Autonomie rebelle, graine zapatiste pour une autre politique

Semences rebelles 1

paru dans lundimatin#450, le 7 novembre 2024

Pour entamer cette nouvelle série, nous proposons : I. Semences rebelles. Introduction aux inspirations philosophico-politiques du mouvement zapatiste (1994-2023) : A. L’autonomie rebelle, graine zapatiste pour une autre politique.

Il y a deux semaines, la rédaction de lundimatin publiait un court article intitulé « La situation s’aggrave au Chiapas » regroupant deux communiqués de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), le premier daté du 10 octobre 2024, convoquant aux Rencontres internationales des rebellions et résistances 2024-2025 et le second, daté du 16 octobre 2024, annonçant la suspension provisoire des communications publiques de l’EZLN et la possible annulation desdites rencontres.

Cette publication, visibilisant l’actualité préoccupante du mouvement zapatiste, permit d’orienter notre attention vers les montagnes du Sud-Est mexicain et de nous interroger sur le cheminement des communautés rebelles, ainsi que sur la situation politique chiapanèque.

Le 20 octobre 2024, alors que le silence zapatiste s’installe, rompant avec les publications journalières de la série de communiqués consacrée aux Rencontres internationales 2024-2025 [1], le père Marcelo Perez Perez, défenseur des droits humains, engagé auprès des peuples indigènes et dans les processus de paix au Chiapas, est assassiné dans les rues de San Cristobal de Las Casas, Chiapas, Mexique.

Depuis le soulèvement armé du 1er janvier 1994, le mouvement zapatiste a concentré une forte attention internationale, ayant contribué largement aux recherches en sciences sociales et aux luttes attentives à la résolution collective des crises écosytémiques contemporaines.

Convoquant à de nombreuses rencontres internationales au Chiapas [2] et impulsant la constitution de réseaux planétaires de lutte - tels que la « Sexta » (2005/2013) et la « Déclaration pour la vie » (2021) [3], le mouvement zapatiste est un espoir rebelle [4] qui oriente la pensée et anime les cœurs de celles et ceux qui luttent, depuis différentes géographies, pour une organisation socialo-politique alternative de l’existence terrestre.

La période récente, succédant à l’étape européenne du « Voyage pour la vie » (2021) est marquée par un approfondissement de la géopolitique et des analyses philosophico-politiques zapatistes, ainsi que par des modifications considérables de la structure de l’autonomie rebelle expérimentée par les communautés zapatistes au Chiapas depuis 1994.

La prolifération des analyses et initiatives zapatistes au cours de la période 2023-2024, marquant une « nouvelle étape » du mouvement à trois décennies de son apparition publique, et ce malgré les nombreuses attaques subies par les communautés bases de soutien de l’EZLN, requière donc une attention particulière.

Pour situer et analyser la récente convocation zapatiste aux Rencontres internationales 2024-2025, dont le thème « la Tempête et le Jour d’Après » suscite notre curiosité et nous invite à approfondir notre lecture politique et philosophique des expérimentations zapatistes au Chiapas, et les attaques subies par la communauté « 6 de Octubre », base de soutien de l’EZLN, nous souhaiterions esquisser quelques-unes des principales contributions philosophiques et politiques du mouvement zapatiste pour la recherche-action écologique et critique de la Modernité capitaliste, lesquelles nous permettront de relier les cheminements zapatistes à la préoccupante actualité chiapanèque.

L’annonce des Rencontres internationales 2024-2025 et des attaques subies par la communauté zapatiste « 6 de Octubre » nous permet donc d’introduire l’articulation de la dimension planétaire [5] du mouvement zapatiste, élaborant des conceptions philosophiques et politiques qui contribuent largement aux analyses-critiques de la configuration hégémonique et de la prétention mono-ontologique de la Modernité capitaliste, à la dimension territoriale de l’autonomie rebelle expérimentée par les communautés zapatistes - préfigurant des formes d’auto-organisation politique et des modalités d’existence écologique, non-moderne et anticapitaliste.

Alors que les Rencontres internationales prolongent les efforts d’analyse-critiques de la structure globale de « l’hydre capitaliste » et de la « tempête » qui en résulte [6], en contribuant au tissage des solidarités et des complicités internationales entre personnes, collectifs et organisations qui luttent « en bas et à gauche » et « pour la vie » [7], les attaques subies par les bases de soutien civils de l’EZLN mettent en évidence les enjeux territoriaux de l’autonomie zapatiste - notamment la nécessité de la défense et de la préservation de ses territoires rebelles, « base matérielle » de l’autonomie politique [8].

A cet égard, il est essentiel de considérer l’articulation des dimensions planétaire/territoriale du mouvement zapatiste pour en apprécier ses principales contributions philosophico-politiques, tant pour l’organisation territoriale des alternatives politiques à la configuration étatique et moderne-capitaliste de l’existence (autonomies rebelles) que pour des transformations radicales de la configuration systémique du planétaire (ontologie pluniverselle).

Espérant contribuer à l’amplification des solidarités internationales au regard de la temporalité décisive que suscite le contexte politique de violence et d’hostilité affectant particulièrement les communautés indigènes et zapatistes au Chiapas, nous allons donc ébaucher quelques-unes des principales semences rebelles [9], lesquelles nous permettront de considérer la validité des conceptions-expérimentations du mouvement zapatiste.

I. Semences rebelles. Introduction aux inspirations philosophico-politiques du mouvement zapatiste (1994-2023).

L’ampleur des crises éco-systémiques, la permanence de la destruction de l’habitabilité terrestre, des souffrances affectives, sociales et économiques d’une partie considérable de l’humanité et la suppression progressive des perspectives utopiques d’avenir, qualifiées de « tempête » [10], dont les multiples conséquences impactent durablement la bio-communauté terrestre, circonscrit l’urgence d’une mobilisation des principales contributions théoriques et pratiques des expérimentations socialo-politiques alternatives à la configuration systémique de la Modernité capitaliste et au mode d’existence corrélatif.

La philosophie politique d’inspiration zapatiste, qui émerge depuis les conceptions et les expérimentations des communautés rebelles au Chiapas, est une contribution en-pratique à la résolution collective des crises éco-systémiques, dans leur dimension territoriale et planétaire.

Le mouvement zapatiste a largement contribué, au cours des trois dernières décennies d’organisation et des vingt dernières années d’autonomie politique, à l’émergence d’une autre théorie philosophico-politique susceptible de provoquer les basculements [11] requis pour « traverser cette tempête et les autres qui arrivent » [12].

A. L’autonomie rebelle, graine zapatiste pour une autre politique.

« L’humanité vit dans chacune de nos poitrines et, comme le coeur, elle préfère le coté gauche. Il faut la retrouver, il faut nous retrouver. Il n’est pas nécessaire de conquérir le monde. Il suffit de le refaire. Nous. Aujourd’hui »

Première Déclaration de « La Realidad » contre le néolibéralisme et pour l’humanité, janvier 1996 [13]

Tout d’abord, il est important de considérer que nous nous référons à l’autonomie rebelle expérimentée par les communautés zapatistes au Chiapas de 1994 à 2023.

Des modifications d’ampleur de la structure de l’autonomie ont été annoncées par l’EZLN fin 2023 [14]. La « nouvelle étape » de l’autonomie témoigne de la capacité d’adaptation propre au mouvement zapatiste : « (…) l’autonomie zapatiste continue et avance ». La nouvelle structure de l’autonomie annoncée fin 2023, laquelle met un terme à l’organisation en vigueur depuis les vingt dernières années, est une réponse organisationnelle du mouvement aux crises écosytémiques : « la terrible tempête qui frappe déjà tous les recoins de la planète (…) » [15].

L’autonomie rebelle zapatiste est une expérience collective d’autogouvernement, dissociée de la politique étatique, et d’auto-organisation de la vie collective et individuelle, en dissociation des inculcations et des dominations capitalistes et modernes.

L’appréciation de ses principales contributions pour un avenir planétaire non-étatique et non-capitaliste, soucieux de résoudre collectivement les crises écosytémiques, est tributaire d’un positionnement ethico-politique préalable, qu’il ne faudrait pas négliger. A cet égard, les graines zapatistes que nous considérons « inspirantes » ne définissent pas un modèle, c’est-à-dire, une solution pré-construite et malléable, exhaustive et « exportable » [16], qui permettrait de résoudre l’ensemble des problématiques qui émergent des crises planétaires et de leurs évolutions [17].

L’autonomie rebelle est une hypothèse intéressante, dont l’étude et la critique sont essentielles, possiblement inspirante pour les basculements philosophico-politiques et anthropologiques souhaités, garants de l’émergence d’alternatives ontologiques et politiques à un monde dont les conséquences socialo-écologiques de la Modernité capitaliste atténuent-détruisent les projections collectives d’avenir.

Brève déambulation historique. Construction de l’autonomie rebelle de 1994 à 2023.

Les premières constructions de l’autonomie politique du mouvement zapatiste sont mises en place dès le mois de décembre 1994, parallèlement aux efforts de dialogue pour une « paix digne et juste » entre l’EZLN et le gouvernement mexicain, avec la création des Municipalités autonomes rebelles zapatistes (MAREZ), constituant la première articulation de l’autonomie - entre l’échelle locale communautaire et l’échelle communale des municipalités autonomes.

L’autonomie zapatiste est ensuite amplifiée et approfondie à partir de 2003, lorsque l’EZLN décide de rompre les échanges politiques avec le gouvernement mexicain en raison de la non-application des Accords de San Andres sur les « Droits et cultures indigènes » de 1996. Aux « Aguascalientes », centres culturels autonomes zapatistes succèdent les « Caracoles », centres politico-culturels de l’autonomie, et les Conseils de bon gouvernement (JBG), instances d’auto-gouvernements d’échelle zonale - correspondant à la seconde articulation de l’autonomie, entre l’échelle communale des municipalités autonomes et l’échelle zonale des JBG-Caracoles.

En 2013, après trente ans d’organisation politico-militaire de l’EZLN, vingt ans du soulèvement armé et dix ans d’expérimentation de l’autonomie, le mouvement zapatiste convoque la société civile nationale et internationale à « l’Escuelita zapatista » [La petite école zapatiste], laquelle marque un bilan d’étape de l’autonomie politique expérimentée par les communautés rebelles. A cette occasion, l’EZLN rédige quatre fascicules, les « Cahiers de l’autonomie » [18], intitulés « La Liberté selon les Zapatistes », forme de restitution interne, dressant les avancées et les limites de la construction de l’autonomie.

En 2019, année de célébration des vingt-cinq ans de l’expérience rebelle, le mouvement zapatiste annonce la création de sept nouveaux Caracoles - et de quatre nouvelles communes autonomes - et de leurs Conseils de bon gouvernements respectifs, qui s’ajoutent au cinq Caracoles créés en 2003. Après l’investiture du président Andres Manuel López Obrador (AMLO) le 1er décembre 2018, issu du parti de « gauche » MORENA, le contexte national est particulièrement difficile pour la lutte zapatiste [19]. A cet égard, la création de nouveaux Caracoles témoigne de la « vitalité » de l’autonomie rebelle, dont la persistance créative est une dimension particulièrement remarquable, notamment après plusieurs décennies de résistance et de rébellion.

Récemment, fin 2023, l’EZLN a annoncé la fermeture temporaire des « Caracoles » - notamment en raison des nombreux conflits politiques et armés qui affectent les communautés zapatistes, lesquelles privilégient un processus d’organisation en interne - et la suppression des MAREZ et des JBG.

L’échelle communautaire est assurée par les Gouvernements autonomes locales (GAL), celle communale par les Collectifs de gouvernements autonomes zapatistes (CGAZ) et l’échelle zonale correspond désormais à l’Assemblée des collectifs de gouvernements autonomes zapatistes (ACGAZ). Ce réajustement de la structure de l’autonomie résulte de nombreuses années d’analyse-critique des problématiques internes [20] - fonctionnement des institutions autonomes, etc - et de la configuration actuelle de l’hydre capitaliste et de la « tempête ».

La « nouvelle structure » de l’autonomie - laquelle semble se projeter dans une ambitieuse temporalité de « 120 ans » - tend à renforcer les capacités d’organisation politique du mouvement zapatiste pour affronter « le pire côté de l’Hydre, sa bestialité la plus infâme et sa folie destructrice. Ses guerres et invasions entrepreneuriales et militaires » [21].

Du territoire au planétaire, l’expérimentation zapatiste de « l’autonomisation universaliste ».

Les « Caracoles » zapatistes, moteur principal de l’autonomie rebelle à partir de 2003, articulent les multiples dimensions de la lutte zapatiste. Ils permettent de connecter le mouvement zapatiste avec les sociétés civiles internationales et d’autres collectifs et organisations de lutte. Qualifiés de « portes », de « fenêtres » et de « porte-voix », ils assurent la réciprocité des échanges entre le mouvement zapatiste et « les mondes qui peuplent le monde » [22]. A l’occasion de l’annonce de la création des « Caracoles », le sous-commandant Marcos affirme que la « raison de se battre » de l’autonomie rebelle est « un monde où aient leur place de nombreux mondes » [23]. Cette formule synthétise l’horizon ontologique de la lutte zapatiste, que nous qualifions, à partir des travaux de Jérôme Baschet, de « plunivers » [24]. Le projet d’autonomie zapatiste articule principalement deux dimensions, dont la réciprocité est essentielle, caractéristiques de l’escargot zapatiste : l’intérieur et l’extérieur - la dimension territoriale de l’autonomie rebelle et la dimension planétaire de la lutte politique et ontologique zapatiste.

A partir des « Caracoles », il est possible de comprendre que l’autonomie, dans sa version zapatiste, n’est pas « la fragmentation d’un pays ou le séparatisme » [25], il s’agit d’un projet politique d’autogouvernement et de « transformation sociale ». Lors de la Rencontre intercontinentale de 1996, l’autonomie zapatiste est présentée comme un « projet d’autonomisation de la société civile dans son ensemble ». Ainsi, la conception zapatiste de l’autonomie n’est pas celle d’une société exclusive, ni celle d’une société recluse, c’est un projet régional aux aspirations nationales - puis planétaires - d’autogouvernement de la société civile.

Pour autant, l’autonomie rebelle est d’abord une expérimentation politique des communautés zapatistes au Chiapas. A cet égard, il est important de prendre en considération la dimension communautaire à partir de laquelle s’est construite l’autonomie zapatiste. La communauté est un mode d’organisation des peuples indigènes assez diffus, qui n’en est pas, pour autant, intemporel. Jérôme Baschet insiste particulièrement sur l’importance de prendre en considération que le mode d’organisation des communautés zapatistes est tributaire d’une évolution historique et d’une créativité politique singulière. La forme « communautaire » privilégiée par les zapatistes est donc une forme « rénovée et ouverte » [26]. La critique de certaines dimensions traditionnelles et le refus de les perpétuer indifféremment [27], n’excluent nullement une revendication culturelle de la tradition et l’importance portée au respect de certaines spécificités traditionnelles, caractéristiques des identités indigènes.

L’autonomie rebelle, au travers de l’implantation géographique des communautés zapatistes, s’inscrit dans une « défense de la particularité des lieux », c’est-à-dire, dans la revendication d’un ancrage territorial « qui donne consistance et singularité à la communauté » contre la globalisation capitaliste dont la destruction des écosystèmes et des modes d’existence territoriaux projette une uniformisation marchande du planétaire, peu encline au respect des différences et des altérités, centrales pour les subjectivités rebelles et les mondes multiples - nous y reviendrons.

L’autonomie est une défense des spécificités territoriales contre les projets d’uniformisation néolibérale - notamment le Traité de libre échange nord-américain (ALENA) en vigueur depuis le 1er janvier 1994 - et contre les processus de « délocalisation » engagés par les destructions environnementales et la « disparition de tous les lieux en tant que lieux ». Jérôme Baschet propose l’expression de « délocalisation généralisée » pour synthétiser les processus multi-destructifs de la mondialisation néolibérale - par exemple, les « grands projets miniers, énergétiques, touristiques ou d’infrastructures » [28]. La défense de la particularité des lieux, dont l’autonomie se porte garante, est aussi un « attachement à la terre ». A cet égard, il est important de prendre en considération la centralité de la « terre » pour les peuples zapatistes et indigènes - et a fortiori pour l’existence de la bio-communauté terrestre que nous sommes : la terre est la caractéristique du territoire spécifique dans lequel s’ancre des modes de vie communautaires, mais c’est aussi un « repère culturel fondamental », la Terre Mère [29].

La « terre » est le moyen de subsistance de l’humanité [30], lequel n’est nullement substituable, mais c’est aussi la dimension spatiale, préalable à toute forme d’existence. Dès lors, l’autonomie territoriale comme « défense de la terre » est une résistance à la marchandisation de ce qui est, par essence, la condition sine qua none à l’existence de la bio-communauté et des écosystèmes. L’autonomie expérimentée par les communautés zapatistes est majoritairement paysanne, c’est-à-dire qu’elle suppose la possession (collective) de terres cultivables.

Au Mexique, la possession collective de la terre, « terres communales ou ejidales » est un héritage de la révolution mexicaine des années 1910. Le slogan « Tierra y Libertad » [Terre et Liberté] d’Emiliano Zapata, chef suprême de la lutte (néo)zapatiste, démontre l’importance que les révolutionnaires de 1910, puis ceux de 1994, accordent à la terre. Le soulèvement armée du 1er janvier 1994 est notamment une réponse à la privatisation de la propriété sociale de la terre que le gouvernement de Carlos Salinas de Gortari permit par la modification de l’Article 27 de la Constitution mexicaine en 1992 - et intensifia au travers d’une politique néolibérale. Les terres récupérées par le soulèvement armé sont la « base matérielle » de la possibilité d’une construction durable du mouvement zapatiste et de l’autonomie rebelle [31].

Au regard des crises écologiques de la contemporanéité, l’autonomie rebelle inscrite dans un territoire, attentive à la terre et déployant un mode d’existence écologique, est une graine pour la défense collective de l’habitat terrestre, menacé par la domination systémique du capitalisme dont la destruction des lieux et des habitats naturels est une condition d’expansion globale, et pour l’émergence de formes alternatives d’organisation socialo-politique.

Il est important de mettre en évidence que l’autonomie territoriale, telle qu’expérimentée par les communautés zapatistes, ne saurait être suffisante à la gestion des crises en-cours et à leur possible résolution collective, dans la mesure où l’ampleur des modifications géologiques provoquées par l’activité humaine de la Modernité-capitaliste nécessite une coordination planétaire de la politique « écologique ». A cet égard, les zapatistes n’envisagent nullement l’autonomie, dans sa condition territoriale, indépendamment de l’autonomisation progressive de la société civile mexicaine et, a fortiori, des sociétés humaines. En ce sens, Jérôme Baschet propose l’expression « une autonomisation universaliste » pour caractériser la spécificité zapatiste de l’articulation de plusieurs échelles d’autonomies géographiques, contre la « globalisation fragmentée » du néolibéralisme [32]. L’autonomie territoriale est néanmoins le sol à partir duquel les expériences zapatistes peuvent se déployer ; la condition terrestre de la rébellion, ancrée dans une géographie spécifique - qui n’est nullement négligeable [33], est un préalable pour une nouvelle configuration pluniverselle du planétaire, émancipée des dominations systémiques dont les conséquences « écologiques » et « sociales » sont considérables.

De l’assemblée communautaire à la démocratie radicale, inspirations de l’autonomie zapatiste pour une autre théorie-pratique politique.

Le mode de vie communautaire des zapatistes suppose la revendication d’une dimension collective de l’existence, construite à partir de la réciprocité. Cet « ethos » de vie collective, central pour l’autonomie zapatiste, se manifeste notamment dans les pratiques de l’assemblée communautaire « comme lieu de parole et d’élaboration des décisions ». C’est à partir de la reconnaissance collective de la nécessité d’une diffusion réciproque de la parole et de l’écoute que l’assemblée communautaire prend une dimension particulièrement importante pour l’organisation et la structuration des rapports socio-politiques, liant la communauté aux individus qui la composent [34]. Elle est une forme d’organisation sociale et politique de la vie collective, permettant de considérer l’ensemble des individus concerné.es par les décisions à prendre sur les « communs ». A cet égard, l’assemblée, comme lieu d’échange et de décision, suppose une subjectivité du collectif.

Lassemblée communautaire met en évidence la possibilité d’une participation collective à la gestion politique de la vie sociale. A cet égard, il semblerait que le mode d’organisation communautaire est une inspiration possible pour les mondes « modernes-capitalistes », caractérisés par une organisation sociétale méta-collective et, a fortiori, pour la résolution des problématiques de dépossession, individuelle et collective, des capacités politiques d’agir [35]. L’inspiration zapatiste de l’assemblée communautaire, comme base de l’élaboration collective du politique, permet d’envisager la possibilité de nouvelles partitions nationales - et, a fortiori, d’une nouvelle composition du planétaire.

Les communautés zapatistes, villages et hameaux, élisent, à partir de l’assemblée communautaire, des « responsables » au niveau local, chargés de l’organisation de chaque communauté [36]. Les agent.e.s et commissaires municipaux qui disposaient d’une « charge » [37], c’est-à-dire d’une fonction d’autorité autonome, étaient mandaté.e.s par les zapatistes pour deux ou trois ans - à noter que personne ne « s’auto-propose » comme autorité autonome. Les mandats sont impératifs et révocables, non renouvelables, de courte durée et exercée de façon « collégiale » - dans la mesure où les « responsables » ne sont jamais les seuls titulaires de la charge dont ils disposent. Par ailleurs, les charges « ne font l’objet d’aucune rémunération » et n’engagent « aucun avantage matériel » [38], étant basées sur une éthique rebelle du collectif, et du bien-vivre [39].

Dans les communautés zapatistes, l’argent est perçu comme « un agent de dissolution des relations communautaires, dont il convient de contenir strictement les effets » [40]. A la différence des sociétés modernes-capitalistes où l’argent est le « bien » par excellence, dans la mesure où l’ensemble des besoins primaires sont monétisés (notamment, le logement, la santé et l’alimentation), dans les territoires zapatistes, l’existence est principalement exonérée de l’argent et l’ensemble des activités, productive et non-productive, n’ont pas recours à la forme-salaire [41]. A cet égard, la marginalisation de l’argent [42] dans l’autonomie rebelle est particulièrement intéressante. Le refus de recourir à la forme-salaire, induit que les autorités autonomes « ne travaillent pas pour l’argent, mais simplement par conscience ».

Malgré les critiques récurrentes du capitalisme et de l’argent, auxquelles il est possible de se référer dans le double cadre de la recherche-action, le mouvement-de-lutte insiste particulièrement pour ne pas idéaliser l’extraction zapatiste du système-monde capitaliste [43], sans lequel il n’y aurait pas (ou peu) de lutte. A cet égard, il est important de nuancer les propos qui feraient de l’expérience zapatiste au Chiapas un monde accompli : d’une part le sous-commandant Marcos a fréquemment mis en garde contre toute forme d’idéalisation, peu soucieuse d’une analyse-critique de l’effectivité utopique du mouvement zapatiste (et par conséquent de ses erreurs et égarements) et, d’autre part, l’autonomie rebelle est pensée comme une construction « qui n’a pas de fin » [44]. Le mouvement-de-lutte zapatiste est donc une lutte-en-mouvement. C’est une politique de la processualité.

La processualité de la construction de l’autonomie, assurant les capacités adaptative et cheminante nécessaires à l’amélioration progressive des expériences autonomes, l’organisation politique à partir de l’assemblée communautaire, la conception des « charges » et la marginalisation de l’argent sont autant d’inspirations possibles pour les basculements philosophico-politiques que nous envisageons. L’expérimentation zapatiste de l’autonomie, dont la composante politique configure une forme singulière de démocratie radicale, nous permet donc de penser la politique autrement.

Cette autre politique, c’est par exemple une conception « simple et modeste » des taches politiques, qui n’a nullement besoin de recourir à une bureaucratie et une expertise professionnelles ; une conception de la politique autonome comme mode d’organisation de la vie collective. En ce sens, la politique zapatiste est une politique accessible à tous et à toutes, sans distinction sociologico-biologique préalable : elle se construit à partir d’un processus de « déspécialisation », garant de l’ordinarité des autorités politiques [45]. La non-spécialisation du politique est accompagnée d’une non-dissociation entre l’autorité autonome et la base souveraine communautaire, rompant la dichotomie moderne entre gouvernant.es/gouverné.es. A cet égard, la rotation du politique est l’une des dispositions inspirantes pour l’émergence d’une autre politique non-dissociative. Par exemple, les Conseils de bon gouvernement de chaque zone se réunissaient durant quelques semaines, une ou deux, à l’issue desquelles les délégués retournaient dans leur communauté, « s’occuper de leurs familles et de leurs terres ». Malgré ces mesures préventives, le risque d’une dissociation en-pratique n’étant jamais exclu, des « commissions de surveillance » vérifient le bon-fonctionnement des autorités autonomes et de la gestion politique de l’autonomie.

La non-spécialisation suppose une conception non-normative de la politique, construite à partir d’une position de « non-savoir ». A cet égard, il est notable que les membres des Conseils de bon gouvernement ne sont pas considérés par les zapatistes comme détenteurs d’un capital politique plus important : « Ce sont des spécialistes en rien, encore moins en politique » [46]. C’est donc une politique littéralement « démocratique », dans le sens où les zapatistes participent fréquemment aux assemblées communautaires, base de l’élaboration politique et des décisions collectives de délégation « associative », et exercent, de façon rotative, les « charges » de gouvernement autonome. Par ailleurs, il est notable que les « charges » politiques sont parfois attribuées par la collectivité aux personnes qui manifestent une « négligence » ou un « manque d’intérêt », par exemple, « lorsqu’une personne vient très peu aux assemblées communautaires et qu’elle est punie en se voyant confier une charge comme agent municipal ou responsable de l’ejido » [47]. De fait, l’attribution d’une charge politique pour sanctionner le manque d’investissement d’un membre des communautés est une démonstration hyperbolique de la déspécialisation zapatiste du politique.

L’exercice politique d’une « charge », en tant qu’autorité autonome, suppose une conception diffractante du politique. Outre la singularité du format démocratique de l’autonomie rebelle, dont la radicalité est tributaire de l’effectivité des mesures mises en place (révocabilité, mandat non- renouvelable et de courte durée, déspécialisation, instances de « surveillance », etc), l’autre politique repose sur un « principe » philosophico-politique particulièrement intéressant au regard des principales problématiques induites par la crise socialo-politique (de représentativité, de confiance dans les institutions officielles, etc).

Le principe zapatiste du « mandar obedeciendo », c’est-à-dire « commander en obéissant », permet d’envisager une démocratie radicale dans laquelle les autorités élues, représentant.es temporaires de la souveraineté populaire déléguée (par un système électoral, ou une décision en assemblée), exercent un « pouvoir politique » contraint par une obéissance, toujours soumise à un contrôle collectif, à la volonté exprimée par le corps social souverain. Le pouvoir de l’autorité autonome n’est pas un « pouvoir-sur », c’est un pouvoir à-partir-de, intrinsèquement lié au collectif souverain, dans la mesure où les mandants détiennent le « pouvoir-faire » de l’initiative politique, de l’élaboration collective d’une décision et du contrôle permanent de sa réalisation [48]. Par ailleurs, la définition d’un « principe » d’autogouvernement, c’est-à-dire d’un postulat philosophico-politique d’organisation des formes non-étatiques du gouvernement, est une autre garantie de la conformité du commandement aux décisions collectives ; de fait, le principe zapatiste du « mandar obedeciendo » engage une forme de « direction de conscience » démocratique des autorités autonomes, qui savent pertinemment que le pouvoir qui leur est conféré, et qu’ils exercent en pratique, repose exclusivement sur l’obéissance aux décisions collectives.

Ce principe se décline en sept propositions, garantes de son « esprit philosophico-politique », régissant la pratique de l’autonomie rebelle et des différentes instances d’autogouvernement : « Servir et non se servir/ Représenter et non supplanter/ Construire et non détruire/ Obéir et non commander/ Proposer et non imposer/ Convaincre et non vaincre/ Descendre et non monter » [49]. Ces préceptes d’autogouvernement, partagés par le Conseil indigène de gouvernement (CIG), mettent clairement en évidence la configuration radicale de la démocratie zapatiste.

L’autre politique interroge donc la dichotomie de la verticalité et de l’horizontalité des organisations socialo-politiques. De fait, la verticalité de l’imposition arbitraire d’une orientation politique, caractéristique des régimes autoritaires, est fréquemment opposée, par un jeu de miroir, à l’horizontalité de l’organisation « véritablement » démocratique, ou de la démocratie radicale. L’expérience zapatiste nous invite à interroger ces dualismes en prêtant une attention particulière à la diversité des situations empiriques, souvent hybrides, empruntant consécutivement au registre de l’horizontalité et à celui de la verticalité politiques.

Dès lors, bien que la politique zapatiste soit non-étatique et qu’elle repose sur des principes horizontalistes de l’organisation du politique, l’obéissance au collectif souverain, la verticalité de « l’autorité autonome » n’est pas exclue. C’est par une articulation créative entre ces deux répertoires que le mouvement zapatiste peut inspirer l’émergence d’une nouvelle culture politique rebelle, radicalement démocratique. L’articulation horizontalo-verticale du pouvoir politique zapatiste suggère que la politique, c’est-à-dire la gestion d’un collectif auto-constitué, est un compromis en-pratique entre différentes aspirations. La binarité que le principe du « mandar obedeciendo » reproduit, entre les notions de commandement et d’obéissance, est significative de la conscience zapatiste dans la nécessité d’une autorité, détentrice temporaire d’une capacité politique particulière conférée par la délégation, articulée par obéissance au collectif, détenteur intemporel de la souveraineté politique. La politique autonome zapatiste est donc une inspiration d’organisation non-étatique de la vie commune, par une articulation horizontalo-verticale du pouvoir politique, « du bas vers le haut » [50].

Par exemple, lorsque l’assemblée zonale ne permettait pas une prise de décision collective - un accord consensuel ou, dans certains cas, un vote majoritaire - les propositions débattues étaient renvoyées aux communautés. De fait, le fonctionnement de l’autonomie rebelle suppose d’amples consultations des différentes échelles, renvoyant constamment la décision à l’échelle la plus basse, l’assemblée communautaire, dont la concentration souveraine est la plus haute, pour garantir l’effectivité du principe philosophico-politique du « mandar obedeciendo ». A cet égard, la navette qui était mise en place entre les trois instances d’autogouvernement rebelle est une démonstration de l’importance zapatiste accordée à la décision consensuelle - bien que l’accord soit toujours favorisé. Par ailleurs, il est important de souligner que la pratique zapatiste de la démocratie radicale suppose une autre conception de la temporalité. A la différence de la temporalité minutée des mondes modernes-capitalistes, les zapatistes revendiquent la lenteur comme modalité temporelle, permettant le cheminement de l’autonomie rebelle et l’attention portée au collectif.

Si l’autonomie rebelle est l’une des principales inspirations du mouvement zapatiste, elle est néanmoins intrinsèquement liée à l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). D’une part, elle n’est possible que dans la mesure où l’EZLN a « libéré », par un processus armé, un espace de construction rebelle du politique. Par ailleurs, la pérennité de l’autonomie rebelle (menacée constamment, par l’Etat mexicain, des groupes paramilitaires, des conflits avec des « non-zapatistes », etc) suppose que l’EZLN soit toujours constituée militairement et qu’elle revendique sa disposition à la défense des territoires rebelles. Dès lors, l’autonomie civile repose, en pratique, sur l’existence d’une organisation militaire. De fait, l’articulation semble problématique et contradictoire, peu encline à satisfaire une part considérable des perspectives utopiques et des projections d’avenir pacifique et libéré. Pour autant, il est important de se rendre compte de la nécessité impérieuse de l’EZLN pour l’autonomie rebelle zapatiste : dans un monde globalisé, dans lequel le Capitalisme et l’Etat exercent un « pouvoir-sur » démesuré, l’expérience pratique d’un autre monde - l’autonomie rebelle, non-étatique et non-capitaliste - suppose une extraction, partielle et difficile, de leur double domination systémique. Cette extraction, les zapatistes l’ont envisagée par l’organisation clandestine de la rébellion, par la constitution d’un organe politico-militaire (EZLN) et par un soulèvement armé. Il est possible d’envisager l’extraction différemment, par d’autres procédés et au gré d’autres compromis. Néanmoins, il semble que l’extraction par voie militaire, privilégiée par le mouvement-de-lutte zapatiste, soit particulièrement efficace - malgré les nombreuses critiques que nous pouvons formuler, ayant permise la récupération d’un espace d’expérimentation politique, particulièrement inédit, et sa défense dans la durée. Par ailleurs, il est important de rappeler l’autocritique de l’EZLN, disposée à s’auto-dissoudre dans l’autonomie civile lorsque les « conditions » propices à la pérennité de l’expérience zapatiste ne nécessiteront plus de soutien militaire - c’est-à-dire, lorsque le risque de dissolution extrinsèque du mouvement sera considérablement réduit, une fois la tempête traversée.

L’autonomie zapatiste est donc une forme de démocratie radicale d’ampleur régionale, liant les pratiques horizontalistes de l’assemblée communautaire à la verticalité partielle, controlée et contrainte, exercée par l’autorité autonome. Le principe du « mandar obedeciendo » permet l’articulation horizontalo-verticale de l’autonomie rebelle que corrobore l’autre theorie-pratique politique de la non-dissociation et de la non-spécialisation des personnes « chargé.es » de l’exercice temporaire du pouvoir politique. L’autonomie rebelle expérimentée par les communautés zapatistes au Chiapas est donc une inspiration possible pour la résolution collective de la dimension politique des crises éco-systémiques.

Architecture de l’autonomie zapatiste, articulation politico-géographique des auto-gouvernements rebelles.

Jusqu’en 2023, c’est notamment par l’articulation des trois échelles de gouvernements - les communautés, villages et hameaux (échelle locale) ; les MAREZ, regroupant des dizaines de communautés (échelle communale) ; les Caracoles, regroupants plusieurs communes (échelle régionale-zonale) - que le mouvement zapatiste a démontré une créativité particulière en matière d’organisation architecturale de l’autonomie rebelle. La « nouvelle étape » de l’autonomie zapatiste qui s’est ouverte à partir de 2023 semble maintenir la tri-articulation des échelles géographiques et des auto-gouvernements.

La première échelle de l’autonomie est celle des communautés rebelles (villages et hameaux) dans lesquelles vivent et s’organisent les zapatistes. L’échelle locale est composée de centaines de communautés zapatistes, chacune inscrite dans un territoire spécifique, diverses les unes des autres en fonction des activités productives privilégiées et des peuples et subjectivités qui les composent. A partir des réajustements de 2023, l’échelle locale des communautés est coordonnée par les Gouvernements Autonomes Locales (GALs), présents dans chaque communauté où habitent des bases d’appui zapatiste - densifiant la base organisationnelle de l’autonomie [51]. Ceux-ci sont définis comme étant « le noyau de toute l’autonomie ».

La forme communautaire zapatiste est une organisation socialo-politique dont la composition lie la pluralité ethnique et subjective à la diversité constitutive des collectifs humains. En ce sens, les communautés zapatistes se construisent à partir des différences. A cet égard, les récents communiqués [52] prolongent la conception zapatiste de l’égalité, remarquablement exprimée le 27 juillet 1996, lors de l’inauguration de la Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme, par la major Ana-Maria : « nous sommes tous égaux parce que nous sommes différents ».

Pour autant, l’autonomie rebelle n’est pas une composition parcellaire de l’hétérogène, elle joint l’unité au multiple par une articulation particulièrement créative (et difficile), soucieuse de ne pas homogénéiser les différences ni d’hétérogénéiser les communs. Le souci du collectif et l’attention aux individus permet de rompre la dichotomie entre l’individu et le collectif, inculquée notamment par l’individualisme moderne et la philosophie cartésienne de l’égo, en envisageant de nouvelles articulations créatives basées sur la reconnaissance de l’interdépendance et de l’inter-relationnalité de la bio-communauté terrestre. Cette combinaison est un préalable à l’émergence de nouveaux modes d’existence, soucieux de favoriser des rapports inter-étants émancipés des oppositions dominatrices et oppressives.

La constitution de l’échelle locale, composée d’une pluralité de communautés zapatistes, chacune caractérisée par des différences constitutives, démontre que l’autonomie zapatiste s’organise à partir de la diversité du multiple, c’est une politique des multiplicités.

Jusqu’en 2023, la seconde échelle de l’autonomie était celle des Municipalités autonomes rebelles zapatistes (MAREZ), initiée à l’occasion de la rupture de l’encerclement militaire en décembre 1994. Les communes rebelles coordonnaient un ensemble géographique de communautés fédérées [53]. Les communes autonomes, deuxième échelle d’auto-gouvernement de l’autonomie zapatiste, constituaient le premier niveau de l’articulation socialo-politique de l’autonomie rebelle dans la mesure où elles se liaient aux communautés zapatistes. A cet égard, elles étaient une première instance de fédération communautaire et de coordination de l’autonomie rebelle.

La troisième échelle d’autogouvernement est la « zone », correspondant à une coordination régionale de l’expérience rebelle de l’autonomie. La zone rebelle est la seconde articulation de l’autonomie zapatiste, conséquence de l’approfondissement de l’autonomie à partir de 2003 et de la naissance des Caracoles, centres politico-culturels de l’autonomie.

Dans chaque Caracol zapatiste, la « Maison du conseil de bon gouvernement » (« Casa de la Junta de Buen Gobierno ») accueillait les zapatistes et non-zapatistes - pour différents motifs, tel que la justice autonome - et coordonnait l’autonomie rebelle à l’échelle régionale. A cet égard, le Conseil de bon gouvernement, composé des délégués des différentes communes composant la « zone », était défini comme étant « la plus haute autorité » de l’autonomie rebelle, constituant le niveau de coordination autonome le plus élevé. L’assemblée de zone [54] était la base souveraine de la politique régionale de l’autonomie zapatiste ; son fonctionnement différait des assemblées communales et communautaires. L’assemblée zonale, composée de l’ensemble des responsables des différents niveaux de l’autonomie (autorité municipale, délégués des communautés, etc) se réunissait « pendant plusieurs jours », tout les deux ou trois mois. Les décisions prises en assemblée de zone s’imposaient au Conseil de bon gouvernement, qui assurait leur mise-en-application dans l’ensemble de la zone.

Les Conseils de bon gouvernement avaient plusieurs prérogatives : ils soutenaient les « projets productifs » de l’autonomie rebelle (notamment les coopératives d’artisanat zapatiste et la vente du café rebelle par les réseaux de solidarité nationaux et internationaux), veillaient « au bon fonctionnement du système de santé autonome (cliniques, microcliniques et réseau d’agents communautaires de santé), de l’éducation autonome » et de la justice autonome. Leur attribution principale était donc l’impulsion des « projets susceptibles d’améliorer la vie collective » [55].

L’échelle zonale des Conseils, désormais des Assemblées de CGAZ, était une échelle de supervision de l’autonomie rebelle, articulant les prérogatives propres aux communes autonomes et aux communautés et veillant à l’adéquation théorico-pratique du mouvement-de-lutte [56]. Les Conseils de bon gouvernement assuraient aussi une gestion globale des conflits affectant l’autonomie rebelle, que ce soient entre l’autonomie zapatiste et le mauvais-gouvernement (Etat mexicain, gouvernement fédéral du Chiapas) ou entre les communautés zapatistes et les non-zapatistes [57]. A la différence de la situation indigène antérieure à 1994, l’autonomie rebelle tient son « propre registre d’état civil », permettant de reconnaitre « comme zapatistes les personnes, communautés, coopératives et sociétés de production et de commercialisation qui seront enregistrées auprès d’un conseil de bon gouvernement ». Les Conseils de bon gouvernement répartissaient aussi les ressources financières de l’autonomie entre les différentes communes de la zone (et communautés), permettant une équité financière de l’autonomie rebelle et « l’amplification des capacités productives ».

Ainsi, la troisième échelle d’autogouvernement, seconde articulation de l’autonomie rebelle, celle des Caracoles (et antérieurement, des Conseils de bon gouvernement respectifs), démontre l’ampleur politique de l’autonomie rebelle. Les récentes modifications de la structure de l’autonomie amplifient la pratique de l’autre politique, en apportant les ajustements et les modifications perçus comme étant nécessaires à la suite d’un long travail collectif d’analyses et d’autocritiques internes, pour améliorer et fortifier l’autonomie rebelle.

L’autonomie en-pratique, de l’auto-production alimentaire à la santé autonome.

Il serait nécessaire d’analyser, avec précision, la pratique des différents « secteurs autonomes » pour considérer l’étendue des inspirations que le mouvement zapatiste suscite. Nous allons brièvement spécifier quelques-uns des principaux développements de l’autonomie rebelle, sans lesquels l’expérience zapatiste au Chiapas ne serait probablement pas considérée comme l’une des utopies réelles les plus conséquentes. Nous allons en particulier nous concentrer sur l’auto-production, notamment alimentaire, puis nous analyserons brièvement la santé autonome.

Les différents « secteurs » de l’autonomie zapatiste sont essentiels à l’imaginaire collectif de nouveaux mondes qui soient résolument non-modernes, non-capitalistes et non-étatiques. C’est à partir de la pratique de l’autonomie rebelle (liant justice, santé, éducation, alimentation, production, logement, transport, etc) qu’il sera possible d’envisager que l’expérience zapatiste au Chiapas est un monde déjà-là et en-devenir, radicalement inspirant pour l’émergence d’une ontologie pluniverselle d’inspiration zapatiste. Ainsi, à l’occasion de la construction des Caracoles, le sous commandant Marcos écrit : « C’est étrange. Subitement je me suis mis à penser que ces hommes et ces femmes n’ont pas l’air d’être en train de construire des maisons. On dirait que c’est un monde nouveau qu’ils érigent au milieu de tout ce raffut. Mais peut-être pas. [...] » [58].

L’autoproduction alimentaire est l’une des premières étapes pour une autonomisation territoriale. Dans les territoires rebelles, à l’inverse des modèles agro-industriels de culture de la terre (monoculture, intrants chimiques, OGM, etc), largement diffusés dans les pays soumis au capitalisme et aux modèles agro-productivistes qui en résultent, les communautés zapatistes promeuvent une « agro-écologie paysanne revitalisée » [59], susceptible d’inspirer l’émergence de nouveaux rapports des mondes modernes à la terre. C’est notamment dans cette mesure que les différentes formes de possession collective de la terre et de cultures paysannes des communautés zapatistes mettent en évidence la particularité de l’autonomie rebelle. Nullement urbaine, l’autonomie zapatiste repose essentiellement sur la récupération de plusieurs hectares de terres de l’Etat du Chiapas lors du soulèvement armé de 1994 [60]. C’est à partir de la récupération collective des terres, spoliées notamment par l’Etat mexicain et les grandes propriétés terriennes, que les zapatistes ont créé de nouveaux villages communautaires. Dans ces villages, bases de l’autonomie civile et base d’appui de l’EZLN, la possession collective de la terre peut se combiner à « une mise en culture » collective et.ou familiale. L’activité paysanne est la base de l’autosubsistance alimentaire de l’autonomie zapatiste. Cette dimension est essentielle dans la mesure où l’effectivité du projet d’autonomie zapatiste suppose une capacité collective de production de la majorité des besoins communautaires - sans laquelle l’autonomie devient dépendante d’une organisation tierce - et possiblement, de l’exploitation de la « main d’oeuvre » que cette organisation emploie.

L’importance de l’activité paysanne pour les modes d’existence zapatistes interroge la dépendance des modes d’existence modernes à une production alimentaire souvent écocidaire, et à l’exploitation d’une main d’oeuvre paysanne-agricole précarisée et délocalisée. De fait, le mode de vie « moderne », majoritairement urbain, démontre ostensiblement son incapacité à auto-subvenir à ses besoins primaires d’alimentation. L’une des caractéristiques des modes d’existences modernes est la possibilité d’une consommation alimentaire particulièrement diversifiée, strictement séparée des modes de productions paysans et agricoles et de la saisonnalité des cultures. En ce sens, les populations modernes consomment des produits sans lesquels elles ne pourraient exister, que d’autres produisent. Par ailleurs, il est notable que souvent, ceux qui produisent ont un niveau de vie plus faible que ceux qui consomment. Cette division nationale et internationale, propre au régime capitaliste, polarise les sociétés humaines autour de deux modes d’existence principaux : celui des consommateurs, diffus dans les sociétés urbaines, et celui des producteurs.

L’autonomie rebelle, par la combinaison de la production-consommation, c’est-à-dire par des choix productifs permettant l’autosubsistance alimentaire et matérielle des zapatistes - bien que certains biens de consommation ne soient pas auto-produits, est une inspiration pour l’émergence de modes d’existence écologiques (auto-production locale, attentive à la régénération des sols, à la préservation des habitats naturels, polyculture et permaculture, etc). Au regard des modes de consommation modernes, appuyés par une idéologie libérale d’une consommation « sans limites », il est possible de considérer que l’un des aspects les plus importants des basculements à envisager collectivement pour garantir la soutenabilité terrestre et l’équité des biocommunautés, est une nouvelle combinaison du « couple » producteur-consommateur, laquelle suppose que chacun.e puisse allouer une part importante de son temps à l’autoproduction des biens de consommation considérés comme étant « essentiels » à l’existence individuelle et collective. Par ailleurs, la pratique zapatiste de la production autonome ne s’inscrit pas dans un individualisme du « chacun pour soi », inattentif aux besoins du collectif ou aux difficultés pratiques de certain.e.s, l’autosubsistance alimentaire et l’autoproduction des biens de consommation s’inscrivent dans une dimension collective, combinant les besoins individuels et familiaux aux besoins communautaires. A cet égard, outre l’autoproduction familiale, les zapatistes ont recours à différentes formes de « travaux collectifs », notamment d’élevage ou de culture, dont les produits permettent d’assurer « le fonctionnement des multiples instances et secteurs constitutifs de l’autonomie » - par exemple, pour celles et ceux qui ont une « charge » politique, éducative, de santé ou de justice autonome - ou de « financer les mobilisations ou les initiatives nationales et internationales de l’EZLN » [61] - par exemple, les Rencontres organisées dans les Caracoles nécessitent une production élargie. Par ailleurs, les « travaux collectifs » ne sont pas seulement des travaux paysans et agricoles, bien que l’autoproduction de la base alimentaire soit essentielle, les communautés zapatistes élargissent leur capacités autoproductives à d’autres secteurs - de la menuiserie à la boulangerie.

La capacité auto-productive de l’autonomie rebelle, notamment de son auto-subsistance alimentaire, est l’une des conditions de sa validité. Pour autant, ça n’en fait pas « un monde ». Pour apprécier la dimension ontologique du mouvement zapatiste, il est nécessaire de considérer l’étendue de son autonomie. Nous allons ici nous concentrer en particulier sur la santé autonome.

Dans les mondes modernes-capitalistes, il est notable que l’éducation, la santé et la justice, sont monopolisés par l’appareil d’Etat - bien que le néolibéralisme tend à leur privatisation. De sorte que l’autonomisation de ces secteurs, dans l’expérience rebelle zapatiste, est une démonstration des capacités collectives d’auto-organisation et d’auto-gestion de ce qui semble, par inculcation-intériorisation, relever exclusivement des compétences étatiques. L’organisation étatique de la vie collective, au travers de processus de dépossession et de fragmentation des capacités d’agir, et la prétention au monopole des compétences requises pour sa gestion effective limitent l’imaginaire collectif dans la conception de formes alternatives d’organisation des secteurs nécessaires à la vitalité d’une expérience collective autonome : la gestion étatique de la santé, de l’éducation et de la justice, historiquement monopolisée, et la prétention au monopole des compétences requises appuient la fermeture de l’horizon des possibilités. Or, l’expérience de l’autonomie rebelle démontre la possibilité d’une organisation-gestion autonome de la vie collective et des secteurs sans lesquelles elle ne serait pas véritablement « désirable » - tels que la production alimentaire, la santé, l’éducation et la justice autonomes. Envisager des « inspirations zapatistes » suppose de considérer que l’autonomie rebelle est une forme d’organisation socialo-politique possiblement alternative à la forme-Etat et à la Modernité capitaliste : elle doit donc démontrer que les secteurs administrés par l’Etat et le Capital, circonscrivant l’appréciation du qualitatif de l’existence rebelle, ne sont pas de leur compétence exclusive. Outre la démonstration de la compétence zapatiste d’auto-organisation-gestion de la vie collective, l’analyse-critique du système de santé autonome met en évidence la spécificité des conceptions zapatistes.

La santé autonome associe la médecine occidentale-moderne à la médecine traditionnelle, articulant des dispositifs modernes de traitement médical à des dispositifs traditionnels. Le système autonome de santé, comme l’organisation socialo-politique de l’autonomie, est tripartite - à chaque échelle correspond un dispositif de santé. A cet égard, chaque communauté dispose d’un.e « promotor(a) de salud » (promoteur de santé), chargé.e d’apporter « des soins élémentaires ». L’attention zapatiste à la santé commune est particulièrement appréciable au regard de la précarité de la santé des populations indigènes non-zapatistes, dont la mortalité liée à des maladies curables est importante [62].

Les communes autonomes disposent de « micro-cliniques », c’est-à-dire, d’infrastructures de santé. A la différence des communautés, l’échelle communale est en mesure de proposer une administration de soins, des politiques de prévention et des « campagnes permanentes d’hygiène communautaire », dans une infrastructure dédiée à la santé autonome. A cet égard, les micro-cliniques zapatistes disposent davantage de médicaments (et de plantes médicales) et de moyens de traitement que les communautés, permettant un déploiement plus large des capacités de la santé autonome.

Chaque zone dispose d’une clinique autonome, dont l’étendue des capacités de traitement et de prévention est plus important que l’échelle communale de la micro-clinique. Dans les cliniques autonomes sont organisées des « consultations généralistes » mais aussi des consultations « spécialisées » (variable en fonction des cliniques) et certaines « interventions chirurgicales ». Les cliniques autonomes bénéficient « du soutien et de la participation directe de spécialistes, de chirurgiens, de docteurs et de doctoresses, d’infirmiers et d’infirmières de la société civile mexicaine et internationale.

La santé autonome est indépendante de l’organisation-gestion du système étatique de santé publique mais dépendante du soutien et de la participation de la société civile et de l’achat du matériel « de base ». Ainsi, l’autonomie de la santé zapatiste n’est pas encore véritablement effective et nécessite encore de nombreux approfondissements ; il est possible de considérer que l’autonomie rebelle accumule des expériences de santé autonome (et de partage de compétence et de savoir-faire) susceptibles d’améliorer le système de santé autonome à-venir et que l’autonomisation processuelle du mouvement zapatiste accompagne le processus d’indépendance progressive à l’égard de la participation de personnes-collectifs externes.

Par ailleurs, le système de santé autonome suppose le maintien des spécialités médicales-médicinales, dynamique restrictive de l’accessibilité aux taches liés à la santé, tributaire d’une certaine professionnalisation (excluante) de la santé autonome. De fait, il semblerait que la santé autonome, de par sa spécificité, requiert des compétences et des savoirs-faire peu diffus ; bien que le mouvement zapatiste chemine vers un élargissement progressif de leur diffusion. Pour autant, Jérôme Baschet souligne un « processus de despécialisation partielle des taches liées à la santé et une diffusion des responsabilités qu’elle implique » [63]. La despécialisation que mentionne Jérôme Baschet n’est pas contradictoire avec la dynamique spécialisante que nous mentionnons : les promoteurs et les promotrices ne s’extraient pas, de par leur spécialité (non-rémunérée), de la « vie paysanne » partagée - certain.e.s « n’abandonnent pas leurs activités agricoles ». A cet égard, les « chargé.e.s » de la santé autonome sont aussi des membres « ordinaires » de l’autonomie rebelle, l’ordinarité zapatiste reposant essentiellement sur une conception inclusive - et non-hiérarchique - de la multiplicité des différences (par exemple, de spécialisation). Par ailleurs, la conception de la santé autonome n’est pas exclusive à celles et ceux qui exercent une tâche liée à la santé, elle s’inscrit dans le processus démocratique de l’autonomie rebelle. A cet égard, les décisions d’organisation-gestion de la santé et la conception des « taches liées à la santé » sont élaborées en concertation avec les communautés et en interaction avec « l’ensemble du projet zapatiste », soucieux de « construire des pratiques de santé pensées depuis la réalité même de la vie collective » [64]. Dès lors, la santé est l’un des déploiements majeurs de l’autonomie rebelle, avec l’éducation et la justice autonomes, particulièrement important pour l’appréciation de l’effectivité du caractère « autonome » de la rébellion zapatiste. Les problématiques de santé sont au centre des interrogations collectives sur les capacités d’indépendance des mouvements d’autonomie, c’est-à-dire sur les capacités autonomes d’organisation-gestion de la santé collective indépendamment du recours à des institutions officielles et privées (et des soutiens-participations externes).

Paradoxalement, les difficultés et les limites de l’autonomie rebelle, telle que la dépendance partielle du système de santé autonome aux soutiens non-zapatistes et, dans certaine mesure, aux dispositifs de santé publique, sont aussi inspirantes pour les mondes rebelles et écologiques. Elles permettent de nous interroger sur les (in)capacités pratiques de l’autonomie et sur l’ampleur des exigences d’un projet socialo-politique d’autonomisation des mondes modernes-capitalistes (et des modes d’existence corrélatifs).

Synthèse d’étape. Une autre théorie-pratique politique est possible.

« Il est temps que nous fassions vraiment le monde que nous voulons, le monde que nous pensons, le monde que nous désirons. »
Sous-commandants insurgés Marcos & Moisés, Eux et Nous, p.147

Une autre politique est possible. La formule de la maestra Eloisa, exprimée à l’occasion de l’Escuelita zapatista (2013) est remarquable : « ils ont peur que nous découvrions que nous pouvons nous gouverner nous-mêmes ».

L’autonomie rebelle expérimentée par les communautés zapatistes au Chiapas à partir de décembre 1994, approfondie depuis 2003 et qui s’ouvre, fin 2023, sur une « nouvelle étape », est une organisation socialo-politique de l’existence collective, inspirante pour la re-composition collective du monde à partir de la multiplicité-diversité des autonomies politiques territoriales et coopérantes.

Elle permet d’envisager la possibilité d’une co-organisation de l’existence collective (autogouvernement et autogestion à différentes échelles géographiques), garante de la re-diffusion des capacités politiques d’agir, de faire-commun et de faire-monde aux humain.e.s, au-delà du monopole étatique (et de la gestion technocratique).

L’autre politique zapatiste circonscrit une nouvelle culture démocratique (radicale) de l’autogouvernement populaire, non-spécialisée et non-dissociative, que le principe zapatiste de bon-gouvernement « mandar obedeciendo » (« commander en obéissant ») exprime remarquablement.

A la différence du monde moderne dont l’hégémonie suppose la reproduction collective d’une existence soumise aux paradigmes de l’Etat et du capitalisme, doublement mortifère, le projet d’autonomie, qui plus est « rebelle », est un projet de « construction d’une nouvelle vie » [65].

L’uni-conception de la « vie » que l’ontologie moderne mondialise, est une ontologie politique. D’autres manières de « mondifier » la vie existent, dans leur pluralité et leur diversité constitutives ; elles constituent autant d’alternatives, créatives, à la prétention moderne d’un monde-unique à globaliser.

En somme, l’autonomie rebelle est une graine politique pour la constitution des ontologies plurielles alternatives à l’uni-monde [66] de la Modernité capitaliste et à la segmentation étatique du planétaire.

(À suivre)

[1A la suite de la convocation du 10 octobre 2024, l’EZLN a publié six communiqués relatifs aux Rencontres internationales 2024-2025. L’ensemble des communiqués de l’EZLN sont publiés, et traduits, sur la page : http://enlacezapatista.ezln.org.mx

[2En 1996, le mouvement zapatiste organise la Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme, annoncée par la Première Déclaration de « La Realidad » qui réunit entre 3000 et 5000 participants venus de quarante deux pays. Depuis cette première Rencontre intercontinentale, préfigurant la création du mouvement altermondialiste, le mouvement zapatiste a convoqué une dizaine de rencontres dans les territoires rebelles du Chiapas : « Rencontre des peuples zapatistes avec les peuples du mondes » (2007-2008) ; Colloque international, en hommage à l’anthropologue et historien français Andrés Aubry « Planète Terre : mouvements antisystémiques » (2007) ; Premier Festival Mondial de la Digne Rage (2008) ; etc.

[4Cf. Sous-commandant Marcos, Ya Basta ! Vers l’internationale zapatiste, Tome II, Editions Dagorno, Paris, 1996, p.516. « L’EZLN est, aujourd’hui et à jamais, un espoir. Et l’espoir, comme le coeur, se trouve à gauche dans la poitrine ».

[5Cf. Sous-commandants insurgés Marcos & Moisés, Eux et Nous, Editions de l’Escargot, Paris, 2013, p.77. A partir de 2013 et à la suite de la longue période de silence (2009-2012), une « nouvelle étape » de la lutte zapatiste s’ouvre. La série de communiqués « Eux et Nous » marque une modification substantielle du déploiement de la rébellion : résolument anticapitaliste depuis la Sixième Déclaration de 2005, la lutte zapatiste prend en considération l’ampleur planétaire de la domination capitaliste et modifie le cadre de l’articulation de son action rebelle. A cet égard, les communiqués « Eux et Nous » initient un changement de perspective de la lutte zapatiste : son « seul terrain d’action et de lutte » est désormais la planète dénommée « Terre ».

[6Cf. Commission Sexta de l’EZLN, Pistes zapatistes. La pensée critique face à lhydre capitaliste, Albache, Nada et Union syndicale Solidaires, 2018. Les conceptions philosophico-politiques de « L’hydre capitaliste » et de la « tempête » y sont particulièrement développées.

[7Cf. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/12/01/neuvieme-partie-la-nouvelle-structure-de-lautonomie-zapatiste/ : « (…) depuis 30 ans, nous luttons pour la vie. » Les positionnements « en bas à gauche » et « pour la vie », récurrents dans la littérature zapatiste et les communiqués de l’EZLN se réfèrent notamment à la Sixième déclaration de la Jungle Lacandone publiée en 2005 (Sexta), aux communiqués Eux et Nous publiés en 2013 et à la Déclaration pour la vie, publiée en 2021.

[8Cf. Communiqué du 20 décembre 2023, intitulé « Vingtième partie : le commun et la non-propriété » : https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2024/01/08/vingtieme-et-derniere-partie-le-commun-et-la-non-propriete/

[10Cf. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2024/01/08/vingtieme-et-derniere-partie-le-commun-et-la-non-propriete : l’usage terminologique de la « tempête » se réfère au « mécontentement de la nature » et à « la décomposition sociale ».

[11Nous nous référons au concept de « basculement » introduit par Jérôme Baschet dans Basculements. Mondes émergents, possibles désirables, La Découverte, « Petits cahiers libres », Paris, 2021.

[13Cf. Ya Basta, Tome II, communiqués 269, p.662

[16Guillaume Goutte, dans Tout pour tous, écrit : « [...] le zapatisme n’est pas « importable » en France [...] » (p.11).

[17Cf. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/12/09/douzieme-partie-fragments-fragments-dune-lettre-du-sous-commandant-insurge-moises-envoyee-il-y-a-quelques-mois-a-une-geographie-lointaine-en-distance-et-proche-en-pensee/ : « nous ne prétendons pas léguer des lois, des manuels, des conceptions du monde, des catéchismes, des règles, des chemins, des destins, des pas, des compagnies, qui, si on observe attentivement, sont ce à quoi aspirent presque toutes les propositions politiques. »

[18Les Cahiers de l’autonomie présentés lors de la « Petite école zapatiste » sont consultables sur http://ztrad.toile-libre.org

[19Cf. https://lavoiedujaguar.net/Amere-celebration-Les-vingt-cinq-ans-de-l-experience-zapatiste. Le mouvement zapatiste dénonce la démagogie gouvernementale et les méga-projets capitalistes de l’Etat mexicain (dont le « Train maya » est un exemple hyperbolique).

[20Cf. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/12/01/neuvieme-partie-la-nouvelle-structure-de-lautonomie-zapatiste/ : « Cela nous a demandé 10 ans à nous pour le penser, et sur ces 10 ans, 3 pour le préparer à la pratique. »

[22Cf. Chiapas : la treizième stèle, Rue des Cascades, « Livres de la jungle », Paris, 2007. Le sous commandant Marcos écrit : « Ces Caracoles seront donc comme des portes permettant d’entrer dans les communautés et permettant aux communautés de sortir ; comme des fenêtres pour nous voir dedans et pour que nous puissions voir dehors ; comme des porte-voix permettant d’envoyer au loin notre parole et pour écouter la parole qui est au loin. Mais surtout, pour nous rappeler que nous devons veiller à être attentifs à la bonne marche des mondes qui peuplent le monde »

[23Cf. Mexique, Calendrier de la résistance, p.295

[24Cf. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/12/01/neuvieme-partie-la-nouvelle-structure-de-lautonomie-zapatiste/ : « Il n’existe pas pour nous de frontières ni de géographies lointaines. Tout ce qui se passe dans n’importe quel coin de la planète nous affecte et nous concerne, nous inquiète et nous fait mal (…) ». Les récents communiqués de l’EZLN tendent à préciser l’horizon ontologique de la lutte zapatiste - nous y reviendrons.

[25Cf. Mexique, Calendrier de la résistance, p.331 ; Il est notable que les Accords de San Andrès devaient créer « une nouvelle relation entre les peuples indigènes et l’Etat » : Cf. La rébellion zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire, Jérôme Baschet, Flammarion, « Champs histoire », Paris, p.255.

[26Cf. La rébellion zapatiste, p.283. « La communauté était le centre du monde, un donné indépassable ; elle devient un lieu d’ancrage et de référence dans un monde ouvert et vaste ».

[27Le 28 mars 2001, à l’issue de la Marche aux couleurs de la Terre, à la tribune du Congrès, la commandante Esther de l’EZLN rappelle : « Nous les femmes, savons lesquels des us et coutumes sont bons et lesquels sont mauvais ».

[28Cf. La rébellion zapatiste, p.327

[29« Pour nous, les zapatistes, la terre est la mère, la vie, la mémoire et le repos de nos anciens, la maison de notre culture et de notre manière d’être [...] La terre pour nous n’est pas une marchandise. La terre ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons » (juillet 2007). Pour une introduction à la Terre-Mère chez les zapatistes, voir : Jérôme Baschet, Rebeldia, resistencia y autonomia ! La experiencia zapatista, Eon, Mexico, 2018, (Chapitre IV) ; pour une analyse écofeministe de la Terre-Mère, voir : Emilie Hache « Né-e-s de la Terre. Un nouveau mythe pour les terrestres », Terrestres, 16, 2020.

[30Cf. Commission Sexta de l’EZLN, Pistes zapatistes. La pensée critique face à l’hydre capitaliste, Albache, Nada et Union syndicale Solidaires, 2018, p.199 : « Une de nos bases de résistance économique à nous, hommes, femmes zapatiste, c’est la terre-mère ».

[31Cf. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2024/01/08/vingtieme-et-derniere-partie-le-commun-et-la-non-propriete/. Les récents communiqués de fin 2023 approfondissent les analyses de la « base matérielle » de l’autonomie, introduisant le concept du « commun » et de la « non-propriété ». Nous analyserons ces nouveaux apports ultérieurement.

[32Cf. La rébellion zapatiste, p.276 ; Cf. Sous-commandant Marcos, « Oximoron ! La derecha intelectual y el fascismo liberal », traduction partielle in « Le fascisme libéral », Le Monde diplomatique, aout 2000. https://www.monde-diplomatique.fr/2000/08/MARCOS/1936.

[33Cf. Jerome Baschet, Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien-vivre et multiplicité des mondes, La Découverte, « L’horizon des possibles », Paris, 2014 ; réédition en poche 2016, p.56. Jérôme Baschet met en évidence que la « zone d’influence zapatiste s’étend sur un territoire à peu près équivalent à celui de la Belgique [...] ».

[34Le 30 juillet 1996, le sous-commandant Marcos écrit : « Celles-ci [les communautés] commencent à s’organiser pour survivre de la seule manière possible, c’est-à-dire ensemble, collectivement. La seule forme par laquelle ces gens pouvaient être assurés d’aller de l’avant, c’était en s’associant avec les autres. C’est pourquoi le mot ‘ensemble’, le mot ‘nous’, le mot ‘unis’, le mot ‘collectif’ imprègnent la parole des compagnons. C’est une partie fondamentale, je dirais la colonne vertébrale du discours zapatiste ».

[35A cet égard, il est possible de se référer à HOLLOWAY John, Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui. Editions Syllepse et Lux Editeur, Paris-Montréal, 2007.

[36Cf. Mexique, calendrier de la résistance, p.347

[37Cf. Sous-commandant Marcos, commandante Hortensia et lieutenant-colonel Moisés, Saisons de la digne rage, Flammarion, « Climats », Paris, 2009. Pour la conception zapatiste des charges, il est possible de se référer à l’exposé du sous-commandant Moisés.

[38Cf. Mexique, Calendrier de la résistance, p.345

[39ESCOBAR Arturo, Sentir-penser avec la Terre. Une écologie au-delà de l’Occident. Editions du Seuil, Paris, 2018. Il est possible de se référer aux travaux d’Arturo Escobar pour une étude conceptuelle du « buen vivir ».

[40Cf. La rébellion zapatiste, p.329

[41Cf. Mexique, calendrier de la résistance, p.346. « Pendant tout le temps qu’une personne est l’autorité, elle est prise en charge par la communauté ».

[42A cet égard, le Chapitre VII de Eux et Nous, « Les plus petits. 5. Le pognon » (p.209) est une exposition du rapport pratique des zapatistes à l’argent à partir de l’analyse-critique effectuée pour la Petite école zapatiste.

[43Ici, nous nous référons aux travaux d’Immanuel Wallerstein, qui fut invité dans les Caracoles zapatistes pour le colloque « Planète Terre : mouvements antisystémiques » en 2007. A cet égard, il est notable que les analyses systémiques du sous-commandant Marcos semblent différer de celles d’Immanuel Wallerstein, affirmant « ni le Centre ni la Périphérie », privilégiant une analyse « haut/bas ». Cf. Saisons de la digne rage. Pour une analyse de la conception zapatiste haut/bas, il est possible de se référer à Eux et Nous (notamment page 71). La politique du bas vers le haut est notamment suggérée par Michel Bakounine dans Théorie générale de la Révolution, Les Nuits rouges, Paris, 2001.

[44D’après les propos d’un maestro de l’Escuelita, repris par Jérôme Baschet dans La rébellion zapatiste (p.375).

[45Le 1 aout 1999, le sous-commandant Marcos déclare : « Nous sommes des femmes et des hommes, des enfants et des vieillards plutôt ordinaires, c’est-à- dire rebelles, non conformes, pas commodes, rêveurs »

[46Cf. La rébellion zapatiste, p.359

[47Cf. Mexique, calendrier de la résistance, p.347

[48Cf. John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir

[49Cf. Eux et Nous, p.154

[50Cf. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/12/05/dixieme-partie-a-propos-des-pyramides-et-de-leurs-usages-et-traditions-conclusions-de-lanalyse-critique-des-marez-et-cbg/ : « En bref, il est apparu que la structure suivant laquelle on gouvernait, en pyramide, n’était pas la voie à suivre. Elle n’est pas d’en bas, mais bien d’en haut ». Il semblerait que la nouvelle structure de autonomie corrige les erreurs et égarements des autorités autonomes et de la configuration pyramidale de l’autonomie.

[51Cf. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/12/01/neuvieme-partie-la-nouvelle-structure-de-lautonomie-zapatiste/ : « s’il y avait auparavant quelques dizaines de MAREZ, soit de Municipalités Autonomes Rebelles Zapatistes, il y a à présent des milliers de GAL zapatistes ».

[52Cf. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/12/09/douzieme-partie-fragments-fragments-dune-lettre-du-sous-commandant-insurge-moises-envoyee-il-y-a-quelques-mois-a-une-geographie-lointaine-en-distance-et-proche-en-pensee/ : « Un monde dans lequel l’humanité n’est pas définie par l’égalité (qui ne fait rien de plus que cacher la ségrégation de ceux qui « ne sont pas pareils »), mais par la différence. »

[53Cf. Mexique, calendrier de la résistance, p.343.

[54A la suite du remaniement de 2023, l’assemblée de zone est l’Assemblée des Collectifs de Gouvernements Zapatistes et son fonctionnement diffère de ce que nous connaissions auparavant.

[55Cf. Adieux au capitalisme, p.59.

[56Cf. Mexique, calendrier de la résistance, p.364 : « Restent prérogatives exclusives du gouvernement autonome des communes autonomes rebelles zapatistes : l’impartition de la justice ; la santé communautaire ; l’éducation ; le logement ; la terre ; le travail ; l’alimentation ; le commerce ; l’information et la culture, ainsi que la circulation locale ».

[57La politique gouvernementale de « contre-insurrection » ou « guerre de basse intensité » est analysée par les zapatistes dans Pistes zapatistes : « En gros, ça consiste à te donner ce dont tu as besoin pour que tu arrêtes de lutter, tiens, voilà » (p.105).

[58Cf. Mexique, calendrier de la résistance, p.370.

[59Cf. La rébellion zapatiste, p.327. Ces pratiques sont notamment la polyculture, l’usage d’engrais organiques, des techniques non-chimiques de contrôle des nuisibles, mais aussi la défense des semences natives et tant d’autres choses.

[60Il semblerait que le soulèvement armé est permis la récupération de 150000 hectares, dont 40000 sont toujours utilisés par les zapatistes, le reste ayant été ensuite récupéré par les non-zapatistes.

[61Cf. La rébellion zapatiste, p.328

[62Il est possible de se référer au travail de synthèse de la situation fédérale des différents Etats du Mexique du sous-

commandant Marcos, dans Mexique, calendrier de la résistance.

[63Cf. La rébellion zapatiste, p.334

[64Cf. La rébellion zapatiste, p.335.

[65Cité par Jérôme Baschet dans La rébellion zapatiste, p.379.

[66Cf. Arturo Escobar, Sentir-penser avec la Terre.

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