Introduction au Plat et à la Profondeur

paru dans lundimatin#382, le 9 mai 2023

L’article qui suit est une notice, un mode d’emploi, un plan d’analyse, une sorte de lexique. Il accompagne l’excellent texte intitulé Le plat et la profondeur que nous publions cette semaine. Il s’agit d’une écriture constituée de plusieurs plans, couches, substances, car pour son auteur, déployer une proposition, c’est toujours, entre autres choses, tenter de solidariser champ et profondeur de champ. L’introduire n’est pas une mince affaire. On peut commencer par dire que ces deux textes témoignent d’un rapport au monde qui cherche à « être avec des choses en cours », et ce, de multiples manières. A travers ces hétérographies, le « vouloir » est, d’abord, un « vouloir avec » : « se sentir moins seul est déjà un acte considérable - si ce n’est révolutionnaire - car c’est entendre en nous résonner le multiple. »
Bonne lecture.

Composition et substances

Par l’entremise de leurs racines indo-européennes, les mots “introduction”, “guider”, “voir” et “savoir” renvoient respectivement à la suite : conduire à l’intérieur, montrer un chemin, en être le témoin et sentir. [1]
Ces termes abritent des concepts qui nous permettent de penser la relation entre nous et le monde alentour et sont des outils pour penser et agir de manière créative. Ils ouvrent ainsi des voies afin que chemine le flux de la vie.
Ils nous suggèrent non pas de se tourner vers soi-même mais d’être enclin à soi, qui sont des suggestions tout-à-fait différentes voire opposées. Être “enclin à” laisse des ouvertures et des perméabilités et propose autre chose que “se tourner vers soi” qui suppose une attention complète et concentrique ne considérant pas, en parallèle, ce qui se trame dans une extériorité. Par “enclin à soi” ( enclin c’est-à-dire penchant, inflexion, courbe ) il y a la volonté d’explorer ses profondeurs en en partageant la traversée, avec ses sensations comme compagnes de voyage. Il y a donc, déjà, quelque chose qui relève d’intérêt pour l’étude de trajectoires, de parcours de vie au sein d’un état de soi tout en étant aux aguets des différentes membranes autour. À la manière avec laquelle un félin a l’air intérieurement absorbé par ses états de repos mais, par ses capteurs sensitifs, est toujours compris dans ce qui l’entoure ; il développe une “danse”, un “comportement” ou un “langage du corps” (le nom importe peu) qui définit comment on reçoit, nous, sa corporalité. Il faut donc faire pencher, infléchir, courber…, prendre les mots par là où ils peuvent danser et parfois les y contraindre afin de susciter en eux des maillages.

Mêlés les uns dans les autres et pris dans leurs connexions, c’est-à-dire à leur lisière, ces quelques mots ( “conduire à l’intérieur”, “montrer un chemin”, “être témoin” et “sentir”) en créent un autre qui a l’air d’avoir les mêmes traits que le terme ouvrir.
Pris ensemble, les concepts qui s’en ramifient nous offrent un outil pour explorer de nouvelles manières de penser et d’agir qui transfigurent les sillons tracés par le perceptif et l’aperceptif. En ces modes et ces manières, même temporaire et transitif, chemine un Nous potentiel.

Et c’est le con-sentir que ces manières invoquent et duquel elles demandent présence qui nous achemine vers un nous.

Avant toute chose, mettons rapidement au clair un point : nous nous exprimons comme on le veut, comme ça vient, comme ça veut, et n’avons aucun compte à rendre, même pas à nous-mêmes, ni ne nous sentons de justifier quoi que ce soit dans ce monde et ceux qui l’entourent. C’est pourquoi notre langue est mêlée de clandestinité. C’est pourquoi nous n’avons jamais rien attendu de quoi que ce soit, de qui que ce soit, mis à part un écho lointain transformant un son et nous le renvoyant à l’oreille. Toutefois, nous nous méfions d’une part de l’intellectualité puriste et oublieuse d’elle-même, et d’autre part du feu de paille passionné et du style, du discours de la peau ou des entrailles. Dans l’histoire des mots et des choses, nous préférons recueillir que cueillir ; nous nous rappelons que la recherche de sens et de signification ( “intellection” d’intellectio - intellectus - intellego - legō), a deux visages :

  • - le premier ( lex et dicare ) renvoie à : loi, dédier, hériter, léguer, représenter, déléguer
  • le deuxième ( leĝ- ) renvoie à : choisir, soustraire en choisissant, cueillir, recueillir, tirer vers soi, parcourir, surprendre, trier, retirer en pliant ou encore enrouler.Nous avons donc “choisi” quelques points flous de ces deux visages et avons décidé de les recueillir en nous et de les abriter.

Nous avions, à ce propos, essayé dans de précédentes tentatives de dessiner les lignes d’erre d’une pratique hétérographique, en prenant de multiples chemins d’exploration. Nous avions entre autres intentions proposé un triptyque à Lundi Matin dans lequel nous avions démembré l’abord du politique par des choses comme : corps, espace, carte, calque, geste, phénomène, expérience du regard, expérience du sensible, angles morts …, etc., à la mesure, disions-nous, “de microvagabondages où le corps tutoyé par la multitude se laisse aller à ses percepts”.
Nous l’avions proposé, dès le premier volet, à Lundi Matin  ; désirions lui donner corps en cet espace et quelque peu l’y instancier parce que Lundi Matin est spatialement et sensiblement propice à ce que l’on est en train de pointiller par ces formulations d’hétérographie et de noésie. Car, propulsé par la mêlée, cet espace graphique mettant en dialogue des formes et conjoignant des anonymats se rapproche de plus en plus de la notion de corps sans organes. Force et situation nous permettant, à nous attentifs.ves et enclin.es au surgissement, un déplacement de corps en un autre rappelant des états de métensomatose. Elles mettent à portée de notre dé-marche des passerelles, des by-pass pour prolonger le pas. Mais encore, la propicité étant là, de se sentir activement et sciemment emporté.es par la vie, de contribuer à “...”, de continuer ou de rompre, d’y tendre ou d’y détendre notre présence, d’y être désorganisé.es, sans identité ni avenir mais simplement flux, cours ou tissus promptes à l’interférence, à la coalescence ou à la co-cicatrisation (chéloïde)  [2] : plus promptes à être avec des choses en cours que contre des choses connues, enfin entendu.es sinon écouté.es, sans canaux, intensément en fugue.

Disons-le simplement : on se sent moins seul.es. Et se sentir moins seul.es est déjà un acte considérable – si ce n’est révolutionnaire – car c’est entendre en nous résonner le multiple.

Faire émerger des présences muettes qui, entre nous, étaient déjà là, est littéralement un truc de dingue.

Par une langue des augures, nous avions abordé du dedans et du dehors, par son corps positif et par son corps négatif une noésie métissant les disciplines et leur refusant leurs définitions, leurs limitations et leurs intégrations dans des quadrillages. Il n’y a pour nous, par exemple, aucune différence entre poésie et philosophie, entre littérature et potamologie, entre plan architectural et structuration d’une portée musicale ou encore entre recherches linguistiques et investigations botaniques. Vouloir veut dire pour nous vouloir avec, et vouloir consister ou substantifier c’est toujours vouloir couper une substance par d’autres, un chemin par d’autres et ne voir d’exprimable que ce qui est mis en intersection de, ce qui se situe à la lisière et à la membrane des choses et, mis en dialogue, ressort alors de la mêlée.

C’est-à dire qu’il y avait, en nous, quelque chose qui traînait relevant du désordre, d’un désordre végétal [3]qui naissait de la fatigue des structures géométriques, de péricliter dans dans le creuset unique des machines à vivres et de leur mathématiques d’autoréalisation.

Disparition mise à part, rien ne naît à partir d’un seul creuset. Tout ce qui s’auto-réalise se consume.

Posologie

Quel aura été notre bonheur de lire et de voir d’autres propositions entrant en dialogue et en amitié avec les nôtres, spécialement en cette période où l’urgence est l’écroulement du champ représentationnel du pouvoir, partout dans le monde, avant sa décomposition prochaine. Ce qui laissera place :

  • au pire et mollement, à des ilôts où il nous sera intimé de composer avec les concessions du pouvoir et ses présences résiduelles,
  • au mieux, à une décompensation morcelée de toutes ses machines abstraites fabricant de la gouvernementalité.
    Entre les deux, c’est à dire entre d’un côté, le contrôle punitif actuel et ses modes de régie technico-capitalistes et, de l’autre, son collapsus ; en le disant vite, entre la société de consommation et les prémisses d’une société de communion, il y a l’état des choses prêt à faire un reboot de tous ses canaux de normalisation. Le plus grand danger pour nous vient de la norme.

Histoire de ramasser toutes ces sensations et les faire confluer, les hétérographies qui vont suivre qu’elles soient textes, intertextes ou cryptographie désuète, qu’elles soient images, fictions, documentaires, documentaires-fictions veulent augurer l’avènement d’un « fantomatisme ». Du moins veulent s’y diriger. Nous nous y attarderons au fil de l’écrit.

En guise de synopsis, disons de prime abord qu’est appelé fantomatisme ce qui, entre autres choses, est caractérisé par sa latence, son intempestivité, ce qui est capable de « trouées », de se « multi-plier » [4] et de pousser des reliefs. C’est aussi un processus double selon lequel, d’une part, les pensées se meuvent et répandent des langages dans l’espace du sensible et, d’autre part, le sensible contrecarre le déploiement totalitaire à la fois de la pensée et des langages de la pensée.

Contre indications

Vient maintenant la phase expérience de laboratoire. Arrivé.es à cette étape, nous signalons que mises à part deux d’entre elles, les images contenant la mention “IMAGE FICTIVE” ne sont pas à proprement parler “de vraies images”, mais des constructions graphiques générées “à la manière de « … »”, en convertissant du texte en pixels par une construction chimérique qu’on appelle aujourd’hui l’IA (Intelligence Artificielle). Programme dopé au Machine Learning des années durant.
Étant pratiquant de certains langages se disant ouvertement de programmation, nous avions depuis longtemps envie de prouver que le foutoir interne de la technique n’est ni un vrai foutoir interne ni une réelle virtualité. Mais bien au-delà de cette constatation, démontrer qu’il est possible, en le larvant, en le multipliant, en le co-agençant, de lui changer de trajectoire et de lui conférer une participation à quelque chose qui le réenveloppe dans un vertige. Et c’est au sein de ce vertige “inséparant” les choses, de cette poésie coextensive à la virtualité que la vie passe. C’est par ceci qu’une image morte et dite de synthèse serait, peut-être, secourable.

(Non pas le rendre vivant car c’est un contre-sens de vouloir rendre la vie à ce qui n’en a pas la potentialité, mais de le mettre en mouvement et en connexions de sorte à le faire participer au vivant).

C’est dans Différence et répétition que sont dits ces propos si importants aujourd’hui que l’automation est en pleine hype, que les représentants de commerce du Machine Learning enflent tout le monde de fausses promesses :

«  Quand devons-nous parler de multiplicité, et à quelles conditions ? Ces conditions sont au nombre de trois, et permettent de définir le moment d’émergence de l’Idée : 1° il faut que les éléments de la multiplicité n’aient ni forme sensible ni signification conceptuelle, ni dès lors fonction assignable. Ils n’ont même pas d’existence actuelle, et sont inséparables d’un potentiel ou d’une virtualité [...] Althusser et ses collaborateurs ont donc profondément raison de montrer dans le Capital la présence d’une véritable structure, et de récuser les interprétations historicistes du marxisme, puisque cette structure n’agit nullement de façon transitive et suivant l’ordre de la succession dans le temps, mais en incarnant ses variétés dans des sociétés diverses et en rendant compte, dans chacune à chaque fois, de la simultanéité de toutes les relations et termes qui en constituent l’actualité : c’est pourquoi « l’économique » n’est jamais donné à proprement parler, mais désigne une virtualité différentielle à interpréter, toujours recouverte par ses formes d’actualisation, un thème, une « problématique » toujours recouverte par ses cas de solution. [...] C’est pourquoi la représentation dans son ensemble est l’élément du savoir qui s’effectue dans la recollection de l’objet pensé et sa récognition par un sujet qui pense. Mais l’Idée fait valoir des caractères tout autres. La virtualité de l’Idée n’a rien à voir avec une possibilité. La multiplicité ne supporte aucune dépendance à l’identique dans le sujet ou dans l’objet. [...] Soit la multiplicité linguistique, comme système virtuel de liaisons réciproques entre « phonèmes », qui s’incarne dans les relations et les termes actuels des langues diverses : une telle multiplicité rend possible la parole comme faculté, et l’objet transcendant de cette parole, ce « métalangage » qui ne peut pas être dit dans l’exercice empirique d’une langue donnée, mais qui doit être dit, qui ne peut être que dit dans l’exercice poétique de la parole coextensif à la virtualité.  »
pages 237, 241, 247, 250.

Puis page 260, au sujet de la notion de “répétition” et de “conservation d’un problème” abordée dans Kant et le problème de la métaphysique par Heidegger :

« Heidegger montre bien comment la répétition de la question se développe elle-même dans le lien du problème avec la répétition : “ Nous entendons par répétition d’un problème fondamental la mise au jour des possibilités qu’il recèle. Le développement de celles-ci a pour effet de transformer le problème considéré et, par là même, de lui conserver son contenu authentique. Conserver un problème signifie libérer et sauvegarder la force intérieure qui est à la source de son essence et qui le rend possible comme problème. La répétition des possibilités d’un problème n’est donc pas une simple reprise de ce qui est couramment admis à propos de ce problème... Le possible ainsi compris empêcherait toute répétition véritable, et par là toute relation à l’histoire ... (Une bonne interprétation doit au contraire décider) si la compréhension du possible qui domine toute répétition a été suffisamment poussée et si elle est à la hauteur de ce qu’il y a véritablement lieu de répéter ”. Qu’est-ce que ce possible au sein du problème, qui s’oppose aux possibilités ou propositions de la conscience, aux opinions couramment admises formant des hypothèses ? Rien d’autre que la potentialité de l’Idée, sa virtualité déterminable. Par là Heidegger est nietzschéen. De quoi la répétition dans l’éternel retour se dit-elle, sauf de la volonté de puissance, du monde de la volonté de puissance, de ses impératifs et de ses coups de dés, et des problèmes issus du lancer ?  »

Le langage appris, construit d’entraînements à l’idée, fait disparaître le réel en y exterminant toute émotion, mais encore tout partage d’émotion. – Le réel étant le partage-même –
Il le fait disparaître car il ne laisse de place ni à la multiplicité des virtualités, ni par répétition à la transformation des problèmes traités ou à la sauvegarde de sa force intérieure. Et c’est ce point précis qui nous saisit ! C’est ça qu’on a essayé de travailler sur notre établi, à savoir : l’image dénuée d’émotion et de lumière (photons) est-elle encore une image ? Que reste-t-il d’image dans ce qui est machiné et entraîné à l’idée ? Si ce n’est pas une image à proprement parler et qu’elle est, comme on l’intuitionne, une caricature du réel, du représentationnel et de la virtualité, comment alors peut-on nommer cette chose graphique, contenant une idée et ayant l’air de tenir debout dans le monde matériel : l’image générée par “...” ? Ensuite et de manière plus heureuse et velléitaire : comment peut-on la pirater, la piquer, incuber en elles des corps qui vont lui chambouler la part programmatique ? Comment la rendre moins contagieuse par le fait même qu’elle soit “programme” ?
Car le mimétisme que s’emploient à recréer les processus de gavage au code du Machine Learning, ne fait que calquer à l’infini la racine étymologique du mot image (de l’indo-européen “im” donnant imitari, non pas imago) c’est-à-dire : imiter. Ce qui prouve bien que l’Homme, par l’intercession technique, produit des tautologies, des copies de copies de plus en plus précises mais de plus en plus désincarnées. Il régresse en approfondissement de lui-même à mesure qu’il chemine dans le progrès.

C’est ce à quoi essayera de répondre et autour de quoi dansera cette proposition mêlée qu’on a nommée Le plat et la profondeur. Elle s’y attellera de biais, non pas de façon réflexive mais quasi méditative : d’abord en fermant les yeux. On y a incubé des dires. On y a larvé des images mêlées chacune de sa fiction ( pourquoi ) et les avons documenté de leurs fables ( comment ). On y a interverti le pourquoi et le comment afin d’y faire pulluler l’uchronie, et ainsi jouer sur des réalités juste à côté d’autres réalités peut-être trop connues. Un peu comme lors d’évolutions harmoniques on joue parfois sur des notes juste à côté des “mauvaises”. Un exercice loin d’être sans risques de dissonances.

On y a peut-être généré un langage à nos dépens mais sans y mettre “la manière”. On y a mis une idée et avons essayé de la contrecarrer comme nous essayons, sans relâche, de contrecarrer les films, les livres, les tableaux, les musiques et les œuvres d’art qui sont obsessionnellement générés “à la manière de”. Exactement comme nous contrecarrons les constructions de Pouvoir qui, par segments, génèrent de l’Histoire en y injectant des flux fictionnels afin de nous la rendre documentée.

Nous avons adopté cette démarche, ce pas de colombe, afin d’étayer le propos que nous avions tenu ici lors d’un précédent écrit et qui était le suivant : « Ce qui est précis peut-être faux, et la vérité se montrer imprécise. Pour le moment, nous n’en n’avons que des flashs, comme de brèves présences photographiques, mais cela forme d’ores et déjà notre mur porteur. Car le palpable de la photographie commence par le travail de dévoilement de son invisibilité {} ». (dans Noésie, Lundi Matin, #350). À défaut de le prouver et en continuant ce qui a précédé, qu’il nous soit permis d’en dire le comment en utilisant ces différents matériaux et en livrant dans la proposition qui va suivre un autre rythme sous-jacent de l’un de ses plans de consistance.

Effets (in)désirables

Enfin, côté pile, cette graphie est dédiée à toute personne comme notre frère, Z. K., mort en 2007 chez vous en France, dans l’indifférence et l’exil, malgré les incursions anonymes de son foutoir interne dans votre quotidienneté : à vous autres malvenus, incursifs, stratèges de l’échec et intrus, ceci est mon approche-coeur. Je marche vers vous par fragments et je vous veux consacré.es ! Bonjour !

Côté face, en revanche, cette graphie est goupillée pour abolir les indifférent.es, replié.es sur vous-mêmes, expressifs de grands boulevards, cafouilleux et décideurs de sérieux. Nous avons assez d’observation et de distance avec d’innombrables mouvances, avons écouté, parlé, émulé avec, contre et à travers, sondé les rythmes souterrains, que cela soit en Afrique, en Europe de l’est et de l’ouest ou en Amérique pour savoir que tous.tes ceux.celles occupant un terrain, un rôle au sein d’un terrain, butinant les alliances dans les champs de l’offre politique, culturelle, et autres émanations militantes, ne trouvent qu’un intérêt circonstancié à leur matière-à-penser. Nous constatons en toute amitié et bienveillance envers quelques unes d’entre elles que c’est souvent le chantier libidinal qui fait à ce que leurs trajectoires soient attenantes, temporairement attenantes ; jusqu’à ce que surviennent l’aigreur et la glue de scissions, unions ou dissidences. Ce qui ne fait d’ailleurs que continuer l’offre politique du marché. C’est pourquoi nous nous sommes toujours préservés d’un quelconque militantisme car militer est souvent composer avec des données, or nous désirons la dislocation de tout état de données afin que soient possibles des états végétatifs où nous pourrions infester le sens comme du chiendent. Puisque nous ressentons n’avoir que peu voire pas du tout de croisements, de préoccupations et même de cosmologies communes avec les oppositions, nous nous sommes patiemment fabriqué avec ce que l’on avait (la terre, les vents, la survivance en nous d’anciens refus et de siècles de poèmes paysans …, etc.) tout un artisanat du regard et de la sensation où nous confluons pensée, poème, périphérie, ivresse et vagabondage. Cela fait bien longtemps que nous avons très méticuleusement déserté toutes les pratiques où étaient construits des savoir-faire. Nous y avons méthodiquement soustrait notre présence. Nous avons donc forcé le cours des choses et l’avons contraint à nous livrer d’autres pistes. Et c’est exactement en cela que nous nous sommes transmué.es : en chemins ! Nous sommes devenus pisteurs ! Nous nous y sentons vivants, ne tenant plus en place, en cours d’absence et radicalement fantomatiques.
Nous avons toutefois laissé une lettre morte aux porteurs de langages et leur avons dit : c’est votre dédain des sentiers de chèvres qui vous a encorné dans une impuissance à ressentir le monde. Votre catéchisme : “Tout doit être cartographié”.
Vous ne valez aucun silence ! Vous ne valez aucune parole ! Tautologies de vous-mêmes, vous ne méritez que le mérite.
[ Awer timlilit  [5] ! ]
.

La pièce lancée, il y en a qui savent et s’acharnent à savoir sur quelle face elle tombe. D’autres l’observent, tournant dans le ciel, n’ayant ni face ni forme, dessiner l’à-peine-là de son trajet jusqu’à toucher terre.

Et alors ouvertement, ils vouent leur coeur à la terre lui promettant de ne mépriser aucune de ses énigmes  [6].

t.

[1« […] La zone, dans l’imaginaire commun, est ce qui est formé par un ensemble de limites. Selon cette conception, il ne peut y avoir de Zone que s’il y a des lignes qui cartographieraient celle-ci. Ces limites, attrapées ici par l’imagerie de “murs”, peuvent être des mots, des lettres, des graphies, des langages. Alors chaque mot y est un mur lisse où la main qui veut trouver un appui glisse, se dérobe et rompt le lien entre le désir de “dire” et la direction de l’effort de diction. Se pose alors la question de savoir si une image peut être considérée comme une zone du moment où elle est délimitée par un cadre. Certes une image est délimitée par une géométrie mais elle a aussi une profondeur, un rythme, une plastique et une dynamique internes. L’image mentale n’est pas l’image photographique. Les images du souvenir ne se meuvent pas de la même manière que les images cinématographiques. Ce que nous voudrions proposer dans ce livre est une approche de la zone non par sa cartographie mais selon ce qui se meut en elle ; selon un “point de vue” tel qu’il se manifeste en nous en “zone de multiplicités’. Ainsi regarder serait alors “multi-plier” ». in. Multiplis, Tahar Kessi (texte), Pauline Laurent (graphisme), Paris, 2015, livre-objet édité dans le cadre de l’installation Zones.

[2Du lat. intro, inter et duco, de l’ind. eur deuk → Introduction.
Du lat. guido et du bas fr. guis, de l’ind. eur witan → Guider.
Du lat. video, de l’ind. eur weyd → Voir
Du lat. sapere, de l’ind. eur sapi → Savoir

[3Une cicatrice chéloïde est une cicatrice élevée causée par une excroissance du derme qui se forme à la suite d’une surproduction de tissu cicatriciel. Cela peut se produire après une blessure ou une autre forme de traumatisme cutané. Les cicatrices chéloïdes peuvent parfois être prurigineuses et varier de couleurs, douloureuses car le nerf y est constamment à vif, mais elles ne sont pas dangereuses. Cependant, elles peuvent se montrer parfois inesthétiques et peuvent causer de la gêne chez certaines personnes. Elles ont la particularité de s’étendre au-delà de la zone traumatique ou lésionnelle.

[4Expression kabyle composée de awer / wer / wur : “sans”, et timlilit / mlil : “croisement”, “réunion”, “retrouvailles”, voulant dire “Que nous chemins ne se croisent plus !”. Toutefois nous aimons la traduire par une sorte de désir de distance, dans le sens de faire vivre la distance.

[5Se référer aux sources et à l’usage présents dans Le plat et la profondeur.

[6Lu ceci qui s’en approche dans Marge …un faux mouvement, 1976, page 4 : « [...] et bien plus par les géométriques squelettes de la parole explicante je suis tenté par le désordre végétal ».

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :