Désastrement, une brève définition
« On n’avait pas encore vu, par la faute du gouvernement, le ciel s’obscurcir et le beau temps disparaitre, et la fausse brume de la pollution couvrir en permanence la circulation mécanique des choses, dans cette vallée de la désolation. Les arbres n’étaient pas morts étouffés ; et les étoiles n’étaient pas éteintes par le progrès de l’aliénation. »
Guy Debord, In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni
Étymologiquement, le désastre signifie être orphelin de sa bonne étoile. Dis Astro est notre mauvaise comète. À côté glisse le mot d’influence, qui au départ nomme un flux émanant des astres, la cause de leurs actions sur les affaires des hommes. Nous pourrions dire que le désastrement est la perte de l’influence des astres sur l’histoire des hommes, dans la modernité occidentale. C’est un processus actif, recherché par un certain nombre de penseurs, qui voyaient dans le ciel et les astres des subterfuges afin d’éviter de parler de ce qu’il se trame sur terre et surtout, de le remettre en cause. De manière consciente et salutaire, ils ont ramené le ciel sur terre et demandé aux souverains des comptes. Ceux qui tiraient leur pouvoir et leur gloire d’être de divins soleils se virent sommés de redescendre parmi l’argile, la glèbe et la sueur des hommes pour justifier le mal qu’ils organisaient au nom du cosmos.
Ce mouvement de descente s’entame à la Renaissance, lorsque les alchimistes et hermétiques proclament mettre les forces cosmologiques au service de l’homme. Il ne cesse de s’amplifier pour trouver dans les Lumières son expression politique, à mesure que se sécularise la notion d’influence et de désastre. Bien évidemment, le désastrement n’est pas un rejet du cosmos, simplement de la domination des uns sur les autres en son nom. Les désastreurs affirmèrent que parler des anges, du ciel et de la perfection des sphères n’est pas parler des hommes, mais parler d’un système d’oppression sur eux. L’émancipation nait de la critique matérielle du monde et du pouvoir. Il y a une histoire du désastrement à faire et dont les pages qui suivent en proposent la ligne de force.
En miroir de ce désastrement, les hommes ne cessent de revenir à la loi des astres. La peinture mise en exergue est produite par William Blake en 1795. Elle montre Urizen, qui dans la cosmologie de Blake représente la loi et la raison, l’univers newtonien perçu comme froid et fatigué. Urizen représente le déclin du monde, la dissolution du lien entre les hommes et les astres. En réaction à la destruction de l’ancien monde et le désastrement de la Révolution française et des Lumières, Blake publia une série de prophéties magnifiques et terribles. Dans son univers, les hommes livrés à eux même dans la philosophie abstraite et la critique, se font la guerre et se mettent en esclavage. Ils abandonnent l’amour et l’harmonie pour se rétrécir sur terre. Les cosmogonies hallucinées de Blake sont merveilleuses et réactionnaires, elles répondent au désastrement, à la nécessité originelle du révolutionnaire de détruire le ciel. On peut dire que depuis 1789, le désastrement, y compris organique de la tête du Roi-Soleil, a provoqué l’horreur des interprètes du ciel. La pensée réactionnaire regarde le cosmos avec nostalgie et se remémore un ordre ou tout coïncidait, un monde dans laquelle la critique n’était pas née et l’espace public une chose inconcevable.
Le désastrement fit également réagir ceux qui se donnèrent pour tâche de détrôner les cieux. Les historiens ont depuis longtemps montré l’importance de l’astronomie pour les révolutionnaires. Cependant, la convocation de l’espace sidéral dans la pensée révolutionnaire a souvent un goût amer. Ainsi, en 1872, Blanqui écrit son testament politique : « L’Éternité par les Astres ». Parlant du cycle de vie des astres, il affirme :
Car les trépassés de la matière rentrent tous dans la vie, quelle que soit leur condition. Si la nuit du tombeau est longue pour les astres finis, le moment vient où leur flamme se rallume comme la foudre. À la surface des planètes, sous les rayons solaires, la forme qui meurt se désagrège vite, pour restituer ses éléments à une forme nouvelle. Les métamorphoses se succèdent sans interruption.
L’espace est donc peuplé de transformations, bigarrées de terres aux multiples réalités dans laquelle peut-être un Blanqui fête la victoire de la Commune. Le Blanqui défait, qui écrit dans sa cage de fer, cherche une épaule céleste sur laquelle pleurer. Il est vrai qu’en période de réaction et d’écrasement, le désastrement pèse plus lourd que le monde pour les révolutionnaires.
Depuis 2019 et le démarrage de la pandémie, de nouvelles cosmologies bizarres et tordues ne cessent d’essaimer. Elles prétendent relier le monde et le sauver par les étoiles tout en méprisant la vie concrète des hommes et leurs fragilités. Cette tendance a pris le nom savant de conspiritualité, un terme proposé d’abord par Charlotte Ward en 2011, newageuse qui voit en la multiplication des pratiques astrologiques, conspirationnistes et spirituelles axées sur le bien-être, un changement culturel positif. La période ouverte par le COVID-19 a vu un retour massif des cosmologies et des références ésotériques, qui toutes se soucient plus de l’espace intérieur des hommes que du monde social et des responsabilités collectives. Alliant scepticisme envers la science, naturalisation des morts causées par les faillites organisées des systèmes de santé, responsabilité individuelle et connexion cosmologique, ces discours se rallient tous sous cette formule duale : « 1) Le monde est possédé par les forces du mal 2) Ceux qui voient cela clairement sont appelés à favoriser, en eux-mêmes et chez les autres, un nouveau paradigme spirituel. » [2] Ce nouveau paradigme spirituel consiste à revenir au ciel pour y reconstruire un trône, réaffirmer que parler des astres est parler de la condition humaine, et qu’en retour, tout bouleversement de notre condition doit passer par une allégeance à l’ordre naturel du cosmos, que les forces du mal tentent de maitriser. Autrement dit, les forces du mal sont ici les forces du désastrement, de la critique du ciel, du matérialisme et de la politique entendue comme action collective et critique du ciel.
Pour le camp des révolutionnaires, c’est une régression immense. Notre tâche est de maintenir le règne des étoiles séparé des hommes, de maintenir la critique et de combattre le vitalisme réactionnaire qui voit dans la société un corps organique, dans le cosmos le seul modèle politique et dans la science un ennemi. Cela n’est pour autant pas un rejet des élaborations cosmologiques et la science industrielle doit être soumise à une critique, mais cette critique n’est pas celle qui fait primer les astres. Le fascisme d’aujourd’hui comme d’hier repose sur ce trouble. Vitalistes, organicistes et naturalisant, les fascismes détruisent la critique du ciel et la science, car ils dépendent des cieux pour y mettre la tête — le chef, l’empereur, la nation. Aujourd’hui comme hier, dans les communautés fascistes qui peuplent la terre, on se donne, assassine, génocide et meurt pour le ciel et pour la haine de la terre. Ainsi, une question annexe auquel le texte ne répond pas est-elle : peut-il y avoir un vitalisme révolutionnaire, peut-il y avoir des cosmogonies réellement émancipatrices ? Une question à laquelle certains auteurs de salon s’empressent de répondre favorablement, sans s’intéresser aux effets sociaux, matériels de cette réponse. Pourtant, là où le vitalisme cosmologique règne, l’eugénisme n’est jamais très loin, et de nombreux révolutionnaires se réclamèrent du cosmos et de la nature dans l’indifférence du sort des plus vulnérables.
La dissertation doctorale, qu’Hegel écrit en 1801, s’intitule « Des orbites des planètes ». Il y défend une philosophie de la nature que Newton (dernier arrivé d’un long cheminement scientifique) venait de détruire. Ce qu’Hegel reproche est la froideur mécanique d’un univers newtonien dans laquelle la matière est dénudée de tout souffle vivant. Son regret est d’abord une grande nostalgie : que la pulsion de vie qui anime les êtres vivants, à commencer par les hommes, ne se retrouve plus faire communauté avec le Cosmos. Cette prise de position le fait renouer avec la vision dite aristotélicienne de l’univers, dans laquelle la sphère parfaite du Soleil règne comme idéal-Dieu et harmonie. Quinze ans après, dans l’Encyclopédie de 1817, Hegel redescend sur terre. Désormais, c’est la planète Terre qui est supérieure au soleil, car c’est bien sur terre que sont les hommes. Son virage est représentatif du désastrement, qui prend aussi la forme de « critique », une nouvelle attitude, une exigence même, qui consiste à retirer aux sphères célestes leur hégémonie politique.
Kostas Papaioannou, dans De la critique du ciel à la critique de la terre, remarque que, depuis le XIXe siècle, « la critique » se dresse avant tout contre les cieux. Hegel lui-même assumait sa tâche de « revendiquer comme propriété de l’homme les trésors qui furent spoliés au profit du ciel. » Quelle est cette mystérieuse danse qui amène ces hommes à détrôner les cieux ? Il s’agit de « l’attitude critique ». L’homme s’extirpe des orbes célestes et de leur cheminement éternel pour montrer en quoi le ciel (et ses représentants) aliène, possède l’homme. La critique consiste à révéler en quoi la terre est différente du ciel. Le ciel, le rêve, l’illusion de l’être céleste cède la place à la terre comme véritable résidence de l’homme. Tel est le moment de la critique incarné par Hegel et ses descendants. Démasquer le ciel, l’arracher à sa voûte et mettre la chaleur humaine, tels sont les gestes cosmologiques de la critique. Faire de la terre l’unique sol possible pour élever ses pensées et songes.
La critique radicale affirma que peu de chose lui échappait, peu de matière avec laquelle ne pas faire feu salvateur. Feuerbach dit ainsi dans L’essence du Christianisme : « tout progrès dans la religion est donc approfondissement de la connaissance de soi. » Tremblement de terre s’il en est. La religion est désormais au même niveau que l’homme, à savoir sur terre. Le divin n’est plus séparé de l’humain, ainsi toute connaissance divine est humaine, connaissance de soi. Voici l’essence de la critique : faire à nouveau tourner les astres autour de l’homme. Alors que Copernic, Galilée et Bruno (à sa manière) arrachèrent la terre et la propulsèrent comme un astre tournoyant en permanence dans l’infini — faite ainsi simple point des cieux — les critiques hégéliens rabattent ce geste, dont le plus aboutit revient à Karl Marx. En 1844, dans son introduction à Hegel, le jeune Marx dira : « Dans la réalité fantastique du ciel, l’homme cherchait un Surhomme, mais il n’a trouvé en réalité que son propre reflet. » Marx ne cessera de démasquer ce reflet.
Une fois mise à terre le ciel religieux, ce sera au tour du politique de tomber. Aussi, dans sa critique de la démocratie, Marx dira ainsi que le citoyen vit dans deux mondes : un céleste, dans lequel l’État règne comme prétendu garant objectif de l’intérêt commun, où l’être-citoyen est générique ; l’autre terrestre, dans lequel se matérialise la spécificité et la singularité de sa position non dédoublable en universalité. L’homme s’aliène encore une fois et se projette dans un ciel à nouveau démasqué. Dualisme entre vie politique et vie civile, impossible à tenir sans que l’un (le ciel) aliène l’autre (la terre). Le citoyen ne se distingue du chrétien que parce qu’il en est une version sécularisée : lui aussi est souverain dans le royaume céleste et esclave sur terre. Ainsi, l’homme est encore une fois séparé de lui-même, extirpé de sa communauté réelle, (l’endroit concret où il produit) pour être rendu égal, libre dans un royaume étrange qui affirme de sa liberté et souveraineté, qu’elles ne peuvent que se vivre seule, monadique et égoïstement. Seulement, après avoir démasqué le ciel politique, Marx ira chasser celui, encore plus bas que terre, de l’économie. Marx fait de l’argent, l’agent étranger aliénant les hommes parce que ceux-ci font de leur activité essentielle une entité extérieure pour mieux l’objectiver. Il faudra attendre Engels pour que Marx se saisisse pleinement de la question économique autrement que par le simple besoin générique.
De nos jours, l’attitude critique prolifère et tente, à tous les niveaux, de faire tomber un peu plus le ciel, la superstructure, l’idéologie, le discours. Rien n’y fait car le ciel est désormais aboli. L’avant-garde — et je n’ai jamais su s’il s’agissait d’une chance pour nous — est enterrée. Qui, cependant, enterra les avant-gardes ?
Dans In girum imus nocte et consumimur igni, Guy Debord dira : « Le principal résultat, à écouter ceux qui ont l’air de regretter que la bataille ait été livrée sans les attendre, on pourrait croire que c’est le fait qu’une avant-garde sacrifiée ait complètement fondu dans ce choc. Je trouve qu’elle était faite pour cela. Les avant-gardes n’ont qu’un temps ; et ce qui peut leur arriver de plus heureux, c’est, au plein sens du terme, d’avoir fait leur temps. » Debord reprend la strophe du poème d’Hegel : « tu ne pourras pas être mieux que ton temps — mais, au mieux, tu seras ton temps. » Le rôle de l’avant-garde est la critique du temps et sa réalisation. L’avant-garde se veut être le temps, et prétendant l’excéder, possède un désir céleste inassouvissable. Sans ce désir de décrocher le ciel, l’avant-garde devient une farce vite engloutie dans les flots du temps.
Pour sûr, le dernier ciel auquel s’adressa la dernière des impitoyables critiques est celui du Spectacle, nouvelle objectivation de l’homme en dehors de son terrestre « être véritable », qui cependant possède cette profonde force d’avoir percé à jamais la terre de ses rêveries et images accumulées jusqu’à en faire le sol de l’homme. Ainsi, Debord dit :
Le spectacle est la reconstruction matérielle de l’illusion religieuse. La technique spectaculaire n’a pas dissipé les nuages religieux où les hommes avaient placé leurs propres pouvoirs détachés d’eux : elle les a seulement reliés à une base terrestre. Ainsi c’est la vie la plus terrestre qui devient opaque et irrespirable. Elle ne rejette plus dans le ciel, mais elle héberge chez elle sa récusation absolue, son fallacieux paradis. Le spectacle est la réalisation technique de l’exil des pouvoirs humains dans un au-delà ; la scission achevée à l’intérieur de l’homme.
Debord trace un schéma : les sociétés préindustrielles vivaient dans un temps cyclique et éternel puisque basées sur le rythme de la production agraire, lui-même rythme du cosmos. Les saisons sont l’unique temps vécu, non séparé de la production et des fêtes. L’ordre cosmique est garanti. Puis vient le temps irréversible, encore en compromis avec le temps cyclique : le Moyen-Âge et l’essor des religions monothéistes. En effet, les religions plongent les hommes dans l’histoire et les chroniques, temps irréversible dans lequel Jésus-Christ ne meurt qu’une fois. Le temps du travail et le temps du mythe coexistent plus ou moins harmonieusement jusqu’aux protestants, dans lesquels le temps du travail est érigé en seul temps vécu possible. Vient alors la bourgeoisie, qui déchire à jamais le mythe et fait du temps de l’histoire irréversible le seul socialement possible en s’identifiant au travail, activité par laquelle le monde se transforme. Avec elle, le progrès technique du travail devient progrès social, nous dit Debord, de telle sorte que la bourgeoisie se reconnait comme la seule agente de l’histoire. C’est le temps des choses, qui ne se mesure plus par un retour mais par leur propre négation, consommation. La consommation remplace le travail dans le rôle de la négation de la matière. En effet, selon Hegel, le travail devient l’activité non plus extérieure à l’homme mais bien destinale. Pendant des siècles, les hommes vénérèrent des fétiches et non la production. Avec la bourgeoisie et Hegel, c’est le travail qui devient l’intérieur de l’homme et non plus ses objets. Ce n’était cependant pas compter sur Marx, qui introduit la première définition de la Marchandise comme fétiche. L’essor du fétiche marchand, nous dira Debord, correspond au retour d’un pseudo-cosmos et d’un pseudo temps cyclique. Point de Cosmos sans cycle, le pseudo-monde spectaculaire n’y échappe pas. Le temps de la production trouve son complément dans le temps de la consommation. Ainsi, le temps pseudo-cyclique :
Est celui de la consommation de la survie économique moderne, la survie augmentée, ou le vécu quotidien reste privé de décision et soumis, non plus à l’ordre naturel mais à la pseudo-nature développée dans le travail aliéné ; et donc ce temps retrouve tout naturellement le vieux rythme cyclique qui réglait la survie des sociétés préindustrielles. Le temps pseudo-cyclique à la fois prend appui sur les traces naturelles du temps cyclique, et en compose de nouvelles combinaisons homologues : le jour et la nuit, le travail et le repos hebdomadaire, le retour des périodes de vacances.
Le temps-marchandise de la production devient le temps marchandisable de la société du Spectacle, temps qui retrouve une unité jadis séparée, entre vie politique, vie privée et vie économique. Voilà que se présentent des images de fêtes et de gloires de l’unité du monde, la publicité ne fait plus l’apologie des objets même mais de l’unité qu’elle représente entre le sujet, le monde et le temps irréversible qui passe mais dont la promesse d’une réitération constitue la base de la consommation. Seulement, « ce qui a été représenté comme la vie réelle se révèle simplement comme la vie plus réellement spectaculaire. » La naturalité du pseudotemps cyclique, qui retrouve son unité préindustrielle, communiant dans les fêtes et joies modernes, ramène cependant toujours à l’unité économique que chacun consent à dépenser. Il n’y a guère d’excès derrière cette pseudo-unité, mais toujours la solitude de cœur et la mesure du temps-marchandise. Car le faux-temps cyclique ne peut communier et joindre les astres comme le faisait le cosmos de jadis. L’individu, bordure et centre du monde, n’a aucune histoire et son temps vécu dans le spectacle n’est d’aucune mémoire. Son activité productrice lui est immédiatement enlevée et renvoyée sous forme de rêveries et images desquelles il doit activement consommer.
Le contemporain de l’ordre spectaculaire contemple un pseudo-cosmos qui dégrade l’être en avoir, puis en paraître, « dont tout “avoir” effectif doit tirer son prestige immédiat et sa fonction dernière. » D’où cette terrible douleur : le cosmos du contemporain n’est pas la contemplation mondaine de l’être mais du non-être, de son image autonome, renversée et non-vivante, célestement déchue. « Plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaitre dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir », dit Debord. Plutôt que de se modeler sur les astres et les anges, il se modèle sur une image humaine, profondément proche de lui, qui n’est cependant qu’une marchandise, une chose apparaissant comme être et qui, dans le Spectacle, est être apparaissant comme essence de la chose.
Guy Debord est bien un penseur du désastrement : il remarque que la loi des stars et des hommes, qui se rejoignent en une unicité allègre est nouvelle aliénation. Encore une fois, le ciel nous écrase.
Le cosmos décrit par Debord, dans La société du Spectacle, est un ordre terrible, « mouvement autonome du non-vivant. » Dans le Spectacle « la réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. » Cosmos et monde unifié, le Spectacle l’est donc. Il « constitue le modèle présent de la vie socialement dominante », et l’homme qui le contemple ne scrute rien d’autre que l’ordre fixé et préétabli à sa présence. Cependant, le monde unifié et cosmologique du Spectacle n’est plus la jonction de l’homme et du céleste mais l’inversion concrète de la vie. Il est l’homme sans monde se regardant et ne reconnaissant aucune autre loi que le monde de la marchandise. Il regarde le reflet de ses besoins objectivés lui dire quelles formes doivent prendre ceux-ci et, dans cette contemplation, l’homme ne tire nulle autre loi qu’une dépense calculée et sans gloire. Ainsi, Debord situe-t-il l’origine du Spectacle dans « la perte d’unité dans le monde », qui revient alors dans une pseudo-unité, une « énorme positivité indiscutable et inaccessible », ne disant rien de plus que « ce qui apparait est bon, ce qui est bon apparait. »
Le monde est un cheminement, jamais un point fixe. Lorsqu’il devient rigide, coquilleux et nous échappe en nous enfermant, alors nait ce sentiment de perte et de vide si contemporain. Le désastrement est ce cheminement qui nous libère du Spectacle, du Ciel fixe et rigide, de l’éternel fascisme et du principe de mort. Le parti pris du texte est de ne pas y voir le grand récit du désenchantement mais plutôt l’ouverture d’une possible émancipation. L’enquête continue.
Hugo Souza de Cursi
Illustration : William Blake, Song of Los, 1795)