Déconfinement - Jacques Fradin

« Sortir de l’économie signifie soumettre l’économie à la pratique démocratique ou à l’éthique de la destitution. »

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#242, le 12 mai 2020

Nous allons tenter de penser la suite, qui sera peut-être une récurrence, confinement / déconfinement, comme une métonymie, une expression réduite des termes du combat pour « la démocratie radicale » (nous retiendrons d’abord ce terme, mais celui de « communisme tribunicien » serait, peut-être, plus adapté).

D’abord en développant une ontologie du déconfinement ; en pensant ce déconfinement dans les termes généralisés de la déconstruction an-archiste (déconfiner, c’est susciter une déflagration an-archiste).
Avec, au centre, la radicalité de l’ouvert, ouvert qui peut s’exprimer en termes de démocratie radicale.
Ontologie dynamique ou modale du mouvement an-archiste de déconstruction, mouvement de destruction de tout confinement.
Pourra, alors, advenir une éthique du déconfinement, un agir subversif de destitution. Cette éthique ne pouvant être première, mais devant accompagner le mouvement premier, celui de la libération de la liberté ou de l’ouvert.
Puis une pratique du déconfinement, la subversion des institutions, subversion ici définie en termes de sortie (escape ou way out) ; sortie de l’économie, par exemple.
Finalement pourrait s’élaborer une doctrine (utopique), la doctrine des institutions provisoires ou flexibles, composant le corps de la démocratie radicale.
Cette doctrine étant une sorte de condensé de la pensée généralisée de la suite confinement / déconfinement, l’alternance de l’ordre et du chaos
Et pour rendre les choses parfois plus simples, nous tenterons, expérimentalement, de multiplier les exemples « plus concrets ».

Le confinement a été globalement ressenti comme une incarcération.
Et le déconfinement est, maintenant, ressenti comme une libération, ou, plus exactement, comme un élargissement (pour suivre le lexique carcéral, liberté conditionnelle).
Mais il est évident que ce déconfinement octroyé ne reconduit qu’à la plus ancienne situation, celle du prévenu maintenu en préventive, la situation dite de normalité, celle du prisonnier.
Le confinement, spécifiquement sanitaire, pouvant être regardé comme une visite à l’essai dans le QHS de la prison monde ; et le déconfinement octroyé pouvant être pensé comme un retour dans les cellules des quartiers habituels, celles qui définissent la normalité du monde prison (des banlieues universelles) ; cellules certainement modernisées par la surveillance électronique, et modernisées, en profitant de la phase de mise à l’isolement, pour réinitialiser les murs, transformés en écrans orwelliens.
Ou, peut-être, s’agit-il d’un nouveau jeu de téléréalité, conçu par des despotes jouissifs ?
Le jeu, l’enjeu, de la récurrence confinement /déconfinement doit se lire comme une figure métonymique, métonymie que nous nommerons ici, pour ne pas avoir à écrire une encyclopédie, synecdoque de la démocratie radicale ; le jeu confinement / déconfinement étant une synecdoque restrictive du combat pour la démocratie radicale.
Le grand jeu : comment nous déconfiner de la prison institutionnelle qui nous attrape (farces & attrapes), nous colle, nous englue (des mouches dans le miel), nous confine ?

Une lecture déplacement, en style indirect libre, de l’ontologie de Giorgio Agamben peut nous aider à trouver le chemin, le bon chemin de la sortie hors du pot de confiture et des envies sucrées.
Il sera donc question de l’an-archie, de Reiner Schürmann à Giorgio Agamben, répétons : an-archie et non pas anarchie.
L’an-archie désignant la radicalité de l’ouvert ou du vide (ou de la démocratie an-archique, suspendue au-dessus du vide) ; ou, autre lexique, l’an-archie désignant la nécessité de la contingence (Nietzsche).
« Principe d’anarchie », pour reprendre l’aporie de Schürmann et pour déployer une pensée par contradiction ou par oxymores (déjà la dialectique tronquée) ; dénonciation des « principes » comme arbitraires, déconstruction conduisant à l’institutionnalisation de la subversion récurrente des institutions, l’image agrandie de la récurrence confinement / déconfinement.
Pratique permanente du déconfinement (de la prison monde) et doctrine labile des institutions toujours provisoires constituant deux pitons de rappel pour cette escalade dangereuse vers la démocratie sceptique.

Ontologie du déconfinement

Développer les linéaments d’une telle ontologie implique de traverser la pensée d’Agamben. Et, en particulier, de méditer sa conception de l’an-archie, tangente à celle de Derrida, convergeant vers celle de Schürmann.
Qu’est-ce que cette an-archie ?
Analysée par Derrida, Schürmann et Agamben (et n’ayant rien à voir avec l’anarchie politique, qui est, en fait, très « archique » et vise un ordre, « l’ordre anarchique », souvent pensé comme « fédération communaliste »).
Qu’est-ce que l’an-archie : l’affirmation qu’il y a « un dehors du monde » et que cet « au-delà » ne renvoie pas un ciel divin bienfaisant ou à une origine merveilleuse (archique), mais renvoie à une faille, une faillite, une fracture du monde ; sans rien désigner quant à cet « au-delà », qui n’est pas un monde corrigé, une image pieuse ! An-archie = absence radicale d’harmonie (il n’y a pas de fond harmonieux, à retrouver).
En un mot : il y a de l’en-dehors du monde parce qu’il y a de l’histoire, chaotique, de bruit et de fureur.
Ou, peut-être peut-on dire : il y a, de manière incertaine, peut-être, un fondement à l’ordre (du) monde (le fameux ciel) ; mais, ce qui est essentiel, ce fondement (espéré) est vide, c’est l’abyme, le vide sur lequel repose, en lévitation périlleuse, l’ordre (du) monde.

Agamben répète inlassablement : le pouvoir est an-archique.

Ce qui veut dire que ce pouvoir n’est jamais justifié (fondé en un premier sens) ni fortifié (assuré de permanence, fondé en un second sens) ; du chaos sur du chaos, pure contingence, arbitraire permanent, despotisme fumant, simple vapeur.
L’arbitraire de l’ordre armé, sa contingence historique, son absence de raison (même de raison d’État, cette forme supérieure de l’arbitraire), voilà ce que désigne l’an-archie.
Et pour reprendre toute la pensée contemporaine (à commencer par celle d’Alain Badiou), toute cette pensée qui rejette l’idée métaphysique de fondation (archique, justifiée et fortifiée, harmonie et bienfaisance), affirmons qu’il y a un « au-delà » du monde, mais un au-delà qui ne renvoie à nulle transcendance ou divinité, à nulle unité métaphysique (agissant comme foyer ou patrie) ; l’hypothèse de l’au-delà est une hypothèse logique, hypothèse nécessitée par l’observation du chaos (la fameuse question du « mal », maladie ou malformation, l’injustice radicale des morts en masse).
Cet « au-delà » est le vide an-archique de la Chôra, vide habituellement nommé, depuis Lacan ou Badiou, Le Réel.
Il convient de s’arrêter un instant sur cette Chôra ; introduite par Platon, dans le Timée, le plus décisif des traités de Platon (aussi commenté que la Bible).
En grec courant, ancien ou nouveau, Chôra, Khôra, désigne la patrie, le terroir, le territoire de la polis, disons un espace civilisé (œkoumène).
C’est en s’appuyant sur ce sens courant, que le réel ou l’au-delà (la banlieue du monde) est réduit habituellement (et de manière métaphysique) à un fond, un espace, un terroir, un enracinement, une matrice maternelle (la patrie). Et que la libération, le déconfinement (de la prison monde) est envisagé, aussi classiquement, comme un retour dans le sein maternel et protecteur, matrice supposée bienheureuse ou apaisante (ce terroir terrier qui porte le calme). La fameuse dialectique (avec synthèse) du communisme primitif ou de l’œkoumène des communautés heureuses.
Mais Platon, il y a longtemps donc, avait tordu ce sens patriotique (ce qui fait toute l’importance de ce traité de la Chôra).
Car si la Chôra peut désigner couramment le familier protecteur, elle désigne aussi bien la friche, le terrain vague, la banlieue, le no man’s land, tout ce qui s’étend, menaçant, hors et autour des frontières ou des murs de la ville.
L’ambivalence du terme est essentielle pour tenir le dépassement de la position métaphysique ; cette ambivalence est un résumé du problème de l’au-delà ou de l’an-archie : la cité civilisée entourée de murs (la prison monde) et son en-dehors « sauvage ».
Et Platon de s’emparer de cette ambiguïté : la Chôra est, certes, toujours la matrice initiale du monde (dans la légende développée du Timée), la source de tout espace, du spontané, de l’espacement ; mais cette matrice est responsable de l’aspect chaotique et indéterminé du monde, monde toujours mal fini et qui finit toujours mal.
Chôra désigne l’indéterminé et devient synonyme de Chaos.
La Chôra, le terroir de la cité, n’est pas un espace merveilleux et localisé (et bien structuré), c’est l’indétermination chaotique du temps historique qui défonde toute chose.
Chôra désigne le conflit, le combat, la lutte liée à cette patrie contingente, et qui n’existe que comme conflit.
À Chôra, le chaos de l’indéterminé, s’oppose, en un combat gigantesque et interminable, l’interminable de l’indéterminé, le Démiurge, le dieu despotique, celui qui tente (toujours en vain) de donner forme et qui pense, en donnant forme, ordre, institutions, assurer la paix bienfaisante.
Mais la Chôra est invincible, inaliénable en tant que puissance destructrice (seul le négatif est inaliénable), et le Démiurge, sans cesse, échouera. Échouera à porter la justice qu’il confond avec la forme ou l’ordre (alors que la justice se tient dans la possibilité permanente de la déconstruction).
La Chôra ne peut pas accueillir la perfection stable ; elle provoque une détérioration, une corruption de tous les objets que le Démiurge tente de créer en tentant de maîtriser l’an-archie.
S’il y a quelque chose d’assuré, c’est que le déconfinement, qui peut être pensé en termes de sécession, c’est que l’ouverture (des cellules), ne peut se faire sur une base territoriale, locale ou située spatialement : ce serait oublier la leçon de la Chôra et maintenir l’idéologème métaphysique de « foyer » (patrie), le noyau de tout confinement ou de tout emprisonnement.
La Chôra, le Réel, est l’étendue vide, hors monde, le « principe » de l’inévitable instabilité, « le principe d’an-archie ».
La Chôra, le supposé foyer est ce qui prédétermine toute chose au changement et à la corruption ; et à la guerre infinie.
On peut alors dire qu’Agamben, après Derrida (lire Khôra), reprend la thèse du Timée (encore une fois l’ouvrage le plus commenté de Platon, et le plus essentiel pour comprendre le Néoplatonisme).
Partons donc de cet axiome qui pose le Réel Chôra comme une dynamique permanente de corruption.
L’an-archè n’est ni un fond, une position de support, ni un espace planté, ni un moteur immobile ; c’est un mouvement permanent de destruction qui n’est, lui-même, ni fixe ni situé.
L’origine an-archique n’est pas un point fixe situé ou localisé, c’est un désastre permanent, surtout lorsqu’il se présente comme familier ou patriotique ou enraciné (la catastrophe, c’est l’enracinement, qui fait oublier la situation d’exilé, de l’humain comme étranger permanent).
L’origine an-archique est une force perpétuelle de mise en cause de tout ce qui se croit stable ; c’est la force du déconfinement généralisé (tout est volatilisé).
Le Réel Chôra est anté-catégorique, introduit une zone d’indistinction, un terrain vague, ou une zone d’in-différence (terme essentiel pour Agamben).
La fonction de l’épochè de la déconstruction est de dévoiler l’indistinction primordiale (l’absence de fondement) et d’en analyser la dynamique de désubstruction, destruction chez Heidegger, déconstruction chez Derrida.
Mais cette déconstruction ne correspond ni à un acte (un événement), ni à un passage à l’acte, mais à un mouvement permanent, ce qui se nomme histoire : pourquoi y a-t-il de l’histoire plutôt que du calme ?
Cette destruction de l’origine, origine pensée comme fondement solide, fait qu’il n’est plus possible de se reposer sur une quelconque stabilité, ancienne ou retrouvée. L’an-archie ne désigne pas seulement l’absence d’ordre pérenne mais, peut-être surtout, le conflit permanent.
Cet au-delà Chôra introduit l’univers comme un champ de bataille.
Le monde, l’ordre, les institutions, l’économie, la loi, tout se présente comme une armée en ordre de bataille (l’ordre, c’est l’ordre de bataille).
Ce qui constitue le monde est la guerre infinie contre l’an-archie et pour colmater le vide du pouvoir. Ce qu’Agamben nomme l’inclusion par exclusion, la colonisation.
Mais la colonisation est toujours à reprendre, toujours en faillite, inéluctable, mortelle, désastreuse et perdue d’avance, et, pourtant, sans cesse recommencée (comme si cette fois-ci, ce sera la bonne, la der des der).
Cette guerre contre l’an-archie, cette guerre d’emprise dessine le portrait du monde, de l’ordre, des institutions, de l’économie, de la loi : le monde organisé comme une armée syphilitique, erratique, corrompue, imprévisible, dangereuse, le monde est un tripot.
Au-delà du monde, l’an-archie ; qui génère la désintégration, la destitution permanente du monde, qui déconfine. Et le monde qui, sans cesse, poussé par la transe érotique, cherche à revenir (croissez et multiplier), cherche, sans cesse (ainsi va l’avie), à stabiliser l’ordre instable.
Comme l’explique Schürmann, l’agir an-archique est celui qui trouve sa voie dans la déconstruction permanente, qui sait que l’ordre est bâti sur le vide et que toute stabilité est corruption.
Ce qu’Agamben nomme « forme-de-vie » est lié à la désintégration, c’est l’avie de l’in-différence, de la poussée réelle.
La colonisation, qui organise le monde par inclusion exclusion, ne peut jamais être terminée, une fois pour toute. Une « forme-de-vie » (prise dans le flux de la destruction) n’est pas une forme, stable et fixée, n’est pas une réalité constituée, c’est l’expression de la destitution permanente de toutes les institutions par l’agir an-archique de défondation.
Mise en cause de tout fondement, cette « forme-de-vie » (qui se place en un lieu sans place ni foyer, le seuil d’in-différence, le flux réel de destruction) est inefficace, elle détruit ; elle est inopérative, pour reprendre l’italien d’Agamben ; elle correspond au « désœuvrement », à lire strictement dés-œuvrement, non pas statique de repos mais dynamique de désubstruction.
La « forme-de-vie » est l’expression du flux permanent ou de la guerre permanente, le délaissement d’Heidegger-Schürmann.
La vie sans pourquoi, sans projet, le délaissement, est d’abord le refus du monde caserne ou du monde prison ; l’avie qui renvoie à la Chôra ou au chaos déstructurant (l’amour du chaos de Nietzsche).
Une terre déserte, qui ne sera jamais la nôtre, dépropriation de toute propriété, une terre inconnue et inconnaissable et qui, pourtant, est le lieu vide de toutes les poussées, désastreuses (le miracle de l’avie).
Une « forme-de-vie » n’est pas l’expression d’une volonté ou le résultat d’une construction (d’une décision), c’est la dynamique d’une passivité (pathique) qui engage dans l’histoire de bruit et de fureur ; et pour s’engager et participer à la désintégration de toute institution.
La destitution désigne le point d’in-différence (toute la philosophie d’Agamben est une philosophie de l’in-différence, de l’agir réel), le point où le Réel, l’au-delà vide, se manifeste comme combat ou lutte contre le monde ; la destitution est l’expression ontologique du déconfinement, de la sortie de la prison monde.
L’inopérativité, le désœuvrement, le délaissement, qui est le cœur de l’agir destituant, du rejet du monde, ne résulte ni d’une prise de conscience ni d’un éclair paulinien, elle n’est que le Réel vide qui réapparaît sans cesse comme désastre perpétuel.
Ce Réel Chôra n’est pas quelque chose de plus originaire, archique en un premier sens, ou de plus déterminant, archique en un second sens, ce n’est pas une unité supérieure (le dieu an-archique de Lévinas), ce n’est que la dynamique permanente de sortie.
La Chôra est la vérité du déconfinement.
Sortie de la colonisation ou de l’inclusion par exclusion, de l’esclavage.
L’an-archie de la destitution est le centre caché du pouvoir ou de l’ordre.
Une « forme-de-vie » est ce qui se jette au cœur du vide ; et ne se laisse pas happer par « la richesse » que mobilise l’ordre contre son fond déstructurant.

Éthique du déconfinement

La pratique de la sortie, way out, consiste d’abord à se placer en un point indiscernable (le seuil d’in-différence, le Réel), non pas en un champ de (re)construction ; consiste à se placer (dé-placer) là où le maelström du Réel OUVRE (déconfine) le vide qui destitue le monde.
Il faut toujours partie du lien entre an-archie et destitution : la destitution est l’effet de la dynamique an-archique. Et, ainsi, penser l’agir en Réel, l’éthique, comme passivité dynamique, le délaissement.
Le thème central de cet agir est l’OUVERTURE, la sortie, la désubstruction.
Ouverture, mais ouverture dynamique.
Et notons l’importance de la pensée modale ou dynamique pour Agamben : substituer une philosophie modale à une philosophie essentialiste ou naturaliste (la nature, c’est le vide désastreux).
Ouverture qui peut être pensée de deux manières :
Soit comme rupture, la passivité pathique de l’inopérativité, le côté négatif ;
Soit comme pro-position, l’imagination utopique du monde décentré et sans unité, le côté positif. Mais ce côté positif ne peut jamais être un pro-gramme, puisque tous les programmes seront défaits.
L’un et l’autre, négatif et positif, étant des pôles dans le conflit, des pôles de la dynamique de désubstruction.

Commençons alors à présenter les choses de manière plus empirique, plus imagée.
La puissance destituante en réel se manifeste sous la forme négative du refus ou de l’insurrection (notons que cette puissance réelle, la poussée de l’avie, a un aspect positif, celui de « la centrale à énergie », de « l’énergie vitale », mais que cet aspect positif est radicalement ingouvernable : le Réel, c’est l’ingouvernable de cette puissance désastreuse ; ici l’athéisme chaologique nietzschéen devient radical !).
Retenons le terme de soulèvement, pour indiquer l’ambiguïté de la puissance réelle (et, sans doute, cette poussée se caractérise d’abord par son ambiguïté, dualité non dialectique).
Le soulèvement est ambigu : déconstruction, côté négatif, et pro-position, tentative (faillie d’avance) d’une nouvelle position (fortement instable), côté positif.
Puissance réelle, espacement (constitution de l’espace), spontanéité qui s’enfonce dans le monde en se dissolvant, le désastre, qui tout en ouvrant une voie, mène le plus souvent vers une voie de garage (découlant de cette prédétermination, prédestination à la corruption), voilà les repères de l’éthique.
Reprenons alors le schéma de la dialectique tronquée ; qu’Agamben hérite d’Heidegger, en commun avec Derrida et Schürmann.
Le Réel Chôra est l’anté-catégorique, l’indiscernable, l’impossible.
La poussée de sa spontanéité, l’espacement produit, détermine une histoire caractérisée par l’irréversibilité et l’errance ; cette histoire est radicalement ingouvernable.
Le Réel n’est pas un lieu, un site, une localisation, n’est pas une dimension récupérable (on ne peut se placer en Réel, Réel qui n’est pas une position de stabilité, ni une position du tout, le Réel n’est pas un fondement, mais une pulsion déstructurante).
Le Réel n’est pas récupérable ; tout retour supposé (par une synthèse dialectique, par exemple) est toujours une fuite en avant : l’histoire irréversible ne connaît pas d’arrêt possible ; il ne peut y avoir de fin de l’histoire (la fin de l’histoire est la fin de l’humanité, Alexandre Kojève, c’est peut-être l’empire calme des vers de terre, mais l’humanité, elle, ne peut connaître la paix — malédiction de la poussée sexuelle, Woody Allen).
Le Réel Chôra Chaos propage la dispersion ou la fragmentation.
L’éthique consiste à prendre le train alcoolique de la poussée réelle (ce que nous avons nommé passivité pathique ou délaissement).
L’éthique en réel est donc une éthique de la dispersion, du déconfinement.
Qui peut se nommer : insurrection, destitution, puissance négative [1].
Le monde est la réalité effective et efficace.
Cette réalité s’effectue toujours par la capture coloniale de « l’énergie vitale », par le mécanisme d’inclusion par exclusion.
La Chôra est une dynamique de retournement ou de corruption : la poussée réelle s’évanouit en ordre, ordre qui sera dissout. Seuil d’in-différence où la puissance d’agir, indéterminée, se convertit en force (de travail) ou en action rationnelle ; et où l’action rationnelle sera corrompue en violence.
On peut, encore, présenter cette réalité du monde réaliste comme une centrale à énergie (qui pompe l’énergie de l’avie) dont le schéma de fonctionnement est la conversion (religieuse, par exemple) ou la concentration (le confinement, la constitution des populations statistiques).
Le Réel an-archique, vu depuis la position démiurgique (depuis le trône de dieu), se présente comme une source d’énergie exploitable, non pas seulement l’exploitation du travail, mais l’exploitation par la mise au travail ; l’esclavagisme étant le modèle indépassable du monde.
L’éthique du rejet de ce monde, côté négatif, peut se présenter aussi comme pro-position, à la condition essentielle d’exclure (des propositions) l’unité, l’unification, le système, la destination, l’efficacité, le commandement (toutes ces choses qui caractérisent le monde).
Ou, si de telles choses mondaines, « inauthentiques », sont nécessaires ou adviennent nécessairement, l’éthique doit d’ABORD se prémunir contre le retournement, la corruption, la dégradation, inévitables selon le schéma de la Chôra.
Il doit donc y avoir des contre-forces ou des contre-pouvoirs, pour chaque élément de force ou de pouvoir ; non pas un contre-pouvoir général et impuissant, mais des contre-pouvoirs aussi « réticulaires » que le pouvoir lui-même (micro-pouvoirs et micro contre-pouvoirs).
Si l’éthique est essentiellement négative, elle ne peut être positive que de manière marginale, inquiète et retenue.
Son grand œuvre est le devoir de soulèvement.
La subversion des institutions ; le rejet de toute fixité et, évidemment, de toute tradition (le nœud coulant du confinement, de l’enterrement dans un terrier).
L’an-archie ontologique implique, éthiquement, plus que l’anarchie (qui reste statique voire naturaliste), la dissolution de tout état, non seulement la dissolution de tout État.
Ou, plutôt, comme cette destitution se produit sans cesse, l’éthique an-archiste implique l’engagement dans le mouvement de déconstruction.
La sortie de l’économie et de son ordre despotique implique d’inventer les institutions de l’an-archie, des institutions flexibles auto-destituantes, avec une date de péremption.
L’ordre juste ne se définit pas par sa constance ou sa fixité, par son invariance ou sa tradition, ou par son enracinement en un terroir ou un climat, mais par la possibilité de sa destitution sans cesse reprise (destitution intégrée comme possibilité constitutionnelle « accessible »).
Pour donner une image, un tel ordre juste n’a été « approximé » que par la seule constitution démocratique du monde, la constitution de 1793, avec son organisation institutionnelle des émeutes.
On ne peut jamais s’appuyer sur l’idée qu’il y aurait des institutions « bonnes ». A priori toute institution est « mauvaise », corrompue et corruptrice.
Voilà ce qui décide de l’éthique de la sortie, éthique soupçonneuse et sceptique d’une sortie toujours à recommencer.

Pratique du déconfinement, sortir de l’économie

Sortir de l’économie signifie soumettre l’économie à la pratique démocratique ou à l’éthique de la destitution.
C’est-à-dire, encore une fois, pratiquer la dispersion du pouvoir despotique : sa déconcentration ou son déconfinement, abattre les oligarchies, donc le parlementarisme (la démocratie n’ayant rien à voir avec la « représentation » parlementaire).
L’abolition des droits de propriété (et surtout ceux sur la terre ou le sous-sol) devant se penser dans ce cadre de démocratisation. Comme un problème politique ou institutionnel, jamais « technique ».
Supprimer les droits « supérieurs » des propriétaires ou des actionnaires.
Conseils d’administration, conseils de surveillance, organes de direction, comités exécutifs et tutti, tout doit être pulvérisé, démocratisé, pour que les propriétaires actionnaires n’aient plus que des droits minoritaires (et en voie d’extinction) ; ceux qui se croient « les maîtres » doivent être placés en position de minorité.
Et qu’importe l’efficacité, dès lors que l’objet de la pratique est la destruction des formes stables ou installées.
Notons que ces formes reviennent toujours et que, donc, la tâche éthique est illimitée.
Notons également le raisonnement par l’absurde ou inversé : si la démocratisation semble folie utopique, c’est que l’efficacité de l’ordre supposé cohérent du monde semble devoir être maintenue (défense de l’ordre) ; mais même à ce prix de la conservation effrénée ou de l’esclavage colonial, aucun ordre stable ne pourra être conservé ; il est donc « éthique » de faire le pari pascalien de la démocratie destituante !
Sortir de l’économie exige de supprimer les liens de subordination qui constituent l’entreprise ; l’entreprise imaginée comme un objet technique gouverné par des experts, mais qui est le plus bel objet politique (despotique) que l’on a pu reconstituer, l’héritier des « maisons » féodales.
Et, peut-être au-dessus de tout, sortir de l’économie impose de démocratiser les banques, avant que de les supprimer. Les banques étant à la fois des « entreprises » (à destituer : supprimer les droits « supérieurs » des propriétaires ou des actionnaires et, ici spécifiquement des « épargnants » ˗ euthanasie des rentiers) et des nœuds de surveillance.
On peut imaginer, imagination ludique, en décalant les utopies libérales libertariennes (ou hayékiennes), créer des systèmes de crédit démocratisés. Qui, encore une fois, ne sauraient jamais être constitués sur une base territoriale, les fameuses monnaies locales (nous avons plusieurs fois insisté sur la nécessaire dissolution du localisme ou de l’enracinement dans le terroir terrier, nous avons plusieurs fois critiqué cette trace rémanente du pire despotisme féodal, trace qui se maintient par sa forme métaphysique « archéo-nomique » du fond, de la terre, bienfaisante).
Les nouveaux systèmes de crédit déterritorialisés devraient être pensés systématiquement, non pas en termes économiques (même alter économiques) mais en termes de subversion des propriétés et des ancrages territoriaux : retirer la distribution du crédit aux banques privées ou « indépendantes » exige de pousser la démocratie jusque dans les derniers repères fortifiés du despotisme économique.
Suppression de toute « indépendance » des banques centrales et des diverses et multiples agences de régulation (le socle concret de la planification néolibérale, organisée de manière oligarchique ; si l’on veut, ce qu’il faut, c’est abattre l’oligarchie, le moins que puisse exiger une démocratie, dissoudre tout le système représentatif avec ses syndics).

Vers la destitution de l’économie : se libérer (enfin) du travail

Traduisons nos précédentes propositions en termes de « communisme tribunicien » (nous avons déjà indiqué que le choix du lexique, « démocratie agonistique » ou « communisme combattant », était tout à fait subalterne ; il ne faut jamais se battre sur les mots, il faut toujours se battre sur des dispositifs conceptuels).
Le communisme combattant (ou le communalisme non enraciné [retour de l’internationalisme !] ou le communisme an-archique) - la communauté sans unité ou la communauté non immunitaire (de Roberto Esposito) - est la société désorganisée, pulvérisée (Disperser le pouvoir, Raul Zibechi) où l’économie (et donc le travail) sont (progressivement, tel est le mouvement communiste) démantelés, déconstruits, destitués (Agamben).
Le communisme est le programme de l’économie « réencastrée » et, en fait, dissoute.
Aboutissement de l’anti-utilitarisme (du MAUSS) ou de la Décroissance (de Latouche), « maximalisés ».
Le communisme ne saurait être une « société de consommation », encore moins une « meilleure économie » (sociale ou solidaire).
Plus encore, thème fondamental du 18e siècle (contre l’économie naissante), le communisme ne saurait être une société de richesse.
[Renvoi, de nouveau, au grand débat du 18e siècle sur « Wealth and Virtue », Pocock et le républicanisme révolutionnaire : la république sociale révolutionnaire pouvant être prise comme point de départ des réflexions, toujours 1793.]
Le communisme est la voie pauvre (lire LM 186 du 9 avril 2019).
Le communisme est donc un combat permanent (système d’institutions auto-destituantes).

Le travail est l’âme damnée de l’économie (du) capitalisme (avec : économie = capitalisme).
Il ne saurait être question, d’un point de vue communiste, de maintenir la structure productive et des emplois (ou des qualifications).
Il faut planifier la désintégration du système productif.
« Libérer le travail » implique de penser à « structure technique maintenue » (maintenir les emplois), alors que l’enjeu est de pulvériser l’économie, « se libérer du travail ».
Si l’on veut, par provocation supérieure, le communisme est le synonyme du « chômage de masse », suite à la destruction massive des emplois - se libérer du travail, réduction massive du temps de travail.
Tel est le chemin pour « sortir de l’économie ».

Revient la question fondamentale « éthique » (en mode mineur) :
Est-il possible de mettre en cause notre « mode de vie » ?
Est-il possible de volatiliser « l’American way of life », de la droite qui Trump jusqu’en Chine !
Maintenant, être révolutionnaire (et non pas « de gauche ») implique-t-il d’être « anti-productiviste » ?
Toute reprise en main de l’économie, pour son démantèlement, avec le but de destituer l’économie, implique une remise à plat de toutes les productions, de tous les produits, de tous les emplois, un dégonflement massif de la sphère productive.
Que produire ?
Comment constituer les institutions du démantèlement ?
Où l’économie est complètement absorbée par le débat politique, par la démocratie radicale qui s’étend hors du productif et des entreprises (démocratie qui ne peut être limitée au cercle du travail et qui doit, plutôt, être extirpée de la production).
La planification déconstructrice (il n’y a plus de planification que négative) est un élément de la destitution de l’économie.
Sortir de l’économie. Sortir du mode de production.
Sortir du despotisme d’entreprise (et du despotisme tout court).
Démocratiser l’entreprise ; la reconstituer comme institution auto-destituante.
Destituer le pouvoir « propriétaire » et celui des technostructures de gestion.
Supprimer la forme d’organisation « entreprise » : abolition du droit des sociétés.
Supprimer tout objectif de production, de profit, de rentabilité ou d’efficacité (peste de l’efficacité).
Mettre en cause la division du travail.
Dissoudre toute organisation productive hiérarchiquement, avec sa légitimité technique.
(Et dual) Sortir du mode de consommation.
Sortir du mirage de « la royauté du consommateur » ou de l’illusion de liberté par la consommation (quelle que soit sa répartition inégalitaire).
Réorienter les affects « matériels » physionomiques vers les créations intellectuelles impersonnelles (suppression de « l’auteur » ou de « l’acteur »).
Mettre en cause le mirage du « travail manuel » formateur.
Combattre le narcissisme.

Doctrine des institutions provisoires et flexibles de la démocratie radicale

[Pour un argumentaire détaillé, renvoyons à notre série, en 9 épisodes, sur la colonisation économique, LM 123 à 133, novembre 2017 à février 2018, en particulier l’épisode 3, LM 125 du 4 décembre 2017, qui contient une justification détaillée de la nécessité d’une démocratie agonistique.]

Et pour finir par une généralisation an-archique de la constitution de 1793, désignons le déconfinement comme le chemin de la démocratie radicale : déconfinement du déconfinement. La voie vers la démocratie soumise à la contestation permanente (l’an-archie).
Démocratie agonistique qui signe le retour des émeutes de rue (le déconfinement) comme la forme institutionnelle supérieure de tout contre-pouvoir (pour le communisme tribunicien).
Formulons, alors, comme conclusion (provisoire), une sorte de bréviaire résumé (un aide-mémoire).
Comment résister dans un régime de despotisme économique ?
Penser toujours que nous ne sommes pas en « démocratie ». Que la démocratie (ou le communisme) est un agir (éthique) permanent de déconstruction (et, en particulier, de ce qui s’auto-désigne sous le nom fallacieux, c’est un mensonge déconcertant, de « démocratie »).
Qu’est-ce que le despotisme économique ? Le régime despotique d’entreprise (hiérarchique, autoritaire, censitaire, technocratique) étendu à la société entière (devenue société usine, l’entreprise France, etc.).
Régime despotique dont le modèle parfait est la constitution économique de l’Europe (du) grand marché (sous tutelle allemande ordo-libérale).
L’État est toujours l’État du despotisme au service des entreprises despotiques.
Avec la nouvelle oligarchie : la caste des agents comptables, inspecteurs des finances, contrôleurs de gestion, directeurs des hôpitaux, consultants, avocats d’affaires, etc. Noblesse d’État et oligarchie industrielle d’État.
Corruption et pantouflage généralisées : la macronie, modèle du nouvel ancien régime (avec ses féodalités).
Inversons le raisonnement (d’abord la démocratisation de l’économie, puis le déploiement démocratique)
Établir la « démocratie » implique de sortir de l’économie.
D’abord établir la « démocratie » dans l’entreprise. Pour l’étendre partout.
Sortir du régime censitaire absolutiste (« qui paye commande ») des « propriétaires » et de leurs syndics (représentants, délégués, etc.) et, même, sortir du régime « coopératif » des « participants » (sans délégation de pouvoir, sans représentation, mais toujours soumis à la logique économique, une « coopérative » est d’abord une entreprise, une cellule du despotisme).
La démocratie n’est pas l’efficacité !
Démocratiser les entreprises, les universités, les hôpitaux, etc., signifie introduire le débat (et la lenteur zapatiste).
Puis étendre la démocratie à toute la société, en partant de la dissolution des entreprises (ou des coopératives) ; cette extension exigeant d’abandonner tous les objectifs de l’économie (profit, rentabilité, efficacité, optimisation, etc.).
Rejeter la technocratie (élue ou pas, financière ou économique).
Ne plus travailler pour les entreprises ; ou pour « le développement économique » (refus démocratique & écologique).
Casser la relation incestueuse (et autoritaire) de l’État et des entreprises.
Expulser Vinci et les entrepreneurs du BTP (des lieux de la démocratie).
Interdire le lobbying.
Créer des « parcs à thème » ou des « réserves d’animaux sauvages » pour (enfermer) les entreprises et les gestionnaires (avec visites guidées pour que les enfants découvrent ce que signifie « l’horreur macron »).
Contre l’économie. Contre la gestion. Contre l’efficacité.
La démocratie est nécessairement contre l’économie (technocrate, despotique, autoritaire).

Comment sortir de l’économie ?
Sécession, refus (Refuzniks et Réfractaires).
Le refus du travail (hiérarchique, commandé, autoritaire).
Sortir de la société de consommation.
Remplacer le tourisme par la lecture en bibliothèque.
Démocratie & appauvrissement : les plus anciennes thèses de Jean-Jacques Rousseau (contre le développement technique).
La richesse mortelle et ses obscénités.

L’abstention généralisée : déserter les instances du pouvoir de la gestion économique.
Sortir, retrait, fuite.

La guerre civile.
Comment affronter le despotisme économique en sa forme sécuritaire (l’état d’urgence rendu commun) ?
Comment combattre les formes échelonnées de ce despotisme sécuritaire (pré fasciste) ?
Sécurité des propriétés, défense policière du despotisme d’entreprise (chasse aux DRH), idéologie néolibérale et sa propagande, utilisation machiavélique du fascisme (« retenu »), régimes politiques (de second degré) sénatoriaux et impériaux, usage autoritaire (unitaire identitaire, centré sur l’économie) du fédéralisme, etc.
Pour casser le despotisme (et établir la démocratie) il faut d’abord casser l’économie.
La propriété c’est le crime majeur.

Qu’est-ce qu’un régime constitutionnel démocratique ?
La démocratie n’est ni la république ni la monarchie (« républicaine »).
Les droits humains sont bien au-delà des droits des citoyens.
Sauf si l’humain est citoyen du monde : réfugié, sans patrie (Heimatlos).
Les droits humains doivent se penser comme les droits des exilés : tout humain est un exilé (ou un étranger – thèse christique). Vivre en exil.
Énoncer une nouvelle déclaration des droits humains, sans nation, ni France, ni Europe.
Principe : libérer les libertés de leur emprise (ou définition) économique ou localisée.
La liberté du commerce ou d’entreprendre n’est pas une liberté constitutionnelle, mais un comportement exotique (d’animal sauvage à placer dans une réserve économique).
Libérer la pensée de l’emprise économique ou de la fixation sur la sécurité (ou l’entretien) des propriétés.
Abolition de l’enseignement professionnel (sortir de l’économie).
Qu’est-ce qu’une « université » ? Ce qui se place au niveau de l’universel, et n’est donc pas canalisé par des objectifs économiques, techniques ou industriels (ou professionnels – sous commandement des entreprises).
Universités, Humanités, Humanisme.
Honneur à Alexandre Grothendieck.

Non pas une fédération ou une confédération de communes ou de coopératives.
Ce schéma n’étant que le décalque, en style Proudhon, des communautés économiques ; étant donc un schéma partageant les mythes du libéralisme économique : auto-organisation harmonieuse, équilibre automatique, encore l’harmonie confucianiste, bien être spontané… Toute le bestiaire économiste, libéral libertarien.
Non pas une confédération anarchiste libérale libertarienne.
Mais un magma, un agrégat d’expériences sociales délocalisées (libérées de tout enracinement), un composite instable de formes institutionnelles et juridiques ; expériences et formes qui ne peuvent se revendiquer d’aucun terroir, d’aucune tradition ; seulement des formes juridiques abstraites et non enracinées (non communautaristes) et qui flottent comme des bulles de savon.
Le jeu avec les règles que propose Agamben.
Un jour l’humanité jouera avec la loi, comme un enfant joue avec des objets usagés, non pas dans l’idée de restaurer leur usage ancien, canonique, mais en étant libre d’inventer des usages nouveaux ou en étant libre de convertir les formes anciennes usagées en formes inattendues.
Ce que l’on trouve après la loi n’est pas un retour vers une origine plus fondamentale ou plus propre, retour qui refonderait la loi, mais un nouvel usage qui ne peut arriver qu’après la destitution de l’idée métaphysique de la loi, nouvel usage qui implique l’invention de communautés optionnelles sans unité et jamais unitaires.
C’est même l’usage, dont le sens est lié à la valeur d’usage, est lié à un fondement infrastructurel, technique par exemple, c’est même l’idée métaphysique d’usage qu’il faut pulvériser.
L’usage est ce qui s’invente librement, et, d’abord, en matière juridique ou institutionnelle.
Le magma an-archiste ne peut reposer (idée métaphysique) sur un ensemble d’activités techniques ou économiques (la destitution n’est pas un problème technique) ; il exige que le nouveau jeu, le nouvel usage soit celui de l’étude.
La libération est la tâche de l’étude.
Non pas un peuple de charpentiers, trop christique traditionnel, mais un peuple de constitutionnalistes, participant à des joutes enflammées sur une agora illocalisée (et non pas dématérialisée).
C’est par l’étude studieuse et contradictoire que s’ouvrira le passage de la justice ou de la démocratie radicale. Non pas un problème infrastructurel ou technique, mais un jeu studieux (Agamben, État d’Exception).
L’enracinement, le retour à la fondation métaphysique bétonnée, telle est l’impasse qu’il fautrompre (toujours le problème de la Chôra).
Critiquer l’interprétation métaphysique de Chôra, rejeter l’explication patriote (matriote en fait) ou communautariste (avec son localisme).
Dissoudre la relation à la terre ou au terroir, critiquer « l’écologisme », détruire le modèle de l’appropriation des ressources du sous-sol, pourquoi des royaumes du désert sont-ils si riches ?
Et s’il est bien nécessaire d’abolir la propriété, la propriété de la terre et, plus généralement, l’enracinement localiste, doit être la première propriété à déproprier ; l’humain n’est qu’un passant dont l’éthique doit être celle des bulles de savon qui glissent, mais éclatent dès qu’elles se posent.
Il faut toujours viser le plus abstrait des institutions juridiques, à lancer dans une perpétuelle reconfiguration.
Il ne faut jamais accepter l’imaginaire néo-préhistorique d’une société « fondamentale », où le social symbolique (du jeu) serait éclipsé, pour laisser place à une infrastructure technique dénudée.

[1Renvoyons là à Saul Newman :
The Politics of Post Anarchism, Edinburgh UP, 2010 ;
Postanarchism, Polity Press, 2015 ;
What is an Insurrection ? Destituant Power and Ontological Anarchy in Agamben and Stirner, Political Studies, 2016.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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