« Je suis pêcheur, je suis du côté de la loi de la mer »

Retour sur un rassemblement à Marseille, sur terre et sur mer, en soutien aux migrants et aux opérations de sauvetage.

paru dans lundimatin#211, le 8 octobre 2019

Dimanche 29 septembre un rassemblement en soutien aux actions de sauvetage en mer (par Sea Watch3, SOS méditerranée, Open Arms, la SNSM, les pécheurs et tous les autres) se déroulait à Marseille.

La manifestation, pour exprimer le soutien des marin.es aux migrant.es et à celles et ceux qui sauvent des vies en mer, avait lieu sur le parvis du Mucem, mais aussi sur l’eau. Ainsi 19 bateaux, 5 embarcations comme des kayaks et canoés accompagnés par deux radeaux ont caboté le long de la côte pour lancer un appel à la solidarité et affirmer que Marseille serait un port ouvert.

La vidéo qui suit revient sur ce rassemblement, et nous y joignons deux tracts qui y furent distribués.

"Je suis pêcheur, je suis du côté de la loi de la mer." from primitivi on Vimeo.

« Je suis pêcheur, je suis du côté de la loi de la mer »
Totò Martello, Maire de Lampedusa.

Gaspare et Carlo Giarratano, pêcheurs de Sciacca, Sicile. À la fin du mois de juillet 2019, Carlo Giar­ra­tano pêchait au large des côtes libyennes quand, à 3 heures du matin, l’homme a décou­vert une cinquan­taine de personnes entas­sées à bord d’un canot qui prenant l’eau et à court de carbu­rant. Avec l’aide de son père, il est venu au secours des migrants. Il leur a fallu à tous attendre 24 heures en haute mer avant de voir arri­ver un bateau des garde-côtes italiens venu les aider, et trans­fé­rer les migrants vers la Sicile. Ils risquent d’être condam­nés à payer une lourde amende et à plusieurs mois d’em­pri­son­ne­ment, pour avoir porté secours à ces migrants.

« Nous ne connaissons qu’une seule loi, celle de la mer, nous ne laisserons jamais personne à la dérive. Nous le faisons parce que nous sommes des êtres humains. Ce n’est pas qu’une loi écrite, c’est une loi écrite dans le cœur, donc…des personnes en mer…on n’en laisse pas, jamais.

Si j’avais ignoré ces appels au secours, je n’au­rais jamais eu le courage de reprendre la mer. Aucun marin ne serait rentré au port sans avoir la certi­tude d’avoir sauvé ces vies. Je menti­rais si je disais que je n’ai pas pensé au fait que j’al­lais peut-être finir en prison, quand j’ai vu ce canot à la dérive. Mais je savais que ma mauvaise conscience serait pire que la prison. Ils peuvent faire tous les décrets de sécurité qu’ils veulent, mettre toutes les sanctions possibles et imaginables, nous saisir le bateau. J’au­rais été hanté jusqu’à ma mort par ces cris déses­pé­rés. Nous ne sommes pas riches, nous ne sommes que dignement pêcheurs, nous n’avons rien d’autre mais nous resterons dignement des êtres humains. »

Sources : Open, 27 julliet 2019 & Ulyces monde, 5 août 2019

Parce que de plus en plus de gens meurent noyés en Méditerranée chaque
année Parce que nous sommes marins, et que nous habitons le port de Marseille Parce que prochainement c’est peut être ici et pas à Lampedusa que se présenteront des bateaux de sauvetage à qui on refusera l’accès au port. (Comme cet été, le Sea Watch, l’Open Arms, l’Alan Kurdi, l’Eleonore ,
l’Ocean vicking…)

Parce que parfois, de loin, on se sent impuissant, et parce que là bas, sur place, ils ont besoin de sentir qu’il y a du monde partout qui les soutient, même symboliquement.


Règle 33 de la convention sur la vie humaine de mer (SOLAS) 1974 : « Le capitaine de navire en mesure de préter assistance à des personnes en détresse en mer doit se porter à toute vitesse à leur secours, quels que soient leur nationalité et leur statut ».

Depuis 2014, il y a plus 10 000 morts recensés en Méditerranée.

Trois routes principales permettent aujourd’hui de la traverser, entre le Maroc et l’Espagne, la Turquie et la Grèce, la Libye et l’Italie. Voici une chronologie partielle des évènements qui ont marqué cette dernière entre 2009 et 2019 : ce n’est que la pointe immergée de l’iceberg.

2009. Accords entre le gouvernement Berlusconi et la Libye de Kadhafi. Ce dernier demande 5 milliards pour gérer les flux migratoires depuis son pays. Les gens sont retenus aux frontières dans des conditions révoltantes. Lorsque Kadhafi menace d’ouvrir ses frontières, L’Europe cède à toutes ses exigences.

2013. Accords de Dublin III : Les demandes d’asile d’un réfugié doivent se faire dans le pays d’arrivée. Des milliers de personnes se retrouvent alors bloquées ou renvoyées dans des pays comme l’Italie ou la Grèce.

2013-2014. Prenant acte de l’absence de solidarité européenne, le gouvernement Italien lance l’opération de sauvetage en mer Mare Nostrum. L’opération a permis à 100 000 migrants de regagner la terre ferme. Elle prend fin sous la pression européenne en novembre 2014.

2014. Début de la mission Triton commandée par l’Union Européenne à travers Frontex (agence privée de contrôle des frontières terrestres et maritimes). L’Europe décide de financer des actions de refoulement aux frontières et de surveillance (pour exemple : 320 millions d’euros investit dans l’agence en 2018). Les tentatives de traversées ne diminuent pas, les morts et disparus augmentent.

2016. Face à l’augmentation des naufrages en Méditerranée, 12 ONG se mobilisent afin d’assurer les sauvetages hors des zones d’intervention des autorités nationales et de Frontex. Ces ONG prennent en charge une partie de plus en plus importante des sauvetages. Le bateau Aquarius de l’ONG SOS Méditerranée aurait ainsi secouru de janvier à novembre 2017 plus de 13 000 personnes.

2017. Début de l’offensive judiciaire contre les opérations de sauvetage. Le navire allemand Iuventa (ONG allemande Jugend Rettet) est mis sous séquestre et son équipage est encore en procès.
2017. Le groupuscule d’extrême droite Génération Identitaire affrète le C-Star (« Defend Europe ») pour entraver les opérations de sauvetage et bloquer les frontières. Leur coup de théâtre ne dure que peu de temps, ils sont vite immobilisés et décrédibilisés.
2017. La frontière maritime libyenne est repoussée de 12 à 24 milles, avec l’interdiction pour les bateaux de sauvetages d’y pénétrer.
2017. L’Europe fournit le matériel (navires) et forme les gardes côte libyens afin d’assurer l’imperméabilité de la frontière.

2018. SOS Méditerranée se voit reprocher d’avoir mal trié ses déchets, en l’occurrence des vêtements portés par des migrants. Le bateau est immobilisé. Gibraltar retire son pavillon à l’Aquarius, des appels et mobilisations à travers la France se regroupent afin de demander le pavillon Français. L’état refuse. En novembre, SOS Méditerranée renonce à son bateau. En 34 mois, 29 523 personnes avaient été sauvées par l’Aquarius.
Septembre 2018. Procès et libération des pêcheurs de Zarzis en Tunisie.
Ils affirment : “Tous les pêcheurs de Zarzis ont déjà fait des sauvetages et on continuera de le faire avec courage. On ne peut pas laisser des gens mourir dans la Méditerranée”.
Novembre 2018. Génération Identitaire pénètre de force dans les locaux marseillais de SOS Méditerranée afin de faire pression sur l’organisation.

2019. Alors que tous les bateaux de sauvetages sont bloqués à quai, le pétrolier Ilublu 1 secourt une embarcation en détresse. Le capitaine reçoit l’ordre de les débarquer en Libye, les secourus s’opposent et sont accusés de piraterie.
En juin, Matteo Salvini (Italie) décrète l’interdiction des navires des ONG d’entrer et de stationner dans les eaux territoriales italiennes.
Ainsi le Sea Watch 3 (ONG allemande Sea Watch) est bloqué au large Lampedusa pendant 18 jours. La capitaine force l’entrée des eaux territoriales italienne, puis celles du port afin de mettre en sécurité les personnes à bord. Le bateau est toujours saisi aujourd’hui et la capitaine toujours en procès, d’autres navires de sauvetage sont venus prendre le relais, ils ont tous été saisis cet été. (L’open Arms, L’Alex, L’Alan Kurdy, Eleonore... ).
SOS Méditerranée parvient à affréter un nouveau navire : l’Ocean Viking est sur zone depuis le mois d’août. Les quelques centaines de personnes secourues cet été par l’O.V ont pu être redirigées dans différents pays de l’UE.

Aujourd’hui, le gouvernement italien a changé, mais la Méditerranée reste une frontière dangereuse. L’orientation générale des politiques reste la répression. En mer, une seule loi, celle de la solidarité.

Marseille.
Ports de plaisance, de commerce, de pêche, de ferries, de croisière ou encore de transit des navires militaires internationaux, la Méditerranée est le charme et le fonds de commerce de la ville. Et pourtant il est de plus en plus dur de ne pas penser aux horreurs qui s’y passent. Difficile de ne pas déceler l’hypocrisie et l’injustice quand la Méridionale publie à travers toute la ville ses publicités « La traversée que vous méritez », alors qu’au même moment un navire de fortune coule au large de la Tunisie en emportant avec lui 200 personnes. Qu’importe : les victimes ne sont ni blanches ni riches. Pour qui, en plus de l’épreuve de la traversée, est-il évident de tout quitter : famille, amis, habitudes, environnements, repères ?

Cette mer est un cimetière. On se garde bien de nous en parler, si ce n’est sous le mode de la crise et de la peur. Il est donc nécessaire de faire porter notre voix au dessus de celle de ces dirigeants pour qui la solidarité est un délit et l’insécurité une solution. Leurs frontières sont des constructions économiques qui renforcent le contrôle et la persécution.

De fait, les chiffres des décès en Méditerranée ne cessent d’augmenter, du fait de ce durcissement des politiques migratoires : en 2018, six personnes sont mortes chaque jour en essayant de traverser. L’Europe fait tout pour empêcher le sauvetage des migrants par les ONG, l’Italie ferme ses ports et poursuit les secouristes en justice, les Pays-Bas donnent dans les tracasseries administratives. La France offre des bateaux aux gardes-côtes libyens, pourtant impliqués dans de sordides affaires de trafic d’êtres humains.

Face aux menaces populistes, identitaires et sécuritaires, nous voulons dénoncer les tentatives de destruction des solidarités maritimes. Rappelons leur que nous sommes là, que le sauvetage en mer est inconditionnel et que nous sommes prêts à ouvrir nos portes et nos ports comme d’autres l’ont déjà fait et se battent pour le faire encore.

Comme diraient les dockers de Gènes cet été : « nous ne pouvons nous reconnaître que dans les valeurs fondatrices du mouvement ouvrier : fraternité entre les êtres humains, solidarité internationale ».

Pour réunir nos forces face à ces dirigeants aveuglés par l’opportunisme de la guerre, rencontrons-nous, partageons et crions ensemble entre terre et mer.

On laisse personne dans l’eau !

Sources :
Camille shmoll, « Quoi de neuf sous le soleil de sicile ? », 2017
Clair Rivière, « Laisser noyer les migrants », CQFD, 2019
Pierre Innarsd Dupuy, « Derrière les héroïnes, la question de la responsabilité collective vis-à-vis des migrants », Reporterre, 2019
IFRAP, « Frontex : où en es t on ? », 2019
L’OBS, « Immigration : le Libyen Kadhafi fait chanter l’Europe », 2010 Organisation Internationale pour la Migration (OIM)

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