Discussion entre Jérome Baschet et Renaud Lariagon

Cléone : « l’incendie était transnational »

paru dans lundimatin#224, le 10 janvier 2020

Je suis Cléone, originaire du Congo, maronne à l’âge de 35 ans. J’ai fui le maître et ses chaînes, M. Galibert, le 30 avril 1766.

Saint-Domingue, Affiches américaines - 1766-04-30
Une Négresse nommée Cléone, baptisée sous le nom de Marie-Jeanne, nation Congo, âgée de 35 ans, petite taille, ayant une cicatrice à une main entre le pouce & le doigt index, étampée AYMERY S. MARC, est maronne depuis trois semaines. Ceux qui la reconnoîtront, sont priés de la faire arrêter & d’en donner avis à M. Galibert, Négociant au Cap, ou à M. Dulary à S. Marc.

Partout j’ai mené ma folle cavale.
Partout où des individus avaient compris qu’on ne négocie pas dans la loi du maître qui la réajuste, sa loi, à sa convenance, selon les situations et son avidité. Partout où des individus avaient refusé les règles tronquées d’un jeu pipé qui les oppressait, les tuait, les endormait... Partout où des individus en avaient fini de sagement réclamer justice à la justice du maître — réclame-t-on justice à la main qui vous étrangle !? On la coupe.
Je suis Cléone, on ne me retrouva jamais. Je suis allée si loin que c’est depuis le turfu que je vous parle — Lettre après lettre, je vous raconte comment nous avons gagné.

Janvier 2020, l’Australie à son tour se consumait. Afrique Centrale, Amazonie, Sibérie, Californie, Rouen... l’incendie était transnational. Le combustible du fascisme international flambait sur la sécheresse capitaliste des Etats policiers.
Sur une plage, acculés contre l’Océan, les damnés de l’intérieur espéraient les derniers secours. A quelques encablures, bien au-dessus des odeurs de chairs brûlées, dans le ciel Elyséen s’évadait le jet privé d’un maître pyromane de l’industrie française.

Loin de là, dans le territoire libéré du Chiapas, 4 000 femmes en lutte, venues de 50 pays, prenaient au sérieux la catastrophe ; elles s’organisaient.
Plus question d’attendre, de demander. Elles et ils avaient pris le Chiapas, « no necesitamos permiso para ser libres ».
C’est un cadeau que cette fois je vous apporte : un entretien qu’avec les moyens du bord j’enregistrai le 28 décembre 2019, au Mexique. Une conversation entre Jérôme Baschet, historien et anthropologue et Renaud Lariagon, géographe, sur la meilleure façon d’étouffer le feu capitaliste et de quitter les geôles des politiques étatiques.
Ainsi qu’une réponse de Jérôme Bachet à la première Cléone, envoyée du Chiapas.

Ma petite cicatrice entre le pouce et l’index, je l’ai toujours, mais de maison toujours pas... je poursuis mon évasion, je prolonge ma cavale, j’éprouve ma liberté. Je n’ai pas de maison, je poste cette histoire, la nôtre, sur des sites amis. Mon visage comme la nuit est insaisissable et comme elle mon récit sera nomade,

Cléone

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