Emmanuel Macron n’a pas d’argent magique mais il fait ruisseler l’espérance !

Par Raymond Macherel

paru dans lundimatin#191, le 13 mai 2019

La cathédrale — œuvre humaine, trop humaine — était encore en proie aux flammes que Bruno Jeudy, rédacteur en chef de Paris-Match, instrumentalisait déjà l’événement en publiant un tweet en forme de bulle papale : « Nos racines chrétienne en flammes. Sidération. »

Bruno Jeudy est l’éditorialiste en chef d’un des magazines les plus lus de notre pays, soudain monté en chaire. L’un des phares de la cléricature médiatique certes, mais patron d’une presse profane arrosée d’argent public.

Et pourtant. Il professe le dogme. Il le proclame sans détours. Ce n’est pas le bâtiment religieux qui brûle, le monument, le chef-d’œuvre construit pierres après pierres par des milliers d’hommes depuis le premier moyen-âge ! L’œuvre sociale grandiose célébrée par le non moins monumental Victor Hugo ! La splendeur architecturale visitée par les guides touristiques du monde entier ! Ce n’est pas tout cela qui s’est embrasé devant nos yeux incrédules, c’est quelque chose de plus grand, de plus profond, de plus spirituel qui couve sous la braise, qui plonge dans l’éternité et la gloire, une sorte de sève du peuple de France : « Nos racines chrétiennes. »

« Sidération ». En effet, les valeureux pompiers de Paris n’avaient pas encore circonscrit l’incendie et empêché l’effondrement de la cathédrale, que des trombes de ferveur religieuse et de cléricalisme s’abattaient sur nos écrans et tablettes, à la radio, à la télévision. Le président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump, n’avait pas finit de s’interroger sur l’absence de canadairs dans le ciel parisien, qu’une pluie soudaine de tweets et de commentaires, venus d’éditorialistes et de politiciens opportunistes, tentait de submerger l’émotion populaire en imposant leur lecture de l’événement.

Car comment ne pas être sidéré par ce déluge d’instrumentalisation devant le feu ravageur et son terrible cortège de décombres. Et par les manœuvres de qui, les jours suivant, soufflant sur des braises encore chaudes, empoignait à bras-le-corps le choc des civilisations pour inciter à une fantasmatique « union sacrée ».

Emmanuel Macron fut ce soir-là parmi les plus rapides à mettre en scène des propos de compassion, entouré de quelques figurants du sabre et du goupillon, et d’un personnel politique accouru toutes affaires cessantes. Devant la cathédrale embrasée, sous les crépitements photographiques, les micros de TF1 et de RTL bien visibles dans le cadre, son discours en direct de l’« épicentre » en éclipsait un autre, qui aurait dû être diffusé en différé pour clore le fumeux « grand débat ».

Parce que « c’est notre destin ! », a dit le président. Parce que cette cathédrale Notre-Dame, comme aux grandes heures de l’histoire, devant laquelle Macron se pousse du col, outragée, brisée, martyrisée, « nous la rebâtirons. » Amen. Les prières et le pognon des plus désintéressés à se refaire une réputation.

Peu importe si « chaque monument de civilisation est en même temps un monument de barbarie » (Walter Benjamin, Thèses sur le concept d’histoire (1940), d’après Google), il faut glorifier la gloire en prime time plutôt que de s’incliner devant la vanité des choses humaines.

Le discours d’Emmanuel Macron le lendemain, mardi 16 avril, adressé depuis le sommet de la pyramide — et même un peu plus haut encore — à notre « peuple de bâtisseurs » va plus loin encore : « Cette nuit, nous sommes entrés dans cette cathédrale qui est celle de tout un peuple et de son histoire millénaire. […] Je crois très profondément qu’il nous revient de changer cette catastrophe en occasion de devenir tous ensemble, en ayant profondément réfléchi à ce que nous avons été et à ce que nous avons à être, devenir meilleurs que nous le sommes. »

Il prétendait déjà transformer la « colère » des gilets jaunes en « solutions », comme si un DRH s’était entiché d’appliquer Nietszche pour faire œuvre de comptable. Mais voilà que l’« occasion » qui se présente, après la « catastrophe », est trop belle. Et l’on se demande combien de circonvolutions le choix de ce mot a dû produire dans l’esprit et le cœur du faiseur de discours de Macron, et de Macron lui-même, célèbre disciple de Paul Ricœur, n’est-il pas.

« Tous les bâtiments, depuis la charretterie jusqu’à la bouillerie, avaient besoin de réparations. », écrit Flaubert dans Bouvard et Pécuchet. Et Emmanuel Macron de conclure, l’air pénétré et grave, faisant sonner les mots aussi fort que des cloches : « Je partage votre douleur, mais je partage aussi votre espérance ». Ah, l’espérance ! Voilà le mot qu’il fallait à cet endroit de son « adresse à la Nation » ! Voilà ce que tout un peuple voulait entendre pour retrouver « foi » dans l’avenir…

Car l’espérance, c’est ce que l’on donne quand on n’a rien d’autre à offrir, c’est ce qui ne mange pas de pain, c’est ce qui creuse un puits sans fond dans l’esprit des pauvres hommes. S’il n’y a pas d’« argent magique », si les pauvres coûtent un « pognon de dingue », que ruisselle enfin l’espérance !

Emmanuel Macron n’est que le nom de l’un de ces bâtisseurs de syllogismes à longueur de drames. Depuis que la guerre mondiale a commencé avec les tours jumelles, depuis « Charlie » chez nous, ils traquent l’ennemi derrière le bouclier du consensus, profitant de ce qui est capable de créer une émotion planétaire.

Car ceux qui ne pleurent pas sont infâmes. Ceux qui aiment les cathédrales et ne célèbrent pas « nos racines chrétiennes » sont des barbares. Et ceux qui pleurent pour d’autres choses, nous les ferons pleurer toutes les larmes de leur corps au moyen de gaz lacrymogènes.

Ceux qui pointent l’indécence des manipulateurs médiatiques, des pervers qui nous gouvernent, sont des ennemis de cette France éternelle qui a neuf siècles d’âge, neuf siècles d’amour, neuf siècles de gloire. Nous rebâtirons Notre-Dame contre les obscurantistes de la lutte des classes. Et après nous, le déluge.

Finalement, rien n’est plus urgent que de réduire les résistances, d’intimider ceux s’opposent, de placardiser toute idée d’alternative. Et, dans le même temps, de célébrer le mouvement perpétuel du capitalisme destructeur et reconstructeur. L’incendie de Notre-Dame doit, comme d’autres événements terribles et mortifères, laisser retomber un épais tapis de cendres sur l’urgence des questions sociales, qui brûlent pourtant.

« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté sur les ténèbres de la façade inférieure. »

Victor Hugo ne peut plus lutter contre BFM TV et Brut officiel : « Ça va s’effondrer, ça s’effondre, c’est terrible... » Et les images tiennent notre attention debout, quand tout s’effondre pourtant, et que la vie désire de toutes ses forces vivre dignement parmi les splendeurs des œuvres humaines qui nous relient.

La cathédrale en flamme figure cette plaie béante au cœur du monde. Toute complainte qui se détourne est indigne. Toute souffrance qui crie détresse alentour doit la boucler.

Réécoutons une dernière fois ce qu’Emmanuel Macron prêche au-dessus des cendres fumantes. On dirait Charlemagne devant le ravin de Roncevaux, et ce n’est pas rien de s’improviser herméneute devant l’immensité des siècles : « Il nous revient de retrouver le fil de notre projet national, celui qui nous a fait, qui nous unit, un projet humain, passionnément français. » Sonnez trompettes, sonnez clairons, chacun de ces mots choisis sonnent aussi creux que la pire des propagandes.

Il est à parier que le président de la République, au moment où il pleurait la cathédrale, n’ait eu aucune pensée pour cet autre monument de l’histoire de France, peut-être le plus humain, le plus révolutionnaire et le plus ambitieux que notre « peuple de bâtisseurs » aient jamais construit au fil des siècles... Un monument de 70 ans d’âge, qui existe pour que nous vivions toutes et tous au mieux, la Sécurité Sociale !

Nous ne laisserons jamais dire, rappelant des heures funestes qui conduisirent à la guerre, plutôt les pierres que sortir le peuple de la misère !

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