Extension du domaine de l’extradition : l’affaire Emilio Scalzo

Un militant no-tav italien de 66 ans réclamé par la justice française

paru dans lundimatin#306, le 28 septembre 2021

Une extradition pour un délit non jugé ? Ses avocats ont eu beau fouiller la jurisprudence italienne, française, européenne, ils n’ont rien trouvé de semblable, nulle part dans leurs archives. Le 15 septembre dernier, des carabiniers de Turin ont interpellé dans une rue de Bussoleno, village de la vallée de Suse et cœur de la lutte no-tav, Emilio Scalzo, 66 ans, activiste anarchiste et militant historique du combat contre la construction de la nouvelle ligne Lyon-Turin. Mais s’il est visé par une procédure d’extradition émanant de la magistrature française, c’est pour sa présence sur un autre terrain de bataille : celui de la solidarité concrète aux milliers de personnes, migrantes et exilées, qui traversent ou tentent de traverser, souvent au péril de leur vie, la frontière avec la France.

Ceux qui l’ont interpellé dans une rue de Bussoleno étaient en civils et ils ont agi si discrètement que pendant plusieurs heures, personne ne savait où il était passé : leurs chefs savaient sa popularité dans la vallée. L’accusation émanant de la France est de violence aggravée et d’outrage sur personne détentrice de l’autorité publique. Comme a eu le temps de raconter Passamontagna.info avant que ce site devienne, pour des raisons que nous ignorons, indisponible, les faits seraient relatifs à une manifestation qui eut lieu en mai dernier durant le camping « sconfiniamo la frontiera » [franchissons la frontière]. Partie de Claviere (Italie) la manifestation à l’initiative de groupes anarchistes, a débordé en territoire français. Elle se voulait une riposte à l’évacuation du refuge autogéré Chez Jésus à Oulx (où l’on portait assistance aux migrants). La manifestation en question avait été « presque aussitôt attaquée à coups de lacrymos et de grenades étourdissantes, par les gendarmes français, ces mêmes gendarmes qui repoussent et épuisent les personnes « sans les bons papiers », en les obligeant à tenter des routes toujours plus dangereuses et mortelles. » Rappelons que le 16 septembre, deux Afghans ont fait une chute mortelle.

Le mandat d’arrêt européen assorti d’une demande d’extradition qui vise Emilio est unique en son genre : il s’agirait de le transporter en France où il serait mis en détention provisoire avant même d’avoir été jugé ! Sans doute résultat des relations toujours plus étroites entre les parquets de Gap et de Turin, cette procédure donne 14 jours au tribunal de Turin pour accepter ou refuser l’extradition.

Comme l’écrivait Frank Cimini dans Il Riformista (16 septembre) :

« A l’évidence, l’Italie était impatiente de dire oui à la France au niveau de la répression des mouvements contestataires et le moment est arrivé. (…) Il est impossible de ne pas mettre en relation l’arrestation d’Emilio Scalzo avec les joutes répressives en cours entre la France et l’Italie. Avant tout, il y a l’affaire des extraditions relatives à neuf ex-militants de groupes de la lutte armée pour des faits remontant à quarante et cinquante ans, arrêtés à Paris puis remis en liberté provisoire en attendant le résultat d’un processus politique et judiciaire qui s’annonce long et complexe. Pour l’instant l’Italie a été invitée à compléter les dossiers relatifs à chaque cas particulier.

En outre, la Cour de justice européenne devra d’ici la fin de l’année fixer une date pour l’audience à l’issue de laquelle elle décidera de la compatibilité du délit de « dévastation et pillage » avec l’ordre juridique français. En l’occurrence, il s’agit de l’histoire de l’anarchiste Vincenzo Vecchi condamné en Italie à 12 ans de réclusions pour des faits relatifs aux manifestations du G8 de Gênes durant l’été 2001 et pour lequel l’Italie demande une extradition qui pour l’heure a été refusée. (…)

On voit que l’arrière-plan de cette arrestation est dense de sous-entendus, et qu’il s’agit de savoir si les justices française et italienne vont travailler main dans la main et innover encore et toujours en matière de répression des dissensus. La vallée de Suse a très vite affirmé sa solidarité, avec une campagne d’affichage, une présence devant la prison de la Valette à Turin, où il se trouvait et dès le dimanche 19 septembre, une manifestation aux flambeaux, très nombreuse, jusque devant sa maison inhabituellement vide et silencieuse.

Le 23 septembre, Emilio a été remis en liberté provisoire, avec assignation aux arrêts domiciliaires, en attente d’une réponse du tribunal de Turin sur la demande d’extradition. Ses amis là-bas et ici restent en alerte.

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