Fire and Ice

Quelques leçons de la bataille de Los Angeles

paru dans lundimatin#480, le 17 juin 2025

Depuis Los Angeles, des participants aux émeutes contre l’ICE et les rafles de migrants proposent d’en tirer les premières leçons tactiques et stratégiques. Comment renforcer le mouvement et étendre l’agitation ? Où et comment trouver les forces nécessaires pour s’opposer conséquemment et pratiquement au second mandat Trump ?

Je pense que je vais traîner un moment sur cette
faille sismique au pied de ce
volcan toujours actif dans cette
forteresse en armes plantée face à
un océan agonisant &
couverte de poussière
tandis que
les rues s’embrasent & que les
pierres fendent l’air & que le gaz au poivre
nous envoie au tapis
parce que
c’est ici que se trouvent mes ami⋅es,
— hein, salauds ? non pas que
vous sachiez ce que j’entends par là

Diane Di Prima, Lettre révolutionnaire #53 [1]

La dynamique du mouvement contre les déportations massives se développe depuis plusieurs semaines. De San Diego à Martha’s Vineyard [2], des affrontements spontanés avec des agents de l’ICE avait déjà eu lieu. Parallèlement, des activistes et des réseaux d’interventions rapides ont organisé des actions pour bloquer les fourgons de l’ICE dans le centre de Manhattan.

Tout le monde savait que la situation était sur le point d’exploser, c’est à Los Angeles que cela s’est passé. Dans plusieurs quartiers, les rafles de l’ICE ont été accueillies par des attroupements puis des manifestations se sont tenues chaque soir devant le Metropolitan Detention Center, où les migrants arrêtés sont détenus.

Les tentatives d’empêcher les raids de l’ICE et de bloquer le centre de détention ont mené à des affrontements avec la police. La foule s’est propagée dans le centre-ville et dans d’autres quartiers. Les manifestants ont bloqué les rues et les autoroutes, ils ont affronté la police avec des pierres et des feux d’artifice, ils ont construit des barricades et ont mis le feu à plusieurs voitures. Le dimanche soir, le chef de la police a annoncé que le LAPD était débordé. Trump avait déjà décidé d’envoyer la Garde nationale et, peu après, les Marines.

L’explosion ne pouvait que partir de Los Angeles mais maintenant que le feu a pris, il commence à s’étendre. Des manifestations se sont propagées à des dizaines de villes à travers le pays. Plus d’un millier de personnes ont été arrêtées et ce n’est pas fini. Le Texas et le Missouri ont déployé la garde nationale.

L’agitation a désormais atteint l’intérieur même des centres de détention pour migrants. Au cours d’une émeute dans le centre de détention Delaney Hall à Newark, dans le New Jersey, plusieurs migrants sont parvenus à abattre un mur et à s’échapper. Le centre de détention, qui vient de rouvrir ses portes, pourrait fermer.

Voici quelques leçons tirées de la bataille de Los Angeles. Elles pourraient s’avérer utiles à mesure que le mouvement pour arrêter la machine à expulser commence à s’étendre et à s’approfondir.


I. Les manifestations ne sont efficaces qu’à la condition de perturber l’ordre normal des choses. Le mouvement contre l’ICE est à ce genre le plus grand défi lancé à la nouvelle administration Trump. En perturbant la machine à expulser, le mouvement révèle la seule source de pouvoir dont disposent les gens ordinaires.

II. Pour continuer d’être efficace, la perturbation doit s’étendre. L’agitation s’est d’abord propagée de quartier à quartier à dans Los Angeles, puis s’est étendue à des dizaines de villes à travers le pays. dans des dizaines de villes à travers le pays. Mais les manifestations sont désormais largement circonscrites à de petits secteurs dans les centres-villes. Pour réussir, le mouvement doit continuer à s’étendre dans chaque ville et dans tout le pays, en attirant des couches plus larges de la société.

III. Bloquons tout. Au cours de la bataille de Los Angeles, les blocages se sont propagés des quartiers populaires jusqu’au Metropolitan Detention Center [3], puis ils se sont étendus aux aux autoroutes et aux lignes de train. En un temps record, les barricades étaient disséminées à travers toute la ville. A mesure que le mouvement s’étend, les blocages doivent se propager des quartiers aux centres de détention, aux autoroutes et aux lignes de transport public, puis aux aéroports et autres infrastructures du pays.I

IV. Le pouvoir est logistique ; il réside dans les infrastructures. La machine à expulser nécessite des infrastructures et de vastes dispositifs logistiques. Il faut enquêter sur ces dispositifs et cartographier leurs infrastructures. On y découvrera des points d’étranglement et cela ouvrira la voie à de nouvelles tactiques.

V. Un rythme cohérent permet au mouvement de s’orienter, cela favorise un plus large niveau d’auto-organisation. Les centres de détention et les bâtiments fédéraux sont des symboles et des infrastructures. Les manifestations organisées chaque soir devant ces bâtiments peuvent permettre à un mouvement diversifié et auto-organisé de se développer. Mais cela a ses limites et peut facilement piéger les participants dans une guerre d’usure épuisante dont l’efficacité s’amenuise au fil du temps.

VI. La ville entière est un terrain de lutte. La propagation de l’agitation dans toute la ville perturbera le fonctionnement de la machine à expulser. C’est le cas même lorsque les manifestants ne bloquent pas directement l’infrastructure d’expulsion.

VII. La spontanéité est souvent déjà organisée. Les mouvements mobilisent les gens à partir de la manière dont ils sont déjà organisés dans la vie de tous les jours. Derrière la spontanéité des émeutes se cachent des couches d’organisation invisibles. Les personnes qui ont déclenché les évènements de Los Angeles étaient organisées de diverses manières, notamment via des groupes Whatsapp, des attachements familiaux, des associations de locataires et des gangs.

VIII. Maintenir une dynamique est une question d’organisation. Les soulèvements sont souvent spontanés. Mais l’organisation peut contribuer à leur circulation, à leur extension et à leur intensité. Des attroupements se sont formés spontanément en réaction aux rafles de l’ICE à Los Angeles. Puis des groupes d’activistes ont appelé à manifester devant le centre de détention. Cela a permis de maintenir la dynamique et d’étendre l’activité à l’ensemble de la ville. Les rafles de l’ICE vont continuer de générer des manifestations spontanées. Le mouvement doit néanmoins trouver comment prendre ses propres initiatives et définir son propre rythme.

IX. Les activistes peuvent contribuer à la diffusion du mouvement. Des canaux de communication clairs, fiables, dignes de confiance et cohérents sont essentiels. Cela contribuera à augmenter le nombre de participants et à construire un environnement dans lequel de nombreux niveaux d’initiative et d’auto-organisation sont possibles.

X. Les évènements de Los Angeles révèlent qu’une nouvelle couche de militants a émergé. Si l’on en croit le chef de la police du LAPD, les attroupements de Los Angeles étaient remplis d’« anarchistes » qui se déplacent aux gré de l’agitation sociale. Rappelons qu’une génération, à Los Angeles et ailleurs, a acquis une expérience des tactiques de rue en défendant les campements étudiants l’année dernière.

XI. Des attroupements déterminés peuvent déborder la police. La police de Los Angeles a été débordée par des attroupements combatifs, mais aussi divers, créatifs, imprévisibles, décentralisés et dispersés.

XII. La répression peut amener les manifestations à se diffuser. Le déploiement de la Garde nationale met parfois fin aux troubles. Parfois, au contraire, cela permet aux manifestations de s’étendre et de s’intensifier, entraînant d’avantage de personnes dans la rue.

XIII. Le déploiement de forces armées dans les rues ouvre une situation révolutionnaire. Nous n’avons pas encore atteint une situation de crise. Il est néanmoins nécessaire de commencer à penser les questions que cela ouvre dès maintenant.

XIV. L’infrastructure nécessaire à l’État pour organiser de véritables expulsions de masse n’existe pas encore. Elle se construit au fur et à mesure, au coup par coup. L’objectif du gouvernement, pour l’instant, est de créer un spectacle. Au sein de cette mise en scène, il peut être vaincu.

XV. La stratégie de l’administration Trump consiste à accroître la polarisation et le désordre. Trump rend les villes américaines moins gouvernables. Cela peut se retourner contre eux. Souvent, les autocrates en puissance sont défaits par leurs propres erreurs. Les soulèvements intensifient toujours les polarisations. C’est inévitable. Mais cela deviendra plus tard une limite.

XVI. Les tensions entre les autorités locales et l’administration Trump ont permis des ouvertures au moment du soulèvement George Floyd. Le mouvement actuel peut tirer profit de ces contradictions. Il est important d’éviter que la lutte ne soit redirigée vers les urnes. Les Bidens, les Kamala et autres Newsoms de ce monde n’ont rien à offrir.

Des manifestants anti-ICE à Tucson (Image : Adrian O’Farrill)

XVII. Les soulèvements sont souvent déclenchés par un groupe social particulier. Mais la base sociale doit ensuite s’élargir pour qu’il réussisse. La lutte pour vaincre ou abolir l’ICE a commencé dans les communautés de migrants. Elle ne pourra s’étendre et vaincre qu’en attirant des couches beaucoup plus larges de la société.

XVIII. Les gouvernements tirent les leçons des succès comme des échecs des mouvements de contestation. Les insurgés doivent faire de même. Trump s’est souvent plaint que la Garde nationale n’ait pas été envoyée plus tôt à Minneapolis. Si le gouvernement fédéral décide d’intervenir plus rapidement et de manière plus proactive sur les agitations locales, les fenêtres d’opportunité émeutières pourraient en être réduites. Les insurgés doivent trouver la confiance et la capacité d’agir de manière audacieuse et décisive.

XIX. L’avenir appartient aux audacieux. Le mouvement doit prendre et conserver l’initiative, en imposant son rythme aux événements. Une fois le soulèvement commencé, le mouvement doit agir avec la plus grande détermination, et doit par tous les moyens prendre l’offensive. Prendre l’ennemi par surprise et saisir le moment où ses forces sont dispersées. S’efforcer de remporter des succès quotidiens, même minimes, et conserver à tout prix un moral supérieur.

XX. Il n’y a pas une seule et unique manière de s’y prendre. Il s’agit de s’y mettre tous et de secouer depuis tous les côtés, jusqu’à ce que cela s’effondre.

XXI. « Deux, trois, de nombreux Los Angeles. » Seules l’ouverture de nouveaux fronts et la diffusion de tactiques de plus en plus perturbatrices permettra de tirer le frein d’urgence de la machine à expulser. Le choix est clair : l’expulsion ou l’insurrection.

Traduit depuis l’anglais, d’abord publié chez nos confrères de IllWill

[1Si vous ne connaissez pas les lettres révolutionnaires de Diane Di Prima, voir notre article ici

[2Ndt : Île du Massachussets connue où se concentrent les résidences d’été de la jet set américaine et des présidents de États-Unis.

[3XXXX

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