Des « casseurs » vont-ils prendre d’assaut le lycée Charlemagne ?

Des élèves réagissent à l’annonce de cet étonnant PPMS

paru dans lundimatin#187, le 16 avril 2019

Mardi 16 avril, la direction du lycée Charlemagne de Paris organise un Plan particulier de mise en sûreté dont le thème est aussi novateur que préoccupant. Dans une lettre au parents d’élèves, le proviseur expose ce « risque majeur » auquel il entend préparer collégiens et lycéens :

« Nous ferons l’hypothèse de manifestations bloquant le quartier et dégénérant avec des casseurs dans la rue Charlemagne et la rue Saint-Antoine. Des personnes présentes dans la rue commencent à dégrader les vitrines voisines et jettent des projectiles sur les fenêtres de l’établissement. »

Des élèves ont décidé de répondre à la direction de leur établissement en développant quelques brillantes considérations philosophiques sur l’imprévu. [1]

« Le confinement ne protège pas d’une éventuelle intrusion mais figure un fait moins avouable : il faut fermer les portes pour nous empêcher de prendre part à l’émeute. »

PRAEVISIO MUNDI

Proposition I

L’imprévu se retourne toujours contre lui-même – il n’y a d’imprévu que ce qu’il nous reste à prévoir.

Démonstration

De l’imprévu nous faisions l’éloge, le printemps était sans surprise et tout nous surprenait. 2018, lorsque nous occupions la rue de notre lycée quelques jours durant en avril et mai. « La rue Charlemagne est une zone que nous défendrons comme premier lieu, lieu de repli, camp de base du printemps à venir, vers tous les autres lieux qu’il nous faut reprendre. » disions-nous. Lorsque nous occupions le lycée même quelques heures durant en juin. « Nous occupons le lycée Charlemagne, à Paris, depuis 18h, afin d’imaginer ensemble l’avenir après le désastre macroniste. » disions-nous. Nous n’aimons pas les commémorations. Nous n’aimons pas plus le sarcasme de leurs mises en scène. Alors que le lycée est dorénavant calme nous voilà surpris par leur capacité à prévoir ce qu’ils n’avaient pas prévu. CQFD

Corollaire

La prévision du monde est nécessairement révision du monde.

Démonstration

8/12/2018, 15/12/2018, l’académie de Paris ferme tous les établissements scolaires de la capitale. Les lycées ne firent pas exception au siège de Paris. Il était déjà trop tard, les émeutes du 24/11 et du 01/12 étaient passées – de cet imprévu qui se garde d’éloges. En cela, le siège de Paris ne formait pas plus une protection présente qu’une réponse différée aux événements des dernières semaines. De même que l’exercice organisé le 16/04/2019 ne cherche en aucun cas à prévoir d’éventuels soubresauts de l’époque mais n’est qu’un signe d’une incapacité à voir avant, à percevoir ce qui vient et ce qui déjà est. Les institutions remplacent leur incapacité à pressentir par leur capacité essentielle à réagir. CQFD

Scolie

C’est oublier que la réaction arrive toujours trop tard et que toute prévision est de fait périmée, dans la mesure où elle ne considère non pas ce qui sera mais ce qui fut.

Proposition II

Les intrus ne sont jamais au-dehors.

Démonstration

Au printemps 2018 (voir la Dém. Prop. I) nous étions accusés de dégradations sur l’église adjacente au lycée, dorénavant « des casseurs » « commencent à dégrader les vitrines voisines et jettent des projectiles sur les fenêtres de l’établissement ». Au même moment nous étions une cinquantaine à être évacués de notre lycée, dorénavant un « exercice de mise en sûreté » nous prépare à l’éventuelle intrusion de casseurs. Le fait est simple : il n’y a aucune séparation entre ceux qu’ils confinent et ceux dont ils se protègent. Ils menacent d’exclusion leurs élèves déviants et les évacuent au besoin par la force. Il s’agit de mettre sans cesse au-dehors celui désigné comme ennemi, de le rendre périphérique par un geste ou une dénomination ; mais l’ennemi est toujours intérieur. CQFD

Scolie

En cela, il n’y a nulle intrusion puisque les intrus sont de tous côtés. Le confinement ne protège pas d’une éventuelle intrusion mais figure un fait moins avouable : il faut fermer les portes pour nous empêcher de prendre part à l’émeute. Nous sommes de ceux qui cassent, ceux qui dégradent, ceux qui s’attaquent au fenêtres, ceux qui ouvriront les portes de tous les confinements à venir. Notre confinement n’est que la paradoxale matérialisation de notre intrusion permanente.

Proposition III

« Le terrorisme est la ’guerre civile mondiale’ qui investit à chaque fois telle ou telle zone de l’espace planétaire. » [2]

Démonstration

Le 11/10/2018 était déjà organisé un « Plan Particulier de Mise en Sûreté face aux risques majeurs » dans tous les lycées de la capitale. La mise en scène était tout autre, elle simulait l’intrusion d’un (ou de) terroriste(s) armé(s) au sein du lycée. Or, l’exercice et les consignes étaient identiques à ceux du 16/04. Il est simple d’observer ici l’établissement d’un rapport d’identité entre l’émeute et l’attentat. Les deux sont traités de la même manière, et ainsi indifférenciés. La vague classification introductive les rassemble comme « accident majeur d’origine humaine ». L’époque est magique, le terrorisme est conjoncturel et tout intrus (voir la Dém. Prop. II) sème la terreur dans la polis. CQFD

Scolie

Accident  : événement inattendu, non conforme à ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir

Accidere : entamer, entailler, couper

[1Les élèves de Charlemagne sont définitivement doués, nos lecteurs les plus assidus se souviendront de deux « Éloges de l’imprévu » publiés il y a deux ans (ici et ) à propos de l’occupation de leur établissement dans le cadre du mouvement contre Parcoursup et de l’expulsion qui s’ensuivit. Nous interprétons le texte publié aujourd’hui comme la continuité de leur travail théorique.

[2Giorgio Agamben, La guerre civile, Pour une théorie politique de la stasis, 2015

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