Deux chouettes rencontres,

un article du Dauphiné Libéré et, ma foi, un très zoli poème
Fabien Drouet

paru dans lundimatin#373, le 6 mars 2023

Quel est le point commun entre Alain Finkielkraut, Fabien Barthez, les Cracottes de Lu et Elisabeth Borne ? [1]

Hier je suis allé au bordel avec Alain Finkielkraut. Je sais, de nos jours, les bordels ne sont pas bien vus et si j’y vais, c’est bien sûr pour accompagner mon ami qui a peur d’y aller seul.
De plus, c’est un bordel moderne, disons horizontal, il n’y pas d’employé.es, il y a une chouette mixité, tout le monde est (très) volontaire, la bouffe est bio et il y a le choix entre un banquet avec viande, végé ou végan, et même le choix quant aux surfaces molletonnées sur lesquelles s’adonner aux interpénétrations et autres métissages des fluides corporels.
Autrement dit, ce n’est pas tant un bordel qu’une partouze inclusive, quelque peu gentrifiée mais qui reste tout de même relativement fédératrice.
Moi si j’y suis allé, je le redis au cas où, c’est pour Alain.
Mais je regrette. Les gens l’ont reconnu et ça m’a grave foutu la honte que les gens sachent que je traîne de temps en temps avec lui, d’autant plus qu’Alain Finkielkraut est très rapidement devenu la coqueluche de la soirée.
Et plus personne ne désirait faire ce pourquoi il était venu.
Les gens se sont rhabillés et ont placé Alain au centre d’un cercle formé pour l’occasion. Et tout le monde s’est mis à scander son surnom (Fincky ! Fincky ! Fincky !) en lui demandant de nous lire des extraits de son livre l’Identité malheureuse.
Après chacune de ses phrases ou presque, les gens lançaient des ’pauvre bichon !’, ’olala, ça doit être dur d’être blanc, français et pas pauvre’, ’Olala, oui, quel déclassement des autochtones (il appelle les Français de sa génération les autochtones), quel déclassement, parler tous les jours sur France Culture et être académicien, quel déclassement des autochtones...).
On s’est franchement bien marré.
Mais j’ai trouvé que les choses allaient trop loin au moment où, en entendant le mot académicien, un homme a lancé une Marseillaise, une femme a déshabillé Finckielkraut, un autre lui a enfilé la veste brodée de rameaux d’olivier en soie vert et or tandis qu’un.e dragqueen tout juste débarquée de son Algérie natale, et sous les vivats d’un public en délire lui a inséré le manche de l’épée d’apparat académique dans le.
A la sortie, Alain Finkielkraut m’a dit que durant cette soirée, pfiou, il avait changé d’avis sur de nombreux points.


Je demande moi aussi la légion d’honneur
d’une part je collectionne les pin’s
et d’autre part et bien que ne m’appelant pas Jeff mais Fabien
comme Fabien Barthez l’ancien gardien de but
j’ai moi aussi beaucoup fait pour la France
un jour sur une aire d’autoroute du sud
j’ai volé une biographie de Charles de Gaule
la différence c’est qu’en me faisant choper
par le vendeur plutôt sympa
j’ai été obligé de la payer
par contre un jour à Monoprix
j’ai volé un saumon entier ainsi que trois bonnes bouteilles de vin
et un autre jour des côtes de boeuf
là-bas j’avais une tactique bien rôdée
je me servais dans le magasin
puis je filais derrière les caisses au rayon papeterie
je prenais un lot de trois stylos bic
un bleu un noir un rouge mais peu importe leur couleur
puis je passais à la caisse de la papeterie
je payais mes stylos puis demandais à la papetière
de bien vouloir me donner quelques sacs
pour emballer mes bouteilles de vin mon saumon mes côtes de boeuf
la papeterie était devenue
mon paradis fiscal
ensuite et parce que je n’aime pas gâcher
et surtout pas les stylos bic
je me suis mis à écrire
de très mauvais poèmes mais peu importe
je n’ai jamais gâché un stylo bic
alors que Jeff Bezos
je le sais je l’ai vu faire
un jour il a jeté un stylo bic à la poubelle alors qu’il restait de l’encre dedans
ce fils de tute.


D’après nos informations, le tueur en série Norbert Froissard aurait, hier après-midi, et bien maheureusement, fait une sixième victime. Après Marlène Tuyau, José Poilu, Rigobert Placard, Stéphanie Croûte, Youssef Linge, ce serait au tour de Romain Tablier d’avoir fait les frais du serial killer nommé Froissard et de son Winchester.
Norbert Froissard aurait ensuite découpé le corps de sa victime sur toute sa longueur (coupe dite midsagitale) en deux morceaux de taille globalement identique grâce à une scie circulaire Makita 2000 w ø 235 mm achetée sur Manomano.fr, non sans avoir au préalable enfilé gants et lunettes de protection de marque Wiley X achetés, quant à eux, en présentiel chez Castorama.
Toujours d’après nos informations, le matin du meurtre, Norbert Froissard se serait réveillé grâce à l’application Réveil de son téléphone de marque Huawei, qui comporte un large choix de musiques. Dans le salon de son appartement, entièrement meublé, 36 m2 pour 612E en plein centre-ville (coup de fusil trouvé par Norbert Froissard sur le site seloger.com=AT1Hsk0tRcOpNzCGpfLtYwiybZEF1-_0DQPH26HRv1nDu-37F_F4qa1KIrTI28mPwr-WcRiAdEH6HaTqRaLpn_HUuWPUtYki4vBId8JqV4P22d7cWEEGSbd7Vk2g7npFCjvNaXiFVYzwj3LokGI0ByoDPb1GjuzH9CASRX6wB-vmDNw] et loué à l’agence Bernard & Co.), il aurait pris son petit-déjeuner à la lueur de sa lampe Ikéa ; des Cracottes de Lu au blé complet tartinées de beurre Président et de confiture Bonne Maman, à l’abricot.
Le port de ces gants de protection compliquera sans doute les recherches du commissaire Cardin, commissaire qui, contrairement à ce que son nom pourrait nous inciter à croire, s’habille chez Monoprix - parce que, dit-il, « les vêtements y sont de qualité et très pratiques ».
Lors de notre rencontre avec le Commissaire Cardin, notre équipe a très vite été surprise, agréablement, par son haleine fraîche. Nous lui avons donc posé la question, et le commissaire Cardin - que l’humilité n’embarrasse pas, nous a répondu, droit dans les yeux, que cette haleine, fraîche, était chose naturelle chez lui, qu’il l’avait ’dans le sang’ (sic).
Mais, bon Dieu, à quoi s’attendait le Commissaire Cardin en voyant débarquer chez lui deux journalistes du Dauphiné Libéré, deux journalistes ayant pour objectif d’éclaircir l’affaire Froissard ? à un simple ’contrôle de routine’ ?
Avec ma collègue - mon acolyte -, mon équipière, Irène, nous n’en sommes pas à nos balbutiements, nous ne sommes pas des stagiaires bon Dieu ! et cela fait un bail que nous avons appris à nous faire passer des messages sans que la personne interrogée ne s’en rende compte.
Ainsi, lorsque le commissaire Cardin a fini de déclarer avoir ’l’haleine fraîche dans le sang’ (sic), Irène, assise à ma droite, m’a discrètement pincé la cuisse, pinçant comme nous avions prévu de nous pincer lorsque nous avions des doutes, suffisamment fort pour que je sente que ce pincement était volontaire et comportait un message, mais suffisamment doucement pour ne pas que je poussasse un hurlement de douleur dont l’incongruité n’aurait pas manqué d’interpeller le Commissaire Cardin.
J’avais moi aussi des doutes – non monsieur le Commissaire, on n’a pas l’haleine fraîche ’dans le sang’, et, par conséquent, quand mon équipière m’a pincé la cuisse, j’ai immédiatement saisi le message. Alors, conformément au protocole que nous avions élaboré, qui stipulait que lorsque l’un d’entre nous pinçait la cuisse de l’autre, ce dernier se devait de commencer à véritablement investiguer, j’ai fait tomber, exprès, sous le bureau du Commissaire, le stylo Bic que je tenais dans la main.
Désormais à genoux, faussement maladroit, dans mon jean Levi’s et mon sweat Arizona acheté chez Jules, en faisant comme si, décidément, je ne parvenais pas à m’en saisir, je fis rouler le stylo plus près des pieds du Commissaire et pus ainsi apercevoir, insuffisamment cachée sous la semelle de l’une de ses claquettes le Coq Sportif, une boîte de Tic-tac.


Il y a à peu près trois heures, avec mon fils on a vu Elisabeth Borne se péter la gueule en sortant du train. Tête la première, bim, sur le quai. Toute seule, comme une grande. Sur le quai, son corps gisait, on attendait que le sang coule mais non, il n’a jamais coulé. Mon fils et moi n’avons pas compris comment une femme pouvait avoir un trou au front d’une telle largeur, d’une telle longueur et d’une telle profondeur sans verser une goutte de sang.
Nous nous sommes approchés, mon fils a naïvement demandé à Elisabeth Borne si elle allait bien, ce à quoi elle a répondu ’le système cette réforme sans ne tiendra pas, cette ne tiendra pas le système réfor, pas, pas, pas, ne ne ne tienpas’, en alternant sourires et regards faussement profonds. Je n’ai pas eu le temps de dire ’purée’ que mon fils a ri en hurlant ’Elisabeth Borne est un robot !’. Par le trou du front, nous avons vu des ports USB et dans l’un d’entre eux une clé USB, branchée, sur laquelle était écrit ’Discours Réforme Retraites’.
Nous avons ramené le corps à la maison et mon fils, doué comme pas deux en informatique, a réparé le disque dur d’Elisabeth Borne endommagé lors de sa chute.
Ensuite, mon fils et son talent en informatique ont programmé de nouveaux discours, de nouvelles réponses aux questions. Nous n’avons pas eu beaucoup de temps et le nouveau discours d’Elisabeth Borne ne sera pas moins répétitif que le précédent. Pour finir, nous avons inséré une nouvelle clé USB dans l’un des ports USB d’Elisabeth Borne. Nous avons refermé le trou proprement, sommes retournés à la gare pour la jeter dans le premier train.
Avant de la laisser repartir, nous avons testé la nouvelle version. Désormais, et quelle que soit la question, Elisabeth Borne répond ’On est là !’ ou ’Nique tout !’.

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