrement plus lourd que les Talibans, que cette poignée de musulmans fous. [24]

Le vertige impérialiste n’a cessé d’obséder les États puissants, quitte à les entraîner dans la spirale du déclin. Tout État qui réussit se laisse emballer par sa fortune économique, technique et politique, et s’exaspère dès que la courbe du succès se tasse. Plus précisément, ses forces vives, ses élites, ceux qui ont des leviers pour faire bouger l’État, se fâchent, s’impatientent : il faut reprendre la course, remonter la pente, relever le défi. [25]

L’expansionnisme devient la parade de choix. Quitter les frontières nationales, atterrir là où l’on trouvera ce qui manque à domicile et où l’on pourra écouler le surplus de marchandises qui ne trouvent plus d’acheteur chez soi ou chez les proches voisins. Aller chercher ailleurs les minerais, le blé, le bois qui se sont épuisés au-dedans, comme l’ont fait les Grecs et les Romains. Conduire les escadres jusqu’aux océans Indien et Pacifique pour quadriller les routes commerciales, monopoliser le trafic lucratif des produits orientaux et canonner les resquilleurs, comme l’a fait le Portugais Afonso de Albuquerque. Aller chez les Aztèques et les Mayas prendre l’or et l’argent dont on est si dépourvu en Europe, comme l’on fait Cortez et Pizarro. Ou carrément, l’essor du capitalisme industriel puis financier aidant, [26] se saisir du monde entier, pousser l’expansion sur tous les continents, afin de ne rater le contrôle d’aucun marché, de prendre en mains toutes les ressources stratégiques disponibles et de mettre en place le réseau de puissance militaire à même de soutenir cette énorme entreprise. Ce qu’ont fait l’Empire britannique aux 18e et 19e siècles, et les États-Unis dès le 20e siècle.

L’expansionnisme fit rarement l’unanimité. Thucydide nous décrit par le menu les vains efforts de Nicias pour détourner l’assemblée athénienne de la suicidaire expédition en Sicile. [27] Au 19e siècle, Clemenceau ou Jaurès en France et Gladstone en Grande-Bretagne se montrèrent rétifs et combattirent, au moins pendant un temps, le parti impérialiste. Cependant, tout comme dans l’Athènes du 5e siècle av. J.-C. le démagogue Alcibiade avait rallié les jeunes faucons, les profiteurs et les opportunistes de tout poil au projet de la funeste expédition, aussi les États occidentaux ont-ils su dès avant le 20e siècle promouvoir l’aventure impérialiste comme la panacée éternelle, patriotique, raisonnable, morale et avantageuse.

Le concept trouva des oreilles complaisantes dans les coulisses du pouvoir, les parlements nationaux, les temples de la foi et les instances supranationales. Cela se comprend, le concubinage entre le pouvoir politique et celui de l’argent est avéré. Ce qui peut surprendre c’est qu’il entraîna l’adhésion des foules, qui y avaient peu à gagner, et même celle des progressistes, internationalistes et socialistes de toutes tendances, dont pourtant l’idéologie regorge de droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, de droit à l’autodétermination, ou de lutte de classes. Soudain, tout le monde, du haut fonctionnaire au capitaine d’industrie, du plus humble clerc au plus rêche prolétaire, du grand général ou simple troufion, s’est pris d’une vocation de bâtisseur d’empire. Si tous n’accomplissent pas une destinée historique comme T.E. Lawrence [28] en Arabie ou Cecil Rhodes en Afrique, ils ne doutent pas un seul instant de la légitimité de leur équipée en Indochine, au Congo, aux Philippines, en Malaisie, ou plus récemment en Irak, Syrie, Libye, Afghanistan, Somalie, Sahel.

L’impérialisme façonne la vision unidimensionnelle que les États-Unis se font du reste du monde. Doté, comme le faisait remarquer Huntington, de la supériorité économique, technique, militaire, politique et culturelle, ce pays considère justifiable par l’équité, le droit naturel et la raison d’imposer universellement son modèle civilisationnel. [29] Il s’arroge le droit de gérer et de disposer à sa guise des ressources locales et de les utiliser comme bon lui semble et de préférence à son avantage. Il prétend mieux connaître que les intéressés eux-mêmes leurs besoins et leurs priorités. Il leur impose son système politique, son système de lois et même ses cours de justice. Il supprime toute bribe d’autonomie et place le pouvoir exécutif local sous la férule d’un proconsul américain, enfermé entre les murs d’une ambassade colossale abritant des milliers de fonctionnaires et protégée par des troupes d’élite.

Pour arriver à leurs fins en Afghanistan, les États-Unis se sont servis du livre de cuisine de la CIA, quitte à inoculer dans le pays le germe du fondamentalisme Taliban, à fomenter le radicalisme militant et à asseoir le pouvoir des réseaux de l’opium. Vingt ans passés, ils reçoivent un camouflet dégradant et doivent déguerpir dans la confusion. Il laissent derrière un pays dévasté, ravagé par des milliers de tonnes de bombes, parsemé des ruines de villages, habitations et vergers pulvérisés, peuplé des fantômes des innombrables victimes civiles innocentes.

On peut se demander pourquoi le monde affiche tant de patience et de longanimité envers l’Empire. On comprend qu’on puisse le combattre avec opiniâtreté et obstination.

Pour en finir avec l’éternel retour

Un empire chasse l’autre, rien de neuf sous le soleil. Depuis Anaxagore et Empédocle en passant par Nietzsche, on nous dit que les choses surgissent, puis s’éclipsent, pour réapparaître plus tard. La vie des empires en fournit la démonstration. L’Empire britannique s’est dissous, les États-Unis ont sur-le-champ pris la relève. Napoléon a raté son essai, Hitler s’y est risqué derechef. Se peut-il que l’éternel retour ait plus de pertinence que la fin de l’Histoire pour expliquer le développement de la société humaine ?

Quoi qu’il en soit, Tariq Ali se leurre en suggérant que, l’impérialisme américain disparu, les fondamentalismes religieux, les radicalismes nationalistes et la lèpre impérialiste se volatiliseraient. Cela n’arrivera pas davantage maintenant que par le passé. Faute de plonger jusqu’aux racines profondes de l’impérialisme pour les extirper méticuleusement, faute de labourer le sol social de manière à prévenir la germination des graines qu’on pût y avoir oublié, tout est à recommencer.

« Rien ne peut suffire à celui qui considère comme étant peu de chose ce qui est suffisant » a dit un sage ancien. [30] l’État est l’incarnation même de cette boulimie inapaisable, de ce désir immense et impérieux de grossir, de phagocyter les communautés voisines et, de proche en proche, l’appétit venant en mangeant, de se bâtir un empire, un empire mondial si possible. Rien ne lui suffit, à l’État !

On assiste aujourd’hui à une nouvelle poussée de fièvre nationaliste qui n’épargne même pas les nations qui ont sauté des deux pieds dans le projet de construction de communautés supranationales, telles l’Union Européenne. Détrompons-nous : nationalisme et supranationalisme ne sont pas antinomiques. Les deux ont la même filiation et portent une hérédité commune.

La mystique du nationalisme fait rapidement des adeptes partout où la prospérité locale, les perspectives d’avenir, l’assurance d’un quotidien soutenable sont menacés par l’économie de marché globale, sans que l’État veuille, ni puisse, venir au secours des gens. « Pour chacun, tous les étrangers [sont] automatiquement transformés en ennemis. En même temps, le désespoir et le sentiment d’avoir été lésés, d’être les victimes d’une injustice monstrueuse, pouss[ent] des millions de personnes à chercher une consolation et un succédané de triomphe dans la religion du nationalisme. » [31] La progression des partis nationalistes d’extrême droite et des gauches souverainistes s’explique par leur ambition de voir l’État redevenir le souverain tout-puissant qu’il fut occasionnellement dans le passé.

Simultanément, leurs voisins libéraux, progressistes et supranationalistes continuent de défendre les bienfaits d’une plus profonde intégration supranationale – malgré le désaveu cuisant des fiascos qui jalonnent le projet sur tous les plans : économique, financier, diplomatique, des libertés, etc. « On n’a pas assez approfondi l’intégration ! » protestent les partisans. En fait, ils trouvent trop étriqué l’État hérité de l’histoire et ont l’ambition de bâtir un super-État dont la masse en imposerait à la planète.

Leur rêve n’est nullement la mort de l’État-nation, la fin du nationalisme en soi, mais au contraire une mue, la chute et le renouvellement de l’enveloppe étatique, un saut qualitatif qui transporte l’État de naguère à un palier plus haut. À l’instar de certains arthropodes dont la croissance procède par le renouvellement en une seule fois de l’ancienne enveloppe rigide de chitine devenue exiguë, le supranationalisme ne veut pas en finir avec l’État. Il veut un autre État, un État plus gros, voilà tout. Encore un avatar du nationalisme.

Le spectre de l’État se profile aussi derrière les éruptions de tribalisme qui sapent ici et là l’autorité des gouvernements centraux. Le cas afghan en fournit une bonne illustration. Tracée par les Anglais en 1893, la ligne de démarcation Durand a coupé en deux l’ethnie pachtoune. Aujourd’hui, les Pachtounes représentent plus de 40 % de la population de l’Afghanistan et près de 20 % de la population du Pakistan. Il ne doit guère surprendre que les sentiments des Talibans pachtounes soient rien moins que bienveillants à l’égard du régime déchu de Kaboul, où abondaient les Tadjiks, la 2e ethnie afghane, car il se montrait autrement plus réceptif aux prétentions des États-Unis qu’aux revendications du peuple pachtoune.

Pour l’Anglais Durand, la ligne artificielle de démarcation servait à créer un État tampon convenablement malingre pour ne jamais se tenir bien sur ses jambes : diviser pour régner. L’ambition des Pachtounes est de rétablir un État afghan autour de la communauté pachtoune réunie, afin de retrouver l’éclat de jadis. Deux spécimens d’un outil qui se laisse utiliser de mille façons différentes.

Derrière l’impérialisme, c’est l’État qui lorgne. Et l’État, fût-il national ou fantoche, conservateur ou progressiste, bourgeois ou prolétarien, démocratique ou totalitaire, n’est qu’un outil entre les mains des détenteurs du pouvoir réel, les possédants des ressources, des leviers d’influence et des mercenaires. Un outil pour promouvoir leurs seuls intérêts et placer les gêneurs dans l’impossibilité de nuire. Frantz Fanon nous a dit comment les colonies libérées se sont normalisées sous la forme d’États souverains dominés par une bourgeoisie nationale au sein de laquelle « l’esprit jouisseur domine. C’est que sur le plan psychologique elle s’identifie à la bourgeoisie occidentale dont elle a sucé tous les enseignements. Elle suit la bourgeoisie occidentale dans son côté négatif et décadent sans avoir franchi les premières étapes d’exploration et d’invention […] la bourgeoisie nationale va assumer le rôle de gérant des entreprises de l’Occident. » [32]

Ainsi va tout État. Contrairement aux promesses lénifiantes de Marx et de Lénine, l’État ne « dépérit » jamais – il se renforce toujours ou il mue, c’est dans sa nature [33]. Aucune conquête sociale durable ne deviendra possible tant qu’on n’arrive pas à le jeter à bas et à lui substituer des formes d’organisation sociale sans État.

Serait-ce possible ? Tout semble s’y opposer. La religion, cette école de la discipline hiérarchique totalitaire. La culture, devenue le vecteur privilégié pour plonger les gens dans la somnolence d’un éphémère nirvana de pacotille. Les idéologies obscurantistes empressées d’offrir aux mécontents des boucs émissaires tout trouvés : immigrés, demandeurs d’asile, islamogauchistes, etc. Surtout la force des armes. Les États possèdent un arsenal de répression et de coercition prodigieux. Même ceux qui se prétendent les plus libéraux n’hésitent à s’en servir pour remettre leurs propres citoyens dans les rangs. Ils font aussi preuve d’une étrange solidarité internationale lorsqu’il s’agit d’écraser dans l’œuf toute velléité de révolte sérieuse. En 2015, l’Union Européenne est venu à bout de l’élan rebelle des Grecs par le moyen de l’étranglement financier. Cela a suffi. Si cela n’eût été le cas, si les Grecs eussent balancé par-dessus bord et l’Europe et le régime pourri de Syriza, il ne faut pas douter que les capitales européennes trouveraient moyen de faire bénir par les Nations Unies une « frappe limitée » capable de restaurer la loi et l’ordre à Athènes et sauvegarder les intérêts des banquiers français et allemands menacés par les factieux grecs.

Sur ce dernier point, celui de l’emploi de la force, au moins, la déroute occidentale en Afghanistan est riche d’enseignements. Les talibans ont fait plier la plus grande puissance militaire de toute l’histoire. Balayés d’un revers de main en 2001, ils se sont accrochés. Dépourvus de chasseurs-bombardiers, de blindés, d’hélicoptères, de porte-avions, de casernes équipées de cantines et de douches, bref quasiment les pieds nus, ils ont érodé la détermination des États-Unis/OTAN jour après jour, année après année, pour entrer victorieux à Kaboul en 2021.

À l’évidence, et quoiqu’en prétendent les officines de propagande, une telle endurance ne serait possible sans l’appui des gens. J’ignore si les Talibans se mouvaient en Afghanistan « comme un poisson dans l’eau », pour utiliser la terminologie de Mao Tsé-Tung. Mais indubitablement ils n’y manquaient pas d’oxygène. « Les Talibans ne reflétaient aucune des grandes tendances islamistes qui prévalaient auparavant en Afghanistan ou qui ont émergé pendant le djihad des années 1980 [...] Leur popularité initiale en 1994-1996 n’était pas simplement due à leur zèle islamique mais à d’autres facteurs opérant en Afghanistan - la renaissance du nationalisme pachtoune face au contrôle tadjik de Kaboul et la nécessité de restaurer la loi et l’ordre, de rouvrir les routes et de mettre fin au régime rapace des « seigneurs de guerre. » [34]

Ce préalable satisfait, leur résolution pouvait faire la bascule. « Les peuples qui ne sont pas prêts à mettre leurs forces en danger sont désavantagés par rapport à ceux qui le sont. Les missiles de croisière Tomahawk peuvent commander les airs, mais ce sont les fusils-mitrailleurs Kalachnikov qui règnent toujours sur le terrain. C’est un déséquilibre qui rend le maintien de l’ordre mondial plutôt problématique. » [35] Ça n’a pas besoin de commentaires.

L’État, on a été près de s’en passer en Aragon, en 1936. Le non-État a commencé à prendre corps, puis a fait pschitt ! Trop de monde était contre : la révolution sociale « no pasará ! ». C’est vrai, elle n’a pas passé – mais combien d’essais ratés faut-il compter avant de réussir ? Il est grand temps de rompre le cycle intolérable de l’éternel retour de la même chose.

Nous traversons actuellement un âge d’ébranlements et de déréliction dont l’issue n’est pas écrite à l’avance. « Les êtres humains ne veulent pas seulement du confort, de la sécurité, des horaires de travail réduits, de l’hygiène, du contrôle des naissances et, en général, du bon sens ; ils veulent aussi, au moins par intermittence, de la lutte et de l’abnégation, sans parler des tambours, des drapeaux et des parades de loyauté. [… ] "Le plus grand bonheur du plus grand nombre" est un bon slogan, mais en ce moment, "Mieux vaut une fin avec horreur qu’une horreur sans fin" est le gagnant. » [36]

Eduardo Casais

[1https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1816898/kaboul-fuite-arrivee-talibans 2021-08-16 : « Au moins sept personnes sont mortes dans la frénésie des évacuations à l’aéroport de Kaboul, théâtre de scènes de panique au moment où des Afghans affluent par milliers dans l’espoir de fuir le pays, désormais aux mains des talibans […] Parmi les sept victimes du chaos répertoriées jusqu’à présent, deux ont été abattues par des soldats américains. »

[2https://en.wikipedia.org/wiki/Jagun%C3%A7o : hommes armés, généralement embauchés par de grands agriculteurs et des « colonels » dans les arrière-pays du Brésil, pour protéger leur employeur, grand propriétaire foncier, contre ses ennemis, et aussi pour contrôler leurs esclaves et serviteurs.

[3Plus de 117 000 en 2012, 2e trimestre, https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R44116, Department of Defense Contractor and Troop Levels in Afghanistan and Iraq : 2007-2018. Congressional Research Service, updated May 10, 2019.

[4https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/the-runaway-general-the-profile-that-brought-down-mcchrystal-192609/ La déconfiture américaine s’imposait déjà à tous les esprits. Dans l’article qui a grillé McChrystal, il était dit : « quoi que le général parvienne à accomplir en Afghanistan, cela ressemblera plus au Vietnam qu’à Desert Storm. « Cela n’aura pas l’air d’une victoire, ne sentira pas comme une victoire et n’aura pas le goût d’une victoire », dit le major-général Bill Mayville, chef des opérations de McChrystal. »

[5https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R45122, Afghanistan : Background and U.S. Policy:InBrief. Congressional Research Service, updated June 11, 2021.

[7https://fas.org/sgp/crs/misc/R46197.pdf, The Washington Post’s “Afghanistan Papers” and U.S. Policy : Main Points and Possible Questions for Congress , Congressional Research Service, January 28, 2020.

« Wasteful spending and half-baked ideas : U.S. officials reveal how massive rebuilding projects in Afghanistan backfired », Washington Post, 21/12/2019.

[8Bertrand Russell nous offre une intéressante analyse des idées hégéliennes sur l’Idée Absolue, l’État prussien et l’histoire universelle dans History of Western Philosophy, Unwin, London, 1979, pp. 701 et ss.

[9Francis Fukuyama, The End of History ?, The National Interest, Summer 1989. « What we may be witnessing is not just the end of the Cold War, or the passing of a particular period of postwar history, but the end of history as such : that is, the end point of mankind’s ideological evolution and the universalization of Western liberal democracy as the final form of human government. [...] there are powerful reasons for believing that it is the ideal that will govern the material world in the long run. »

[10Francis Fukuyama, On the End of American Hegemony, The Economist, 18 August 2021.

[12William Lederer et Eugene Burdick, The Ugly American, Fawcett, Greenwich, 1958, pp. 229 et ss.

[14Ahmed Rashid, Djihad, The Rise of Militant Islam in Central Asia, Yale University Press, New Haven and London, 2002, page 135.

[15Ahmed Rashid, Djihad, The Rise of Militant Islam in Central Asia, Yale University Press, New Haven and London, 2002, p. 3.

[16Samuel P. Huntington, The Clash of Civilizations ?, Foreign Affairs, Summer 1993.

[17Ahmed Rashid, Djihad, The Rise of Militant Islam in Central Asia, Yale University Press, New Haven and London, 2002, pp 2, 265.

[18Le Coran, Traduction par Édouard Montet. Payot, 1925, sourate 9, versets 5, 29, 124, pp. 119-162.

[19Maxime Rodinson, La fascination de l’Islam, La Découverte, Paris, 1993, p.25.

[20Peter Hopkirk, The Great Game, Oxford University Press, 1990, p.123 et ss. Le Grand Jeu (The Great Game) est l’expression popularisée par Kipling, dans son roman Kim, pour désigner la course politique-diplomatique entre l’Empire russe et l’Empire britannique pour la suprématie en Afghanistan et les régions environnantes, tout le long du 19e siècle. L’antériorité du mot revient à Arthur Conolly, un lieutenant anglais de 23 ans qui, en 1831, termina dans le poste frontière de Tibbee, dans l’Inde du nord-ouest, l’audacieuse traversée de l’Asie centrale depuis les montagnes du Caucase, entreprise en 1829 dans le but de recueillir des renseignements sur la présence russe et les sentiments des populations locales. En 1842, avec le grade de capitaine, Conolly termina brutalement sa carrière à Boukhara, dans l’actuel Ouzbékistan, lorsque l’émir local donna l’ordre de les sortir, lui et le colonel Stoddart, des geôles où ils avaient croupi pendant des mois, pour être décapités.

[21Arnold J. Toynbee, L’Histoire – Un essai d’interprétation, Gallimard, Paris, 1951, p. 457.

[23Tariq Ali, The Clash of Fundamentalisms, Verso, London, 2002, p.281.

[24Les révélations d’un ancien conseiller de Carter : « Oui, la CIA est entrée en Afghanistan avant les Russes... », Le Nouvel Observateur n°1732, 15 janvier 1998.

[25Arnold J. Toynbee, L’Histoire – Un essai d’interprétation, Gallimard, Paris, 1951, p. 599. « La formule de base : défi-riposte. Dans une civilisation en développement, un défi va au-devant d’une riposte couronnée de succès. Celle-ci en engendre une autre ainsi qu’un nouveau challenge qui provoque à son tour une autre réaction heureuse […] à moins qu’une provocation ne se dresse devant ladite civilisation et qu’à cette dernière épreuve elle ne puisse répondre, événement tragique qui révèle un arrêt de croissance et […] le déclin. »

[26Hannah Arendt, L’Impérialisme, Fayard, Paris, 1982, p. 16. « L’impérialisme naquit lorsque la classe dirigeante détentrice des instruments de production capitaliste s’insurgea contre les limitations nationalistes imposées à son expansion économique. [Refusant de] renoncer au système capitaliste – dont la loi première implique une croissance économique constante – , il lui faisait imposer cette loi à ses gouvernements locaux et faire connaître l’expansion comme but final de la politique étrangère. »

[27Thucydide, Histoire de la Guerre du Péloponnèse, Laffont, Paris, 2007, pp. 490 et ss. Après avoir épuisé les arguments politiques et stratégiques, « Nicias se dit que peut-être l’idée des dispositions à prendre, s’il insistait sur leur ampleur, les ferait changer d’avis […] la chose tourna au rebours. » N’y flairant qu’une bonne affaire sans risques, « tous furent pris d’une même fureur de partir […] Cet engouement du grand nombre faisait que ceux-là mêmes qui n’approuvaient pas craignaient, en votant contre, de passer pour de mauvais patriotes et se tenaient cois. » Le parti d’Alcibiade en sortit gagnant et dicta partant la proche ruine d’Athènes.

[28T.E. Lawrence nous émeut par son amour pour les peuples (musulmans) d’Arabie, qu’il poétise à souhait et dont il soutient le soulèvement contre le pouvoir (musulman) ottoman. Il nous en décrit les péripéties dans Les Sept Piliers de la sagesse. Un amour pourtant sujet à ballottement. « Les Arabes connaissent d’abord le succès, puis les renforts britanniques arrivent en tant que force punitive. Ils se fraient un chemin […] jusqu’à leur objectif que bombardent pendant ce temps l’artillerie, les avions et les canonnières […] Bombarder les maisons est une manière coûteuse de contrôler des femmes et des enfants […] En attaquant au gaz, on pourrait liquider proprement toute la population des districts récalcitrants ; et, comme méthode de gouvernement, cela ne serait pas plus immoral que le système actuel. » (T.E. Lawrence, France, Britain and the Arabs, in The Observer, 1920, cité par Hannah Arendt, L’impérialisme, Fayard, Paris, 1982, p. 297.)

[29Maxime Rodinson, La fascination de l’Islam, La Découverte, Paris, 1993, p.86. « Les Orientaux semblent d’ailleurs donner raison à ce diagnostic, à cette vue des choses, pour certains en adoptant le modèle européen, en commençant par ses aspects les plus superficiels, pour les autres en opposant un refus total, accroché aux valeurs les plus archaïques de leur culture. »

[30Épicure, Pensées Vaticanes, in Pierre Boyancé, Épicure, PUF, Paris, 1969, p.91.

[31Aldous Huxley, Writers and Readers, in Stories, Essays and Poems, Everyman’s, London, 1960, p.359.

[32Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, La Découverte, Paris, 2002, p.149, 150.

[33Baruch Spinoza, Ethics, part III, prop.6, « Une chose n’a rien en soi par quoi elle puisse être détruite, ou qui puisse nier son existence, mais, au contraire, elle s’oppose à tout ce qui pourrait nier son existence. »

[34Ahmed Rashid, Jihad, Yale University Press, 2002, p. 210.

[35Michael Howard, The Invention of Peace, Yale University Press, 2000, p.102.

[36George Orwell, Review of Mein Kampf by Adolf Hitler, March 1940.

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