Ecologie : et qu’est-ce qu’on attend pour...

« Au moins 164 écologistes sont morts en 2018... »

paru dans lundimatin#206, le 9 septembre 2019

Alors qu’un nouveau mouvement écologiste semble naître en France ainsi qu’ un peu partout en Europe, les débats quant aux modes d’actions et aux perspectives communes prennent eux aussi de l’ampleur. Nous avons reçu cette tribune signée par des écologistes sans transition qui évoque la question de la répression en cours et à venir ; mais surtout de la manière d’y faire face pour ne pas se laisser écraser et rester solidaires.

Au moins 164 écologistes sont morts en 2018 : ils se battaient contre des projets miniers, forestiers ou agro-industriels, majoritairement dans les Philippines, en Colombie, en Inde, au Brésil [1].

Qu’on ne nous rétorque pas que c’est normal, que ces pays sont arriérés, mais que nous, nous sommes en démocratie ! Évidemment, nous n’avons rien à envier aux Philippins que la police peut assassiner en toute impunité [2]. Mais si les écologistes en France ne se font pas assassiner par dizaines, ce n’est pas parce que l’État français est plus clément [3] ou plus soucieux des préoccupations écologiques.

C’est parce que, pour l’instant, à de rares exceptions près, nous les écologistes français.e.s et occidentaux, nous n’avons pas vraiment cherché à arrêter la destruction du monde, contrairement aux populations dont les existences s’ancrent dans les lieux qu’elles habitent (pour le meilleur et aujourd’hui pour le pire).

Cet attentisme se paie au prix fort : sur notre territoire, comme partout ailleurs, les forêts continuent de brûler, d’être rasées ou surexploitées, les terres d’être bétonnées, les mers de monter, le glyphosate d’être épandu, et les espèces de disparaître. A nos frontières et dans nos villes, les migrants, climatiques ou non, continuent de mourir ou d’errer dans l’indifférence générale. Le réchauffement, boosté par les émissions des multinationales françaises, poursuit inlassablement son cours.

Qu’attendons-nous ?

Quand nous disons que nous, écologistes français, nous « attendons », nous ne cherchons pas à minimiser les efforts ni le travail qui ont été faits ces derniers mois et années. Nous disons simplement que nous n’avons pas opposé une résistance suffisamment déterminée - sauf en de rares endroits comme sur les ZAD. Quand nous bloquons une usine Monsanto une demi-journée, mais qu’au fond, nous pensons que Monsanto devrait disparaître définitivement de la surface de cette planète, à quoi cela a-t-il servi ?

D’une autre manière, lorsque nous bloquons la Société Générale pour revendiquer l’arrêt du financement des énergies fossiles, tout en poursuivant une campagne de lobbying auprès de ses dirigeants, ne faisons-nous pas le jeu de la banque, en lui permettant de se rendre « écologiquement acceptable » ? Il s’agit dès lors d’être clair sur l’objectif de nos actions : voulons-nous un monde de « finance propre » ou un monde sans banques ? Si c’est la deuxième option que nous choisissons, et c’est sans doute celle que commande l’urgence, nous devons rapidement gagner en offensivité, afin de neutraliser les activités ravageuses des multinationales et des États.

C’est peut-être une douce résignation et un manque d’attachement au monde qui nous retiennent de tout faire pour bloquer les activités de destruction massive du vivant. Nous craignons vaguement pour nos vies, mais cette réalité ne nous apparaît pas encore concrètement. Les habitants de la forêt amazonienne ou des ZAD assistent directement à l’anéantissement de leur milieu.

Dès que nous nous opposerons sérieusement au désastre en prenant les rues, en bloquant l’économie, en expulsant les gros pollueurs, en faisant revivre les communs dans des occupations, l’Etat montrera les dents. Les gilets jaunes, qui n’avaient pas le choix eux non plus, en ont fait les frais. Les bloqueurs d’Extinction Rebellion France ont été gazés. Les zadistes se sont fait blesser, éborgner, mutiler et parfois tuer (Rémi Fraisse en 2014). La stratégie policière consiste à terroriser ceux et celles qui ne sont pas familiers de l’action politique. Que réservera-t-on à la génération qui veut stopper la destruction de la planète, arrêter le réchauffement climatique, et vivre dignement ?

Ne plus se désolidariser

Tant que nous nous limitons, comme aujourd’hui, à signer des pétitions, à faire des marches, des blocages partiels et des rassemblements déclarés, nous nous protégeons de cette violence, et nous désolidarisons dans les faits de tous ceux qui n’ont pas fait le choix de résister, mais s’y sont trouvés contraints sous peine de perdre leurs conditions de vie.

Nous connaissons certes, avec les marches et les actions de désobéissance, un certain succès médiatique ; on parle peut-être aujourd’hui plus d’écologie que jamais. Mais toute cette agitation cache mal que la situation ne cesse de s’aggraver, et que le besoin d’action efficace et impactante devient pressant.

Il n’y a rien qui doive nous décourager d’agir, ni nous faire honte de notre force. En premier lieu parce que d’autres écologistes, partout dans le monde, se font tuer en raison des politiques de « nos » gouvernements, en raison des activités de « nos » multinationales, et parce que « notre » pays est une métropole coloniale qui a une responsabilité historique immense dans la destruction des milieux vivants et de leurs habitants.

Les Français ne connaîtront jamais une répression aussi intense que les révoltés des Suds : cela devrait être une raison de faire plus, pas moins ! En voici une autre : notre position de privilégiés au sein de l’économie capitaliste nous rapproche géographiquement de ses points les plus sensibles (multinationales, places financières, infrastructures, gouvernements) et nous offre des possibilités d’actions considérables.

Il s’agit simplement d’être conscient de la réalité de la répression, et de nous préparer en conséquence. Il n’y a pas lieu d’avoir peur si nous sommes uni.e.s, solidaires et organisé.e.s pour nous défendre, les manifestant.e.s de Hong-Kong en donnent un bel exemple, eux et elles qui luttent dans contre la dictature chinoise [4]. Faisons preuve d’imagination, réinventons notre répertoire d’action et misons sur la diversité.

Des écologistes sans transition

[3Nous préférons dire que la violence de l’Etat français envers l’environnement et les humains s’exprime soit de façon plus invisible, soit de façon plus indirecte, que cela soit par la vente d’armes, les grands projets destructeurs, le (néo)colonialisme, ou les opérations de police en banlieue.

[4Lire ce très bon article, pour se rendre compte que, pour l’instant, la répression n’est pas forcément plus forte à Hong-Kong qu’en France : https://blogs.mediapart.fr/pierre-t/blog/300819/toi-francais-qui-observe-la-revolte-hongkongaise

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