Demandons pardon à nos étudiants pour notre complicité dans la destruction de leur avenir

« Nous devons regarder en scientifiques lucides et non en autruches notre avenir et l’effondrement certain. »

paru dans lundimatin#187, le 16 avril 2019

Nous sommes enseignants dans l’enseignement supérieur ou chercheurs dans des organismes publics.
Nous devons regarder en scientifiques lucides et non en autruches notre avenir et l’effondrement certain. Plus ou moins rapide, plus ou moins violent. Mais certain.

Celui décrit par le philosophe Dominique Bourg s’ancre dans sa fréquentation de nombreux experts du climat et de l’économie depuis des décennies :

« Dans la prochaine décennie, je doute que l’on puisse changer vraiment les choses ; si on commence à les changer substantiellement, ce sera plutôt dans la décennie suivante. Or, si tel est le cas, le risque de dérive vers une planète chaude est probable. Et une planète chaude, ce n’est plus qu’un milliard d’humains vers la fin du siècle. ».

Nous reconnaissons notre culpabilité

Nous continuons trop souvent à enseigner à nos étudiants tout ce qui détruira encore plus notre société.
Nous continuons trop souvent à concevoir des objets et à développer des pratiques qui détruiront encore plus notre société.
Enseignants en finance, nous avons servi les intérêts de la finance destructrice sans la remettre en cause radicalement. Elle est l’outil puissant de l’enrichissement démesuré de certains au prix de la destruction de la vie sur terre.

Enseignants ou chercheurs dans d’autres domaines, nous laissons transformer nos structures collectives aux dépends de l’intérêt général. Sournoisement s’instaurent dans les universités et les organismes publics des pratiques de gestion d’entreprise qui embrigadent au service des entreprises privées.

Nos travaux participent trop souvent à développer une consommation mortifère. Les industriels trouvent en nous une ressource de compétences payée par l’état. Ce dernier valorise les chercheurs qui oeuvrent pour les intérêts des industriels privés. Ainsi se perd la liberté de réfléchir aux conséquences à long terme sur notre société et notre terre de tous ces produits qui germent dans nos laboratoires.

Nos recherches conçoivent donc des objets quand ils sont profitables aux entreprises. Ceci n’aurait pas d’importance si l’intérêt exclusif de profits des structures privées, malgré leurs discours sur leur responsabilité sociale et le développement durable, n’était pas de plus en plus divergent avec la lutte contre l’effondrement.

Ces discours sans le savoir sans le vouloir, nous font participer à une propagande sans laquelle le système destructeur ne pourrait tenir. Nous sommes complices de fermer les yeux malgré l’accumulation scientifique de toutes les preuves d’une destruction massive de la vie suite à cette démesure de production, d’innovation et de consommation.

Nous demandons pardon

Nous demandons pardon à nos étudiants de ne pas les préparer à l’avenir. En 2050, ils nous maudiront en constatant les conséquences de notre insouciance criminelle.
Nous osons demander pardon parce que nous nous engageons à réparer.
Bien sûr, rien ne pourra réparer le préjudice.
Mais nous nous engageons à enseigner à nos étudiants ce qui va les aider à vivre dans les temps difficiles qui sont devant nous.
Nous nous engageons à faire de notre mieux pour juger des conséquences de nos travaux. Il faut affronter les conséquences de nos recherches, il faut enquêter sur les conséquences sociales et écologiques de nos productions. Et à chaque fois qu’il sera nécessaire, il faut refuser de se taire et faire ce qui nous parait juste.

Promettre que nous voulons mieux faire ne suffit pas. Il faut confier la direction de nos laboratoires et de nos universités aux jeunes de moins de 40 ans.
A nous de leur laisser une place dès que possible. N’est-il pas indécent de poursuivre nos carrières au-delà de 62 ans pour augmenter nos retraites ? Il est l’heure pour nous de laisser des postes pour des jeunes profs. N’est-il pas indécent que les jeunes docteurs pointent au chômage et au RSA ?

Seulement alors, nous pourrons regarder dans les yeux tous les « Greta Thunberg » dans nos classes.
Seulement alors, nous pourrons espérer de nos enfants un pardon.
Même quand nous aurons fait tout cela, leur pardon est un possible mais non un dû.
Faisons-le de suite, tant qu’il nous reste de l’humanité.

Denis Dupré, maître de conférence à l’université de Grenoble

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