Évacuation de la Gaîté Lyrique

« La merde ambiante se propage »

paru dans lundimatin#468, le 26 mars 2025

La Gaîté Lyrique était vide pourtant ! Ça doit être ça : leur frustration de ne pouvoir en « expulser » ses occupants, puisque c’est leur raison d’être : appliquer l’ordre venu d’en haut.

Ça ! Un mauvais rêve ? Tu te réveilles et tu pleures. T’as passé l’âge pourtant ! C’est le manque de sommeil enkysté qui s’relâche, ou la tête ankylosée aux gaz lacrymogènes qui s’débine… Eh ben ça promet, quand ce sera la guerre ! Mais elle est déjà là ta guerre et j’temmerde, tes bataillons de CRS qui nassent, qui font durer leur plaisir plus de trois heures tandis que le silence plane sur le froid qui nous glace. Puis, le soleil se lève, les tambours et les slogans se réveillent, et là, sans crier gare, ça commence à frapper dans le tas au hasard, à dégommer ses jets de lacrymos à bout portant des yeux, à pousser du bouclier ceux qui sont en haut des marches. Ils tombent, risquent d’être piétinés par la foule en panique qui tente de sortir de cette place bondée, bouclée de part et d’autre par des casqués en armes arrivés au petit matin à plus de 500 exemplaires.

Car faute de pouvoir se rassembler la veille place de l’Hôtel de Ville et d’y passer la nuit à hurler à Hidalgo son incurie – sa place à elle étant préventivement gardiennée par ses amis de la préfecture – les jeunes mineur.e.s isolé.e.s avaient décidé de veiller devant la Gaîté Lyrique, qu’elle soit vide au moment de l’arrivée des flics. Car si les médias et les politiques se foutent bien de ce que ces jeunes aient mûris bien plus tôt et plus durablement que leurs détracteurs, il ne leur avait pas fallu longtemps avant de décider qu’il est plus sage de se trouver dehors plutôt que de se faire bastonner pour sortir d’un lieu de toute façon perdu. Y rester malgré tout, c’est quand il reste ce qu’il faut de dignité, d’espoir aussi, celui que la Mairie vienne proposer quelques solutions in extremis. Et elle en a, puisque sur les 1000 places d’hébergement qu’elle a cédées au forceps dans le passé, pas loin de 600 sont vides, les jeunes mineurs qui les occupaient ayant été enfin reconnus, depuis, dans leurs droits, par le juge des enfants.

Et c’est bien la Mairie de Paris qui, à travers sa toute nouvelle Direction de la Solidarité (DSOL), chapeaute la Direction de l’Action Sociale de l’Enfance et de la Santé (DASES), laquelle a en charge l’Aide Sociale à l’enfance(ASE) qui, à Paris, délègue à France Terre d’Asile (FTDA) les évaluations de minorité des mineur.e.s isolé.e.s. Or il est de notoriété publique que cette association « est devenue une “entreprise de l’asile” : délégataire du service public, ayant adopté les catégories étatiques dans son action, faisant preuve d’un militantisme “domestiqué”, se présentant à l’échelle nationale comme détentrice d’une “expertise” et décrivant ses compétences en fonction des marchés publics disponibles ». Les évaluations de minorité effectuées par FTDA consistent en une « description critique des documents d’état civil, [en] une série de calculs de données chiffrées (âge des proches, années de scolarisation, événements particuliers, etc.) [Par ailleurs] les évaluateurs ont recours à des typologies qui agrègent d’emblée une liste de stéréotypes et activent alors une série d’anticipations en fonction de l’origine nationale du jeune, de son physique et de son comportement. » [1] Il y aurait encore beaucoup à dire sur le déroulement de ces évaluations, sur ce qui les rend arbitraires et caduques, mais le plus important est qu’elles relèvent d’objectifs chiffrés, à atteindre en fonction des désidératas de la Mairie de Paris, des émoluments qu’elle donne à cette fin à FTDA, son prestataire.

Le 18 mars 2025, le jeu de dupe est à son paroxysme ! À la tête de l’institution qui se fait fort de faire vivre un calvaire aux jeunes pendant parfois un an – le temps qu’il faut pour obtenir une audience de recours devant le juge des enfants – Anne Hidalgo, ne craignant pas de reprendre l’argument phare de l’extrême droite, affirmait, au moment même de l’expulsion de la Gaîté Lyrique, que les jeunes à la rue sont « des majeurs qui veulent faire reconnaître leur minorité » [2]. L’action en cours fut évoquée en moins de deux minutes après que la mairesse en ait consacré une bonne vingtaine à la présentation de son dernier livre. Le lendemain, Libération invitait Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France Terre d’Asile, lui donnant ainsi l’occasion de se redorer le blason grâce aux jeunes de la Gaîté Lyrique [3] tout en étrillant gentiment, au passage, la Mairie de Paris. Ainsi, on se fait des reproches, on se renvoie la balle des responsabilités par voie de presse, puis on dîne ensemble autour d’une bonne bouteille. Car une chose est certaine, après l’occupation du 104, puis celle des Métallos, puis celle de la Mairie de Paris le jour de ses portes ouvertes transformées en braderie des Jeux Olympiques, Anne Hidalgo aura eu bien des occasions de se concerter avec la Préfecture pour que l’occupation de la Gaîté Lyrique serve de leçon à ceux qui prétendent faire valoir que leurs droits sont bafoués.

La presse, quant à elle, n’aura eu de cesse de faire accroire que l’expulsion en était une, que la Gaîté Lyrique était occupée, alors qu’elle était vide, et elle se sera fait fort de relayer les mensonges politiques selon lesquelles des solutions d’hébergement à Paris auraient été proposées, ce qui, là encore, est faux : le seul bus apprêté pour une soi-disant mise à l’abri – annoncée par les sbires de la Préfecture comme devant durer seulement 3 semaines – avait pour destination Rouen. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’un nombre très conséquent de camions de pompiers étaient sur place bien avant que la ratonnade ne débute. Ainsi, la leçon à infliger était prévue pour être des plus violentes. Un dispositif quasi-militaire encerclait la Gaité lyrique : des drones, des centaines de CRS, gendarmes et policiers, ont nassé, chargé, gazé, coursé à travers les rues des centaines de jeunes mineur.e.s isolé.e.s et de soutiens pendant plusieurs heures. Le collectif des jeunes du parc de Belleville rapporte « qu’une soixantaine de mineur.e.s isolé.e.s ont été interpellée.s, qu’au moins 25 d’entre eux sont ressortis des commissariats avec une OQTF, malgré les papiers attestant de leur recours de minorité. Il s’agit là de mesures arbitraires et illégales, puisque les mineurs en recours ne peuvent pas être sujets à des OQTF. Leurs dates de naissance ont été modifiées par la police malgré les documents d’identité qu’ils présentaient. Un jeune aurait ainsi atteint ses 18 ans le jour même de l’expulsion, quel hasard ! Un jeune a été tabassé dans un commissariat du 18e. Un jeune homme majeur qui s’était réfugié à la Gaîté pour une nuit est au CRA de Vincennes avec une Interdiction de Retour sur le Territoire Français. On compte également plusieurs dizaines de blessés : des lésions aux bras, côtes, doigts, arcades, yeux, cuisses, crânes, des malaises prolongés suite aux gazages. De nombreux jeunes étaient en état de choc, des traumas d’autant plus compliqués pour eux qu’ils/elles se sont retrouvé.e.s à la rue le soir même, de nouveau traqué.e.s par la police. Autour de la Gaîté, sur les quais de Seine, dans le métro, sur les 3 sites de la Bourse du Travail, sur la Place de la République, au Parc de Belleville, à Château Rouge et au Parc des Beaumonts, c’est une véritable chasse aux migrants qui a continué à se déployer pour les empêcher de se réunir ou de trouver un endroit pour dormir. » 

Depuis le carnage de la Gaîté Lyrique, la presse se délecte avec le doux vocable d’OQTF si cher au Rassemblement National et à ses affiliés. Il est question de démontrer que, cette fois, l’État est en pleine possession de ses moyens, et qu’il ne faiblira pas devant les mesures… d’expulsion.

Des salves d’arrestations ont eu lieu dans Paris, en Banlieue, elles se poursuivent, en particulier à Pont Marie où de nombreux jeunes ont pris l’habitude de trouver refuge puisque, avant de rejoindre la Gaîté Lyrique, c’est là qu’ils ont pris l’habitude de passer la nuit sous des tentes de fortunes.

Tu te réveilles et tu pleures. Mais en fait non, car on te l’a dit, t’as passé l’âge, et de toute façon t’as pas le temps de pleurer parce qu’il faut plier tente et bagage, et courir très très vite en espérant ne pas être rattrapé par la merde ambiante.

Illustration : @Tulyppe

[1Noémie Paté, Minorité en errance. L’épreuve de l’évaluation des mineurs non accompagnés. Presses universitaires de Rennes (2023). Pour une recension de cet ouvrage, voir Léa Jardin sur Open Edition

[2Anne Hidalgo : ’La réponse est dans le parti politique’, Le grand Entretien de 8h30, France Inter (18/03/25), minute 20.50.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :