Trucs positifs
1. Un internationalisme en acte pour sortir de notre impuissance
Pour ma génération (millenials askip), l’internationalisme ça voulait pas dire grand chose jusqu’à il y a quelques années, voire quelques mois. La question de la Palestine a vraiment permis de politiser et de rendre concrète la lutte anti impérialiste. Se retrouver sans se connaître a des milliers de km au Caire, avec tous.tes le même but c’était incroyable. Ça donnait vraiment de la force de réaliser que tant de personnes, de tout âge et toute origine, parfois seules, étaient prêtes à prendre cette décision. Se reconnaître dans l’avion, se croiser dans les rues du Caire, partager une cause commune aussi forte que celle de la libération de la Palestine... C’est un sentiment de force et d’appartenance collective rare que l’on ne ressent que dans ces moments. Et surtout ça permettait momentanément de sortir d’un énorme sentiment d’impuissance face à un génocide auquel on assiste en direct depuis plus d’un an sans presque aucune capacité d’agir.
2. Se déplacer : géographiquement et subjectivement
Ce que ça a surtout permis c’est de se placer à un endroit où on n’aurait pas dû être. En témoigne le malaise ressenti par les dirigeants, que ce soit du côté de Sissi qui ordonne les renvois forcés sans jamais interdire officiellement la marche ; ou celle de Macron qui choisit l’absence totale de réaction dans une situation où des ressortissants français sont arrêtés dans un pays étranger donc censés bénéficier de la protection du gouvernement.
Géographiquement ça a d’abord été fort de se retrouver si proches de la frontière palestinienne, dans ce que ça permet comme projections sensibles. A l’entrée du Sinaï les images que l’on voyait jusqu’alors sur les réseaux sociaux à travers un écran sont remplacées par des ressentis physiques : la chaleur du désert, les enfants que l’on croise et qui a quelques kilomètres près auraient pu être eux aussi la cible des bombardements israéliens. L’expérience devient sensible et avec elle grandit un peu notre capacité à ressentir une peine et une empathie profondes pour les Palestinien.nes.
Mais le déplacement est surtout subjectif : de façon générale tout est fait pour que des milliers de personnes avec des papiers européens, ne puissent pas se trouver dans la situation d’être arrêtés au Caire, sous un régime dictatorial qui empêche toute mobilisation et reprime sa population depuis des décennies. Nous n’aurions pas dû entrevoir ce que représente réellement la dictature de Sissi, et par extension la politique internationale de Macron qui jusqu’à il y a quelques mois rendait visite au président égyptien en lui reaffirmant son soutien. Car c’est bien la France le principal vendeur d’armes de l’Égypte, celle qui forme sa police aux techniques de répression ensuite réutilisées contre la population, celle qui partage les fiches de ses ressortissants pour aider au contrôle des populations. Être propulsé.es dans la position de personnes qui peuvent, elles aussi, subir des formes de répression malgré un régime légal censé les protéger et se voir renvoyées d’un pays, ça aura eu le mérite d’expérimenter de très loin la réalité de milliers de personnes notamment dans nos propres pays.
Critiques
1. Dépolitisation et absence de contextualisation
Dans les communiqués l’organisation était systématiquement mise en avant comme pacifiste et "citoyenne". On comprend que ça servait une préoccupation stratégique qui voulait négocier un passage avec les gouvernements en appuyant sur le fait que cela ne remettrait pas en question leur pouvoir (il paraît que certains organisateurs sont même allés jusqu’à assurer au gouvernement de Sissi qu’il n’y aurait aucun.e égyptien.ne participant à cette marche pour éviter que cela n’aboutisse a la remise en cause du régime..). Ça a aussi permis de faire venir des milliers de personnes d’origine diverse, pas forcément militantes au quotidien qui ont pu être touchées par un appel large au nom d’une « humanité partagée ». Mais ça a aussi contribué a dépolitiser une manifestation en la limitant à une action humanitaire qui poussait parfois a l’envisager de manière assez naïve (petite vibe hippie l’amour est plus fort que tout sans prendre le temps de contextualiser où on se trouvait) et qui reproduisait fatalement des formes de domination nord/sud non questionnées.
2. Rapport a la répression et absence de recul
Sur place, la marche a donc été empêchée, et les participant.es ont presque tous.tes a un moment ou un autre été bloque.es et plus ou moins force.es de monter dans des bus voire des avions pour quitter le territoire égyptien. Certes, il y a des moments qui n’ont pas été faciles, notamment psychologiquement face a la désorganisation et a l’incertitude de ce qui allait nous arriver. Cependant il me semble que les réactions scandalisées face a "la violence dechainee des forces de l’ordre égyptiennes" étaient disproportionnées et en décalage avec la réalité de la répression en France et dans le monde entier. Ce n’est jamais agréable de se faire porter jusqu’à un bus, et sortir d’une nasse tiré.e par les pieds. Mais comment ignorer que cela demeure un traitement privilégié en comparaison avec ce qu’auraient subi les égyptien.es a notre place ? Ou même des personnes étrangeres face à la police française ? Il ne s’agit pas de dire qu’il ne s’est rien passé mais de reconnaître que nos privilèges sont tels qu’ils s’étendent jusqu’au domaine de la répression, et qu’il s’agirait de mesurer nos déclarations a la lumière de ce fait. En effet, entendre certain.es français.es réutiliser a leur compte des termes comme "déportation forcée" ou affirmer être dans une situation de péril existentiel, m’a personnellement mis extrêmement mal a l’aise.
Sur le rapport aux militaires, pointés du doigt pour leur violence ou leur passivité face aux exactions des milices, il faut rappeler qu’il existe en Egypte un service militaire obligatoire, dont il n’est possible d’etre exempté que sous certaines conditions reproduisant très souvent des rapports de classe. En effet, les militaires que l’on a croisé sont très majoritairement de très jeunes hommes appartenant aux classes populaires qui n’ont pas accès aux cursus d’étude longs ou a l’argent et aux relations nécessaires pour échapper à l’armée. Sans aller jusqu’à en faire nos alliés, il me semble que c’est un paramètre a prendre en compte dans l’analyse de la situation et la désignation des coupables sur place, notamment en les distinguant des services secrets Egyptiens (policiers en civils) qui agissent main dans la main avec le gouvernement et participent activement à la répression des populations.
(On passera sur les gens qui accusent les égyptien.nes de ne pas avoir assez soutenu la marche, démontrant une absence totale de conscience des enjeux de répression pour les populations sur place qui risqueraient leur vie à participer à ce genre d’action).
3. Désorganisation et incapacité à se soutenir dans les moments de panique
Tout le long de l’action , les échanges entre participant.es on été ultra tendus sur les groupes telegram de la délégation française. C’est assez démoralisant de constater notre capacité a perdre tout sentiment de solidarité les un.es envers les autres dans les moments de panique. On est tenté de voir un côté très francais dans cette tendance a s’envoyer chier pour le moindre prétexte mais c’est peut être biaisé et on attendra d’avoir les retours des autres délégations pour se faire un avis. En tout cas, ça a posé une ambiance très lourde sur les groupes avec des centaines de messages par jour qui partaient dans tous les sens, en passant de la dramatisation inutile et anxiogène de la situation pour certain.es ; à la culpabilisation a tendance sacrificielle pour d’autres.
Dans l’ensemble il me semble qu’il y a pas de regrets à avoir, on aura moins essayé de faire quelque chose. Mais on gagnerait collectivement à tirer des enseignements de ce genre d’initiative, qui aura malgré tout permis de faire passer un message et de renforcer l’idée que la résistance doit être populaire et massive.