FIN de l’ÉTÉ

« Dilater la richesse, le sens et la portée du geste sportif pour l’arracher aux serres appauvrissantes et polluantes du capitalisme. »

Communiqué officiel de l’Équipe Terrestre d’Écologie

paru dans lundimatin#442, le 9 septembre 2024

Nous, membres de l’Équipe Terrestre d’Écologie [1], avons malgré tout considéré les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Et nous sommes au regret d’inviter nos contemporains à reconnaitre que le Pouvoir a pu s’enorgueillir de la ferveur populaire qui les a entourés.

Réduite au silence pendant l’événement, la critique traditionnelle reprend certes la parole aujourd’hui. Elle entend venger sa disqualification en signifiant que l’engouement et la convivialité étaient symptomatiques de l’idiotie sportive – d’une fête à neuneu.

Pour se faire croire qu’elle apprend quelque chose au public, elle fait comme si celui-ci n’était pas au courant des intérêts en jeu. Elle déroule sa leçon habituelle sur l’identité du Sport et du Capital, faisant en cela écho à l’auguste prétention de ce dernier : « le sport, c’est moi ».

En office professoral du clergé régulier, la critique chante ainsi la messe, et cite ceux qui répètent à l’envi que le sport moderne corrobore l’ordre établi – c’est leur fond de commerce. Elle fait sonner les cloches de l’Université, et nous voyons malheureusement quelques fidèles répondre à l’appel.


Bercés par cette litanie, les esprits abusés en viennent en effet à ignorer ce qui a différencié les Jeux de Paris de ceux de Tokyo : la clameur populaire. Cette résonance a ému sportifs et entraîneurs – ils l’ont abondamment soulignée.

Et quand certains affirment que cette expérience partagée a permis de tourner la page du Covid – entendu comme événement social –, les âmes critiques s’empressent de signifier que les Jeux n’ont été que le verso du Confinement.

C’est dire que pour elles, l’expérience de la joie dehors ne diffère en rien de celle de l’enfermement. Peut-être en arriveront-elles bientôt à dire que la vie est la mort, et que toute médecine est un dopage. Il n’est jamais question que d’une immonde manipulation des masses.


Nous pensons tout au contraire que la foule sait bien des choses, mais qu’elle s’efforce précisément de les refouler. Pour assurer son confort, elle fait preuve de mauvaise foi : elle prétend que les choses ne sont pas si claires qu’on peut le dire, et finit par penser qu’il ne faut pas voir le mal partout.

Or la critique est mauvaise psychanalyste. Car plutôt que de contraindre la foule à s’émanciper, elle lui donne une occasion d’affermir sa résistance à la conscientisation et à la responsabilité. Elle éteint sa capacité à dire : « la beauté sportive oui, mais pas quoiqu’il en coûte ».

De notre côté, nous avons préféré considérer l’événement de façon à nous y insérer, et pour résister à certains de ses penchants. Et nous aimerions souligner ici ce qui a débordé l’organisation capitaliste – cette autre messe divertissante où les eaux, les stades et la résonance populaire sont initialement créés de toutes pièces.


Dans cette perspective, il faut d’abord dire que les corps en mouvement, hissés au-dessus d’eux-mêmes et s’efforçant de le rester, nous sont apparus comme une figure de l’anarchie. Car portant en eux victoire et défaite autant que vie et mort (c’était plus flagrant encore chez les athlètes paralympiques), ils semblaient ne pas s’appartenir à eux-mêmes. Ils ne constituaient pas un principe de base solide et naturel sur lequel s’appuyer, ou vers lequel revenir. Ils se manifestaient plutôt comme sources de l’existence sans jamais prétendre être à son fondement.

Aussi y avait-il quelque chose de très profond, et le dépassement de soi ne nous est pas apparu comme une mauvaise formule. Nous avons donc considéré que le sens de l’événement ne pourrait se jouer qu’à même son déroulement, et avons eu la sensation d’entrer en résonance avec des spectateurs tenus en haleine. Nous nous sommes demandés : qui va gagner ?

A chaque épreuve terminée, nous nous sommes même tous interrogés : le résultat est-il juste ? les actes du vainqueur sont-ils respectables, au regard de ce que nous savons de son geste ? Et enfin : était-ce une belle opposition ? va-t-elle apaiser les conflits ou finalement attiser les rancœurs ?


Nous avons à présent le sentiment d’entrer en résonance avec les militants. Car nous nous demandons : quelle sera la portée de l’événement parisien ? La question de l’héritage est certes cruciale, et des plus inquiétantes aujourd’hui. Ils ont raison de la poser, en rappelant le prix des places et l’utilisation future des installations.

Nous savons qu’en la matière l’adversaire est de taille : le Pouvoir récupère tout. Il se satisfait de l’engouement autant que du contrôle de la foule. Il veut de nouveaux corps à conquérir – mettre au travail les flux de corps vivants. Et quoiqu’il arrive, il se retrouve dans la figure du vainqueur – invulnérable, même au regard des épreuves paralympiques.

La critique, elle, comme à son habitude, est déjà sûre d’avoir gagné. Elle porte des vérités sans risque, et déroule un discours censé correspondre à l’événement sans y avoir participé. Mais sa seule contribution est d’humilier un peu plus encore ceux qui se sont enthousiasmés – quand elle ne décuple pas sa mauvaise foi en disant : « ce n’est pas ma faute, n’est pas ma faute, n’est pas ma faute… ».


De notre côté, nous voudrions plutôt rendre le Pouvoir prisonnier de ses promesses fallacieuses. Et, nous l’avions déjà dit, nous aimerions dilater la richesse, le sens et la portée du geste sportif pour l’arracher aux serres appauvrissantes et polluantes du capitalisme.

Il s’agirait de contribuer à libérer le potentiel charrié par ces Jeux populaires, d’attiser la réserve de vie habituellement écrasée par la peur de l’autre et du Pouvoir. Ici déjà, nous tenons à faire écho aux athlètes qui ont exprimé leurs opinions politiques malgré la stricte interdiction.

Ce faisant, toutefois, nous aimerions mettre la foule face à ses responsabilités : si en un sens elle a eu la joie de vivre une expérience plaisante, elle se doit de ne pas laisser faire le reste – refouler à bon compte. Elle ne saurait notamment rester ignorante du sort qui a été réservé aux jardins d’Aubervilliers, et à ceux qui risquaient de faire tâche dans un parfait paysage humain.


Dès lors, et désormais, afin de ne pas ressasser notre invitation aux regrets comme la critique chante sa messe, nous voudrions adopter une autre attitude : nous effacer quelque peu pour être meilleurs psychanalystes.

Voici donc ce que nous annonçons : la FIN de l’ETE. Nous souhaiterions que notre prochain silence permette à nos aspirations sportives et libertaires d’essaimer aux quatre vents d’automne.

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