(G)rêve, Général(E) : Chant de guerre pour l’armée d’Instin [1/4]

Par Eric Darsan

paru dans lundimatin#148, le 7 juin 2018

Nous publions cette semaine, en collaboration avec la revue littéraire Remue.net, le premier épisode de G)rêve, Général(E) : Chant de guerre pour l’armée d’Instin d’Eric Darsan.

Général Instin (GI), nébuleuse artistique interdisciplinaire, utilise depuis 1997 une figure trou, soldat issu d’un cimetière parisien, autorité fantomatique essaimant sous de multiples formes selon les contextes. Il est depuis 2007 un feuilleton sur remue.net, a fait paraître 3 livres chez le Nouvel Attila, apparaît aussi sous forme de festivals à Belleville, dans une campagne mondiale d’affichage street-art, etc. Il compte à ce jour 200 contributeurs.

Ce matin, le Général Instin s’est levé des deux pieds. Un de chaque côté de la barrière. Ce n’est pas qu’il hésite, au contraire. Longtemps, Adolphe Hinstin s’est couché de bonHeur, n’a pas choisi son camp. A toujours bien fait comme il fallait. Ce que ses parents, ses maîtres, ses chefs lui ont dit. Tout au carré : le lit, l’école, le travail, la vie. Sans poser ni question ni problème. Causer aucun dérangement. Jusqu’à. [x] Prendre de l’avancement. [x] Combattre la fleur au fusil. [x] Mourir bien proprement, sans faire de bruit. [O] Un trou au côté, le souffle qui fuit. [Ne pas pas. Ne pas paniquer.] S’allonger tout doucement, tourné <= vers la ligne bleue des Vosges/vers la Terre Sainte => comme Roland à Roncevaux. Ah les beaux noms, les noms idiots qui sonnent beau. Sonnent faux et mouroir, se racontent l’Histoire. En version sous-titrée, édulcorée pour les enfants, édulcorant pour les. Ah ! On lui aura fait la leçon sur le prince des condés et le roi des.

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Petit à petit, comme on fait son nid, depuis que le Général est tombé à/sous terre, Instin a appris. A manger les pissenlits par la racine. A aimer la nature. A cultiver son jardin. A apprécier ces légumes anciens – panais, topinambours, rutabagas – qu’il dénigrait. A revenir au plan A du B.A.-BA. Au sortir d’une guerre qui a nourri, recyclé et imposé son industrie chimique pour gaz-/gav-er la population, grossir la plus-value et les dividendes des profiteurs [rentiers, propriétaires, investisseurs, actionnaires] et augmenter l’IG d’autres GI’s qui n’étaient pas lui, le Général – sans ersatz, ypérite, glyphosate, nitrate ni potasse – vit dans une frugale abondance. Travaille par et pour lui-même, remet le couvert et prospère. Bouillon à tous les repas – panais, topinambours, rutabagas, carottes souvent, chou vert parfois – sans se soucier des camps, dira-t-on, ni de ses congénères qui continuent à faire les cent pas au-dessus de son abri. Du reste, et pas au pas, Instin fait des conserves pour les jours sans, planification ou pas, XVII ou pas disette.

Un jour (ce pendant de la nuit), son terrier creusé en plein cœur du pays |(puits sans fond)| s’est empli d’une boue brune qui suintait du plafond. D’Instin, maître solitaire et autoproclamé des enfers, a senti que son paradis [fiasco prévisible] tournait au vinaigre (coupe pleine). De l’au-delà avait coulé sous les ponts, lie inondant sa chambre, sa cuisine, son salon. Ses animistes de compagnie passaient de vie à trépas et ses mondes, engloutis d’un trait, de ceux convexes () à ceux concaves )(. Puis sa terre a commencé a sentir le roussi et tout un tas de produits. Alors, pour ne pas s’enterrer davantage, le Général, contre toute attente, s’est enfoui. Il a retourné le sol sous lui, creusé des galeries (=théories de terres creuses), et puis un tout petit tunnel (II), comme à l’époque des tranchées (=II). Pour échapper aux familles nucléaires, à leurs enfants de la patrie, au jour de gloire [arrivé contre lui] de la tyrannie à l’étendard d’assaut® et sanglant élevé. Pour s’évader, passer au sud, de l’autre côté.

Là où la politique, la mer et le soleil rougissent ; où le ciel et l’horizon s’élargissent, où la faune, la flore et l’espoir se repaissent après des cycles de destruction et de manipulation du réel orchestrés par la dictature ; des œillères aux œillets, entre deux bouffées de lyrisme, Instin renaît et apprend à cueillir, accueillir, la vie au grand air. Il tombe encore parfois || sale hasard || sur les reliquats de cette architecture (dépassée déjà) qu’il ne comprend pas. Achoppe contre des trucs || en dur || qui lui barrent le passage, mais sur lesquels la nature a (finalement) repris ses droits. Croise toujours [davantage de] palais et résidences, de structures d’accueil à destination. Des nantis qui tentent (plus qu’à leur tour) de reprendre le dessus en payant des dessous. Aux tables de la loi, des touristes quinquennaux, des retraités après us-age/-ure. Allant vers, allant droit. Indifférents au lieu. Mais aussi des oiseaux migrateurs, voyageurs en quête d’harmonie(s), en résonance avec. Tout un monde )))résilient((( dont il ignorait l’existence lorsqu’il résidait résigné, avec quelques accolades pour le réconforter là-haut — au pays, comme on dit.

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Il y a longtemps, les cigognes ont déposé l’enfant de la Révolte sur le pas de sa porte. Il l’a aimé, nourrit. L’enfant a grandi. Et puis un jour, il est parti. Instin était à la fois triste et soulagé. Un enfant de la Révolte ça prend du temps, de l’énergie. Epuisé, le Général est resté. Ici-bas, pour une fois, Instin se sentait , c’est à dire chez lui. Mais ce matin, il a appris – on apprend de ses enfants souvent davantage qu’on ne leur enseigne – que le vent de la Révolte soufflait de nouveau. Des nouvelles de tous les fronts lui parviennent – plissés, anxieux – escadrilles de cigognes et feu sur les faisceaux. Le Général, à l’ouest, cille et suit le vent des yeux, qui file et dessille son regard. Au norois, rien de nouveau : la situation est chalcolithique et le cuivre vire toujours au vert-de-gris. Pourtant d’autres noms lui reviennent à l’esprit, moins faux, moins mortifères que les anciens. Des noms qu’on lui a enseignés aussi – La Révolution, la Commune, le joli mois de Mai – plutôt comme du passé, de l’acquis. Des mots vivaces, vivants malgré les apparences, les on-dit, les frimas. Et qui peuvent – comme lui – si le temps + le terrain (= climax II) s’y prêtent, revenir à la surface.

Crédit photo : (Creative Commons BY-NC-SA) Suvann, via La rue ou rien (Messages politiques aperçus dans l’espace public depuis mars 2016).

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