« If you build it, we will burn it »

Un week-end offensif pour la défense de la forêt d’Atlanta

paru dans lundimatin#374, le 14 mars 2023

Cette semaine, un correspondant français s’est rendu dans la forêt d’Atlanta, lieu d’une lutte de défense où se conjuguent et se rejoignent une pluralité d’expérimentations politiques, culturelles, et où se déploie depuis bientôt deux ans un combat qui témoigne d’une inventivité sans cesse renouvelée de la part des activistes et groupes de camarades présents sur place. Nous avons publié plusieurs articles sur LundiMatin qui traitent de la situation sur place, et nous étions entretenus avec certains de ces activistes pendant l’hiver. Voici cette fois le récit de deux journées de construction, de courses-poursuites, de fêtes et de sabotage.

Ce week-end les défenseur.se.s de la forêt ont ré-ouvert les hostilités à l’intérieur de la forêt Weelaunee à Atlanta (Géorgie). Depuis deux ans, iels se battent contre la construction d’un centre d’entraînement de la police et d’un studio de cinéma. Ces projets détruiraient la forêt du sud-Atlanta, transformant une précieuse réserve forestière de 240 hectares en immense forteresse policière et hollywoodienne.

Après l’expulsion de la forêt en Décembre et l’assassinat de Tortuguita par la police, il a été décidé d’organiser un nouveau week-end d’action le 4 Mars. Toutes les sphères engagées et sympathisantes du mouvement ont ainsi été appelées à la fois à exprimer leur colère et à danser lors d’un festival de musique et de déambulations.

Dès Samedi, nous étions donc plus de 400 personnes à nous retrouver à Gresham Park pour se diriger joyeusement vers la forêt de Weelaunee et reprendre le territoire qui avait été spolié par les autorités. L’ambiance était excellente, les enfants se lançaient de la peinture en poudre colorée, nous dégustions des burritos méticuleusement préparés, écoutions les discours vitalisants des écologistes radicaux et des prêtre.sse.s queer. C’est au moment où nous nous sommes élancé.e.s vers la forêt que la foule est réellement apparue déterminée à enterrer Cop City et son monde.

Cette déambulation bon enfant se déroulait sur la piste cyclable qui parcourt le parc, nous guidant jusqu’au RC Field où une magnifique scène en bois était construite pour le festival.

Pendant toute l’après-midi nous avons acheminé le matériel essentiel à la bonne vie du camp : des barnums, des jerricans d’eau, des tables et des tentes, de la nourriture... Puis nous avons construit un nouveau living room. Ce fut une belle journée ensoleillée, dépourvue de présence policière, où chacun.e a pu profiter de l’ombre qu’offraient les pins pour se détendre et aménager les lieux de vie.

À 18h les musicien.ne.s ont commencé à jouer et nous étions plus de 500 à nous déhancher sur du punk hardcore et de la bonne trap anti-police. La soirée s’est finie tard, rythmée par de folles danses de corps sautant dans tous les sens et de cris collectifs contre Cop City.

Légèrement barbouillé.e.s par la sauterie de la veille, nous étions néanmoins bien frai.che.s le lendemain pour lutter. Un grand soleil nous a réveillés et un grand petit déjeuner était organisé dans la forêt pour remplir les ventres gargouillant de tout.e.s ces créatures en lutte qui ont eu la nuit pour conspirer.

Le festival a redémarré dans la journée et nous a offert un beau début d’après-midi pour se détendre et réfléchir à la nouvelle manifestation annoncée pour 17h.

Une foule camouflée s’est donc retrouvée derrière le château gonflable afin de prendre d’assaut le poste de surveillance du projet. Un petit tour du festival avant l’expédition a permis de motiver de nombreuses personnes à rejoindre l’action. Ça chantait fort pendant ces 20 minutes de marche, les défenseur.se.s de la forêt appelant à venger Tortuguita. Les forces de l’ordre se sont positionné.e.s au loin sur la colline, derrière un grillage. Nous nous chargeâmes de désarmer les barrières des travaux en cours lorsque nous montions la pente. Très mal préparé.e.s, les flics n’avaient visiblement aucun dispositif anti-émeute et iels s’enfuirent au premier caillou jeté pour se réfugier derrière le dernier grillage, laissant même leur petite voiture de golf à l’abandon.

C’est dans cet enclos abandonné à notre bon vouloir que nous infligeâmes un lourd tribut à toutes les machines de construction présentes ainsi qu’aux lumières de surveillance installées. C’était un joli zbeul, le mouvement s’activait rapidement pour mettre le feu à tout ce qui se trouvait devant nous. Ça lançait des cocktails, des mortiers et des pierres sur les policiers, toujours cachés derrière la route.

Un nouveau contingent de voitures sérigraphiées s’avance vers nous. Une pluie de pierre lui répond, et le fait reculer. Nous sommes nombreux.se.s, avec l’avantage d’être protégés par le grillage de l’enclos. En un éclair, nous laissons derrière nous d’immenses flammes et panaches de fumée, bien heureux d’avoir pu rendre hommage au défunt camarade Tortuguita et gagner du terrain face à Cop City. Si iels construisent, nous brûlerons tout.

La nuit tombe, la musique retentit fort. C’est alors que nous apprenons que les flics investissent le parking principal et sont en train d’arrêter des gens. Plusieurs campeurs se dirigent alors vers le parking et tombent nez à nez avec 3 policiers munis de grosses flashlights. Nous nous empressons de revenir en courant au camp, ils nous poursuivent, et parviennent à mener une percée absolument inattendue. Les 3 flics rentrent dans le camp et font face aux occupant.e.s qui leur crient de dégager. Un des agents de police jure sur Dieu qu’il nous tirera dessus. Personne a l’intention de se laisser faire. On se saisit de n’importe quel projectile à disposition, chassant les trois imbéciles qui nous avaient provoqué par leur visite. S’ensuit un affrontement de 15 minutes sur la piste cyclable avec échanges de gazs lacrymogènes, balles en caoutchouc contre feux d’artifices, banderoles et cailloux en abondance pour les tenir à distance (et en respect).

D’autres forces de police arrivées depuis le champ parviennent à nous entourer, on décide alors de se réfugier parmi les festivaliers. Les policiers cherchent des occupant.e.s dans les bois. Iels arrêtent de nombreuses personnes, certaines simplement allongées sur des tapis près du festival, en les visant au revolver et au taser. Une femme avec son bébé est poursuivie dans la forêt. Situation compliquée : stress, encerclement.

Après cette odieuse chasse à l’homme, le SWAT barricade la sortie de la prairie et plusieurs camions anti-émeute et riotcops arrivent pour se positionner à 50 mètres de la foule. Malgré cette proportion absurde de flics, on reste devant la scène, à crier que nous avons des enfants avec nous (ce qui était bien vrai) et à écouter les groupes de punk et de chill music, qui appellent le public à se dresser calmement face aux flics tout en continuant les festivités. Aucune arrestation à ce moment là, on reste sur le terrain du festival, bien déterminé.e.s à lutter encore et encore.

C’est dans ce contexte de lutte et de répression que la diversité des tactiques révolutionnaires puise toute sa puissance. Ce que la forêt a à nous offrir ici et que nous pouvons tenter de reproduire, c’est un écosystème de tactiques où chaque partie entre en relation avec les autres. De l’organisation de concerts, d’actions semi-clandestines aux cultes religieux, il est sûrement difficile de comprendre en quoi cela importe et comment les liens résonnent entre eux. Mais c’est justement en faisant participer une pluralité de sphères qu’une force politique majeure peut émerger dans la lutte pour la forêt. Celle-ci, composée de nouveaux partisans prêts à défendre ce territoire, comme sur la ZAD de NDDL ou au camp de Standing Rock auparavant, donne à voir une hétérogénéité locale, singulière et diversifiée. « I will defend this land », un slogan répété depuis deux ans maintenant, a encore pris tout son sens grâce à la solidarité et aux batailles vécues par les 1000 personnes présentes ce week-end. De bons présages s’annoncent pour la forêt de Welaunee.

\Fuck Cop City//

— Croissant

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