(G)rêve, Général(E) : Chant de guerre pour l’armée d’Instin [2/4]

Par Eric Darsan

paru dans lundimatin#149, le 11 juin 2018

Nous publions cette semaine, en collaboration avec la revue littéraire Remue.net, le second épisode de G)rêve, Général(E) : Chant de guerre pour l’armée d’Instin d’Eric Darsan. [Nous vous conseillons de commencer par le premier épisode si ce n’est déjà fait

Général Instin (GI), nébuleuse artistique interdisciplinaire, utilise depuis 1997 une figure trou, soldat issu d’un cimetière parisien, autorité fantomatique essaimant sous de multiples formes selon les contextes. Il est depuis 2007 un feuilleton sur remue.net, a fait paraître 3 livres chez le Nouvel Attila, apparaît aussi sous forme de festivals à Belleville, dans une campagne mondiale d’affichage street-art, etc. Il compte à ce jour 200 contributeurs.

Alors, ce matin, le Général Instin s’est levé des deux pieds. Déter déterminé, déterré des terres minées, H de guerre à portée, prêt à réécrire l’histoire. Il voit la francisque et la brise contre le pavé.
Brandit… ce qu’il reste de… l’arme vers le siège de l’âme… . Stop… . Se ravise… . Stop… . Avise le poitrail puis, d’un geste ample, se fend d’une entaille au-dessus des entrailles. Là où le vide s’est installé depuis que l’enfant est parti. En brèche, il bat. En bretteur, il abat. → // == Le mur qui se dressait à la place de son cœur. Et, à l’endroit de celui, usé, qui demeurait tatoué sur son bras – souvenir de sa détention pendant la guerre de 70 – Instin inscrit à l’encre des Marines repentis : GI Go Home. Bien sûr, il sait ce qui l’attend. Il faudra frapper vite, frapper fort. Conduire de nuit sans phare, et sous la pluie avec des feux antibrouillards. La route est longue jusqu’aux frontières. Dès le départ, le mur s’ouvre sur un corridor bardé de miradors. Partout des hommes, des femmes, des enfants, comme une seule étendue, retenue encore, tendent leurs mains et traversent. Ce qui reste/survit/naît de lui.

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Frapper vite, frapper fort. Conduire de nuit sans phare, et sous la pluie avec des feux antibrouillards. Depuis qu’il est parti, le Général ne compte plus les refrains, les couplets, qui lui sont passés par la tête pour remplacer les anciens et les nouveaux rediffusés par les télés, les journaux, les radios des stations. S’arrête pour faire le plein, redémarre pour faire le vide. La route est longue jusqu’aux frontières, le paysage patent. Sur le chemin, la cendre des forêts consumées couvre la terre comme un seul linceul. Non loin de là, des arbres-troncs cerclés de fer sont alignés comme des cercueils. Des rangées de pin les remplacent, qui attendent leur tour, du tourbillon de feu à la tourbe au billot. Frapper vite, frapper fort. GI, incognito, qui craint néanmoins que l’aller soit un retour, le jour prend des détours pour cerner l’horizon. Evite les gueules de loup/mufles de lion. Va aux montagnes par les lacets, tenté un instant de se laisser enlacer, délasser par elles, oublieux. Mais Instin, décédé Général, est décidé à ne plus se laisser cerner.

Désormais, ses pas se feront plus légers. Il ne cherchera plus à creuser son trou, mais à l’éviter )°(. Les braves gens sur son chemin commencent par prendre peur. A l’observer, à parler entre eux de ce voyageur, à se demander ce qui le met dans cet Eta(t). Ils se cachent dans les fourrés et, quand ils comprennent, y restent pour de bon ou le rejoignent. Les étudiant·e·s qui rentraient pour les congés, celles et ceux qui travaillaient dans les usines, dans les champs, sur les voies ferrées : toutes et tous prennent le maquis ou le mor-t/-s aux dents. La route s’écourte aux frontières. Lorsqu’il arrive en vue, GI est léGIon. Etrangère à tout ce qui n’est pas elle, la maréchaussée l’interpelle (en italique, sans accent). Toi qui entre ici abandonne tout espoir, qu’on lui dit. Dos aux murs, mains sur la tête, pieds puis poings liés. Aux abois (aboiements des chiens de la garde républicaine), Instin commence par obtempérer. Mais on ne quitte pas un pays, si on le fuit/y tient, quand la chaleur ou la douleur avec lui sur-vient/-git ici-bas : on l’emporte simplement avec soi.

Comme Cocteau emporte le feu quand la maison brûle, le Général brûle de l’intérieur depuis qu’il est parti. Cela commence à se voir : il fume, fulmine, une volute s’échappe de lui. Une étincelle’, puis une flamme. L’incendie, qui se propage. Les conscrits tentent de le circonscrire : No way, qu’on lui dit. GI répond : No Border ! Instin sait que la masse des individualités (ré)unies peut faire la différence. Se distinguer. Se fondre. Il fait confiance au[x] nombre[s], ne serait-ce que parce que l’ennemi y croi-t[/-x] aussi, en joue, triche dans ses décomptes, surévalue ses propres forces, les multiplie, mais renonce quand elles sont submergées, emportées par la houle, foule qui déboule, déborde. Alors le Général Instin avance avec son armée de volontés. Rassemble en lui toutes celles et tous ceux qui marchaient à ses côtés ou qui l’ont traversé. Leur ouvre les bras, la voie, et les libère. Mer en furie qui se déchaîne et se referme sur leurs adversaires, les laisse nus, désarmés, démunis. Sans faux pas, sans faucille ni marteau, sans croix ni loi, sans hymne ni drapeau, le Général est en marche. Le changement c’est maintenant. Parce que c’est notre projet. Vous me faites pas peur avec votre tee-shirt. Pensez printemps.

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Dorénavant le GI prendra tout à la lettre. D’ailleurs, de son vivant, le Général a toujours fait ce qu’on lui a dit. Mais ce qu’on va payer cette fois-ci. Et tous les qu’on avec lui. Parle à mon culte, qu’on lui répond en la présente [personne du chef de l’État (du pays d’on ne sait quoi, prétendant être) dans son bon droit], prenant à témoin les évêques, pour preuve la maréchaussée, la troupe et les blindés, pour missive les missiles, franchissant la ligne rouge qu’il avait tracée. Alors Instin la franchit aussi. Rejoint avec son armée celles et ceux resté·e·s au pays. Mais les braves gens d’ici ne sont pas ceux de là-bas. On lui dit qu’il n’existe pas, n’a pas sa place ici, vi(en)t d’Utopie, de Nusquama, de nulle part quoi. Instin répond : va voir là-bas si GI suit. Et comprend. Que les braves gens, ceux de là-haut comme ceux d’ici-bas (ceux que l’on vexe ou ceux que l’on cave, les morts comme les vivants) ne sont pas différents de lui, avant son odyssée (trépas/séjour/voyage) à travers les pays, les âges. Depuis la nuit des temps, ils font et répètent simplement ce qu’on leur dit. Sans voir ni entendre réellement ce qui se passe au-dehors. L’/S’ignorent le plus souvent/longtemps qu’ils le peuvent. Meurent comme seuls des vivants savent le faire, et vivent comme des morts, en attendant.

Crédit photo : @Riot_N_Chill, via La rue ou rien (Messages politiques aperçus dans l’espace public depuis mars 2016).

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