Dès le jeudi 10 mai au matin, plusieurs grands médias reprenaient l’information. Libération sur son site titrait en Une : « Vent d’ouest » contre-programmation surprise à la Godard, les Inrocks se fendaient d’un enthousiaste : « “Vent d’ouest” : le court-métrage surprise de Jean-Luc Godard » [1] pendant que Vanity fair relevait le caractère politique de l’oeuvre Jean-Luc Godard dévoile un court-métrage inédit (et engagé) et que les Cahiers du Cinéma diffusaient l’information sur twitter (le tweet aurait depuis été supprimé).
Il a fallu attendre une journée de buzz pour que les premiers doutes quant à l’authenticité de l’auteur apparaissent. En effet, sollicité par des confrères, le producteur du Livre d’image, Fabrice Aragno assura via l’attachée de presse du film, Matilde Incerti, que « Vent d’Ouest » était un faux. Dans ces conditions, qui croire ? L’incertitude et la stupéfaction gagnèrent la croisette et les rédactions. Aurions-nous diffusé la première fakenews de notre histoire [2] ? Avons-nous été abusé par le brillant canular de quelques jeunes cinéastes ? Que valent les dénégations d’une attachée de presse et d’un producteur lorsque l’on se souvient qu’en 2014 et en 2015 Jean-Luc Godard avait déjà pris de court le monde du cinéma et suscité la stupeur en diffusant sans prévenir des courts-métrages audacieux ? Sur twitter, des internautes ont par ailleurs souligné que notre site lundimatin était évoqué dans le dossier de presse du « Livre d’image » sous la plume de Bernard Eisenschitz qui pourrait dès lors avoir contribué au supposé canular. Il est d’ailleurs important de souligner qu’aucun journaliste n’a jugé utile de contacter notre rédaction.
Le vendredi 11 mai, alors que la polémique ne cesse d’enfler, le journaliste Emmanuel Burdeau, publie sur Mediapart une enquête dans laquelle il affirme que « Vent d’ouest » serait un pastiche et livre l’identité des auteurs véritables. Averti par nos soins de l’inauthenticité de ses révélations, il corrigera son article dans l’après-midi. Il maintiendra cependant ses accusations de faux, analyse filmique à l’appui :
" La présence devant elle des lettres « JLG » et la superposition de « ZAD » et « NDDL » ressemblent trop à un logo. L’usage des images aériennes prises par la police est ingénieux, mais il aurait fallu les court-circuiter avec moins d’égards. Et puis la référence au capitalisme est trop directe. Je doute que Godard aurait pu écrire et dire : « Le cinéma s’est niché dans chaque arcane du capitalisme. » " [3]
Pendant tout ce temps, aucune information ne filtre depuis Rolle mais à la surprise générale l’annonce d’une conférence de presse « facetime » de M. Godard, le samedi à 11H, promet d’enfin lever le mystère. Le célèbre cinéaste va-t-il évoquer la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ? Va-t-il officiellement réfuter la paternité de « Vent d’ouest » et renvoyer notre journal dans les poubelles à fakenews ?
Certainement conscient de l’importance de ses déclarations, le cinéaste répondra sans ambigüité au journaliste qui lui demande d’évoquer mai 68 :
« C’est quelque chose de plaisant vous savez. je me suis dit à un moment mes films faisaient, il y a très longtemps, 100 000 entrées et puis tout à coup ils en ont fait moins.
Et puis je me suis dit mais peut-être que dans le monde entier au bout de 50 ou 100 ans ils feront aussi 100 000 et ce 100 000 venait du nombre de jeunes gens et de gens plus âgés qui étaient à la mort, à la mort de Pierre Overney et voilà ce dont je me souviens de 68. Et de Gilles Tautin aussi. Et aujourd’hui des zadistes, voilà. Merci.. »
Au reste, que des cinéphiles tiennent à se convaincre que Jean-Luc Godard n’a pas à cœur de soutenir l’une des luttes les plus vives ces dernières années reste secondaire.
Ce qui fait un « grand auteur » c’est une certaine capacité à rendre sensible les vérités informulées de son temps ; si bien que le nom de l’auteur, la gloire qui entoure son titre, relèvent toujours d’une appropriation indue de ces vérités. Ce qui fait sa grandeur c’est que tous les autres, autour, mentent et c’est cet environnement de mensonges qui fait « l’auteur » si rare. Si « Vent d’ouest » a été jugé comme du bon Godard, c’est qu’il est saturé d’une vérité qui se suffit à elle-même et ne peut être platement rabattue sur la fiction d’un patronyme ou d’une signature. C’est en tout cas ce que l’engouement, l’enthousiasme puis la perplexité suscités tendent à démontrer.
Une nouvelle vague d’expulsion est annoncée sur la ZAD à partir de mardi 15 mai, des centaines de personnes vont à nouveau être confrontées à la police et à la gendarmerie.
« Inverser la trajectoire, revenir à la vie depuis la mort, supprimer l’agonie. Supprimer l’agonie. »