« Oui, mais
Ça branle dans le manche
Les mauvais jours finiront
Et gare à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront »
Laurent.
Je l’aperçois, vêtu de son couvre-chef,
sa veste noire, maculée de tâches,
ses chaussures de sécurité, souillées de tâches,
la mine désabusée par ce travail,
par le rythme infernal des services,
Je l’aperçois, brosse et boule de récurage dans les mains,
qu’il lave, gratte, frotte, astique, cure, écaille, nettoie, décape, racle, brosse, efface, expurge, désencrasse,
Il me demande souvent si la salle est pleine
Je lui dépose des plats, les collègues aussi, des tas de plats, des
montagnes de plats, le rythme est ravageur pour Laurent,Je le vois qu’il se prend les tempes,
s’agite de chagrin, souffle, soupire, expire,
Ça va Laurent ?
Non ça va pas du tout
Il parle tout seul à sa plonge, à son bac, à son égouttoir,
C’est des démons, ici ! des démons ! des démons ! j’te jure !
Laurent, t’as le cœur chagrin
Hier tu m’as glissé entre deux trois assiettes que tu quittais ce poste pour le Courtepaille du coin
Les chefs passent, te toisent du regard, déposent des plats sans les vider,
C’est des démons, ici ! des démons ! des démons ! j’te jure !
Je t’entends Laurent
C’est des démons, ici ! des démons ! des démons ! j’te jure !
Je t’entends murmurer, chuchoter, ruminer ta tristesse
C’est des démons, ici ! des démons ! des démons ! j’te jure !
Je ressens ta détresse, ton corps qui lâche et ta colère qui s’acharne.
Laurent,
Tu me parles souvent de ta fille que tu n’as pas le temps d’aimer
Les horaires en coupure te bouffent, te minent, te rongent,
Tu me parles de ton âge et de ta fatigue, du temps qui manque et des révoltes à faire
Et si on sabotait tout, une bonne fois pour toute
Tes gestes, Laurent, sont des torches dans notre lutte
Voilà quelques lignes écrites entre deux services. Lignes écrites sur le qui-vive pour témoigner de la galère quotidienne de Laurent, plongeur en micro-brasserie. Conditions de travail misérables, rythmes infernaux, peines et tristesses maximales.
Et ces mots de Ponthus
« On fait sans faire
Vagabondant dans ses pensées
La vraie et seule liberté est intérieure
Usine tu n’auras pas mon âme
Je suis là
Et vaux bien plus que toi
Et vaux bien plus à cause de toi
Grâce à toi
Je suis sur les rives de l’enfance »





