Entrer en résistance pour les retraites (et pour le reste aussi)

paru dans lundimatin#367, le 23 janvier 2023

Nous relayons cet article rédigé quelques jours avant ce jeudi 19 janvier, où plus d’un million de personnes se sont mêlées à travers la France aux manifestations d’opposition à la réforme des retraites.
Un texte qui rappelle les défaites cuisantes infligées aux gouvernements Balladur et Villepin contre le CIP et le CPE, mais qui appelle surtout à diversifier les stratégies et les modes d’action.

Le projet de loi qui va lourdement impacter les retraites proches et futures ne constitue en réalité qu’une partie de l’ouvrage du gouvernement Macron sur l’adaptation en cours des conditions de vie et de travail de la majorité de la population :

réformes successives de l’assurance chômage visant à baisser le montant et la durée des allocations des plus précaires, c’est-à-dire des millions de personnes qui alternent CDD sous-payés sous toutes leurs formes et périodes de chômage de moins en moins indemnisées, et à rendre ces allocations variables au simple bon vouloir des gouvernants ;
réforme de l’apprentissage visant à instaurer un sous-Smic variable suivant l’âge pour un maximum de jeunes en apprentissage jusqu’à 25 ans [1] ;
expérimentations locales du travail obligatoire et gratuit pour les allocataires du RSA [2], RSA par ailleurs toujours interdit aux moins de 25 ans depuis la création du RMI en 1988 ;
titre de séjour pour les métiers en tension pour légaliser l’exploitation des travailleurs sans-papiers [3].

L’ensemble de ces mesures dessine un projet de société très particulier en démocratie : un étau destiné à contraindre progressivement la majorité d’entre nous à la discipline libérale autoritaire. Vous les jeunes, les étrangers, les précaires, les vieux, les temps partiels, les carrières discontinues (les femmes donc), les malades, les invisibles, la première et la deuxième ligne applaudies sous le Covid, vous qui dans vos métiers défendez le service public et l’intérêt général contre les intérêts privés, leurs managers infiltrés partout, et en fin de compte contre la privatisation en cours de l’État puis un beau jour celle de la société par le capitalisme : vous tous et d’autres encore serez condamnés à travailler beaucoup plus longtemps, pour gagner beaucoup moins, en vivant souvent moins longtemps. Tout ça pour permettre à l’économie actuelle, par l’appropriation et la destruction des conditions naturelles de la vie sur terre au but de leur remplacement par des ersatzs techno-marchands, la poursuite d’une croissance infinie et délirante préservant le pouvoir et alimentant le mode de vie hors-sol, nihiliste et suicidaire des puissants et des plus serviles parmi leurs valets.

De ces derniers, notamment ceux faisant profession de gouverner, il n’y a rien à attendre sinon le mensonge, la provocation, la stratégie délibérée du chaos pour détruire les collectifs et fracturer la société en agrégats isolés aisément manipulables, la désignation de boucs émissaires à la vindicte générale (les chômeurs, les étrangers, les non-vaccinés, l’écoterrorisme) et le recours à la violence policière pour renvoyer à la soumission ceux qui n’accepteraient pas de plein gré d’ingurgiter l’une ou l’autre dose de la potion prescrite.

Reste que le volet retraites de l’offensive macroniste semble en constituer un élément central, comme l’attestent la fébrilité actuelle du gouvernement Borne sur le sujet et surtout l’histoire des mobilisations sociales en France ces 30 dernières années, de novembre-décembre 1995 (recul du gouvernement Juppé aux airs de demi-victoire pour les manifestants) à l’hiver 2019-2020 (suspension du conflit par le Covid) en passant par le printemps 2010 (défaite du mouvement social).
Après le mouvement contre la Loi travail de 2016 et ses cortèges combatifs, après l’inventivité et la radicalité exprimées par les Gilets jaunes de 2018-2019, après que la répression des mouvements sociaux eut atteint un niveau de violence hallucinant et absolument inédit en France depuis 60 ans, demeure aussi le sort fait et promis à la jeunesse dans ce monde sans avenir. La jeunesse, cible toujours privilégiée des attaques antisociales, s’est montrée dans la même période deux fois capable par ses mobilisations massives d’imposer des défaites cuisantes aux gouvernements chiraquiens Balladur (CIP 1994) et de Villepin (CPE 2006).

Le conflit à l’issue très incertaine qui reprend maintenant, s’il se trouvait embarqué dans un mouvement large, riche et varié, pourrait alors impacter fortement l’ensemble du programme néo-libéral et son agenda.

Il y aurait aussi évidemment beaucoup à dire sur l’enseignement en général et le collège en particulier, mais tout ce qui précède suffit à démontrer la nécessité d’une riposte collective à hauteur des enjeux, au-delà des clivages de statut, d’âge et de pouvoir qui traversent le monde de l’éducation.

Demeure donc pour nous le choix des méthodes, des tactiques et des stratégies, en fonction des envies, des savoirs et des contraintes particulières, locales, financières, familiales, ou autres. De la grève reconductible à la grève perlée en passant par les journées d’action ou toutes autres initiatives ponctuelles ou pas, publiques ou non, laisser les portes ouvertes à la diversité des pratiques sera laisser à l’imagination et au cours des évènements la possibilité d’influer sur le réel.

le 16-01-2023,
au collège Val d’Ance de Saint-Anthème,
un idiot des confins.

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