Espérances désespérées

Mario Tronti

paru dans lundimatin#225, le 17 janvier 2020

Après le ‘fuori e contro’ (« en dehors et contre ») des années opéraïstes, le ‘dentro e contro’ (« dedans et contre ») de la lutte à l’intérieur du PCI, la boussole de Mario Tronti, depuis La politique au crépuscule (L’éclat 2000), indique une nouvelle position de combat : ‘aldilà e contro’ (« au-delà et contre ») et il précise : « Sans m’identifier aux formes théologiques que prend cet au-delà, j’y trouve, et j’utilise, une forme de penser, et une forme de parler, de dimension politique, qui métaphoriquement, ou allégoriquement, fait allusion à quelque chose d’autre qu’ici, à quelque chose d’autre que cela. » « Disperate speranze » a été publié récemment (novembre 2019) par Mario Tronti dans la revue Infiniti mondi. Traduit ici par Michel Valensi.

Le temps n’est pas aux utopies. C’est pourquoi il est nécessaire de parler à nouveau d’Utopia. Nous sommes enchaînés aux barreaux d’un éternel présent, à une condition qui nous ôte tout à la fois la liberté de regarder en arrière et celle de voir devant : parce que, selon l’opinion courante et dominante, le passé doit mourir et l’avenir n’a pas le droit de vivre. Par réaction, recherchant la lumière depuis le cœur de la caverne, deviennent alors subversives ces deux facultés hautement humaines, la mémoire et l’imagination. Elles doivent être cultivées ensemble et non l’une contre l’autre : c’est ce que je veux tenter de dire. Et j’ajoute : il ne faut pas se référer à l’hier, mais bel et bien à l’avant-hier ; non pas au lendemain, mais au surlendemain. Le passé immédiat est ce qui a produit ce présent : il faut le passer au crible de la critique. Le futur immédiat est tout entier aux mains de ceux qui commandent aujourd’hui : il faut le leur arracher. Ne jamais oublier que lorsqu’on pense des concepts politiques, il faut les rattacher solidement aux luttes. Dans le voyage qui nous mène jusqu’à l’île d’Utopia, on parvient à ses rives après avoir traversé bien des mers en tempête, et certainement pas bercés par le calme plat des Antilles.

Notre temps est le temps des dystopies. Le rouleau compresseur d’un processus historique avance seul, sans que personne ne le guide, parce qu’il n’a pas besoin de guide, parce qu’il a sa propre logique autonome de développement et de crise, selon des lois parfaitement interchangeables du mouvement vétéro-et-néo-capitaliste Après le XXe siècle, le Leviathan de la technique n’est plus sujet, il est instrument, comme le fut au XVIIe le Leviathan de la politique. Alors il avait servi à l’accumulation originaire de la richesse des nations, c’est-à-dire du capital-monde ; aujourd’hui il sert à l’éparpillement final des ressources de la terre. Et on ne voit pas venir à l’horizon le Behemoth des guerres civiles. Les conflits existent. Ils ne peuvent pas ne pas exister dans des sociétés aussi profondément divisées que les nôtres. Mais ce sont de faux conflits dans l’action des sujets, comme sont fausses les informations transmises dans la communication verbale. La fausseté consiste dans le fait qu’elles ne servent pas – parce qu’elles ne visent pas – à mettre en crise le mécanisme objectif de permanence des formes de vie actuelles, dans leur présence spécifique originale, imposées et tout à la fois acceptées. Le discours de l’utopie a aujourd’hui la tâche de travailler à distinguer, à dissocier, à séparer, imposition et acceptation. Soit la pensée utopique parvient à être pensée critique antagoniste de chaque jour, soit elle risque de devenir une philosophie du dimanche consolatrice.

Utopia, pour moi, est un au-delà. Au-delà terrestre. J’hésite à dire « mondain ». Parce que le monde s’identifie aujourd’hui à ce monde : précisément ce qui me repousse et qui me pousse à chercher un outre-monde. Je me sens proche, de ce fait, de toute mesure ou dimension transcendante. Sans m’identifier aux formes théologiques qu’elle prend, j’y trouve, et j’utilise, une forme de penser, et une forme de parler, de dimension politique, qui métaphoriquement, ou allégoriquement, fait allusion à quelque chose d’autre qu’ici, à quelque chose d’autre que cela. Ne serait-ce que dans ce choix, déjà, il y a un antagonisme. Tandis que dans le choix, opposé, d’un immanentisme rigoureux, il n’y a pas d’issue hors de la subordination à ce qui est et à comme il est. Pour le temps que nous sommes en train de vivre, pour la contingence dont nous faisons actuellement l’expérience, il n’est pas possible d’imaginer une utopie politique, il faut penser une utopie théologico-politique. Si, comme nous le verrons, en suivant Bloch, ce qui nous intéresse c’est « l’utopie concrète », le théologico-politique, plus que le politique, qui est en mesure de nous assurer ce non-encore réaliste que nous recherchons. Ne tournons pas autour du pot et concentrons-nous sur ce point. Dans le Magnificat, nous lisons : renverser les puissants, élever les humbles. Voici le théologique. Comment renverser les puissants et comment élever les humbles. Voici le politique. Et qu’on ne vienne pas dire : c’est trop facile. C’est la tâche de la pensée politique que de réduire la complexité de l’histoire, de manière à ce que celle-ci puisse être accomplie non seulement par celui qui la possède intellectuellement, mais aussi par celui qui en souffre existentiellement.

Ce monde. Ce temps. Pour le discours de l’utopie, il faut avant tout s’entendre sur le sens de ces expressions. Monde et temps, ennemis. Une des difficultés, probablement la plus grande difficulté, à parler aujourd’hui de ce qui est « au-delà », c’est la dépendance générale vis-à-vis de l’état des choses présentes, une résignation de masse, culturellement motivée par l’impossibilité de « changer le monde », comme on avait d’ailleurs l’habitude de dire jusqu’à récemment encore. Non que le mot ‘changement’ soit absent. Et même pour affirmer ce faux-mouvement qu’est le consensus démocratique, il suffit de le prononcer et, mieux encore, de le clamer haut et fort. Ce qui est intéressant : parce que cela veut dire que l’on n’est pas satisfait de la manière dont vont les choses, ou par la manière dont les choses sont allées jusqu’à présent, du fait de ceux qui les ont gouvernées. On s’en remet alors aux prochains gouvernants, pour que les choses changent. Telle est la tromperie de nos démocraties contemporaines réalisées. Offrir l’illusion du changement est la manière la plus intelligente qui a été trouvée jusqu’à présent pour conserver les choses comme elles sont. Les monstres bibliques ne sont plus d’aucune utilité pour gouverner les peuples. Des animaux domestiques rassurants suffisent absolument, qui investissent désormais – et ce n’est pas par hasard –, les chambres d’une grande partie des maisons, jadis occupées par les enfants.

Changement est un terme de la pensée faible : une non-pensée qui enregistre, décalque, reflète une non-société. Margaret Thatcher n’avait pas tort quand elle disait : la société n’existe pas, n’existent que des individus. Elle définissait exactement ce monde, du néolibéralisme gouverné par l’économie et la finance. Quelqu’un nous a enseigné que tu dois connaître ton ennemi mieux que l’ennemi ne te connaît toi-même. C’est le cas. Ce sont toujours les patrons, et ceux qui les représentent, qui te disent comment sont vraiment les choses. Les contestataires croient généreusement à la fable de l’animal homme naturellement sociable. Mais des siècles d’anarcho-capitalisme ont déposé parmi nous une autre espèce humaine : celle-là précisément. C’est là que le discours de l’utopie trébuche et tombe. Alors, tu dois déployer non pas une idée faible de changement, mais un concept fort de transformation. Transvaluation de toutes les formes : de production, d’échange, de consommation, maintenant et toujours des formes de pouvoir et, aujourd’hui précisément – problème dramatique – des formes de communication. Et, par conséquent, remise en cause des formes de vie, celles qui ne se choisissent pas mais se subissent, celles dont on ne jouit pas mais dont on souffre, celle dont on fait quotidiennement l’expérience non sur soi, mais contre soi.

Ce monde est un monde qui produit le plus d’innovation technologique et en même temps provoque le plus de décadence humaine. Je ne dis pas que celle-ci est produite par celui-là. Sur ce sujet, il convient de n’être ni apocalyptiques, ni intégrés. La technique n’est pas l’Antichrist qu’il faut arrêter avant qu’il ne conquière entièrement nos âmes. C’est tout au plus l’usage de la technique qu’en fait celui qui commande, c’est-à-dire celui qui détient, gère et manipule la richesse et le pouvoir. Le destin du post-humain surgit, dans la perspective dystopique de machines intelligentes et d’hommes stupides, d’intelligence artificielle et d’idiotie naturelle. Et soyons bien attentifs à ce que l’attention salutaire portée au prochain et proche désastre environnemental, comme problème de tous, ne cache pas le discours sur la responsabilité de quelques-uns. L’état des choses à transformer fonctionne toujours de cette manière : la mobilisation totale sur l’intérêt général sert à ce que demeurent en sécurité, non vues, non considérées, des responsabilités particulières bien précises. Savoir cela est le premier mouvement à accomplir pour le sujet de la transformation. Le second est de mettre en œuvre un processus de démasquage qui conduit à la dénonciation des conséquences et à la préparation des remèdes. Le discours de l’utopie est pris entre ces conditions.

Voici la raison pour laquelle, avant de nous aventurer dans les réponses concernant l’avenir, il convient de poser quelques questions concernant notre présent.

Pourquoi cette condition désespérée qui voit d’un côté des classes dirigeantes qui ne sont pas à la hauteur, et voit de l’autre côté une masse d’individus qui ne sont pas révoltés ? Pourquoi tous ces homoncules qui gouvernent les États et, en même temps, tous ces gens qui suivent des démagogues ? Le problème n’est pas l’opposition entre élites* et peuple, mais entre des élites disqualifiées et un peuple désorienté. Alors la critique de ce monde s’accompagne de la critique de ce temps. Je sais que par cette oreille on ne veut rien entendre. Pas un de ceux qui comptent ne serait-ce qu’un peu, n’est disposé à écouter, qui par arrogance, qui par assujettissement. Et pourtant, ce n’est pas une voix qui est en train de parler, c’est une donnée de la réalité qui s’impose toujours plus. Tant qu’il n’y aura pas de prise de conscience, politico-culturelle, collective, du caractère dévastateur de la réaction anti-vingtième siècle, qui a clos prématurément le siècle dans les années 80, il est utopique de parler d’utopie. Sachons-le. Réaction est le mot qui convient, parce que ce fut un fait historiquement réactionnaire, masqué uniquement par des idées libérales, des formes démocratiques, de « bouillies du cœur » éthiques. Le travail, politique et intellectuel, de démasquage de ce temps est tout aussi essentiel que celui qui concerne notre monde.

La Trilatérale a été le Congrès de Vienne de notre temps. Elle a ouvert l’ère nouvelle de la Restauration. De même que celui-ci a décrété la fin du désordre révolutionnaire, exporté en Europe par les guerres napoléoniennes, celle-là a décrété la fin de l’ère des guerres civiles européennes et mondiales, qui ne s’achève pas en 1945, mais en 1989. Les années 80 dans leur ensemble, de l’innovation et de la libération, préparent le retour du nouvel ancien régime*, que nous vivons encore aujourd’hui. Aujourd’hui, où tout le monde est prêt à admettre qu’il n’y a pas eu de « fin de l’histoire ». Mais le nippo-américain avait vu juste en partie. Il y a eu un passage de l’histoire à la chronique, avec toutes les conséquences de circonstance. Du grand conflit aux chamailleries de cours de récréation. Des narrations idéologiques au storytelling* du personnage de service. De la bataille des idées au bavardage médiatique. De la culture à la communication. Des partis aux mouvements. De la politique-projet à la politique-spectacle. Le déclin de l’Occident ne projette plus de lueurs de feu, il s’abîme dans la nuit obscure de ce que l’on a appelé la globalisation de l’indifférence. Si nous regardons le contraste des points de vue opposés dans le rapport social entre ceux qui sont en bas et ceux qui sont en haut, si nous mesurons le niveau de pensée que ce conflit central produisait dans les deux parties en lutte, si nous évaluons le degré de subjectivité des forces organisées pour la défense des intérêts contraires, si nous considérons le marché par rapport à l’État, le privé par rapport au public, l’individu par rapport à la société, alors nous avons devant nous, ici et maintenant, le paysage d’un petit monde ancien dix-neuvième siècle.

Alors, quel type d’opération intellectuelle pouvons-nous conseiller ? Je dirais ceci : partir d’une vision du monde réaliste et du temps pour préparer une vision néo-utopiste capable concrètement de faire un bond au-delà.

Il faudrait un engagement collectif, avec une division interne du travail, des esprits libres, dans le sens de personnes pensantes, doublement libérées : libérées de l’approbation de l’état actuel des choses et libérées de la contestation qui en a été faite au cours des dernières décennies. Il faut trouver une nouvelle manière d’être « en dehors et contre ». Je ne peux le faire que comme j’ai toujours su le faire : en bandant l’arc jusqu’à ce que sa flèche puisse atteindre la cible la plus proche. Vision réaliste. Disposé, toutefois, à corriger la mire avec d’autres tireurs choisis. Une prémisse commune, toutefois, et qui doit être : bataille de terrain et non des pas de danse sur la piste.

L’utopie concrète ? En attendant, retour de Vingtième-siècle. Il est plus facile d’atteindre l’île qui n’existe pas si l’on sait que l’île a déjà existé. L’Atlantide, continent disparu, se donnait comme ayant existé. On ne sait si le regnum hominis de la Nova Atlantis, imaginée par un homme de science visionnaire, Bacon, et avant même encore par un philosophe du monde des idées, Platon, a jamais existé, mais la grande terre qui le rendait possible, existait bel et bien. Le ‘déjà été’ et le ‘pas encore’ ne s’opposent pas. Ils sont complémentaires. Comme conservation et révolution. C’est le tour des orbites qui révolutionne les planètes. Et le bond ne consiste pas à se projeter en avant, mais à arrêter le cercle en un point : ce point où l’histoire et la politique sont allés plus loin que l’économie et la technologie et ne sont pas comme aujourd’hui dramatiquement à la traîne. On ne peut plus invoquer Utopia et attendre le Messie, mais, sur les traces de Benjamin, il faut laisser ouvert le petit soupirail à travers lequel il peut passer, pour revenir, à chaque instant. C’est-à-dire être prêts pour l’occasion. Tâche primordiale d’une politique à nouveau à son poste de commande qui est de se préoccuper de maintenir cette ouverture et en tout cas de s’organiser pour l’ouvrir quand elle est fermée.

Encore la question, ou plutôt les questions : un messianisme réaliste est-il possible ? Peut-être sous la forme de cette « apostasie messianique » d’un Sabbatai Zevi, personnage aussi controversé que très peu connu du seizième siècle, à travers lequel Gershom Scholem a pu nous parler d’utopie et de modernité ? La nécessité de pénétrer par des voies maritimes non explorées si nous voulons atteindre l’île de l’utopie concrète blochienne ne fait pas de doute.

Ernst Bloch écrit L’Esprit de l’utopie au milieu de la première grande catastrophe du XXe siècle, entre 1915 et 1917. La première édition paraît en 1918, et une deuxième version en 1923. La raison utopique contemporaine naît en même temps que l’ère des guerres civiles européennes et mondiales. C’est la raison pour laquelle le discours d’utopie qui, partant de là, arrive jusqu’à nous, ne peut qu’assumer un signe tragique. Rien de consolateur ni de rassurant, rien de progressif. C’est un choc frontal avec la réalité. Un cri d’espoir désespéré. Dans un Avertissement de 1936, Bloch définit son livre comme « la tentative d’une première œuvre fondamentale, expressive, baroque, religieuse », avec, en son cœur, toute l’atmosphère culturelle de l’époque, du Blaue Reiter à la poésie et à la peinture expressionnistes, une œuvre tissée « dans le puits de l’âme », comme disait Hegel, mais avec une ‘charge de dynamite’ dans le rapport sujet-objet, construite sur le principe : « Le monde n’est pas vrai, mais il veut revenir à la maison grâce aux hommes et à la vérité. » Puis Bloch relit son texte en 1974, à l’occasion d’une conversation à Tübingen (évoquée dans l’édition italienne de 1980). Quand un auteur se relit lui-même ainsi à distance de plusieurs décennies, les étincelles de pensée semblent briller d’un nouvel éclat. Les découvertes sont réaffirmées et en même temps approfondies. Présent et futur – dit Bloch – ne peuvent être regardés et traités de manière contemplative, ils ont besoin de la pratique pour ce qui concerne l’action, et de la volonté pour ce qui concerne la décision. Au centre, la médiation de la politique. Ainsi l’« utopie devient en substance une pré-apparition (Vorschein) ». Et ceci « bien plus souvent que cela n’est advenu dans les théories des États idéaux, où l’île merveilleuse de notre désir dévorant était transférée dans une île perdue des Mers du Sud, comme chez Thomas More ou Campanella. Même les grands utopistes qui vécurent entre le XVIIIe et le XIXe siècles, et surtout Fourier et Saint-Simon, ne construisent que le siège d’une image onirique fondée de notre futur proche. À eux le marxisme a rattaché sa pratique d’une transformation finalement réalisable concrètement, en critiquant le caractère abstrait des utopies précédentes et en restant fidèle avec d’autant plus de force à l’orientation vers le futur de la fonction utopique. D’où la phrase : “Le marxisme n’est pas une utopie, mais le novum d’une utopie concrète.” Phrase qui ne se trouve pas formulée sous cette forme dans L’Esprit de l’utopie, mais plutôt dans le Principe Espérance, même si elle est déjà contenue en substance dans la première œuvre ; et il en va de même pour le concept en apparence paradoxale d’“utopie concrète” ».

Bloch revient en Allemagne en 1949 quand s’établit la République Démocratique Allemande. C’est là et à cette époque que, enseignant à l’Université de Leipzig, il écrit son grand œuvre Le principe espérance. Il a touché du doigt l’extinction du feu qui avait été allumé par le « rêve d’une chose » marxien dans la lettre à Ruge de septembre 1843. Il concluait sa conversation de 1974, en invitant à scruter encore notre histoire et ses œuvres « en se tournant vers l’utopie, et donc vers ce qui n’a pas été racheté, qui nous attend, qui n’est pas encore advenu et qui de plus est menacé ». Le dernier chapitre de L’Esprit de l’utopie portait le titre : « Karl Marx. La mort et l’apocalypse. »

« La guerre prit fin, commença la révolution et, avec elle, les portes semblèrent s’ouvrir. Mais presque aussitôt après elles se refermèrent. » C’est une des phrases lancinantes de ce chapitre. J’en cite quelques-unes encore qui font allusion, et pas seulement métaphoriquement, à notre situation présente. « Tout procède à tâtons, guidé par un étrange pressentiment, dont le manque marque au fer brûlant les êtres vivants, c’est partout un éprouver, conserver, refuser, réutiliser, se tromper, retomber… » Mais « l’homme est le seul être vivant capable de transformer. » « Nous avons appris au moins une chose du regard du réel qui nous est parvenu il y a cent ans (aujourd’hui deux cents !) : de la pensée programmatique socialiste Marx a éliminé radicalement le simple fanatisme abstrait et sans relation, le pur et simple jacobisme … Une manière d’être pratiques, de coopérer à l’horizon constructif de la vie quotidienne et de juger avec droiture, d’être précisément politiquement sociaux, est au plus près de la conscience et constitue une mission révolutionnaire de l’utopie… Ainsi Marx a enseigné que l’on ne doit jamais chercher ou expérimenter au-delà de ce qui est étroitement possible et que le seul problème est toujours et seulement le prochain pas… Marx veut agir et changer le monde à travers la volonté et donc il ne se limite pas à attendre que se vérifient certaines conditions, mais nous apprend à les faire émerger, posant la lutte de classe, analysant l’économie en tenant compte d’éléments variables, adaptés à une intervention active. »

Pour nos compagnons de route d’aujourd’hui : « Nous sommes toujours en attente, nous avons une aspiration et une connaissance réduite, mais nous manquons d’action, comme en témoigne le fait que nous font complètement défaut l’ampleur, le coup d’œil et le but, que nous n’avons pas franchi, prévoyants, le moindre seuil… »

Et enfin, la ligne de conduite : « L’histoire est un voyage difficile et mal commode… En règle générale, les circonstances sont telles que l’âme doit se rendre coupable pour annihiler l’existant malfaisant, pour ne pas devenir encore plus coupable en se retirant dans l’idyllique et en tolérant l’injustice avec une apparente bonté. En soi, la domination et le pouvoir sont malfaisants, mais il est nécessaire de leur opposer tout autant de puissance, presque un impératif catégorique qui pointe son pistolet… »

Paroles vieilles d’un siècle. Je ne sais pas si elles sont oubliées, ou incomprises, ou rejetées. Pour ce qui me concerne je sais seulement que le fait de les commenter leur ferait perdre la fascination que l’impact direct peut provoquer chez le lecteur. Pire, les résumer avec d’autres paroles signifierait en tout cas les trahir. Il faut les intérioriser et c’est tout. Le sous-titre qui précise « Karl Marx. La mort et l’apocalypse », récite : « Les rues du monde le long desquelles l’intérieur peut devenir extérieur et l’extérieur comme l’intérieur. » La partie centrale de L’Esprit de l’utopie développe le thème du Selbstbegegnung, de la Rencontre avec le Soi. Il est juste de dire « le thème », parce qu’une grande partie du chapitre compose une « philosophie de la musique » : art intimement utopique, « art miraculeux et transparent qui dépasse le sépulcre et la fin de ce monde ». La musique est la chose en soi, qui se manifeste dans le désir spirituel et qui ainsi nous incite à la rêverie : « et ceci est ce qui n’est pas encore, le perdu, le présage, notre rencontre avec le Soi caché, dans les ténèbres et dans la latence de tout instant vécu, la rencontre avec nous-mêmes, notre utopie que s’appelle elle-même à travers le bien, la musique, la métaphysique et qui toutefois n’est pas réalisable sur terre ». Utopie c’est « nommer tout à fait différemment le nom de Dieu, ce nom à la fois perdu et jamais trouvé ». Suit une digression intitulée « Le mystère ».

L’utopie concrète, l’utopie politique, c’est-à-dire la politique dramatiquement aux prises avec le fait d’atteindre un but placé au-delà de la réalité dans laquelle elle lutte, doit régler ses comptes avec la dimension du mystère qui marque la vie humaine : c’est pourquoi l’histoire des événements est une énigme que chaque époque, à sa manière, se doit de déchiffrer. Bloch appelle cette tâche : « la forme du problème inconstructible ».

L’Esprit de l’utopie a une suite, comme a une suite le dernier chapitre, sur Marx, la mort, l’apocalypse. Bloch écrit et publie à peu près à la même époque (1921), un livre peut-être encore plus explosif. Thomas Münzer, théologien de la révolution (tr. fr. Maurice de Gandillac, Les prairies ordinaires, 2012). Tout jeune, garçon ou fille, qui décide de rentrer en politique du côté de ceux qui veulent changer le monde, est dans l’obligation éthique de s’abreuver à cette source, pour une accumulation originaire d’énergie subversive. Dans la réédition de ce livre en 1969, Bloch le définit comme « un appendice à L’Esprit de l’utopie  » et prévient : « Son romantisme révolutionnaire trouve sa mesure et sa détermination dans mon livre Le Principe Espérance ». Il est bon que ce jeune d’aujourd’hui, lecteur du livre sur Münzer, devenu adulte, plutôt que de se résigner à devenir un tranquille démo-progressiste, s’engage avec sérieux et inquiétude, à donner « sa mesure et sa détermination » à son romantisme révolutionnaire originel. La guerre des paysans, dans l’Allemagne de la Réforme, est un des moments de la longue et grande histoire des révoltes des classes subalternes, dont la mémoire doit être conservée et valorisée comme un véritable patrimoine de l’humanité.

Là aussi, quelques perles extraites du texte de Bloch : « Münzer a vu son œuvre brutalement brisée, mais ce qu’il a voulu a ouvert de très larges perspectives … lui et son œuvre, et tout le passé qui mérite d’être relaté, est là pour nous assigner une tâche, pour nous inspirer, pour étayer toujours plus largement notre permanent projet » (p. 25). « Tout le poids de la pyramide correspondant à cette nouvelle société pesa finalement sur le peuple des paysans, sur cette masse centrale et sans défense, également exploitée par tous les États de l’Empire… Il convient de considérer les soulèvements paysans dans leurs racines les plus profondes … Car si les appétits économiques sont bien les plus substantiels et les plus constants, ils ne sont pas les seuls ni, à la longue, les plus puissants : ils ne constitueront pas non plus les motivations les plus spécifiques que l’âme humaine, surtout dans les périodes où domine l’émotion religieuse… Les inclinations, les rêveries, les plus profondes et sincères émotions, les enthousiasmes orientés vers des fins se nourrissent d’un autre besoin que celui qui saute immédiatement aux yeux et ne sont jamais cependant une vaine idéologie : ils ne disparaissent point et marquent de leur empreinte une longue période ; ils jaillissent dans l’âme d’un point originel, celui qui fait naître et qui définit les valeurs ; ils survivent à toute catastrophe empirique et gardent pleine vigueur, prolongeant dans une constante actualité le millénarisme qui a orienté profondément le XVe siècle, celui de la Guerre des Paysans et de l’Anabaptisme. Ainsi, en ce temps-là, on voulut avant tout se débarrasser de toute construction adventice, retrouver l’état de jeunesse » (p. 84-87). « … On ne meurt point pour un simple budget de production bien planifié ; et jusque dans la réalisation bolcheviste du marxisme, on retrouvera justement les caractères du vieux baptisme radical, de l’antique communisme conçu comme théomachie, celui des Thaborites et des Joachimistes, avec un mythe encore caché, encore secret, d’une ultime finalité » (p. 141). « Voici que reparaissent dans une rayonnante lumière, la figure et le projet de Thomas Münzer, si proche parent de Liebknecht, infatigable organisateur, comparable sur ce plan à Lénine lui-même et aux hommes de sa trempe, capable en outre d’illuminer la révolution, non par la simple idée d’un bonheur terrestre, mais par la plus puissante finalité » (p. 163). « Conclusion et la moitié du Royaume : Elle attend qu’on écoute sa voix, cette histoire souterraine de la révolution dont le mouvement s’amorce déjà dans la bonne direction, mais voici que les Frères de la Vallée, les Cathares, les Vaudois, les Albigeois, l’abbé Joachim de Flore, les Frères du Bon Vouloir, , de la vie communautaire, du Libre Esprit, Eckhart, les Hussites, Münzer et les Baptistes, Sebastian Franck, les Illuminés, Rousseau et la mystique humaniste de Kant, Weitling, Baader, Tolstoï – voici que tous unissent leurs forces, et la conscience morale de cette immense tradition frappe derechef à la porte pour en finir avec la peur, avec l’État, avec la non-croyance et quelque ‘au-dessus” dans lequel l’homme n’a pas sa part. Voici que brille l’ardente étincelle qui ne s’attardera plus en aucun lieu, obéissant à la plus précise revendication biblique : ce n’est point ici-bas qu’est notre demeure, nous cherchons une demeure à venir …. Haut dressé sur les décombres d’une civilisation ruinée, voici que s’élève l’esprit de l’indéracinable utopie » (p. 298-299).

Quelle est la différence entre dystopie et utopie ? Je ne me réfère pas aux fictions du futur qui dénoncent le présent : hier George Orwell et Aldous Huxley, aujourd’hui James G. Ballard. Elles sont les bienvenues. Les dystopies sont les représentations au futur de villes, de maisons, de travaux, et donc des rapports déshumanisés. Ce type d’utopie négative change, tandis que l’utopie positive transforme. L’une innove, l’autre révolutionne. Le mécanisme dystopique est un dispositif objectif, dans la continuité du présent. Le renversement technologique actuel suit le développement capitaliste, il l’accompagne et, en bonne mesure, le stabilise. Il va toujours de l’avant, sans jamais regarder en arrière. La passion utopique est une instance subjective, elle brise l’histoire, la met sens dessus dessous, elle est contre ce qui est, mais pas contre tout ce qui a été. Elle ne marche pas vers l’avenir, saute par-dessus le présent, mais aussi au nom d’un autre passé. Elle tient compte de l’accumulation de soulèvements advenus, pour renforcer ce qui, d’après elle, doit advenir. Aujourd’hui il y a une sorte d’utopie concrète qui s’impose de manière hégémonique dans les productions comme dans les pensées. C’est l’utopie technologique, avec ses effets jamais rassasiés de soi et toujours nouveaux, toujours différents. On lui oppose une sorte d’utopie concrète anthropologique. La mesure de jugement est le destin de la condition humaine. Sommes-nous vraiment en train de passer d’une condition inhumaine capitaliste à une condition post-humaine technologique ? Il serait judicieux de rappeler aux nouvelles générations de se préoccuper, outre de l’avenir de la planète dans sa dérive environnementale, mais aussi du futur de l’homme dans sa dérive artificielle. Le discours utopique, politique, d’aujourd’hui est appelé à une préalable bataille des idées : il lui faut empêcher que se referme pour toujours, à cause de l’extinction d’une humanité disponible pour la grande tâche, cette perspective de rédemption humaine inscrite dans les luttes du passé.

Rédemption est le mot qui convient : rédimer ceux qui sont au plus bas dans la société du fait de leur condition de subordination. C’était l’idéal du mouvement ouvrier : « L’émancipation du prolétariat émancipera l’humanité tout entière. » Utopie non réalisée. Ce passage de Bloch cité plus haut, voyait revenir, dans la réalisation bolchevique du marxisme, l’ancien modèle du combat divin ciblant mythiquement l’objectif. Il écrivait en 1921. La révolution à peine née, et bien qu’attaquée de toutes parts, faisait se propager un espoir de libération des opprimés dans toute l’Europe et au-delà. Songez à cette mobilisation dans les luttes, à cet enthousiasme de l’action, à ces choix de vie, qui furent suscités par ce simple mot d’ordre : faire comme en Russie ! Un rêve brisé demeure, doit demeurer, dans la mémoire, pour motiver de futurs soulèvements, mais il le faut cultiver, ce rêve, et si on l’efface ou, pire encore, si on accepte de le faire passer pour un cauchemar, on cause un énorme préjudice à son propre camp. Ce préjudice a été causé : et de manière irréparable.

Et puisque nous parlons d’utopie, je ne parlerai pas de marxisme, je parlerai de communisme. Marx nous a donné les armes pour combattre le capitalisme, mais concernant le chemin pour en sortir, il nous a laissés désarmés. Il a fallu Lénine, pour corriger et ajouter quelque chose d’essentiel. Mais, justement, les portes se sont ouvertes, puis, immédiatement se sont refermées. Parce qu’on « ne meurt point pour un budget de production bien planifié… » Le projet marxiste de porter le socialisme de l’utopie à la science, c’est précisément ça qui a échoué. Vouloir démontrer scientifiquement le passage du capitalisme au socialisme, c’est comme vouloir démontrer scientifiquement le passage de l’enfer de ce monde au paradis de l’autre monde. Ou tu y crois, ou tu ne peux rien en faire. La foi est une puissante vertu agente. Ne dit-on pas qu’elle déplace les montagnes ? Tout ce qui t’est consenti c’est de passer d’une utopie idéale à une utopie aussi réelle que possible. Le marxisme n’est pas une philosophie. Une philosophie vaut pour tous. Et le marxisme ne peut valoir pour tous. L’œuvre puissante de Marx est un instrument de connaissance et de lutte indispensable à l’intérieur de cette formation économico-sociale-politique déterminée, à l’usage d’un camp alternatif et antagoniste. Il n’y a pas de philosophie de la pratique, il y a une pensée de l’action : pensée politique qui accompagne, suit, dirige, oriente l’action sociale. Une philosophie du marxisme ne peut être qu’une idéologie. Et il n’est même pas si mal qu’il en soit ainsi. À condition que tu en sois conscient. Non pas une fausse conscience, mais une conscience autre, une narration idéologique autonome, libre à l’égard du monde et du temps comme ils sont, potentiellement hégémonique par rapport aux narrations dominantes.

La « vision » est indispensable, un imaginaire qui te fasse percevoir, par ceux que tu veux impliquer dans la lutte décisive, que ton projet est dans ce monde, mais n’appartient pas à ce monde. Non pas une diversité, mais une altérité. Un esprit partisan comme vraie liberté de l’esprit. Il m’est arrivé de dire que si, au lieu des Thèses sur Feuerbach, Marx avait écrit des « Thèses sur Kierkegaard », il y aurait eu une autre théorie du marxisme, et une autre histoire du mouvement ouvrier. Les affinités électives entre ces deux personnalités contemporaines me semblent aussi remarquables qu’elles sont inconnues. Ce serait un travail de recherche fascinant pour un jeune chercheur que d’en approfondir la portée.

Je ne peux ici qu’y faire allusion à travers le rappel explicite qu’en fait Karl Löwit dans De Hegel à Nietzsche (tr. fr. Rémi Laureillard, Gallimard, 1969), qui dans la dissolution des médiations hégéliennes, voit justement émerger les deux positions radicales de Marx et de Kierkegaard comme critique du monde capitaliste et du christianisme mondanisé. Je cite : « Peu avant la révolution de 1848, Marx et Kierkegaard exprimèrent leur volonté d’une nouvelle décision, et ce qu’ils dirent a encore toute sa valeur aujourd’hui : Marx le fit dans le Manifeste Communiste (1847) et Kierkegaard dans une Annonce littéraire (1846) … dans une commune volonté de destruction du monde bourgeois-chrétien. Pour la révolution contre le monde bourgeois-capitaliste, Marx s’est appuyé sur la masse du prolétariat, tandis que Kierkegaard, dans sa lutte contre le monde bourgeois-chrétien, a placé toute son espérance dans l’individu. Ainsi on s’accorde sur le fait que, pour Marx, la société bourgeoise est une société d’« individus isolés », dans laquelle l’homme est arraché à sa « nature spécifique », et que pour Kierkegaard la chrétienté actuelle se réduit à un christianisme vulgarisé pour la foule, où nul n’est plus le disciple de Jésus … Marx se positionne contre l’arrachement à soi-même que le capitalisme représente pour l’homme ; Kierkegaard contre l’arrachement de soi-même que la chrétienté représente pour le chrétien ». « Marx soumet à une décision radicale les rapports externes d’existence de la masse, et Kierkegaard fait la même chose avec le rapport intérieur d’existence du singulier face à lui-même » (tr. fr. mod. p. 190-191). « L’existence n’est plus pour l’un et pour l’autre ce qu’elle était pour Hegel, le simple ex-istere, essence qui se fait existence. Sur la base d’un égal refus du monde rationnel de Hegel, ils séparent à nouveau ce que celui-ci avait réuni. Marx opte pour un monde ‘humain’ humanitaire, et Kierkegaard pour un christianisme en dehors du monde, qui, ‘du point de vue humain’, est ‘inhumain’ … Ils entendent ‘ce qui est’ comme un monde déterminé par les marchandises et l’argent et une existence pénétrée par l’ironie et ‘son alternative’, l’ennui. Le ‘royaume des Esprits’ de la philosophie hégélienne devient un spectre dans le monde du travail et du désespoir… La tâche hégélienne de l’histoire représente pour tous deux la fin de l’histoire antérieure, qui précède une révolution intensive et une réforme intensive… En lieu et place de l’Esprit actif de Hegel, intervient chez Marx une théorie de la pratique sociale et chez Kierkegaard une réflexion de l’agir intérieur ; chacun refusant sciemment de se consacrer à la théorie pure et d’en faire la suprême activité humaine. Si loin que soient l’un de l’autre ces deux penseurs, ils sont pourtant étroitement liés dans l’attaque commune de la réalité contemporaine et dans le détachement vis-à-vis de Hegel. Ce qui les distingue confirme aussi leur affinité… » (tr. fr. mod. p. 202-203).

« Théorie de la pratique sociale », « réflexion de l’agir intérieur », deux dimensions hautement humaines étroitement confondues qui constituent l’utopie concrète provisoire qui nous est aujourd’hui seulement concédée. Notre temps est celui de « l’entre-deux », un âge long de la restauration, qui avance avec les bottes de sept lieues de l’innovation. La phrase : le vieux monde meurt et le nouveau peine à naître, n’est plus de mise. Au contraire, le vieux monde revit sous des formes complètement nouvelles. Ainsi, démocratiquement le peuple déchoit en masse, et l’individu libéralistement n’atteint plus le statut de personne. L’utopie théologico-politique est repoussée une nouvelle fois in interiore homine. Extériorité ennemie et intériorité amie vont dessiner un critère du politique « inactuel ». Attention il doit être cultivé uniquement comme lutte. Le jeune Hegel le savait déjà, avant de se réconcilier, comme il est quelquefois nécessaire de le faire, « avec le poids du réel ». Quand, en août 1796, une fois toutes les passions éteintes, il dédia à Hölderlin cet exemple de pensée poétante qu’est le poème Eleusis, tous deux avaient déjà élevé à Tübingen l’arbre de la liberté, en hommage à la Révolution française : « Jamais ne s’abandonne au sommeil le souffle laborieux des mortels…/ puis la joie de retrouver plus forte et plus mature/ la foi dans la promesse d’autres temps…/ (der freien Warheit nur zu leben) vivre seulement pour la vérité libre/et ne jamais pactiser avec la norme/qui règne sur les opinions et les sentiments. »

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