Entretien avec une anti-olympique de Rio de Janeiro et de Los Angeles

« Nous combattons la machine olympique partout où elle va. »

paru dans lundimatin#338, le 10 mai 2022

Les 21-22 mai, le collectif Saccage 2024 organise des rencontres internationales anti-Olympiques en Seine-Saint-Denis. En attendant ce week-end qui se veut une étape importante pour les luttes anti-JO ici et ailleurs, voici un entretien avec CP Robertson, qui a participé à la lutte contre les JO de Rio en 2016 et est actuellement membre de NOlympics LA, la plateforme contre les JO de Los Angeles en 2024.


Bonjour CP Robertson, tu viens à Paris dans quelques semaines pour participer à notre rencontre internationale anti-olympique. Tu as travaillé pour RioOnWatch) autour des JO 2016 à Rio de Janeiro, et tu es maintenant membre de NOlympics LA. Tu peux nous parler de ce que tu as fait à Rio, puis de ce que tu fais maintenant à Los Angeles ?
Je suis allée à Rio en 2014 pour la première fois et j’y ai vécu jusqu’en 2018. Je travaillais pour une plateforme d’information locale appelée RioOnWatch.org, qui publiait en anglais et en portugais. La plateforme s’est interposée dans le récit incroyablement positif des médias mainstream sur les JO dans les premières années qui ont suivi la sélection de Rio pour accueillir les Jeux. Les principaux récits médiatiques étaient les suivants : ’Les Jeux Olympiques et la Coupe du monde sont formidables pour le Brésil’, ’Ils sont une fierté de cette économie émergente qui est sur le point d’entrer sur la scène mondiale’, ’Tout le monde en profitera’.

Mais les gens voyaient les choses de manière très différente sur le terrain à Rio, en particulier dans les favelas. Les gens voyaient des expulsions directement liées aux JO. Toutes les belles promesses d’investissement n’ont pas été tenues. Les gens ont assisté à une augmentation considérable de la militarisation. La police militarisée et, dans certains cas, l’armée ont été envoyées dans les favelas pour les occuper sous couvert de ’sécurité’ pour la Coupe du monde ou les Jeux Olympiques. 

RioOnWatch est donc intervenu pour tenter de corriger le récit en recentrant sur les expériences des habitant-es des favelas. J’étais reporter d’abord, puis rédactrice. Ce n’était pas une plateforme explicitement anti-olympique, mais à travers toutes les histoires recueillies dans les favelas de Rio, elle a fini par présenter cette perspective très critique des Jeux Olympiques et montrer comment ils causaient un réel préjudice à ces communautés. Cela a été pour moi une énorme expérience d’apprentissage pour comprendre cet événement.

Et j’étais également intéressée par la suite. Les JO ont donc pris fin en 2016 à Rio. Mais où allaient-ils aller ensuite ? Il y avait beaucoup de discussions à l’époque autour des villes candidates pour 2024. Bien sûr, Paris en faisait partie. Mais aux États-Unis, à l’époque, il était plutôt question de Boston, du moins en 2014 ou 2015. 

Il y a eu un mouvement militant très intéressant à Boston où iels ont réussi à empêcher la ville de se porter candidate. Ensuite, c’est passé à Los Angeles.

Même depuis Rio, nous attendions activement de voir : ’Qui va résister à cette candidature à Los Angeles ?’ Parce que la résistance existait partout ailleurs. Ainsi, lorsque j’ai appris l’existence de ’NOlympics LA’, probablement par Facebook, Twitter ou un autre réseau social, nous avons commencé à discuter avant même que je ne m’installe à LA, parce qu’iels voulaient tirer des leçons de ce qu’il s’était passé à Rio.

Quand as-tu déménagé à Los Angeles ?
En 2018.
As-tu déménagé à Los Angeles pour LA 28 et NOlympics LA ?
J’ai déménagé parce que je voulais faire une thèse. J’ai postulé à des écoles dans différentes régions des États-Unis et j’ai fini par aller à l’Université de Californie du Sud à Los Angeles. Parce que j’étais fascinée par ces questions : ’Où est la responsabilité de ces méga-événements ?’, ’Quelles sont les possibilités de défaire cette machine qui ne fait que ravager les villes d’un endroit à l’autre ?’. J’étais donc très intéressée à poursuivre mon étude des Jeux Olympiques. Ce n’est donc absolument pas une coïncidence si j’ai atterri à Los Angeles, car à ce moment-là, nous savions où se dérouleraient les Jeux Olympiques de 2028. 
OK, dis-nous en plus sur ce que tu fais avec NOlympics LA.
Il ne s’agit pas d’un groupe qui milite pour de ’meilleurs Jeux Olympiques’. Nous n’essayons pas de négocier avec LA 28 ou avec le Comité international olympique (CIO) pour améliorer les JO. Parce que nous croyons fondamentalement que c’est une chose négative pour la ville et que cela va nuire aux Angelenos de la classe ouvrière et aux communautés de couleur en particulier. Nous nous sommes donc battus-es dès le début contre la candidature en 2017, et même lorsque Los Angeles a été choisie pour accueillir les Jeux, nous avons fait valoir que Los Angeles devrait annuler les Jeux, Los Angeles devrait se retirer de ce contrat ville hôte. Nous pensons toujours que ça peut se faire. Nous pensons en fait que le contrat ville hôte pourrait ne pas avoir été techniquement légal en premier lieu, sur la base des propres lois de la ville de Los Angeles. Nous menons donc une campagne publique et essayons de sensibiliser le public aux problèmes liés aux Jeux Olympiques. 

Nous travaillons également en étroite collaboration avec les communautés de la classe ouvrière qui subissent le plus de conséquences. Il y a déjà des cas de déplacements liés aux stades qui accueilleront les JO, liés aux hôtels qui sont construits pour les JO. 

Et puis, nous travaillons aussi à l’échelle transnationale, car nous nous sommes rendus-es compte que nous ne pouvons pas nous contenter de lutter contre les Jeux Olympiques ici, à Los Angeles. Pour combattre cette machine transnationale globale, nous devons nous organiser au niveau transnational. C’est pourquoi nous sommes impatient-es de parler aux gens de Paris et d’autres villes. 

En fait, ma prochaine question porte sur ta passion pour la construction d’une force anti-olympique transnationale. C’est toi qui es derrière le site web ’Olympics Watch’ (https://olympicswatch.org/), qui est dédié à la création d’une archive anti-olympique transnationale. Pourrais-tu nous parler de ta passion pour ce travail ?
Tout d’abord, je dirais que cette énergie transnationale a précédé ce qui se passe actuellement. Si l’on pense à Londres 2012 et à Rio 2016, je sais que ces échanges entre les gens existent depuis un certain temps. Julian Cheyne, de Londres, a joué un rôle particulièrement important dans la création de la plateforme ’Games Monitor’ ( http://www.gamesmonitor.org.uk/archive/). Les graines de cette organisation transnationale remontent donc au moins à cette époque. Toustes les membres de NOlympics LA pensent que l’organisation transnationale est importante, en partie parce que nous avons vu que lors des dernières éditions des Jeux Olympiques, lorsque les médias étaient critiques, la narration était du genre : ’RIO avait des problèmes’, ’RIO est désorganisé’, ’RIO n’a pas nettoyé la baie’. Et on passe vraiment à côté de l’analyse de la façon dont les JO sont conçus. Leur structure même est conçue pour ne pas servir les résident-es actuel-les de la ville et pour faciliter l’accaparement des terres et l’accumulation pour ceux qui sont déjà riches et bien placés pour en profiter. 

NOlympics LA n’a jamais dit : ’Les Jeux Olympiques sont la raison de la gentrification de Los Angeles’. Nous savons que la gentrification est déjà en cours à Los Angeles. Mais nous devons vraiment prendre au sérieux le fait que ce projet olympique arrive et accélère et exacerbe tous ces problèmes en cours en raison de la façon dont il est conçu. Dès lors, il est vraiment utile et même nécessaire de s’organiser au niveau transnational, car il ne s’agit pas seulement d’un problème local. Ces acteurs, ces entreprises sponsors, le CIO lui-même, sont tous des acteurs mondiaux et cela n’a pas de sens d’y penser uniquement à l’échelle locale. 

L’un des grands défis de l’organisation anti-olympique dans le passé a été de construire un mouvement au niveau local et les Jeux Olympiques vont et viennent. Très souvent, les personnes qui ont combattu les JO tournent leur attention vers d’autres problèmes urgents une fois les Jeux terminés. C’est compréhensible. L’intérêt de l’organisation transnationale est donc en partie dû au fait que les JO se déplacent d’un endroit à l’autre, dans le temps et dans l’espace. Nous ne pouvons pas soutenir un mouvement si nous ne pensons qu’au niveau local. Nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons en faire une force transnationale pour pouvoir rester dans le cadre des Jeux Olympiques. 

Tu as souligné que les médias prennent Rio ou Tokyo comme de mauvais exemples. En fait, Paris 2024 dit clairement : ’Ne parlez pas des Jeux du passé : nous sommes différents de Rio ou Tokyo’. Je suppose qu’à Los Angeles, vous êtes confronté-es au même genre de discours : ’(Contrairement aux autres) Los Angeles est une ville idéale pour accueillir les Jeux’. Donc, de ce point de vue, quel genre de discussion voudrais-tu avoir en France ?
Je pense qu’à Los Angeles, il ne s’agit pas seulement de s’attendre à des impacts négatifs des JO dans le futur. Nous voyons déjà certains de ces impacts négatifs. La police de Los Angeles (LAPD) utilise les JO comme une excuse pour justifier son besoin de financement supplémentaire. Ces processus d’expulsion liés aux stades, liés aux hôtels sont déjà en cours. Je suis donc impatiente d’apprendre des gens à Paris les conditions matérielles spécifiques sur le terrain - ce que vous vivez maintenant, les façons dont vous voyez déjà les impacts négatifs de Paris 2024. Et renforcer nos connaissances ensemble afin de mieux combattre ce MYTHE selon lequel Paris et LA seront les ’bons JO’. En plus de parler du contexte matériel, je suis tout simplement excitée de comprendre les tactiques d’organisation, les stratégies, les convictions politiques et le mouvement sur le terrain à Paris. J’ai hâte de partager une partie de ce qui se passe à Los Angeles pour que nous puissions mieux nous comprendre les un-es les autres.
Merci, et ce sera ma dernière question. Ce n’est pas la première fois que tu participes à une rencontre internationale anti-olympique, tu as déjà participé à celle de Tokyo en 2019. Comment ça s’est passé là-bas ?
C’était une expérience fantastique. Ce tout premier sommet anti-olympique à Tokyo a rassemblé des personnes de Los Angeles, Paris, Tokyo, la Corée du Sud et Londres. Nous avions également des personnes de Malaisie et d’Indonésie, car ces pays envisageaient de poser leur candidature ou étaient touchés par les projets olympiques en cours. Une forêt tropicale malaisienne a fourni du bois pour les stades de Tokyo. 

Il était si important de rencontrer les personnes avec lesquelles nous avions déjà discuté sur Skype. Je pense que le fait de connaître ces personnes, de s’intéresser à elles et de sentir que ’cette personne me soutient, et je la soutiens’ est très important pour soutenir le mouvement dans le temps. Il y avait donc ce côté « tisser des liens ». Et puis, le fait d’être là physiquement nous a permis de comprendre beaucoup plus clairement ce qui se passe avec Tokyo 2020. Parce que c’est une chose de lire des articles sur le sujet, d’en être informé par quelqu’un qui est sur place, mais c’en est une autre de le voir de ses propres yeux. Par exemple, j’ai vu à Tokyo l’architecture hostile qui avait été mise en place près des stades pour empêcher les personnes sans abri d’entrer. Je suis allée à Fukushima pour voir, sentir et ressentir les effets permanents des radiations dans cette région. 

Je pense que le rassemblement de Tokyo a été particulièrement important parce que touxtes celles et ceux qui y ont participé étaient intéressé-es par cette question : ’Comment transformer notre organisation plus locale en quelque chose que nous pouvons vraiment appeler un mouvement ?’ C’était donc assez révolutionnaire en termes de déclaration (https://nolympicsla.com/fr/2019/08/09/nolympics-anywhere-une-declaration-commune-de-solidarite/) que nous avons publiée ensemble, disant que nous ne sommes pas seulement opposés à ce projet spécifique ou à ces Jeux Olympiques dans cette ville, mais que nous combattons la machine olympique partout où elle va. 

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :