Iran : « Ne parlez pas de protestation, son nom est devenu Révolution. »

Rencontre avec Rona du collectif 98 [3/3]

paru dans lundimatin#365, le 9 janvier 2023

Dans la troisième partie de cet entretien avec Rona, exilée kurde iranienne et militante au sein du collectif 98, il est question de la suite du processus révolutionnaire et des possibles que ouvrirait la chute du régime iranien. La première partie est à retrouver ici, la seconde là.

Cet entretien a été mené par le collectif de la cantine syrienne de Montreuil dans le cadre des Peuples Veulent [1].

Les Peuples Veulent : Dans le texte que vous avez écrit au début du mouvement nous avons trouvé quelque chose de très juste et qui peut s’appliquer aussi à bien d’autres situations révolutionnaires : “il faut maintenant trouver de nouvelles formes à la révolte, car, nous le savons l’émeute épuise et expose à la répression, il faut trouver les étapes d’après” Alors d’après vous, où en sommes nous actuellement, et quelles peuvent être les étapes suivantes ?
Rona : C’est une question très difficile parce que je ne suis pas sur place. Mais d’après ce que j’entends de mes ami.e.s, ils.elles se posent aussi cette question. Ce qui est bien parce que si l’on se pose cette question, cela veut dire que l’on ressent la nécessité d’aller plus loin.

Déjà 3 mois. C’est vraiment long par rapport aux révoltes précédentes en Iran qui avaient duré maximum 10 jours… 2 semaines. On ne s’attendait pas à ce que ça dure autant. Cela montre que les gens n’ont pas envie de lâcher.

Quant aux étapes suivantes, nous avons entendu des appels des quartiers, pour que les gens s’organisent localement. Les étudiants sont en train de réfléchir sur comment ils peuvent se mobiliser et unir les revendications de différents groupes car ce n’était pas encore très structuré jusque-là. Il faut dire que depuis 40 ans, l’État a tué toute la société civile. Toutes les associations, le minimum de possibilité de s’organiser, de se mobiliser a été détruit.

Par ailleurs, les gens ont du mal à voir quel est vraiment l’horizon politique. Ils sont focalisés sur le moment présent et sur l’urgence de la situation. Mais ils.elles ont conscience qu’il faut avoir des objectifs à plus long terme. Imaginer ce que va donner le mouvement et comment on peut y contribuer.

Pour l’instant, certains partis politiques qui sont à l’extérieur de l’Iran essayent de se regrouper pour écrire la première version d’un État parallèle par exemple. Mais malheureusement la majorité sont des réactionnaires, des partis de droite. La gauche est faible et elle est minée par le sectarisme, la division. La pensée de gauche est présente mais essentiellement chez des petits groupes et collectifs, elle a du mal à se mobiliser de manière active et efficace. Alors il n’y a pas vraiment de revendications de la part de la gauche en tant que structure. Les royalistes, eux, sont plus structurés parce qu’ils sont soutenus par des pays puissants, qui ont de l’argent.

Ce qui nous rend optimiste à ce sujet c’est qu’ils n’ont pas de base sociale dans le pays. Il y a un vrai décalage entre les revendications de l’extérieur, ces positions de droite ; et les revendications, les slogans, les demandes, les écrits, les appels de l’intérieur. Les gens qui se révoltent actuellement en Iran sont beaucoup plus progressistes et même beaucoup plus clairs sur leurs revendications.

De notre côté aussi des questions se posent : on ne sait pas par exemple, sur des sujets comme l’intersectionnalité de genre, les minorités et des questions de classe ce que ça va donner par la suite. Est-ce que la société acceptera ces revendications s’il y a une rupture ? Sur le fait de revendiquer un État séculaire, pas religieux, tout le monde est d’accord, la majorité du moins. Car il y a toujours une minorité qui reste fidèle aux idées conservatrices, à l’État et aux idées de la République Islamique.

Et ces dernières semaines, où en est le mouvement ?
On peut dire qu’à l’heure actuelle la révolte est en train de diminuer, on assiste à plus de divisions. Elle fait face à la répression terrible de l’État. Dans la région kurde déjà mais aussi avec des exécutions de manifestants dans d’autres endroits. Deux personnes ont été exécutés uniquement pour participation à des manifestations, et une vingtaine d’autres risque la même chose. Dans chaque groupe mobilisé, il y a au moins une ou deux personnes arrêtées. Pourtant la révolte continue à exister, avec un autre rythme, à d’autres niveaux. Lors de chaque cérémonie de funérailles par exemple ; On voit aussi dans les différentes régions des petites manifestations tous les jours, parfois des danses. Les protestations étudiantes et de nombreuses manifestations artistiques continuent aussi, ainsi que des grèves, mais qui malheureusement marchent peu pour l’instant.

C’est certain que le régime a réussi à propager la peur et à calmer le mouvement.On verra jusqu’à quand ça peut tenir de cette manière car la pensée collective sait que ça ne va pas durer. Le courage n’a jamais été aussi impressionnant. Les gens n’ont plus peur de rien et ils connaissent mieux que jamais la politique de l’État. C’est pour ça que je pense qu’à terme ça ne durera pas. La société discute et s’organise pour réfléchir aux solutions politiques pour changer la situation en faveur de la révolution . Dans peu de temps on va surement avoir la prolongation de ces révoltes.

Dans un texte publié sur médiapart, un militant anonyme iranien disait que l’étape suivante pour lui était la question des armes, que jusque-là la mouvement était resté pacifiste, avec peu d’armes mais que peut être que ça ne durerait pas. Ce qui fait penser bien sûr à d’autres situations, notamment la Syrie, où ça a été une question cruciale. Des armes avaient été sorties en 2019 ?
Rona : Très peu oui, dans la région arabe. Quant à aujourd’hui c’est surtout dans la région kurde, au Baloutchistan et un peu dans la région arabe, que l’on voit les groupes armés. Ils sont toujours à l’extérieur des frontières, pas dans le pays même, car ils sont considérés comme des groupes terroristes. En dehors du Kurdistan, je ne connais pas très bien ces groupes, mais ce ne sont pas souvent des groupes très progressistes, en tout cas pas de gauche.

Au Kurdistan par contre, les groupes armés sont des groupes de gauche et des groupes nationalistes kurdes. A ce sujet c’est intéressant aussi de voir ce que fait l’État : dans les premières semaines, il a décidé de régler la crise interne grâce à la politique internationale. Il a provoqué les partis politiques kurdes qui sont à la frontière en les bombardant.

Il y a 3 partis politiques dominants : Komala plutôt de gauche, Democrat plutôt nationaliste, et le PKK que l’on connait, qui est un mélange des deux. L’État a provoqué les trois. Il a bombardé les bases de Democrat et de Komala à Souleimaniye dans la région du kurdistan irakien, tuant plusieurs personnes. Il a aussi bombardé des écoles et des enfants dans ces régions. L’État voulait amener les peshmergas et les guérillas [2] dans la rue pour qu’ils puissent facilement effacer et militariser les villes et la région kurde. Il y a beaucoup de nationalistes iraniens dans le pays qui auraient pu soutenir l’État dans cette démarche lui permettant de justifier sa militarisation et de marginaliser le mouvement pour Jina, l’insurrection de Jina.

Heureusement, les partis politiques kurdes ont été assez intelligents. Ils n’ont rien répondu, ils ne sont pas descendus dans les villes. Ils sont restés prudents et à distance. Ils ont déclaré que c’était une provocation du régime.

Peut être qu’avec la chaîne des événements ce moment arrivera s’ il y a une demande de participation des partis politiques de la part du mouvement, mais là ce n’est pas le cas. Il faut dire aussi que ces partis politiques étaient exilés et qu’ils n’étaient pas en Iran depuis 40 ans. Il y a des gens qui les soutiennent mais ce n’est pas à leur appel que les gens réagissent ou agissent. Ils ne sont pas aussi puissants qu’il y a 40 ans.

Au Baloutchistan aussi, il y a eu le vendredi sanglant de Zahedan le 30 septembre, où il y a eu plus de 92-94 morts, on n’a pas le chiffre exact, en un seul jour. Apparemment il y avait quelques personnes avec des armes, mais pas de manière structurée et organisée. La propagande de l’Etat c’est de dire que dans toutes les périphéries, les gens qui sont dans la rue sont armés et qu’il est donc légitime d’utiliser la force pour se défendre. Mais c’est faux, et la question des armes, jusqu’à aujourd’hui est complètement hors de propos, à la fois au Kurdistan, au Baloutchistan et dans les autres régions.

Pour revenir sur le PKK, tu penses qu’il y a une chance dans l’avenir de voir en Iran quelque chose de similaire à ce qui s’est passé en Syrie ? C’est-à-dire que le PKK saisisse la situation pour intervenir en Iran, et éventuellement essayer d’orienter la révolte, au moins au Kurdistan ? D’autant plus que contrairement à ce qui s’est passé en Syrie, les régions kurdes sont clairement un des moteurs de la révolte.
Rona : Oui c’est une très bonne question. Pour le moment, le PKK ne fera pas la même chose qu’en Syrie mais peut être que plus tard si. Ce qu’on sait déjà c’est que le PKK n’a pas la puissance de faire la guerre à la fois en Turquie, en Syrie, en Iran et en Irak ! Là, il est sous les bombardements de l’Etat truc dans la région du Kurdistan irakien. Il y a eu des attaques chimiques contre les guérillas qui sont basées en Irak. J’ai vu les vidéos des femmes guérillas à Qandi : Il est vraiment en guerre sur différents fronts.

Le Kurdistan syrien était très inspiré par le Kurdistan turc, par les idées de PKK et Ocalan alors qu’en Iran c’est plus divisé. Il y a les pro-PKK, mais aussi les pro-Democrat et les pro-Komala. La société kurde est divisée en 3 et ils s’entendent vraiment mal.

C’était pareil en Syrie entre les différents partis kurdes qui était en conflit, mais le PKK-PYD s’y est imposé.
Rona  : Mais en Iran, même si le PKK est plus puissant militairement que Komala et Democrat, il ne peut pas facilement prendre le pouvoir à Rojhelat [3] de la même manière qu’il a pris le pouvoir au Rojava, en Syrie. Les autres partis ne le laisseraient pas faire tranquillement. Le Kurdistan a déjà connu la guerre du Sud en 1992, une guerre entre le PKK et les partis kurdes de l’Irak (les clans Barzani et Talabani) et ça peut se reproduire. Personnellement je pense que pour l’instant le PKK ne va pas entrer dans les villes. La société n’est pas prête à l’accepter.
Par rapport au lien entre l’Irak et l’Iran existent-ils des liens entre les révoltés des deux pays ?
Rona : Pour beaucoup de camarades iranien.ne.s c’était étonnant de retrouver le slogan de Jin Jian Azadi en Iran. Mais pour nous les kurdes, ça ne nous a pas surpris que ce slogan soit repris au Kurdistan iranien. Il vient du Kurdistan turc puis du Rojava et a voyagé jusqu’en Iran. Les Kurdes (et c’est pareil pour les Baloutches et les Arabes) ont un contact régulier avec leurs communautés au-delà des frontières de l’Iran. Nous suivons la situation des Kurdes en Irak, en Turquie et au Rojava. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les femmes et la population kurde au Rojhelat en Iran sont aussi inspirées par le Rojava.

Pour vous donner un exemple, j’avais des ami.e.s qui m’ont raconté que quand Ils.elles allaient chez le coiffeur les gens parlaient des guérillas, de PYD. Les femmes au Kurdistan iranien discutent de la situation des femmes au Rojava. Ça fait partie de la vie quotidienne des gens. Ce qui n’est pas du tout le cas par exemple pour le centre du pays où la population iranienne est restée très largement en dehors de ce qui s’est passé là-bas.

Cette particularité kurde fait que bien sûr on s’inspire les un.e.s des autres et ça a un impact. Ce qui se passe avec le référendum [4], avec la crise économique, politique ou même la corruption au Kurdistan irakien, ça joue complètement sur la situation des kurdes ici aussi. Et puis comme je disais, les partis politiques de Rojhelat opposant au régime iranien sont tous basé au Kurdistan irakien, soit au Qandil [5] soit dans les villes.

D’autre part, il existe une relation de colonisation entre l’Iran et l’Irak. L’Iran a pris l’Irak : il fait ce qu’il veut en Irak, il contribue à mater la révolte en Irak en 2019, il dicte la politique, il assassine facilement les gens, même dans la région kurde. D’ailleurs les dirigeants kurdes là-bas sont complices avec le régime eux aussi car ils n’ont pas les moyens de non et qu’ils ne veulent pas être dans cette position.

Donc certes il y a des relations dynamiques entre les populations, de la communication. Mais l’Etat et les dirigeants font tout pour couper ces potentialités.

Et pour aller dans ce sens là on peut dire que chez les révolutionnaires syrien.ne.s en exil mais aussi de toute la région il y a aussi immense intérêt et un enthousiasme certain face au mouvement en Iran notamment du fait de l’importance qu’à le régime iranien dans toute la région. En tant que force contre-révolutionnaire majeure bien sûr en Syrie, où il a un rôle décisif dans la contre-insurrection, mais aussi en Irak on vient d’en parler, ou au Liban avec le Hezbollah, en Afghanistan etc. Les potentiels que pourrait ouvrir une chute d’un régime iranien dépasse sans aucun doute l’Iran.
Rona : Et justement on voit du soutien de partout : Irak, Liban, Soudan, Algérie, Tunisie, de la Turquie énormément. Et même de la Syrie ! Pourtant ça reste plutôt individuel. Les gens prennent leur pancarte, descendent dans la rue et soutiennent. Je suis pas sûre que ce soit vraiment de manière structurée.

Dans la perception de la population iranienne les gens considèrent l’attitude de l’État comme semi-colonial. Avec un impérialisme régional. Car il est présent partout : les gens disent tout le temps “nous on vit difficilement ici et l’argent de l’État il le dépense soit pour les actions militaires soit pour les interventions à l’extérieur”. Ce sont des choses présentes dans les slogans.

Malheureusement ça crée aussi des slogans très problématiques parfois : contre la Palestine par exemple. “On n’a pas à manger alors pourquoi allez-vous soutenir le hezbollah en Palestine”. Certaines tendances de droite renforçaient ce genre de slogans et essayaient de dire, “Les gens de gauche et les pro-régime soutiennent la Palestine, alors on ne pas la soutenir. Nous, nous sommes contre Palestine” Mais ce qui me rend optimiste c’est que dans la révolte actuelle je n’ai quasiment pas vu ce type de slogans. Ça a diminué de plus en plus et ça montre que, soit les gens ont d’autres priorités, soit qu’ils ont compris que ça n’a rien à voir avec la Palestine.

Plus généralement, c’est sûr que l’échec de ce mouvement ou sa réussite, impactera complètement la région. Surtout le Liban avec le rôle Hezbollah [6], et l’Irak avec celui de Hachd al-Chaab ; La Syrie aussi bien sûr ou le régime a des intérêts économiques immenses. La reconstruction de la Syrie est en grande partie le fait de l’État iranien.

Et surtout il y a un enjeu dont on a pas encore parlé c’est celui de l’anti-impérialisme. Le régime a toujours fait une grande propagande pour justifier sa répression interne par sa politique anti-impérialiste : “nous on est contre Israël, contre les Etats-Unis, nous sommes pro-Palestine : nous sommes l’axe de résistance”. Du coup, il justifie tout de cette façon, y compris, le voile obligatoire. “C’est ça notre symbole, parce que nous ne sommes pas des occidentaux” ; “ “Nous sommes contre tous vos symboles parce que ce sont des symboles sont impérialistes et colonialistes”.

En fait, ils se réapproprient tout le discours de l’anti-colonialisme à leur manière. C’est l’une des raisons pour laquelle le discours d’un certain féminisme post-colonialiste n’a pas marché en Iran. Parce que l’état a déjà vraiment utilisé ce discours pour ses intérêts.C’est donc très difficile de rester à la fois contre l’état et se réapproprier d’une autre manière ce discours, car beaucoup de gens en Iran disent que les post-coloniaux n’ont jamais vu, jamais vécu un jour sous la dictature. Sinon ils écriraient leur théorie autrement.

Par conséquent, c’est certain qu’il y a vraiment un enjeu géopolitique. Le régime en est conscient. On ne peut pas rester uniquement sur ce qui se passe dans le pays.

Un dernier point c’est que, ce dont on a peur c’est ce qui s’est passé en Syrie avec le soutien de puissances extérieures. Là bas c’est le soutien de l’État iranien et de la Russie qui a sauvé Assad. On a peur de ce type de soutiens contre-révolutionnaires. Avec l’intervention de la Chine, qui est en relation économique très forte avec l’Iran par exemple, ou la Russie bien sûr. Et même de certains pays de la région : du Hezbollah, de l’Irak etc.

Au niveau de la répression ça rentrerait vraiment dans un autre niveau. On parle de révolution quand on parle des revendications des gens mais cela ne veut pas dire qu’on peut renverser le régime du jour au lendemain. Si ce n’était que des enjeux nationaux ce serait plus simple. Mais quand il y a aussi des enjeux régionaux et internationaux, là ça devient vraiment bien plus compliqué avec des forces opposées à la fois mondialement et régionalement.

Pour retourner sur la question anti-impérialiste car c’est un combat que nous menons ensemble depuis quelque temps : nous avons vu moins de réactions problématiques de la part d’organisations de de la gauche occidentale que concernant la Syrie ou l’invasion de l’Ukraine par exemple. Toi qui un oeil particulièrement affuté là dessus quelles réactions tu ressens au niveau de la gauche radicale à ce sujet ?
Rona : Je pense que ça dépend des pays. Il y a des pays où la propagande, où le travail idéologique de l’État marche beaucoup mieux. Par exemple aux états-unis : Aux états-unis, quand il y a confrontation entre Iran et Etats-Unis il y a toujours beaucoup “d’anti-imp” (ce qu’on appelle anti-imp dans le langage iranien ce sont ces gens de gauche qui soutiennent le régime iranien sous prétexte d’anti-impérialisme). Ce sont des gens très nuls. (rires). Ils sont forts aux Etats Unis, dans certaines régions d’Afrique et en Amérique du Sud. Le terrain est plus propice pour accueillir ce genre d’idées. Par exemple dans la discussion avec les camarades chiliennes lors des Peuples Veulent elles nous disaient bien qu’au début, quand elles voulaient organiser des manifs pour soutenir le mouvement des femmes en Iran elles avaient du mal à convaincre leurs camarades. Qu’ils étaient contre avoir des slogans contre le régime iranien du fait de son prétendu rôle anti-impérialiste. Elles expliquaient aussi que la distance faisait que leurs camarades connaissaient mal la situation et le voyaient uniquement sous ce prisme. On nous a dit la même chose au pour le Brésil ou les Etats Unis.

Les pratiquants aussi ont parfois tendance à soutenir l’Iran comme un pays musulman. J’ai entendu ça du côté de plusieurs pays arabe et de la Turquie, chez les partisans d’ Erdogan et de AKP. Ces enjeux-là existent aussi dans certains pays d’Afrique.

Il y a reste beaucoup de travail à faire à ce sujet mais c’est vrai qu’en France et en Europe on le voit beaucoup moins cette fois-ci. Alors peut-être faut-il qu’on fasse plus ce travail vers d’autres pays. Au côté des camarades libanai.e.s, syrien.ne.s, ceux.celles camarades d’Irak, tous ces pays où l’Iran est présent, où il y a des histoires en commun.

Quand tu as parlé des monarchistes un peu avant, ça nous a fait penser à ce que disent les révolutionnaires syrien.ne.s sur le rôle des djihadistes en Syrie : Au début de la révolte ils n’avaient pas du tout de popularité sur le terrain. Quand on parlait aux gens du risque que les djihadistes accèdent au pouvoir, ils en rigolaient. Ils disaient “ mais absolument pas regarde là comment on est parle de liberté et comment on est en train de se révolter, il n’y a aucune chance que les djihadistes nous imposent quoi que ce soit”. Et finalement, grâce à un soutien énorme venu de l’étranger, grâce aux armes et pour de nombreuses autres raisons, les djihadistes sont arrivés, petit à petit, à s’imposer au sein de la révolte.

Tu n’as pas peur qu’il se passe quelque chose de semblable avec les monarchistes ? Car eux aussi ont beaucoup d’argent, ils ont des moyens gigantesques venus de l’international, ils pourraient aussi avoir le soutien des états occidentaux. Peut-être que la comparaison ne tient pas…

Rona : Si bien sûr, tu sais qu’on les appelle taliban saltanat. C’est-à-dire les talibans monarchistes. Il y avait même un #talibansaltanat (Rires)

C’est vrai qu’une minorité peut voler la révolution, ce n’est pas nouveau. Nous avons déjà vécu ça pendant la révolution iranienne. Alors on reste en alerte, tout le temps. à la fois les gens qui sont à l’intérieur mais surtout nous. Parfois mes camarades de l’intérieur me disent “mais vous exagérez ou quoi ? les monarchistes ne sont pas si puissants, pourquoi vous mettez autant d’énergie contre eux” Mais ce qu’il faut comprendre c’est que nous, nous les voyons beaucoup plus ici qu’en Iran ou tu ne peux pas t’exprimer en tant que royaliste et vivre tranquillement. Ici par exemple nous avons une grande partie de l’ancien Savak, l’ancien ministère de la sécurité du régime du Shah. C’est à dire les gens qui ont tué de nombreux.ses révolutionnaires à l’époque, essentiellement des gens de gauche. Une grande partie se sont exilés et sont très riches ici. Ils ont des lobbys et des moyens. Ils essayent de réécrire l’histoire autrement en déclarant que Savak était bon et qu’il faut qu’il revienne au pouvoir.

C’est une attaque contre l’histoire, contre toutes les idées progressistes qui se sont maintenues malgré la répression pendant 40 ans. Pour l’instant c’est vrai qu’ils ne sont pas encore très populaire sur le terrain mais avec leurs moyens, il reste ce risque qu’ils prennent le pouvoir.

J’aime bien la comparaison entre les djihadistes et les royalistes mais je pense qu’une des différence importante est que les djihadistes étaient toujours très organisés. Il y avait beaucoup de brochures et d’écrits qui circulaient pendant la révolution en Syrie, une partie traduite même en persan, qui montraient à quel point ils étaient bien organisés. Parfois on compare les djihadistes aux groupes marxistes de l’époque des années 70-80 : Leur hiérarchie, leur grand niveau d’organisation, la division du travail régional, national, local, transnational etc. Les monarques iraniens n’ont pas cette puissance.

Je me rappelle aussi quand les djihadistes sont arrivés à Mossoul avec leurs voitures, je n’oublierais jamais cette vidéo : Les gens sont allés les accueillir, ils chantaient pour dire bienvenue dans la ville. Il y une partie très religieuse de certaines de ces régions qui pensaient que les djihadistes pouvaient être contre l’Etat et pour leurs intérêts. D’autres très pauvres qui pensaient que les djihadistes pouvaient changer leur classe sociale. Il y avait différentes interprétations de ces groupes de djihadistes. Ce n’est pas toujours avec notre perception de gauche qu’il faut lire les choses, les gens ont bien sûr d’autres perceptions de ce type d’organisations. Alors que là les monarques, c’est l’inverse, ils n’ont aucune popularité et sont très bien perçus comme des élites.

Dans les régions périphériques, au Baloutchistan, dans la région arabe, au Kurdistan, là clairement ils n’ont aucune base et c’est une grande partie de l’Iran. Je l’ai pas dit mais en Iran, les minorités sont minorisées, elles ne sont pas en minorité c’est un processus de minorisation. Les perses sont une minorité comme les autres. Du coup il y a une énorme population dans la périphérie qui est complètement contre la monarchie qui elle se revendique de cette identité perse.

Le scénario le plus plausible serait que les monarques arrivent au pouvoir grâce à un régime républicain grâce à des élections, car ils sont intelligents, ils demanderaient à faire des élections. Khomeini disait la même chose à l’époque, quand il est arrivé au pouvoir, il disait : “Faisons une élection, c’est à vous de voter, de choisir votre président, votre régime. nous on est juste là pour vous soutenir”.

Enfin n’oublions pas qu’en 79, lors de la révolution, les organisations de gauche ont pensé qu’elles pouvaient travailler avec Khomeini. Ils l’ont accepté comme chef de l’Etat en pensant qu’ils pourraient changer avec lui certaines choses ou lui en imposer. Mais ils n’ont pas pu. Nous avons cette leçon historique. Je pense que c’est très compliqué de reproduire la même erreur seulement 40 ans après. En tant qu’opposition de la diaspora nous menons donc deux combats en même temps. Nous proposons des slogans et des banderoles qui disent par exemple“ni chah ni chefs religieux”.

Si il y a énormément de revendications très progressistes, très sociales sur le terrain, on voit aussi peu de forces organisées capables de défendre ces positions. Ce n’est pas un cas spécifique à l’Iran, on retrouve ça dans quasiment toutes les révoltes qui éclatent dans le monde ces dernières années. Alors selon un collectif anti-capitaliste comme le votre, en cas de chute de régime quelle serait la fenêtre de tir ?
C’est difficile et c’est le moment de tristesse qui arrive car c’est vrai que la gauche n’est ni une force ni une alternative organisée pour la suite du régime. Il n’y pas vraiment d’organisations de gauche. Nous sommes presque sûrs que même s’il y avait une rupture ça serait un régime républicain, séculaire, libéral qui viendrait et pas plus. La population est plutôt vers ce type de régime d’ailleurs.

Nous le savons très bien, le combat est très long. Pour autant nous sommes pour la chute du régime dès maintenant car nous savons que cela peut changer la vie quotidienne d’une grande partie de la société. Nous aurons aussi peut-être la possibilité d’être plus mobilisés, de sensibiliser les gens, de parler de revendications sociales, de glisser des choses et d’en imposer d’autres. Mais même s’il y a des pensées de gauche qui se diffusent de plus en plus dans la société, je pense que pour l’instant nous ne sommes pas une véritable force, ni à l’intérieur ni à l’extérieur.

Notre dernière question est plutôt personnelle : On va un peu rêver mais si le régime devait tomber à un moment, est-ce que toi, vous, est-ce que vous retournerez là-bas ? C’est quelque chose dont vous parlez ?
Rona : Oui bien sûr ! (rires)

On n’attend que ça, ce jour-là. Oui on en a parlé bien sûr ! On en a trop envie. Parfois nous programmons quelque chose à faire dans 2-3 mois et F. dit “Ah non on ne peut pas… Dans 2 mois on ne sera pas là. On ne fera pas cette action à Paris mais on la fera en Iran.” C’est pour rigoler mais émotionnellement ça nous donne de la force à tous.tes.

Bien sûr nous rêvons vraiment de repartir dans le pays et pouvoir militer là-bas, vivre là-bas aux côtés des gens qu’on aime. L’exil c’est toujours très lourd et très difficile. Nous devenons précaires quand on est exilé, nous devenons des exclu.e.s, on perd beaucoup de choses.

Pour les membres du collectif qui sont partis après la révolution 79 c’est encore plus difficile. J’ai beaucoup de respect pour eux parce qu’ils.elles ont milité depuis 40 ans. Ils n’ont jamais arrêté de militer, avec tout ce qui se passe, les frustrations, la répression, le poids lourd de l’exil.. Mais malgré tout ça ils continuent à réussir à militer. Je suis sûre que si il y a une révolution ils trouveront leur place tout de suite en Iran. Ils ne resteront pas une minute ici j’en suis sûre.

Entretien réalisé par Anne Destival et Lucas Amilcar, de l’équipe des Peuples Veulent.

Un grand merci à Rona pour ses réponses et le temps qu’elle nous a accordé et au collectif 98 pour toutes leurs actions si importantes.

D’autres entretiens réalisés dans le cadre des Peuples veulent :

Les Peuples Veulent 4.0 : Alassane DickoLe droitde rester. Le droit de partir.

Au Chili, « quand le peuple nous cherche, il faut qu’il nous trouve »

Palestine, Colombie, Irak... Des femmes s’engagent pour l’écologie Reporterre

Comment défendre une forêt ? Entretien avec des activistes du mouvement Defend the Atlanta Forest Lundi Matin

Entretien vidéo Martial Pannuchi avec un des fondateurs du mouvement « Ras le bol » (afrique de l’Ouest)

[1La 4e édition du festival internationaliste Les Peuples Veulenta réuni en octobre à Montreuil plus de 5000 personnes venues rencontrer la cinquantaine de collectifs, organisations et activistes arrivé.e.s de 42 pays des 5 continents. L’occasion de réaliser de nombreux entretiens de fond avec ces invité.e.s. Au fur et à mesure de leur publication vous pouvez retrouver ces entretiens ici.

[2On les appelle “peshmergas” quand il s’agit de combattant.e.s des partis Democrat et Komala et ”guérillas” quand il s’agit du PKK. Ces derniers ont choisis un autre nom pour qualifier leur combattant.e.s souhaitant ainsi se différencier des peshmergas.

[3mot kurde pour désigner le kurdistan iranien

[4Le 25 septembre 2017 a eu lieu un référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien afin que la population se prononce sur sa volonté ou non de mettre en œuvre l’indépendance de cette région d’Irak majoritairement habitée par les Kurdes. Organisé sans l’accord du gouvernement irakien, il n’est pas reconnu par ce dernier et n’a pour l’heure pas abouti à l’indépendance de la région.

[5Chaine de montagne située en Irak à la frontière avec l’Iran. Le PKK y a aussi de nombreuses bases.

[6Hezbollah (Liban) et Hachd al-Chaabi (Irak), acteurs majeurs de leurs pays respectifs et forces militaire et politique largement soutenues, influencées et financées par le Régime iranien.

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