Interdiction des grenades GLI-F4

Des avocats dénoncent l’« opération de communication » de Christophe Castaner

paru dans lundimatin#227, le 31 janvier 2020

Dimanche 26 janvier, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner annonçait à la télévision l’interdiction de l’usage des grenades GLI-F4 par ses forces de l’ordre. Si certains ont cru voir dans cette annonce le début d’une remise en question des méthodes excessivement violentes de la police par le gouvernement, certains avocats de manifestants mutilés par ces armes de guerre ont immédiatement dénoncé une « opération de communication » particulièrement hypocrite. Nous nous sommes entretenus avec Aïnoha Pascual, avocate au barreau de Paris qui défend plusieurs mutilés et blessés lors des manifestations de Gilets jaunes ou de la défense de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Dès dimanche soir, elle co-signait avec plusieurs confrères un communiqué de presse cinglant en réponse aux annonces du ministre de l’Intérieur.

Hier, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner annonçait l’interdiction de l’usage des grenades GLi-F4. Dans un communiqué de presse vous dénoncez avec d’autres confrères avocats qui défendent des victimes de cette arme une « opération de communication », pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
L’annonce de M. Castaner de procéder au retrait des grenades GLI-F4 de l’arsenal des forces de l’ordre intervient dans un contexte bien particulier de médiatisation croissante des violences policières à l’approche, de surcroit, des élections municipales. En ce sens, l’annonce faite hier aurait pu être interprétée comme un « pas en avant » fait par l’exécutif dans la reconnaissance de ces violences et ainsi comme une prise de conscience, même tardive, de la dangerosité des grenades GLI-F4, qui sont , rappelons-le des armes à feu classées par le code de la sécurité intérieure dans la catégorie A2 i.e. des armes de guerre. Mais il n’en est rien. Dès le 30 novembre 2018, au lendemain de la mutilation de Gabriel, P., apprenti chaudronnier de 20 ans, dont la main avait été arrachée lors du deuxième acte des “gilets jaunes,” nous avions adressé une lettre ouverte à M. Castaner pour lui demander de renoncer à l’usage de ces grenades contre des civils dans le cadre d’opération de maintien de l’ordre. Nous lui avions alors rappelé la, déjà trop longue, « liste noire » des blessés par cette arme, qu’il s’agisse d’opposants au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, à l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure ou de journalistes blessés alors qu’ils couvraient ces évènements.
Le ministre avait-il répondu à votre interpellation ?
Cette lettre est restée sans réponse. Comble du mépris, quelques jours après, début décembre 2018, il a été annoncé par le journal de gendarmerie l’Essor que les grenades GLI-F4 seraient utilisées jusqu’à l’épuisement des stocks à l’horizon 2020-2022. Il faut en effet savoir que la production de ces grenades avait été arrêtée par la sosicété Alsetex en 2014 à la suite du décès d’un de ses employés du fait de l’explosion d’une grenade GLI-F4. Et cette même année, un rapport conjoint de l’IGGN et de l’IGPN avait pointé du doigt les défaillances techniques de cette grenade qui projette des éclats transfixiants lors de la détonation, allant même jusqu’à reconnaître sa potentielle létalité. En 2017, il avait été annoncé qu’aucune nouvelle commande de GLI-F4 ne serait passée et la production de sa remplaçante, la GM2L, avait été lancée. Malgré nos alertes, le recours aux grenades GLI-F4 s’est donc poursuivi pendant de longs mois avec les conséquences dramatiques que l’on connaît : 5 mains arrachées sur l’ensemble du mouvement des gilets jaunes, des mutilations corporelles, auditives, des chaires délabrées, des éclats métalliques logés dans les visages, membres ... Face au silence du gouvernement nous avions également saisi le Conseil d’Etat en mai 2019 en vue de faire interdire le recours aux grenades GLI-F4. Outre le nombre croissant de blessés dont nous avions fait état, et la gravité des blessures, nous avions rappelé au Conseil d’Etat les constats faits par les instances gouvernementales concernant la dangerosité de la grenade GLI-F4 ainsi que la circonstance que nous étions le seul pays européen à faire usage d’armes de guerre contre des civils en opération de maintien de l’ordre. Nous avions alors également contesté la logique purement budgétaire du gouvernement qui persistait à vouloir épuiser ses stocks alors même qu’était déjà en dotation une arme supposée moins dangereuse la GM2L. Il est intéressant de souligner qu’à cet argument le gouvernement nous avait répondu, d’une part, que la période restant à courir serait finalement moindre puisque les stocks seraient épuisés au dernier trimestre 2019, d’autre part, que la GM2L présentait le même degré de dangerosité pour les manifestants. En d’autres termes, dès le deuxième trimestre 2019 M. Castaner savait que les GLIF4 ne seraient plus utilisées aux alentours de 2020 faute de stock et que les forces de l’ordre useraient alors d’une arme d’égale dangerosité, la GM2L.
Vous semblez bien connaître le fonctionnement et la composition de ces grenades, que sait-on pour l’instant de la remplaçante de la GLI-F4, nommée GML2 ? Pourquoi écrivez-vous dans votre communiqué que son objet reste le même : traumatiser les corps et les esprits ?
La GM2L, « petite sœur » de la GLI-F4 est censée présenter la particularité de ne pas être pourvue de TNT à l’origine de l’effet de souffle. Dans le même sens, la GM2L est supposée ne pas produire d’éclats transfixiants lors de son explosion. Outre le fait que le gouvernement a lui même balayé ces considérations techniques en plaçant ces deux armes sur le même niveau de dangerosité, dans les faits, les effets produits sont les mêmes : traumatiser les corps et les esprits. La GM2L est dotée d’un dispositif pyrotechnique encore plus puissant, ses effets sonores et lacrymogènes sont renforcés, elle reste une arme de guerre au sens du code de la sécurité intérieure. A l’instar de la grenade GLIF4, la GM2L relève de la stratégie de peur et de violence mise en place par le gouvernement dans la gestion des foules. Les blessures qu’elles occasionnent dissuadent à elles seules de manifester.
Vous defendez Gabriel P., un jeune homme de 22 ans qui a eu la main arrachée en novembre 2018 par une grenade GLI-F4 et dont nous avons régulièrement parlé dans nos pages. Nous avons appris récemment que l’enquête de l’IGPN avait amené le parquet à classer sans suites les poursuites contre les policiers qui ont lancé cette grenade à ses pieds lors de l’acte 2 des Gilets jaunes sur les Champs Elysées, alors même que les vidéos de la scène démontre qu’il n’y avait aucune violence de commise. Est-ce que ce revirement, ou plutôt cette déclaration cosmétique du ministre de l’Intérieur pourrait changer quelque chose au sort des mutilés par les Gli-F4 ?
L’annonce faite hier par M. Castaner ne changera rien au sort des mutilés et des blessés. Au fil des derniers mois, les décisions de classement sans suite se sont succédées concernant les plaintes déposées par des blessés par GLI-F4. Le ministre de l’Intérieur n’a pas admis de manière rétroactive qu’un usage disproportionné de la force avait été fait de par l’utilisation de ces grenades en manifestation, comme il n’admettra pas que tel est le cas avec les GM2L. Le ministre a, tout au plus, concédé qu’il y avait « une difficulté » avec les grenades GLI-F4 ce qu’il savait pourtant depuis plus de 14 mois et qu’il a décidé sciemment d’ignorer au détriment du droit de manifester et de la protection de l’intégrité physique des manifestants.
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