L’Art pleure ! Pinault empoche !

Une rapide visite de l’exposition Au-delà de la couleur de la collection Pinault
Gwenn Audic

paru dans lundimatin#299, le 9 août 2021

Le noir et le blanc sont à la couleur ce que la tomate est au légume, voilà ce que m’évoque l’exposition Au-delà de la couleur de la collection Pinault, visible au Couvent des Jacobins de Rennes jusqu’au 29 août. Me voilà après cette visite plus docte en histoire de l’Art et surtout en jardinage ! En effet, dès le début de cette tremblante exhibition (non ce n’est pas de l’anglais, mais bien un mot choisi), on nous confie que les recherches d’Isaac Newton ont démontré que ni le noir ni le blanc ne sont des couleurs. Me voilà déconfite, on me l’avait caché, heureusement que ce secret est inscrit dans le petit livret de l’exposition afin que personne, jamais plus, ne l’oublie. Mais, en quoi ceci me donne-t-il une compréhension plus vaste de l’Art ? Sincèrement, je l’ignore et je dois même reconnaître que ce genre d’affirmation aurait plutôt tendance à m’énerver, mise en parallèle avec des œuvres dites artistiques.

Mais, avant de donner libre cours à ma colère, reprenons depuis le début. La première pièce qui nous accueille est un vautour haut perché [1], qui selon la description murale, nous donne la bienvenue au couvent, au même titre que l’auraient fait feux les Jacobins, précédents habitants de ces lieux, qui doivent tout autant se retourner dans leur tombe de la comparaison que de l’état dit restauré de leur couvent (nous y reviendrons…).

Ce commentaire mural me semble à moi, humble mortelle, un rien tiré par les cheveux, d’autant plus que ce fameux vautour que les autres visiteurs bombardent de photos, me rappelle plus un film de Walt Disney, présageant déjà du niveau « ras-les-pâquerettes » du reste de la collection. (On le savait déjà, mais mon côté obsessionnel aime la redite…) Et pour la petite histoire intellectuelle, car les visiteurs sont des intellectuels de haut vol, on nous précise que les Jacobins étaient des Dominicains, ordre ayant aussi bien donné naissance au grand artiste italien Fra Angelico qu’à la Sainte Inquisition, représentée – toujours selon les commentaires muraux – dans le film Le nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud qui – sauf ignorance de notre part – fait plutôt place à l’ordre des Franciscains. Mais, après tout, Franciscains – Dominicains, même combat ! Nul besoin de connaître l’histoire du christianisme pour comprendre quelque chose à l’Histoire de l’Art… un beau résumé en trois lignes donc, d’une histoire un rien plus complexe, qui nous permet un parallèle plus récent entre (pourquoi pas ?) Marx et Staline, qui décidément étaient eux aussi frères de lait ! Quitte à faire dans la dentelle, allons-y !

Mais poursuivons la visite, même si je ne vous la ferai pas en entier, car cela me mènerait au bout de mes forces ! Ah ! J’oubliais une chose importante, l’énooorme gwenn-ha-du (le drapeau breton composé de noir et de blanc) qui trône dans le hall d’accueil ! J’ai failli m’évanouir en le voyant, mais la honte ne tue pas, la preuve : je suis encore là pour en parler. Bien sûr, Pinault = Bretagne = Gwenn-Ha-Du, ben voyons ! Voilà que monsieur Pinault est un autonomiste révolté : dans ce cas, il pourrait au moins financer la lutte ! Sauf qu’il préfère se concentrer sur les fatras artistiques, un choix des plus séditieux !

Mais, « revenons à la maison », « Yann est loin de ses chevaux » [2] comme on dirait en breton ! Parlons un peu de l’environnement où se déploie la quincaillerie de M. Pinault : Désormais, le Couvent des Jacobins représente une masse totalement aseptisée de murs blancs et cimentés, repoussants de modernité, de propreté et de linéarité, dégageant une froideur minérale ne provenant point de la pierre, ni du stuc, mais bien d’un espace cubique, propre, plat, sans recoin ni obscurité, sans secret ni rondeurs, un espace sans beauté qui pousse plus à fuir qu’à l’explorer.

Nous ne parlerons que furtivement du cloître, sans doute l’espace le plus raté de tout l’ensemble, vide intergalactique cubique et déprimant par son manque de poésie, et qui ne se prête décidément pas à la méditation. Heureusement qu’il est en partie sauvé par les deux menhirs noirs de David Nash [3] plantés en plein milieu du dit cloître et qui amènent un peu de contraste et d’étonnement dans ce désert que je me suis contentée de regarder de loin. On pense bien sûr au monolithe de Stanley Kubrick dans 2001 l’Odyssée de l’Espace, et il vient nous sauver de l’asphyxie ou plutôt de l’inanition.

(Petite parenthèse : Finalement, peut-être ont-ils eu raison de commencer l’exposition par le sus-dit vautour, comme ça le débat est clos : Visiteurs, vous allez voir de la charogne, mais vous ne pourrez pas la régurgiter. Vous allez voir les nombreux cadavres de l’Art, car il n’y en a pas qu’un, c’est un vrai pogrom. Nous poursuivrons donc la visite les larmes aux yeux…)

Soudain, je vois le nom de Tapiès et me dis que je suis peut-être sauvée, mais non, ils ont choisi le plus plastifié de ses tableaux, rien n’en ressort, toutes les émotions sont absorbées, seule sourd la colère… Damien Hirst et Jeff Koons, sont égaux à eux-mêmes dans leur nullité. Les commentaires muraux sont à pleurer.

Mais, il y a tout de même quelques petites choses à garder : Il y a d’une part les gisants recouverts qui, alignés sur le sol d’une des salles principales, semblent sur le point de se relever. On imagine des danseurs dissimulés sous les linceuls, disposés à se découvrir à tout instant. Et d’autre part, il nous faut citer quelques photos très puissantes de personnes mutilées ou de résidents d’une institution psychiatrique en Louisiane. Mais, elles n’ont au fond rien à faire là, dans tout ce fatras, car elles représentent la plus profonde détresse humaine, qui risque de passer inaperçue ou de passer pour de l’Art, ce qu’elles ne sont précisément pas. Elles demandent à être vues réellement et pas dans une exposition dont la dernière salle contient des robes de Coco Chanel. Les Pots-Pourris sont rarement heureux ! Celui-ci est indécent ! Et n’en appelez pas à l’Art, car je risque de devenir violente !

Mais j’oubliais cette vallée de larmes que j’ai traversée, pas celle où se trouve l’horrible « Cancer » de Damien Hirst et qui me fait dire que la créativité, on naît avec, mais qu’elle ne s’invente pas. (Si encore, il s’agissait d’un autoportrait, on se dirait qu’il a de l’humour…) Non, je pense à cette pièce dans laquelle, à ma droite, des forets noirs émergent du sol, une forêt de forets en marbre noir, portant le titre de Pluie Noire [4]. Oui, le ciel pleure des larmes de mort à voir des humains si peu féconds et gris ; à ma gauche une souche carbonisée en polyuréthane, un peu plus loin, un mur en résine de polyester noir, rappelant de la fonte avec des décorations rococo de fleurs et enfin, Practice zero tolerance, le cadavre carbonisé d’une voiture. (Décidément, je devrais m’inspirer du titre !) Cette salle est une vraie ode à la mort, au plastique, à l’artificiel. Personne n’a, semble-t-il, pensé, chez Pinault, que la gravure , le fusain ou l’encre pouvaient aussi répondre aux critères de sélection !!! Un art (de) mort est une belle image de la tristesse et de l’ennui de et dans la société de consommation !

Et puis finalement, vous m’excuserez d’abréger et de vous vider mon sac d’immondices pinaldiennes, car je ne saurais les garder par-devers moi. J’aurais encore un certain nombre de choses à dire, mais la force vient à me manquer. Je ne m’attarderai que deux secondes sur les photos d’Anne Leiboviz qui met en scène des femmes, tantôt en noir et blanc afin de faire allusion à leur intimité, tantôt en cocottes de carnaval, fort belles et colorées certes, mais aussi fort kitsch et qui ne remettent franchement rien en question, pour le dire très très gentiment. J’imagine qu’il n’y avait plus assez de noir et blanc pour compléter l’expo et qu’il a fallu recourir à la couleur. Et puis finalement, c’est plus festif, non ?

Nous achèverons littéralement ce ratage par deux derniers travaux (le mot œuvre serait ici un blasphème) l’infâme Bear and rabbit on a rock, deux grosses peluches qui se prennent dans les bras – je vous avais bien dit qu’on était chez Walt Disney – et l’insupportable sculpture de deux footballeurs, dont je ne citerai pas le nom – vous les connaissez probablement mieux que moi, pour ma part, je ne souhaite pas en embarrasser ma mémoire – et qui m’ont définitivement invitée à prendre mes cliques et mes claques !

Décidément, je ne décolère pas du manque de nuance et de poésie ni de l’absence totale de courage et d’esprit révolutionnaire ou même simplement existentiel dans cette mascarade ! Pas de coup de gueule, pas de vie, et surtout pas de corps vivant ! Il disparaît au profit de minables et lacunaires explications et d’objet ineptes. On le savait, l’art contemporain ne se suffit pas à lui-même, il a besoin de discours. Mais là, le discours lui aussi est lamentable. Ce ne sont pas les citations de Verlaine ou de Victor Hugo qui figurent dans le livret de présentation qui changeront la donne : la qualité de l’emballage ne présage rien de la qualité du cadeau. Dans ce cas précis, je ne peux même pas dire qu’il est in-signifiant, car il est au contraire beaucoup trop signifiant : il signifie et incarne un vide mortel de l’imaginaire déserté, une absence d’utopie. Il ne signifie que la médiation permanente du monde technologique artificiel, sans coup d’arrêt ni coup d’éclat qui vous explose in vivo au cœur ou à la figure. Rien de passionnel ni de bouleversant, juste une mort noire et blanche qui s’ignore.

Heureusement que je n’ai payé que deux euros l’entrée, grâce à la carte sortir : ce ramassis de foire ne vaut guère mieux ! À titre indicatif, si vous voulez une visite guidée, c’est 16 euros l’entrée à plein tarif, car aujourd’hui il faut choisir : déjeuner ou se « cultiver » !

Je retourne à mes tomates et aux Quatre saisons du jardinage. Fruit ou légume, en tout cas, elles ont bon goût et sont très digestes, elles ! Elles ne prétendent à rien, leur goût ne dépend d’aucune catégorie prédéfinie. L’Art, lui, est devenu une catégorie fourre-tout où tout le réel semble pouvoir s’embringuer. Je pousserais probablement le bouchon trop loin, et avec peut-être un certain mauvais goût à mon tour, en parlant d’Art Dégénéré, là, pourtant le contenu correspondrait vraiment à son titre.

J’ai aussi rêvé que je prêtais mes chaussettes noires et mes slips blancs à Saint Damien, pour aller avec lui au-delà de la couleur. Je me suis réveillée en nage, je crois qu’il n’a pas apprécié mon idée…

J’ai jeté mon livret de l’exposition dans une poubelle en me demandant ce que dirait un Martien s’il le trouvait… Je laisse le reste à votre jugement. À bon entendeur !

Gwenn Audic (artiste-peintre rennaise)
Illustration principale : Annibal Carrache, La vierge pleurant le Christ, Vers 1600, Museo Nazionale di Capodimonte, Naples.

[1Sun Yuan et Peng Yu, Waiting, 2006

[2Deomp d’ar gêr ! Pell emañ Yann diouzh e gazeg !

[3David Nash, Threshold Menhirs, 2000.

[4Adel Abdessemed, 2006.

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