Grève de la faim de Cesare Battisti : fin du silence de mort ?

paru dans lundimatin#293, le 21 juin 2021

Ce lundi 21 juin, Cesare Battisti devrait entrer dans le 19e jour de sa grève de la faim et des soins, qu’il a annoncé vouloir mener « jusqu’au bout ». Ce qui sous-entend : soit l’application du régime de détention normal qu’il réclame et auquel il a droit depuis deux ans, soit la mort.

Cesare a non seulement cessé de s’alimenter mais il a interrompu la thérapie antivirale contre l’hépatite B, ce qui, ajouté à la dénutrition, peut avoir de graves conséquences irréversibles. Il aura fallu qu’il mette sa santé et sa vie en jeu pour qu’enfin soit soulevé le couvercle du silence médiatique qui avait suivi son transfert dans une prison calabraise réservée aux détenus djihadistes. Le Nouvel Observateur publie une interview de sa fille Valentine qui lui permet d’exposer pour la première fois dans un média mainstream l’étendue de l’arbitraire juridique qui le frappe et la cruauté de l’acharnement étatique.

En Italie, Mattia Feltri, directeur du Huffington Post Italia, éditorialiste de la première page de la Stampa, pas vraiment un gauchiste déchaîné mais plutôt un libéral à l’ancienne, écrit dans le numéro de hier, un billet titré "Les Braconniers" :

"Cesare Battisti, proie dont les ministres d’alors Alfonso Bonafede et Matteo Salvini se firent une photo-souvenir comme des braconniers posant leurs bottes sur un lion pelé, est en grève de la faim depuis onze jours et promet de continuer jusqu’à la mort. Depuis deux ans, Battisti est détenu sous un régime de haute surveillance, c’est-à-dire de fait à l’isolement (actuellement il a été transféré dans la prison de Rossano Calabro, dans la section réservée aux terroristes islamistes) toute activité lui est refusée, l’heure de promenade lui est interdite. Depuis deux ans, dit son avocat, il devrait passer au régime ordinaire, mais personne ne s’en occupe. Depuis deux ans, contre la loi et contre la logique, l’Etat italien ne semble pas avoir une urgence de justice mais bien une urgence de vengeance. Rien ne justifie la haute surveillance pour un homme presque septuagénaire condamné à la perpétuité pour homicides commis il y a plus de quatre décennies, mais invoquer un traitement juste et digne pour un homme détesté de tous, j’imagine que c’est un peu trop ambitieux, car, comme on sait, la Constitution comprend des droits à garantir à quiconque, mais nous, nous préférons les garantir à qui nous est sympathique. La Constitution nous plaît ainsi, à la demande. Je repense à toutes les paroles d’indignation - nous sommes, oui ou non, le pays de la susceptibilité - devant les appels des intellectuels français, la dite gauche caviar, qui s’opposaient énergiquement à l’extradition, et encore aujourd’hui s’opposent à la énième extradition des autres ex-terroristes, parce qu’ils considèrent que notre justice n’est pas à la hauteur d’un Etat de droit. Voilà, nous, nous étions indignés, maix eux, ils avaient raison."

Michele Serra, éditorialiste de la Repubblica soutient l’éditorial de Mattia Feltri.

"Je voudrais l’avoir écrit moi, mot pour mot, ce qu’a dit Mattia Feltri sur la Stampa à propos de la détention au régime de "haute surveillance" de Cesare Battisti, qui partage le traitement sévère des terroristes islamistes. Ce n’est certes pas l’antipathie particulière de ce détenu (stratifiée au cours des années grâce aussi à la campagne insensée des intellectuels français très désinformés sur l’Italie) qui justifie ces représailles publiques. Comme si l’horloge s’était arrêtée aux années 70 non seulement pour quelques rescapés de la soi-disant lutte armée, mais aussi pour l’Etat italien.

La "cérémonie" de la remise de Battisti aux ministres Salvini et Bonafede fut une des pages les plus déplaisantes, et aussi les plus ridicules, du gouvernement jaune-vert, celui du double populisme et donc répressif au carré. On se demande, après que le changement de locataire au Palais Chiggi ait été salué comme la revanche des Lumières sur les ténèbres, si quelqu’un voudra prendre acte qu’un presque septuagénaire, meurtrier à vingt ans, n’est pas un danger public, ni un trophée politique à exhiber au bout d’une pique. L’Etat, il faut toujours le répéter, à la différence des terroristes, ne s’acharne pas sur ses ennemis et ne cherche pas la vengeance. Il applique la justice, qui est l’antidote de la vengeance.

L’avocat de Battisti soutient que la raison juridique consentirait depuis déjà longtemps une détention normale. Si c’est vrai, il faudrait que la question, au-delà des belles paroles alignées par les éditorialistes, soient prises en considération en quelques lieux du pouvoir. Ne serait-ce que pour démonter aux intellectuels de la Rive Gauche qu’ils avaient tort et que l’Italie, depuis la moitié du siècle dernier, est un Etat de droit."

La post-gauche caviar italienne brandissant la menace de donner raison à l’épouvantail que les médias italiens ont fabriqué depuis des décennies sous l’appellation « gauche caviar » pour désigner les soutiens multiples et assez rarement caviar dont Cesare a bénéficié, cet événement baroque nous apporte au moins une certitude : l’unanimité compacte du silence de mort qui pesait sur Cesare est rompue. Le « lion pelé » (« d’où venait tout le mal » ?) n’a pas poussé son dernier rugissement.

Pour aider à agrandir la faille dans le mur du silence, on peut aider à diffuser cette lettre de Valentina Battisti aux médias :

Je me permets de vous écrire suite à l’annonce le 2 juin 2021 de grève de la faim et des soins de mon père, Cesare Battisti, 67 ans, auteur de plus d’une quinzaine d’ouvrages littéraires et ex-membre des P.A.C dans l’Italie des années 70.

Je suis, avec l’ensemble de sa famille, de ses proches et de ses ami.e.s, extrêmement inquiète. D’autant plus que cela fait maintenant plus de 15, jours, que rien ne semble bouger, que je ne sais pas exactement quel est le niveau de gravité de ses divers pathologies - notamment son hépatite B -, l’incidence exacte que cette absence de traitement aura sur sa santé, et dans quels délais.

Il nous a adressé la semaine dernière une lettre dont la lecture m’a profondément bouleversée. Nous avons décidé de rendre publique sa traduction, d’une part pour toutes les personnes qu’elle concernerait directement sans être pour autant en contact avec l’un ou l’une d’entre nous, d’autre part parce que l’idée de le laisser mourir dans ce silence assourdissant nous est insupportable.

Vous trouverez cette traduction en pièce jointe ( L’original, écrit en italien, est à retrouver à la suite de la traduction) ainsi que notre communiqué, et son appel à la justice lancé le 2 juin.

Les informations capitales, et dans le cas de mon père, absolument vitales, sont les suivantes :

— Il arrive au terme de 28 mois d’isolement de fait, dans un environnement particulièrement dur, et qui plus est, hostile, qui le maintient dans un profond sentiment d’insécurité. 28 mois ! Quel détenu est isolé si longtemps sans voir sa santé gravement impactée ?!

— il est à bout de n’avoir aucune interaction sociale et de ne pratiquement pas pouvoir recevoir de visites de sa famille. Ses frères et sœur les plus proches vivent à plus de 500 km de son lieu de détention, et sont trop âgés pour entreprendre facilement le voyage. Quand à nous, depuis la France, c’est pratiquement impossible. Je n’ai pu le voir qu’une seule fois depuis 2019.

— le régime particulier auquel il est soumis (AS2), et qui sert de justification à le maintenir dans une prison spéciale, loin de ses proches, où il ne peut prendre le risque de côtoyer des détenus qui lui sont particulièrement hostiles, n’a aucun fondement légal, ni aucun prétexte tenable.

— Aucun fondement légal, puisque la Cours d’Assises a établi qu’il devait être incarcéré dans une prison et dans des conditions ordinaires.

— Aucune justification ni aucun prétexte possible, une quelconque dangerosité ne pouvant être sérieusement établie alors qu’il est âgé de 67 ans passés, et a rompu avec la lutte armée depuis 40 ans pour se consacrer à l’écriture. Aucune des personnes qui l’ont ne serait-ce qu’approché ne peuvent se laisser abuser une seule seconde par la fable d’un hannibal Lecter qui pourrait justifier de telles mesures de haute sécurité.

— Le point de basculement qui le décide aujourd’hui à se risquer dans une nouvelle grève de la faim et des soins réside dans le nouveau refus opposé à sa demande de transfert, assorti au refus de déclassification AS2.

Je suis convaincue que, comme nous, vous considérerez capital d’informer à tout prix, qui plus est quand c’est une question de vie ou de mort, et qu’en tant que journaliste, vous ne sauriez reprendre à l’aveugle les inexactitudes déjà relayées depuis deux ans en passant sous silence des informations vitales.

Je reste à votre entière disposition pour vous fournir toutes les pièces complémentaires dont vous pourriez avoir besoin, et vous remercie de tout cœur d’avoir pris le temps de me lire jusqu’au bout.

Cordialement,

Valentine Battisti

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