Je vis à côté de moi-même
droite et fuyante comme un selfie comme un miroir
comme un ordi sur mes genoux
comme un tél dans la paume d’une main
je n’habite rien
ni l’espace ni l’instant
je vis en dehors du maintenant je me maintiens
je suis toute à côté de moi
je me connais et je m’imite comme un reflet dans une vitre self inversé
je ne suis plus que virtuelle
vous êtes de moins moins réel.les ombre allias
double ou pseudo
je suis bendo : abandonnée laissée
vautrée
et vitrifiée
comme un avatar avortée
je suis un moi qui devient moite une sorte de version malformée toute fermée et périmée défectueuse
mal corrigée téléchargée sans connexion
EXI(S)T
je suis secrétaire d’une asso
où tous mes moi sont des prête-noms j’en suis présidente dissociée
tous les dissociés associés
ça pourrait faire une entreprise
mais à actions complexifiées
je suis dissoute comme l’Assemblée mon âme pègue
comme du beurre rance
je deviens fenêtre taoïste
même les forêts sont managées je déteste les personnes âgées
je ne sais plus ce que je suis
je n’existe que dans le verbe suivre
je ne ressens aucune joie et pas de colère non plus
je ne suis que ce que je vois je bois le monde
et je suis grignotée par lui
je vis à côté de moi-même
droite et fluante comme un selfie comme un miroir
exister je n’y arrive pas
je suis Judas
trou dans la porte
l’invisible passe à travers moi
je suis ce par quoi toi tu vois je suis ce par quoi toi tu vois je suis ce par quoi toi
tu vois
tout ne sera pas comme avant ça cessera d’être pareil
on a le droit quand même pardi de regretter les paradis
qu’on a perdus
ou plutôt d’avoir de la peine de ne pas les avoir connus
rien ne revient sans être zombie
on a l’héritage poinçonné comme un cadeau empoisonné
on est dedans l’ambiguïté la plus terrible forcé..es de voir mourir le monde
tomber les corps
dilacérés les peuples en larmes
on est forcé..es de pouvoir voir
et de désirer regarder
mais on ne peut rien ressentir moi non plus je ne sens plus rien j’ai le sang lourd
le cœur morbide
on voit ce qu’on voit
on ne s’en émeut quasiment pas on n’arrive même plus à pleurer
être âgé c’est avoir agi
et pourtant les vieux sont au bagne on les bâillonne
on les sédate
on les supprime pour des subprimes on les empile dans les EHPAD heureusement il y a les iPads
on est rompu..es par la raison d’un État qui
en généreux père de famille :
exploite - protège exploite – protège exploite – protège
à l’infini
on a le pouvoir de vouloir voir
mais on ne comprend pas ce que l’on voit on ne ressent rien
depuis la gare on voit la guerre
on regarde les enfants mourir, déchiquetés
et ensuite on va se coucher
Leïla Chaix