On patauge, on suffoque.
On se cherche, on se cache.
Les cravates dans les placards.
Des cravaches, des brancards,
Pour les pauvres, les vieux, les obèses, les ouvriers.
Paysans sans marchés, quartiers sans espace. Librairies fermées.
Assignés à résidence, fliqués, surveillés.
Et maintenant on prétend qu’il faudrait se vouvoyer.
Une info glanée un 1er avril fait du tu le consort de la toux.
L’improbable nous ayant déjà rattrapés dans tant de degrés,
Filons ce poisson comme nous nous défions de la réalité.
Le tu postillonne, éructe, il crache. Le vous tient de l’élégance.
Bannies les chuintantes, labiales et dentales sourdes,
Le tu des faubourgs qui enlace à distance.
Au pilori l’odieuse salive des muqueuses, des fluides, des brasiers.
La consonne est devenue projectile,
Arme par destination, sommée de s’arrêter.
Les p-, t-, f-, ch- ne sont plus nos alliés.
Putain tu fais chier.
On ne pouvait déjà plus baiser sans capote.
Ni fumer dans les bars, ni trop picoler.
Ni être grossier, premier degré.
On n’avait déjà plus le droit d’aller se promener.
On ne crache plus, on ne tousse plus, on se fait discret.
Compassé.
Attestation, autorisation, dérogation, travaux forcés.
Désormais, on ne tutoie plus.
Sauf son coude.
Sourde, pourtant, la colère.
Dentale, canine, cannibale.
Chuinter, feuler, siffler, feinter, sans labiale.
Lèvres fermées.
[Illustration : Sébastien Le Gal]