Du « comportement » contemporain
Deux notions principales vont nous guider dans ce premier article, celle de « comportement », typiquement cybernétique, mais également économique et managériale, et celle de « motivation », soit l’outillage managérial qui vise à mettre en mouvement les objectifs individuels, ceux-là mêmes qui, en tant que feedback, ont jusqu’à présent constitué le fil rouge de cette série d’articles portant sur la cybernétique du quotidien.
Dans la « Méthode comportementale d’étude » (1943) [2], Norbert Wiener proposa : « une vision de l’homme qui l’assimile à un comportement organisé complexe [3], comparable avec tout autre comportement de même nature, quel qu’en soit le support “physique“, qu’il s’agisse de machines ou d’organismes vivants, ou, au fond, de n’importe quoi d’autre. » [4] Avec la cybernétique, ce sont les machines qui constituent le miroir premier de cet Homme. Elles sont asexuées, et lui est à la fois unisexe et virilement performant [5]. La propagande cybernétique est, depuis l’origine, celle de l’analogie Homme/machine, le fait que les technologies soient, à l’heure actuelle, les supports majeurs de la puissance militaire, stratégique et économique est au fondement de la mise en valeur de cette “mêmeté“. Le vocabulaire courant en parle en termes d’« adoption » [6], il s’agirait d’adopter les technologies ! Les moyens triviaux de la propagande s’adressent à nous au niveau des sentiments et des affects les plus courants : relations personnelles, sexualité, plaisir, famille. C’est le monde du travail qui est le premier vecteur de vulgarisation des concepts véhiculés par la propagande de la “mêmeté“, les approches managériales tendent à en faire une politique mondialisée, celle qui est soutenue par les intérêts économiques du capitalisme.
Les recherches concernant l’Homme sont centrées sur son cerveau. Il est comportemental et organisé de façon complexe. Issue de la cybernétique, la « complexité » contemporaine est devenue l’un des crédos du merveilleux, celui du Vivant, en tant qu système organisé. La complexité relève pourtant en première instance du politique, au niveau de ses modalités d’organisation justement. La complexité est devenue effective avec les premières formes-État [7], avec les nécessités de mesurer les productions céréalières de façon à calculer les taxes dues, celles de faire des guerres permettant de capturer de futurs esclaves rendus nécessaires du fait de la production céréalière intensive et de la construction d’infrastructures complexes. La complexité advient et croit avec le comptage des taxes et des “ressources humaines“ et nutritives disponibles. La question politique est celle de qui possède les moyens d’imposer l’autorité du comptage et du prélèvement.
« Vivre efficacement, c’est vivre avec une information adéquate » professait Wiener. Il s’intéressait aux relations entre des objets et leur environnement, c’est à dire à leurs comportements définis en tant que « modification d’une réalité par rapport à son environnement ». Plus près de nous, Edgard Morin professe que « le schème informationnel put être appliqué au fonctionnement même de la cellule, où l’ADN constitue une sorte de “programme” orientant et gouvernant les activités métaboliques. Ainsi la cellule pouvait être cybernétisée et l’élément clé de cette explication cybernétique se trouvait dans l’information. » [8] Le feedback d’informations, cette communication agissante entre systèmes, constitue, de nos jours, le paradigme de l’évolution. Darwin avait jeté des bases solides de la théorie de l’évolution, et les dérives politiques ultra libérales du Darwinisme-social sont connues.
« De Thomas Hobbes à John Locke, de Giambattista Vico à Lewis Henry Morgan, de Friedrich Engels à Herbert Spencer, d’Oswald Spengler aux implications socio-darwiniennes de l’évolution sociale en général, la séquence qui va des chasseurs-cueilleurs aux nomades puis aux agriculteurs (et de la horde primitive au village puis à la ville) constitue une doctrine établie. Il s’agit pratiquement d’une reprise du schéma évolutionniste cher à Jule César : d’abord le foyer domestique, puis la famille élargie, puis les tribus, les peuples, et enfin l’État (soit un peuple vivant sous des lois), avec Rome au sommet et les Celtes et les Germains à un échelon inférieur. […] Chaque étape est censée représenter un bond historique dans le sens du plus grand bien-être de l’humanité en termes de temps libre, de nutrition, d’espérance de vie, et plus généralement, d’une stabilité de l’existence qui aurait favorisé les arts domestiques et le progrès de la civilisation. » [9]
L’évolutionnisme est une doctrine téléologique : un cause engendre un effet en poursuivant un but déterminé. Fondé sur l’étude de phénomènes naturels, il s’agit également de l’idéologie du progrès, lequel se réaliserait par grandes étapes progressistes. Ramenée aux actions humaines, cette doctrine fait fi des choix politiques, de la désertion, des contournements, des variétés d’actions et de modes de vie. L’histoire contemporaine montre pourtant que la sédentarisation dans des villages ou des villes a existé et s’est perpétuée pendant des millénaires, en l’absence de la forme État. Des plantes ou des animaux avaient déjà été domestiqués alors que se pratiquaient tout à la fois des modes de vie sédentaire et nomade. Ces analyses montrent également que la forme État et le patriarcat vont de pair, l’État est, en lui-même, patriarcal et foncièrement non égalitaire [10]. On peut dégager les racines des idéologies évolutionnistes à partir de l’hégémonisme achevé de la forme État, lequel n’a que quatre siècles (« les deux derniers dixièmes du dernier pourcent de la vie politique de notre espèce » [11]).
Cependant, critiquer l’évolution en tant que telle peut aboutir à des paradoxes Trumpistes : les fondements scientifiques de l’évolution peuvent être remis en cause au profit de récits religieux et/ou obscurantistes, tout en menant à un scientisme radical (transhumanisme). Le progressisme n’en reste pas moins, comme on le sait, un crédo politique. Sous couvert de connaissances suprêmes sur l’espèce, il s’est donné les moyens d’une domination non seulement économique, mais aussi culturelle, notamment et en particulier pendant la période coloniale. Et le récit progressiste n’en a pas fini d’être efficace, en sorte que malgré les réfutations scientifiques, le processus soi-disant historique, 1/horde primitive, 2/village, 3/ville, reste dominant dans bien des esprits. On en retrouve des formes triviales dans les énoncés du type : « Mais comment une chose pareille est-elle encore possible en 2024 !? ». L’instrumentalisation de l’espérance par les crédos progressistes est sans doute l’une des dimensions politiques actuelles parmi les plus complexes.
Le souhait d’égalité fait pendant aux crédos progressistes surplombants (sans toutefois en éviter systématiquement les pièges possibles). Le souhait d’égalité est manifeste dans bien des pratiques contemporaines, on peut penser par exemple à la montée en puissance des mouvements féministes à travers le monde, ou au refus du mouvement des Gilets Jaunes de se doter de représentants.
Statistiques du comportement : l’agir efficace
Claude Shannon, qui rédigea avec Waren Weaver la Théorie mathématique de l’information (1948), a travaillé avec Norbert Wiener, la théorie de l’information et la cybernétique ont ainsi voyagé de conserve [12]. Shannon et Weaver ont donné une définition mathématique précise de l’information, elle « est une mesure de la réduction de l’incertitude. Elle est un signal avant d’être un code et n’a pas besoin d’être associée à une quelconque signification. L’information est conçue comme une forme pure, indépendamment de toute autre considération, elle se limite à exprimer la quantité d’ordre ou de structure dans un agencement matériel. » [13]
Ainsi traduite l’information est donc une quantité d’ordre, un mesure de la réduction de l’incertitude. Comme nous l’avons vu, c’est également ce qu’avançait Wiener à propos du feedback d’informations et de l’entropie [14]. On voit là fonctionner quelque chose de la magie des mots : quantifier l’ordre ! Être capable de mesurer l’incertitude ! Edgard Morin confirme : « Ainsi le propos de la complexité est-il, d’une part, de relier (contextualiser et globaliser) et, d’autre part, de relever le défi de l’incertitude. Comment ? Une première voie d’accès est celle que nous offrent “ les trois théories “celles de l’information, de la cybernétique et des systèmes. » Une magie des mots, réduite par ceux qui en usent et en ont les moyens économiques et médiatiques, à une rationalité déterministe. Car si l’information conçue en tant que signal est efficace, l’homogénéisation qu’elle produit n’est rien moins qu’entropique. Cette homogénéisation provient en première instance du fait que l’information est avant tout statistique, d’où le caractère de plus en plus exponentiel de sa collecte et de la taille des bases de données nécessaires. L’information se monnaye, devenue abstraite (mathématisable), elle se fait aussi liquide que l’argent.
La chose relève évidement d’un faux semblant : le codage informatique, et donc la pensée binaire (code 0 ou 1), est équivalent à la binarité du courant électrique. « C’est oui ou c’est non, je like ou je ne like pas. Mais comme le mathématicien et philosophe Oliver Rey l’a montré, les 0 et 1 du langage informatique ne sont pas des numéros ou des chiffres, mais des signes d’un code. On pourrait les remplacer par A et B ou ¤ et ‡. La substitution terminologique d’informatique par numérique (et par son équivalent anglais digital dans le monde anglophone) semble témoigner de la disponibilité des sociétés contemporaines à se laisser berner. Les machines électriques n’émettent pas de signes, mais des signaux. Le signal est un message codé dont la signification est définie à l’avance, de façon conventionnelle ou unilatérale » [15].
Ce codage ne relève pas d’un langage lexical et symbolique, et il ne cesse d’être toujours un peu plus statistique : en IA contemporaine, on peut formuler la question du langage en ces termes : « Le vecteur du concept ’appartement’ [-0.2, 0.3, -4.2, 5.1...] sera proche de celui de ’maison’ [-0.2, 0.3, -4.0, 5.1...]. La proximité sémantique n’est pas déduite d’une catégorisation symbolique, mais induite des voisinages statistiques entre tous les termes du corpus. » [16]
Le langage dit « naturel », celui des humains, est par ailleurs devenu transposable et lisible par des capacités informatiques de « traitement automatique du langage naturel (NLP) ». « Le NLP joue un rôle croissant dans les solutions d’entreprise destinées à rationaliser et automatiser les opérations métier, augmenter la productivité des employés et simplifier les processus métier. » De plus, une sorte de “retournement“ est d’actualité : un signal pourrait suffire, à termes, à décoder le langage parlé. En effet, le décodage des impulsions électriques du cerveau, telles qu’enregistrées par un électroencéphalogramme, commencent à “chanter” : « Des chercheurs de l’université de Berkeley sont parvenus à reconstituer une chanson des Pink Floyd, ’Another Brick in the Wall’, à partir de l’activité cérébrale de patients. » [17] Norbert Wiener avait défriché ce domaine : « Consacré à l’étude d’un système auto-organisateur spécifique dans lequel les phénomènes non linéaires jouent un rôle important, ce que je décris ici est ce que je crois se produire dans l’auto-organisation des électroencéphalogrammes ou des ondes cérébrales. Avant de pouvoir discuter de cette question de manière intelligente, je dois dire quelques mots sur ce que sont les ondes cérébrales et comment leur structure peut être soumise à un traitement mathématique précis. » [18] Les mathématiques sont efficaces en ce qu’elles sont, elles aussi, modélisables, nous l’avons vu avec par exemple les mathématiques bayésiennes chères à Stanislas Dehaene, elles modélisent « toute forme de croyance par un degré de crédibilité valant entre 0 et 1 » [19]
L’efficacité informationnelle est ainsi bouclée : le sens n’est pas utile, le codage suffit, il est d’autant plus performant qu’il est globalisant, donc statistique. Les mathématiques sont modélisables selon les lois du codage, et les capacités de calculs informatiques permettent de produire, par elles-mêmes, de nouvelles formules mathématiques, des algorithmes par exemple. Mais, « imaginez que l’espèce humaine ait développé un mode de communication à base de signaux chimiques, du même type que celui des fourmis, sans pouvoir représenter symboliquement des réalités absentes (passées, futures, spatialement éloignées ou purement fictives), aurait-elle développé des activités magico-religieuses, juridiques, esthétiques ou scientifiques ? » [20] Aurait-elle pu se doter d’une variété de conceptions culturelles et politiques, être autre chose qu’un Tout de l’espèce ?
En complément du langage réduit au signal et au codage, les “mots valises“ sont transposés en approche systémique. Un “mot valise“ est un Tout supérieur à la somme de ses parties, la « beauté », par exemple, peut être physique, morale, esthétique, etc., chacune de ses sous-catégories possédant ses sous-sous-catégories, de la même façon qu’un train est composé de wagons, dans chacun desquels il y a des valises, tandis que dans chacune d’entre elles il y une trousse de toilette, des vêtements, des chaussures, etc. D’un train unique aux milliers d’objets contenus dans les valises, nous venons de descendre quatre niveaux d’une arborescence :
Les modèles systémiques sont des représentations du fonctionnement de la nature où ils n’existent pas en tant que tels. Tout comme les “mots valises“, ils constituent en première instance des agencements taxonomiques hiérarchisés, ce que la définition systémique, « un Tout supérieur à la somme de ses parties », exprime d’entrée de jeu.
Le modélisme systémique et le langage informationnel sont au fondement des approches analogiques, Wiener, par exemple, comparait des comportements cérébraux, mécaniques (militaires), biologiques. Mais, la subjectivité humaine étant inaccessible, de façon à mener sa pure logique à terme, il s’est intéressé aux comportements humains visibles et prévisibles [21] (béhaviorisme). Les comportements se sont ainsi fait génériques et statistiques. Au même titre que les première écritures servaient au comptage des “ressources humaines“, aux rations alimentaires minimales pour maintenir celles-ci en état de travail, et au comptage des taxes [22], les comportements statistiques sont des outils de gouvernance. Dans un article daté de 1942, « Wiener a explicitement réuni la théorie des statistiques et des communications avec l’ingénierie des systèmes à haute puissance. […] Wiener a construit une théorie générale du lissage et de la prévision des “séries temporelles“, c’est-à-dire tout problème (y compris les questions économiques et politiques) exprimé sous la forme d’une série discrète de données. » [23]
Les statistiques ont à la fois un caractère évolutif et prédictif, ainsi, comme le professe l’Ipsos, tout le monde serait potentiellement prédictible, donc gouvernable (selon les canons de la gouvernance).
La codification et l’information statistique produisent un lissage du politique par la technique. On n’a en effet jamais vu une bactérie formuler des opinions. Et toute personne ayant fait un stage en communication l’aura vérifié : les opinions sont dommageables, ce sont des « bruits » dans la communication. Les opinions sont déclassées, seuls les faits comptes ; les récits (narrative), concoctés à base de faits statistiques, se font scientifiques et politiques. ChatGPT, notamment, se charge de populariser ces moyens statistiques, d’en faire une forme d’usage généralisé gratuit, au plus grand profit de ceux qui ont les moyens d’en faire une modalité de croissance de leurs portefeuilles (en particulier grâce à la vente de données…) tout en mettant bien des professions sur le carreaux.
Pour conclure sur la notion strictement réductrice et fourre-tout de comportement : avec la cybernétique, leur ressort est la rétroaction d’informations génériques. En effet, ce que Wiener nomme un comportement, c’est, dans un rapport dynamique avec un environnement, ce qui évolue grâce à la communication d’informations (mesurables, prédictives, statistiques). Et, pour Wiener, le champ des bienfaits cybernétiques est vaste : « la communication est le ciment de la société », ainsi, « le couplage des êtres humains en un système de communication plus grand est la base des phénomènes sociaux » [24]. Ambiguë sur la question des limites de la cybernétique, Wiener développe ses concepts philosophiques et politiques tout en tentant de nous mettre en garde, il s’inquiète, nous allons assister à un développement sans précédent du chômage et de l’exclusion sociale, et, qui sait, à l’effacement progressif de la démocratie. Il se pose en visionnaire : « De nos jours, avec l’avion, la radio ; la parole des gouvernants s’étend aux extrémités du globe et un grand nombre des raisons qui s’opposaient autrefois à l’existence d’un État mondial ont été annulées. » [25] Il fait des déclarations sur la responsabilité des scientifiques ou contre les utilisations militaires de la recherche, tout en admettant, qu’avec ses théories, des risques existent ; il s’en dédouane en mettant en joue les bureaucrates : « Si les humains sont standardisés et dominés non par des machines mais par des administrateurs aussi obtus que des machines, alors quelle différence ? » [26]
Wiener nous concevait donc comme menacés par une homogénéisation (entropie) administrative, mais de qui parle-t-il, des fonctionnaires, du management, de la recherche, de l’État ? Ce qui est certain, c’est que ses conceptions concernaient l’espèce Humaine, en tant que Tout. Fort préoccupé par sa renommée et par les puissances de sa pulsion de découverte, il produit des critiques générales qui se contentent de mettre en joue des imbéciles indifférenciés. D’autres ont eu plus de courage, Alexandre Grothendieck, par exemple, mathématicien de haut rang, sachant qu’il n’y avait pas d’autres possibilités que de bénéficier de financements délétères liés notamment au nucléaire, quitta la scène de la recherche.
Cognitivisme, coaching et formation
Comme évoqué dans un précédent article [27], peu après la crise du milieu des années 1970, la formation professionnelle des adultes a été scindée en deux grandes branches : celle dédiée à l’apprentissage des nouvelles techniques et processus, et, celle dédiée au développement personnel. Outre les formations purement logicielles, on peut rattacher tout ce qui a été décrit jusqu’ici à propos du feedback à la première branche, avec en particulier les formations qualité, celles dévolues aux managers et aux formateurs internes. Les formations correspondantes n’ont eu de cesse d’aborder le feedback, les notions de processus, d’évaluations, d’objectif et de projet. La branche développement personnel a quant à elle veillé, d’une part, à faire “digérer“ au mieux les rigueurs procédurale et les évolutions permanentes, d’autre part, à publiciser les approches procédurales. Ces approches ont été versées dans le domaine des relations humaines grâce en particulier aux formations psychologisantes cognitivistes. Par ailleurs, les innombrables formations à la communication et dérivés (techniques d’entretien, de vente, etc.) constituent une sorte de pont entre les deux branches : elles relèvent de techniques (raison pour laquelle elles ont été si fortement développées) et se sont attachées à vulgariser les approches psychologisantes cognitivistes typiques du développement personnel.
Les liens historiques entre la cybernétique et le cognitivisme serait trop longs à esquisser ici [28], mais dans ses traductions courantes, la notion de comportements humains – behavioristes à l’époque de Wiener, à présent cognitivistes – est au cœur du champ du développement personnel. Afin d’y atterrir rapidement, faisons une descente expresse depuis un concept cybernétique jusqu’à ses traductions cognitivistes contemporaines les plus triviales (il n’est pas nécessaire de chercher à tout comprendre :)
L’un des cybernéticiens les plus influents de la seconde cybernétique – celle qui fit évoluer la cybernétique du behaviorisme vers le cognitivisme – Heinz von Foerster, « était un penseur qui aimait provoquer la réflexion à partir d’idées-force à saveur paradoxale, ou parfois apparemment tautologiques. L’une de celles-ci fut le fameux principe d’“ordre par le bruit“ [order from noise principle], formulé dès 1960, et qui fut repris notamment par Henri Atlan dans sa théorie de l’auto-organisation. La thèse consiste à soutenir que le bruit qui s’introduit dans les systèmes auto-organisateurs engendre, en dernière analyse, moins de l’entropie qu’une réorganisation du système qui s’oriente vers de nouvelles finalités. La reprise contemporaine de ces idées dans les sciences cognitives apparaît sous la forme des “résonances stochastiques“ (Varela) » [29].
Dans le champ de la psychologie contemporaine cette notion se retrouve traduite dans des énoncés du type : « Conséquences de la diminution du gain stochastique : simulation des phénomènes du vieillissement comportemental […]. Dans des systèmes de traitement de l’information sensorielle, la résonance stochastique augmente la réponse en phase, favorisant la synchronisation de l’activité neuronale. Chez les humains, un niveau optimal de bruit ajouté de manière externe à des signaux affaiblis, peut améliorer la détection sensorielle tactile, le contrôle de l’équilibre et la perception visuelle. » [30]
On retrouve ainsi les résonances stochastiques dans des thérapies cognitives, en particulier celles dites EMDR : Intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, d’après l’anglais Eye Movement Desensitization and Reprocessing [31]. Ces thérapies s’intéressent notamment au traitement des « troubles de stress post traumatiques » (TSPT) ou à la perte d’estime de soi. Dans les descriptions les plus techniques de l’approche thérapeutique EMDR on peut lire, par exemple : « Il a été montré que l’application d’un signal stochastique (bruit) à un dispositif présentant des non-linéarités, comme un neurone, améliore ses performances » [32].
Et, pour en arriver aux traductions triviales de cette amélioration des performances neuronales : « Dans ce chapitre les auteurs nous présentent le protocole EMDR et les outils du coaching : Protocole “Partir du bon pied“ (Kinowski, 2003), le Protocole de performance optimale (Foster & Lendl, 1997) et le Protocole de développement et d’installation de ressources modifiées, (Fischer, 2001) » [33].
Se faire installer des ressources modifiées optimales par un coach est évidement toujours bon à prendre ! Voici donc ce que ce type de coach est capable de faire : « Bien que les définitions de coaching varient, la plupart suppose une relation de collaboration entre le coach et le coaché dans le but d’atteindre les résultats de développement professionnel ou personnel qui sont évalués par le coaché (Spence et Grant, 2007). En règle générale, les objectifs de coaching sont fixés afin de développer les capacités d’un individu ou sa performance actuelle. En substance, le processus de coaching facilite l’atteinte des objectifs en aidant les individus à identifier les résultats souhaités ; à établir des objectifs spécifiques [déclinaison des objectifs] ; à renforcer la motivation en identifiant les forces et le renforcement d’auto-efficacité ; identifier les ressources et formuler des plans d’action spécifiques ; surveiller et évaluer les progrès vers les objectifs ; et modifier les plans d’action en fonction des feedback. » [34] (À ce stade, inutile de faire toujours les mêmes commentaires, les mots en italiques parlent d’eux-mêmes, n’est-il pas ? [35])
Retraduite dans le champ des formations en groupe, l’auto-efficacité cognitive est incontournable et s’énonce par exemple comme suit dans un catalogue de formation (extrait) :
Soit un kit complet d’outils de gestion d’auto-capital cognitif.
Du développement personnel aux compétences comportementales
Malgré les injonctions itératives à innover, les nouveautés en matière de développement personnel sont pauvres. Après plus de trente ans d’innombrables formations à la « gestion du stress » par exemple, en lien avec les évolutions des réseaux de neurones (années 2000), donc également avec celles des neurosciences et du cognitivisme, le champ des émotions est venu opportunément ouvrir une brèche dans la morosité des offres de formations (courant des années 2010). Les objectifs généraux cités plus haut nous montrent que cette nouveauté consiste à lier la prise de décision avec les émotions, ceci dans un contexte où la prise de décision individuelle comporterait des pièges que les formations entendent résoudre et réguler ! (On y revient).
Si les formations au développement personnel abordent fréquemment le thème des sentiments, le champ des émotions est, comme nous le verrons, beaucoup plus outillé et précis. Il a rapidement trouvé des traductions adressées aux parents : « 25 outils et méthodes pour la gestion des émotions des enfants » [36]. Cette “révolution“ a conduit le champ du développement personnel à être fréquemment renommé softskills ou compétences comportementales : « Par opposition aux hardskills - compétences “dures“ ou techniques -, les softskills sont des compétences comportementales ou savoir-être. Elles sont l’ensemble des aptitudes relationnelles, situationnelles et émotionnelles qui permettent à l’entreprise et aux personnes de faire face à la complexité et à l’imprévisibilité du monde qui les entoure. » Les arguments de vente concernant ces formations “new age“ ont été reformulés, ils relèvent à présent de l’injonction à l’excellence : « L’évolution des modes d’organisation du travail élargit l’éventail des compétences comportementales nécessaires à chacun et accroit le niveau de maîtrise exigé. » [37] Ces affirmations quelque peu autoritaires relèvent notamment du fait, qu’à la fin des années 2010, le champ de la Formation, dans son ensemble, a été redéfini par l’ISO [38] en ces termes : « Gestion des compétences et développement des personnes » [39]. Les émotions relèvent à présent, comme l’ensemble des dimensions comportementales, de compétences cognitives qui se doivent d’être maîtrisées par toustes.
Le développement personnel en lui-même
Les formations au « développement personnel » se sont imposées dans ces termes au tournant des années 1970, les formations correspondantes continuent bien sûr à alimenter très largement le marché actuel de la formation. Le développement personnel consiste notamment à faire travailler des grilles d’analyses comportementales cognitivistes. Via des tests ou des modèles, on va apprendre, d’une part à se situer en tant que personnalité spécifique – en fonction de critères que chaque approche psychologique propose –, d’autre part à identifier, selon les mêmes critères, les traits de personnalité des autres… l’outillage de la manipulation n’est donc pas loin, mais la chose est évidement ludique et radicalement humaniste puisqu’il s’agit d’être empathique et ouvert à la relation. On apprend également à réguler sa communication grâce à une variété de protocoles visant à s’affirmer (« Affirmation de soi »), à « Oser savoir dit non » (technique qui est enseignée en tant que telle), tout en s’en remettant à un tiers (formateur ou coach) détenteur des outils qui rendrons la communication plus performante et policée. Globalement rangées sous la valeur d’efficacité personnelle, ces formations enseignent également à optimiser ses capacités de mémoire, de vitesse de lecture, de « Gestion du temps », à s’apaiser et à se détendre, les conseils pouvant aller jusqu’à une bonne diététique et un bon sommeil, ou concerner le look.
« Faciliter le travail de mémorisation et développer ses capacités attentionnelles » [40]

Un autre domaine très développé est celui de la lutte active contre la « Résistance au changement », laquelle est l’objet de nombreuses formations destinées principalement aux cadres. Le ’petit personnel’, quant à lui, le personnel d’accueil par exemple (caissières, hôtesses, guichetiers, standardistes, etc.), lorsqu’il en reste, bénéficiera de formations, non pas au développement personnel, mais à l’accueil en tant que tel. On y retrouve les mêmes modèles comportementaux et cognitivistes en versions simplifiées et écourtées, soit des routines auxquelles les personnels d’accueil n’ont pas le loisir de déroger puisque, en ce qui les concerne, ces routines sont inscrites dans les logiques du contrôle formel lié à leur métier (dire bonjour à chaque client passant en caisse est obligatoire, des évaluations par de faux clients ont été faites, nul besoin d’y avoir recours trop souvent puisque le seul fait de savoir que ce type de contrôle est possible pousse à respecter la procédure).
En revanche, rien de tout cela ne concerne les personnels saisonniers, les ouvrières et ouvriers d’usine, du BTP, du nucléaire, des abattoirs etc., les intérimaires, les autoentrepreneurs, ni les personnes dites « sans-papiers » qui sont pourtant en première ligne dans les activités réputées vitales, telles que l’aide à la personne, la sécurité, le nettoyage, le ramassage et le tri des déchets etc. Les formations au développement personnel apparaissent ainsi, et quoi que l’on pense d’elles, comme un privilège. En tout état de cause, le fait que d’innombrables capitalistes, à travers la planète, aient investi dans le « Bien-être » des salariés pose question, et s’ils le font, c’est que cela doit nécessairement avoir une certaine efficacité. Or il semble que les grilles d’analyses psychologiques et les modèles de bonne communication n’aient, en eux-mêmes, que peu de résultats concrets. En particulier car ils peuvent être vite oubliés, notoirement dans les situations de tension. Comment, par exemple, se souvenir qu’il faut suivre le chemin Observation, Sentiment, Besoin, Demande (OSBD), tout en bannissant, à chaque étape, les champs lexicaux négatifs correspondants, et ceci alors même que l’on est en train de s’engueuler avec son supérieur ?
La chose se révèle plus compliquée qu’il n’y paraissait lors des quelques jeux de rôles pratiqués en formation. De plus, se souvenir, au long cours, et parmi une infinité d’autres, de l’acronyme OSBD… Le risque que ce soit plutôt OBSD qui vienne en tête au moment du pétage de plomb n’est pas négligeable et devrait être considéré.
L’OSBD est issu de la communication non violente (CNV), celle-ci est rarement nommée en entreprise, le terme pouvant renvoyer à quelques nostalgiques de Woodstock, il en existe donc des adaptations fort variées : FSBD, DEPA, DESC etc., certaines étant le fait d’une appropriation ’originale’ par quelque organisme de formation prétendant ainsi en être l’auteur. D’autres grilles de choix ou de bannissement de tel ou tel registre de vocabulaire sont légion, sans entrer dans les détails on citera par exemple les « Attitudes de Porter » ou les « Coups de pouce ». Mais l’on ne saurait réduire ces approches au seul tri du vocabulaire, il convient donc de les réintroduire dans le large champ de la « Métacommunication », laquelle professe qu’il est fondamental de valoriser la relation, et, donc : sa bonne ponctuation, l’écoute, l’empathie, l’expression des sentiments etc. Autant de notions qui seront travaillées en elles-mêmes.
L’efficacité réelle de ce type d’approche et, plus généralement, des formations au développement personnel, semble devoir reposer avant tout sur la routine conceptuelle qui s’y déploie sur le long terme (« formation tout au long de la vie ») avec d’infinis modèles comportementaux. Certaines personnes souhaitent bien sûr appliquer les modèles au mieux, soit par conviction, soit pour être efficaces, comme annoncé en permanence dans les programmes de formation. D’autre part, la pression de conformité ou, dans certains cas, la pression hiérarchique, ont également leur influence. Mais, d’une façon plus générale, et c’est sans doute le plus important, l’efficacité de ces formations tient au pouvoir d’attraction des modèles psychologisants, car découvrir des réponses à des questions profondes – qu’est-ce qui me caractérise en tant que personne, comment puis-je faire avec mes doutes et souffrances éventuelles, pourquoi est-ce que j’agis et réagis comme je le fais, comment faire avec les autres ? – exerce une attraction incontestable. À fortiori dans un contexte où les personnes sont d’autant plus en demande de repères, qu’elles sont potentiellement déstabilisées par les changements récurrents, par la perte de sens du travail, et par la précarisation de l’emploi. Ainsi, ce qui était vanté plus haut en tant que compétences qui « permettent à l’entreprise et aux personnes de faire face à la complexité et à l’imprévisibilité du monde qui les entoure » s’adresse en fait, de façon retorse, au for intérieur de très nombreuses personnes.
De plus, dans le contexte souvent anxiogène du travail, ce type de formations relève de l’exceptionnel : pas de productivité, pas d’efficacité demandée, il s’agit d’une parenthèse dans le quotidien professionnel. On s’y retrouve dans une ambiance détendue, en présence d’un inconnu à qui l’on ne doit rien, qui le plus souvent est empathique, voire charismatique. Or, lui doit vivre selon les préceptes qu’il est en train de démontrer puisqu’il les maîtrise au point d’être capable de les enseigner, et, d’en tirer des conclusions, voire même des preuves éclairantes, à l’issue de quelque jeu de rôle par exemple (il aura livré, au passage, quelques anecdotes toutes personnelles et édifiantes). S’identifier à une telle personne, voire s’en remettre à elle, réconforte et rassure. L’occasion est également rare de découvrir ses collègues sous un jour nouveau, de se divertir avec eux, de rire franchement et de partager des récits parfois intimes. Ces formations sont donc moins des espaces d’appropriation de techniques spécifiques, que des lieux de production de phénomènes d’adhésion. Elles sont ainsi avant tout des vecteurs d’acculturation, ou, dit plus positivement, d’élaboration d’une culture commune, que l’on retrouve à présent jusque dans les sphères privées et intimes.
Il va sans dire qu’il existe aussi des personnes réfractaires à ces approches, mais, râler dans de telles formations si chaleureuses, détendues et sympathiques, n’est ni le plus courant, ni le plus aisé.
À l’heure des formations à distance, il y a fort à parier que ces mêmes contenus de formation vont avoir un caractère de plus en plus contraint, formel et formatant.
Les classiques
Exception faite des personnes n’ayant pas accès au développement personnel, la France salariée a nécessairement, un jour ou l’autre, été formée à des préceptes qui sont devenus des sortes de dinosaures : le feedback (Communication), l’analyse transactionnelle (AT) et la programmation neurolinguistique (PNL), qui sont toujours très en vogue à l’heure actuelle.
Le feedback est compatible avec tous les métiers, il est enseigné en tant que :
- message de reconnaissance ou d’évaluation à ne pas oublier de formuler lors des entretiens, à un client , à ses subordonnés, etc.
- message notamment non verbal, perçu par l’interlocuteur (gestuelles etc.), qu’il convient de maîtriser, ce qui peut mener à des conseils précis sur les positions corporelles, à des exercices de respiration, à des conseils en « Gestion du stress », à des simulations vidéoscopées, etc.
Le schéma classique du feedback est généralement présenté visuellement, avec ses entrées et sorties : émetteur/récepteur.
Par ailleurs, l’expression « faire un feed-back » est devenue courante. La bonne gestion des mots et comportements étant d’importance, en particulier pour éviter les conflits comme nous l’avons vu, il convient de savoir choisir les bons registres de vocabulaire et les bonnes attitudes physiques. Ainsi le feedback n’est qu’un élément travaillé en tant que protocole général de communication dans des formations complétées par d’autres modèles comportementaux.
Souvent pudiquement rangées dans les techniques de communication, la programmation neurolinguistique (PNL) et l’analyse transactionnelle (AT) sont deux approches comportementales qui sont utilisées notamment dans les formations au développement personnel, à la communication, au management, aux techniques de vente, à la conduite de projet, au coaching, etc. On peut faire l’hypothèse qu’en France, 90% de la population ayant été formée des années 1980 à ce jour a entendu parler de PNL ou d’AT. Afin d’étayer cette affirmation – quantifiée de façon tout à fait aléatoire – l’exemple ci-dessus a été volontairement choisi dans un domaine inhabituel. Il émane du référentiel du Ministère de l’Éducation Nationale pour le « Brevet des métiers d’art : technicien en facture instrumentale. » [41]
La programmation neurolinguistique (PNL), en France, tout comme en Europe ou aux USA, a été l’objet de nombreux articles la dénonçant en tant qu’approche inefficace, voire nuisible, elle est par ailleurs l’objet d’une trentaine de livres allant dans ce même sens, certains étant écrit par des scientifiques reconnus. Elle n’en reste pas moins très utilisée, comme on peut le vérifier sur le site du plus gros organisme de formation continue français intervenant tant dans le public que dans le privé. [42]
La PNL nous vient de Richard Bandler et John Grinder deux américains co-auteurs d’un premier ouvrage : « The structure of magic. A book about langage and therapy ». Publié à Palo Alto en 1975, sa dithyrambique introduction a été rédigée par Gregory Bateson, l’un des cybernéticiens parmi les plus connus, notamment pour ses contributions aux thérapies systémiques de l’école de Palo Alto.
« La PNL est forgée sur divers courants d’approche holistique des années 1950 abordant les systèmes en contexte et dans leur complexité : La gestalt-thérapie au départ, mais aussi les courants issue des conférences Macy dont les thérapies brèves (thérapie systémique, familiales) et l’école de Palo Alto. La cybernétique formalise les concepts de cette approche avec des outils comme le feedback très utilisé en PNL, et de boite noire qui consiste à étudier ce qui est émis sans présumer des causes, autre base de la PNL. Cette parenté est renforcée au travers d’échanges avec l’anthropologue Gregory Bateson, le groupe interdisciplinaire issu des conférences Macy, dont Milton Erickson, et le « Projet Bateson ». Gregory Bateson explique ainsi l’avancée permise par la PNL, dans une préface du premier livre de Grinder et Bandler : « John Grinder et Richard Bandler ont réalisé quelque chose de similaire à ce que mes collègues et moi-même avons tenté de faire il y a 15 ans… Ils avaient des outils que nous n’avions pas ou que nous n’avons pas vu comment utiliser. Ils ont réussi à faire de la linguistique, une base pour la théorie et, en même temps un outil pour la thérapie. Cela leur donne un double contrôle sur les phénomènes psychiatriques et ils ont fait quelque chose que nous avons été stupides de rater. » [43]
Richard Bandler, mathématicien et psychologue, est par ailleurs l’inventeur du Design Human Engineering®, Charisma Enhancement®, Neuro-Hypnotic Repatterning® etc. Il est l’auteur de Recadrage : La programmation neurolinguistique et la transformation du sens (1983), La magie en action (1992), L’heure du changement (1993), L’ingénierie de la persuasion (1996), etc. John Grinder, quant à lui, est principalement linguiste. Son site personnel met notamment en avant le fait que « sa capacité à modéliser et à coder les performances des génies a eu une influence fondamentale sur le développement de la PNL » Grinder a ainsi étudié des génies de façon à dégager des sortes de recettes statistiques de la réussite, qu’il a traduites en modèles de comportements efficients destinés à “tous“. L’approche par modélisation est devenue la plus usitée en sciences, et en psychologie cognitive on parle notamment de pattern cognitif. Comme nous venons de le voir, on n’hésite pas à vendre du Repatterning humain. La linguistique, telle que conçue par la PNL notamment, devient quant à elle un outil qui se rapproche toujours un peu plus du langage dit “naturel“ des humains, celui qui est à présent automatisable (NLP).
La PNL s’est d’abord développée dans les pays anglo-saxons (États-Unis, Canada, Australie, Angleterre etc.). Vulgarisée en particulier via les gros cabinets de conseil et de formation, elle est à présent connue en Chine, Arabie, Amérique latine, Russie, Afrique, Europe. En France, la première formation certifiante, animée par l’Institut français de programmation neurolinguistique (IFPNL), a eu lieu en 1983. En 1990 était fondée, à Paris, la Fédération des associations francophones des certifiés en PNL (NLPNL), laquelle définit les standards de la certification destinée aux formateurs et aux consultants. Des organismes dédiés spécifiquement à la certification PNL et aux formations afférentes sont quant à eux certifiés Qualiopi, le label Étatique devenu obligatoire pour délivrer des formations. [44]
L’appellation Programmation Neuro Linguiste définit les grandes lignes de ce dont il s’agit :

Se prendre à la lettre pour un ordinateur semble pouvoir faire plaisir [45]. Grinder et Bandler ont fait de cette espérance en une efficience personnelle parfaite un succès presque planétaire, leurs financements et leur publicité leurs ont été fournis par les entreprises publiques et privées. À l’heure actuelle, la Cegos, le plus gros organisme de formation français, propose également sur son site, à l’entrée PNL, des formations : « Développer des solutions de traitement du langage naturel », qui sont destinées aux « ingénieurs IA, développeurs et architectes de solutions ». [46] PNL et NLP sont donc à présent sympathiquement associés.
La PNL propose toute une batterie de techniques, l’Ancrage, une technique de visualisation très utilisé dans le coaching sportif, le VAKO (Visuel, Auditif, Kinesthésique, Olfactif, Gustatif), les Métaprogrammes, ou encore le Recadrage, la Dissociation, la Synchronisation, et, plus récemment, des techniques concernant « le mouvement des yeux :

…Intérêt de repérer, grâce au mouvement des yeux, le système de représentation de votre interlocuteur. » [47] Cette approche provient de l’EMDR abordée plus haut (inutile d’insister sur le caractère manipulatoire des relations décrites dans cette citation).

La PNL s’appuie également sur la notion de « cerveau total », laquelle dérive de travaux initiés au XIXe siècle, qui stipulent que les cerveaux gauche et droit ont des fonctions spécifiques dont l’utilisation dépend des types de personnalités, à partir desquelles une thérapeutique peut s’élaborer. Cette approche était notamment utilisée par Paul Watzlawick (école de Palo Alto), mais de nombreuses réfutations neuroscientifiques assez récentes sont venues mettre à bas ces pseudo vérités. Elles ont été abondement relayées par la presse, des consultants-experts se sont donc empressés de conclure : « Les progrès des neurosciences vont nous amener à reconsidérer notre vocabulaire. Nous pouvons continuer à utiliser les termes de cerveaux gauche et droit comme nous parlons de cerveau reptilien, cerveau limbique... à condition de préciser qu’il s’agit d’un langage métaphorique. » [48] Des contenus visant à remettre les pendules à l’heure neuroscientifiques n’ont évidemment pas tardé à apparaître sur le marché, ainsi, des modules « Identifier les neuromythes », par exemple, sont à présent proposés en formation.
Cette présentation nécessairement inachevée de la PNL, qui renferme bien d’autres trésors, se conclura sur quelques courts extraits de sommaires de formations, parmi des milliers de possibles : « Démarche qualité : pour mettre les Hommes au cœur de cette démarche trop souvent administrative […] le déploiement des outils PNL permettra aux différents acteurs d’acquérir une véritable culture orientée vers la satisfaction des clients et la performance de l’entreprise. » Un autre organisme vous convaincra peut-être davantage en ces termes : « Les outils de la PNL, process communication et systémique permettent d’aborder des aspects spécifiques et complémentaires du fonctionnement de l’humain. » [49] Il semble fort que la PNL puisse également provoquer des engouements allant parfois jusqu’à la raison magicienne, à titre d’exemple, le site « Pratique de la multi dimensionnalité », parmi des explications sur le chamanisme, les tantras etc., nous alerte dès son introduction sur le sujet qui nous intéresse : « Nous avons retenu 3 concepts utilisés par la PNL, auxquels nous avons recours naturellement. Une remarque préalable s’impose bien évidemment, quoi que l’on puisse vouloir passer outre, on ne peut installer un nouveau comportement de la même manière qu’on installe un nouveau programme sur un ordinateur. » [50] La conclusion de cette alerte est, qu’évidement, vous allez avoir besoin d’un coach ou d’un psychologue affilié au site concerné pour vous guider dans les labyrinthes de la complexité. Mais en admettant que vous ne souhaitiez décidément pas vous inscrire à l’une ou l’autre de ces formations, reste les recours à « Femme actuelle », à « Psychologie magazine » (et assurement à bien d’autres encore) qui proposent des exercices de PNL à pratiquer à la maison. [51]
L’analyse transactionnelle (AT), quant à elle, est généralement présentée comme relevant des thérapies systémiques (École de Palo Alto). Il s’agit d’une approche psychologique développée au cours des années 1950 par le psychiatre Éric Berne (1910-1070). En 1962, avec un groupe de praticiens, il créé le Transactional Analysis Bulletin. En 1964, alors que l’AT remporte de francs succès, il crée l’International Transactional Analysis Association, laquelle nous explique ceci : « La théorie de Berne se compose de certains concepts clés que les praticiens utilisent pour aider les clients, les étudiants et les systèmes à analyser et à modifier les schémas d’interaction qui interfèrent avec la réalisation des aspirations de la vie. Au cours des 40 dernières années, la théorie de Berne a évolué pour inclure des applications dans le conseil, l’éducation, le développement organisationnel et la psychothérapie […] La spécialisation en conseil est choisie par des professionnels travaillant dans des contextes aussi divers que l’aide sociale, les soins de santé, la prévention, la médiation, la facilitation de processus, le travail multiculturel et les activités humanitaires, pour n’en citer que quelques-uns. L’analyse transactionnelle éducative est utilisée par des praticiens travaillant dans des centres de formation, des écoles maternelles, des écoles primaires et secondaires, des universités et des institutions qui préparent les enseignants et les formateurs, ainsi que pour aider les apprenants de tous âges à s’épanouir au sein de leurs familles, organisations et communautés. Les analystes transactionnels organisationnels travaillent dans ou pour des organisations en utilisant les concepts et les techniques de l’analyse transactionnelle pour évaluer les processus et les défis de développement d’une organisation ainsi que ses comportements dysfonctionnels. » [52]
Berne propose, avec l’Analyse transactionnelle, une simplification pragmatique de concepts systémiques et psychanalytiques, sont but étant de soigner efficacement et vite, comme c’est la cas, d’une façon générale, s’agissant des thérapies cognitives.
Si l’on résume les concepts clés de l’AT, il s’agit de scénarii à repérer, qui sont traduits en langage binaire : Je suis OK / Tu es OK — Je suis OK / Tu n’es pas OK , etc., lesquels ont débouché sur la formule à succès planétaires : « Gagnant/Gagnant ». On trouve également le « Coup de pouce », en particulier les signes de reconnaissance permettant d’exprimer de la reconnaissance et de stimuler ainsi les bonnes relations.
Les États du moi et Egogramme [53] :

Ces états reposent sur la personnalité générique des individus, laquelle est composée de trois "personnages" : parent, enfant, adulte, qui sont intériorisés au fil de l’histoire de chacun et à partir desquels nous sommes réputés interagir les uns avec les autres. Repérées à l’aide de tests, débouchant sur des statistiques, les « Transactions » sont les échanges de communication entre les états du moi des différentes personnes en présence, il s’agit d’étudier notamment leurs dysfonctionnements. Les « Scénario de vie » sont défini par Berne en tant que « plan de vie inconscient reposant sur des décisions prises dans l’enfance, renforcées par les parents, justifiées par les événements ultérieurs, aboutissant à une fin prévisible et choisie » Et puisque ces décisions peuvent déboucher sur des comportements dysfonctionnels, il va notamment s’agir de les reconnaître et d’évoluer vers des représentations plus positives. Certains comportementaux dysfonctionnels forment des « Jeux psychologiques » : ’Pourquoi pas toi, oui mais’, ’Maintenant je te tiens, espèce de salaud’, ’J’essaie seulement de t’aider’. Ces transactions répétitives visent principalement à gagner sur l’autre, mais renforcent les sentiments et les conceptions de soi négatifs. Il s’agit d’en sortir, notamment grâce à la connaissance du Triangle Dramatique de Karpman. [54]

Quatre sentiments priment en AT : la joie, la tristesse, la colère, la peur. L’enfant réprime parfois l’un de ces sentiments et le remplace par un autre qui est mieux accepté par son entourage ; trois modalités de ces transformations se nomment : l’élastique, le timbre, le racket, il s’agit de les reconnaître et de les dépasser. Enfin, sur la base de l’idée d’un « Contrat » mutuel de changement, et de celle d’autonomie des individus, il va s’agir de se fixer des objectifs personnels d’évolution positive.
En définitive, nul besoin d’avoir suivi une formation en PNL ou en AT, une simple formation à la communication, à la gestion du stress ou des conflits, à l’accueil, aux relations commerciales, au management, etc., suffisent à ce que des préceptes issus de ces deux méthodes soient largement diffusés (signe de reconnaissance conditionnel et inconditionnels, relation gagnant-gagnant, congruence corporelle, test et grilles comportementales, etc.) Mais puisqu’il serait question de conclure sur ces bestsellers, signalons qu’un incommensurable éventail de possibles a été omis dans cette description, il existe notamment des formations en Affirmation de soi, Process communication, MBTI, ennéagramme, développement de la résilience, assertivité, leadership et impact personnel, etc., etc.
Zenitude et Jeux

Tout juste effleurées ici car le sujet a déjà largement été abordé par ailleurs, les formations proposant des approches ’zénitude’ (relaxation et méditation) sont principalement corrélées à la gestion du stress et à l’épanouissement personnel. Des exercices de relaxation corporelle et psychique sont par ailleurs fréquemment proposés dans toutes sortes de formations à la conduite du changement, au management, à la prise de parole en public, etc.

Le jeu, quant à lui, renvoie de façon contemporaine à la théorie centrée sur les comportements économiques : la « Théorie des jeux », que l’on doit notamment à Von Neumann [56] et que l’on peut résumer avec cette phrase campant une partie d’un jeu de plateau : « L’adversaire agit selon certains principes universels de maximisation, mais le processus de pensée qui aboutit à un mouvement donné nous est caché. » [57] Le caché se doit évidemment d’être révélé au mieux, d’être modélisé et rendu opérationnel. Nous venons d’en voir une traduction avec les « jeux psychologiques » de l’Analyse transactionnelle (AT). Ce caché va être tout l’enjeu des théories de la motivation.
La face visible des comportements, relève, quant à elle, du plaisir du jeu enfantin, en particulier lorsqu’il s’agit d’y mesurer des performances et des points. C’est le soi-disant plaisir des « jeux de rôle », ou, si l’on est de la bonne catégorie sociale, les capacités à se dépasser au saut à l’élastique et autres activités ludo-sportives, qui ont rencontré de grands succès dans les séminaires cadres à compter des années 1990. Et, depuis le courant des années 2000, la « ludopédagogie » a fait son entrée de façon “démocratisée“ dans les formations en salle ou à distance. La ludification est une « application de mécanismes ludiques à ce qui ne relève pas du jeu. » [58] Elle a engendrée un ensemble conséquent de sous termes : gamification, serious games, escape games, etc. Allant des jeux de plateau, de cartes, aux jeux vidéo et quiz digitaux [59], ses derniers développements pédagogiques, forts coûteux et réservés aux “chanceux“, concernent la réalité augmentée et la réalité virtuelle. L’académie de Toulouse vente la ludopédagogie en ces termes : « Il n’y a qu’à constater le succès des escape games pédagogiques dans les nouvelles pratiques de classe pour se rendre compte que ces nouvelles approches pédagogiques s’installent peu à peu dans l’esprit des enseignants. » [60] La chose s’était d’abord « installée » dans le monde du travail et, avec le développement des formations à distance, cette approche s’est développée de façon extrêmement rapide. L’autoévaluation des compétences, l’approche par tests et par quiz, s’étaient répandue au cours des années 2000 dans les formations en salle, à présent le comptage de points de toutes sortes est effectif, tant dans les formations en salle qu’à distance. En ce qui concerne ces dernières, le contrôle des résultats aux tests, et du temps passé par les salariés sur les modules de formation, est l’une des fonctions des services de formation qui est en passe de devenir incontournable (ce contrôle peut également être délégué au prestataire qui fournira des résultats statistiques, mais aussi, bien souvent, nominatifs).
La ludification couvre un champ plus large que la seule pédagogie, l’approche est également utilisée pour les réseaux sociaux ou dans les pratiques de management. « Son but est d’augmenter l’acceptabilité et l’usage de ces applications en s’appuyant sur la prédisposition humaine au jeu […] La ludification doit permettre de motiver une équipe à atteindre ses objectifs. Ainsi, il ne s’agit pas d’une fin en soi mais de procédés à utiliser pour parvenir à ce but. » [61]
Rationnel ou pas rationnel ?
Si une description sommaire des contenus de formation en développement personnel montre assez en quoi une sorte d’automatisation des comportements efficaces est souhaitée, elle montre également que l’intimité des personnes est convoquée, et qu’elle est très activement brassée par le monde du travail. Et si l’on veut mieux comprendre cet engouement de l’économie pour l’intimité, il faut nécessairement en passer par les théories de la motivation, ce qui nous permettra de cerner pourquoi le champ des émotions a provoqué une évolution notable, depuis le « développement personnel » vers les « compétences comportementale », tout en resserrant la vis des compétences qu’il faut savoir maîtriser.
Comme nous allons le voir, la motivation, telle que conçue en entreprise, s’appuie sur la théorie des choix rationnels (TCR). Les « principes universels de maximisation » – cités plus haut à propos de la théorie des jeux – concernent l’Homme du choix rationnel : celui qui cherche à maximiser ses profits pour un moindre mal. C’est lui qui est au cœur des notions de « Capital humain » et de « Ressources humaines », autant de traductions de la notion d’homo œconomicus, qui fut au fondement de la théorie économique néo-classique chère au néolibéralisme. Cependant, cette idée selon laquelle nous recherchons à maximiser nos profits pour un moindre mal, qui est au cœur de la TCR, existe au moins depuis le XVIIIᵉ siècle et l’émergence des conceptions économique libérales (Ricardo et Smith).
De façon contemporaine, « le choix rationnel est depuis une vingtaine d’années le paradigme le plus représenté dans la science politique au niveau mondial. » [62] Cette approche a valu, en 2010, le prix Nobel d’économie au politiste Elinor Ostrom. Le modèle de prise de décision selon le choix rationnel (TCR) permet notamment l’étude des comportements économiques. L’agent économique (l’« auto » d’Hayek)) « vise à satisfaire ses préférences par des inférences logiquement, mathématiquement ou statistiquement correctes. Autrement dit, il raisonne correctement à partir des informations dont il dispose. » [63] Autant de valorisantes vérités que nous avons déjà rencontrées avec l’approche cybernétique et avec les théories de Dehaene sur le cerveau computationnel [64]. Comme l’indique cette citation, le comportement rationnel, tel qu’il est formalisé à l’heure actuel, repose en première instance sur « des postulats de base de la logique et des mathématiques » [65]. En effet, depuis l’époque d’Adam Smith, et même depuis celle de Wiener, des progrès conséquents ont été réalisés en matière d’analyses statistiques de nos calculs rationnels !
Reprise en particulier par la sociologie et la psychologie, l’approche TCR est fréquemment critiquée au sein de ces disciplines : « La raison pour laquelle l’action rationnelle a une force de séduction particulière en tant que base théorique est qu’il s’agit d’une conception de l’action qui rend inutile toute question supplémentaire. » [66]. « Il est vrai que, dès lors qu’on a expliqué que le sujet X a fait Y plutôt que Y’ parce qu’il lui paraissait plus avantageux du point de vue de ses objectifs de faire Y, l’explication est complète. Même si la biologie était capable de décrire les phénomènes électriques et chimiques qui accompagnent un processus de décision, cela n’ajouterait rien à l’explication. » [67] Cependant, nous avons vu que c’est précisément ce processus, et celui de l’apprentissage, qui ont été formalisés par la cybernétique, en s’appuyant justement sur la biologie, et c’est ainsi que le feedback, cher à Hayek, a trouvé d’innombrables traductions en management, en communication et en gouvernance.
Mais voilà que la rationalité mathématique des prises de décision a récemment commencé à être elle-même critiquée, et les critiques les plus fréquemment relayées par les médias, s’agissant de la TCR, sont celles des cognitivistes, car certains d’entre eux en sont sûrs, nous ne sommes pas si rationnels que cela : « L’individu est rationnel, tel est le postulat de la théorie classique en économie. Peu à peu cependant la psychologie et les sciences cognitives ont démontré que l’irrationnel était bien plus souvent au centre de nos décisions, expériences scientifiques à l’appui. […] Peut-on en effet balayer d’un revers de main l’influence de la pression sociale, de l’éducation ou encore de nos croyances lorsque l’on prend une décision ? Cette vision d’un acteur rationnel a-t-elle encore du sens aujourd’hui ? » [68]
Nous avons vu que les mathématiques bayésiennes chères à Stanislas Dehaene modélisent précisément les croyances, et, sans surprise, nous verrons que c’est justement le cognitivisme qui offre des outils opérationnels pour encadrer l’irrationalité : la question des émotions y est centrale.

Choix rationnels opérants
Le choix rationnel de base (il existe évidemment d’infinies subtilités et des débats à l’avenant) s’appuie en particulier sur l’approche Calcul Coûts/Bénéfices (CCB), laquelle préside à des décisions sophistiquées en recherche médicale (avantages/risques) ou en matière de santé publique (coût/efficacité), elle est également très utilisée dans les grandes ONG, en particulier pour les décisions opérationnelles. On la retrouve en entreprise, notamment dans la gestion des risques (bénéfices/risques) ou en management (coût/avantage). Cette approche binaire de la prise de décision trouve donc des traductions variées, la plus domestique étant l’analyse avantages/inconvénients.
Ce ratio CCB étant très utilisé en médecine et en santé publique, il était logiquement très présent dans les médias pendant la période du Covid. Lors du premier confinement, Christian Gollier, Directeur Général de la Toulouse School of Economics [69] nous indiquait que la notion de « valeur de la vie humaine », par exemple, est apparue aux États-Unis en 1950, lorsque s’est posée la question d’une éventuelle attaque nucléaire contre l’URSS. Des économistes avaient été mis à contribution par l’US Air Force, et, grâce aux premiers gros ordinateurs IBM, ces économistes avaient fait une proposition de plan d’attaque. Mais, celui-ci s’étant révélé trop coûteux en vies humaines possiblement perdues, les militaires, dans leur grande sagesse, décidèrent de ne pas le retenir. Dépités, les économistes durent se rendre à l’évidence, leur raisonnement était erroné car « dans leurs calculs d’optimisation, la fonction objectif était simplement de maximiser la probabilité d’atteindre le pays ennemi, dans la réalité, il fallait bien sûr tenir compte du nombre de décès que cela allait induire. » Les coûts avaient donc été oubliés, mais les économistes ayant pris bonne note, la notion de valeur de la vie humaine était née, laquelle est fort utile aux analyses CCB. Ainsi, comme nous l’expliquait Christian Gollier, à l’heure actuelle, en France, une vie humaine est estimée par l’État à trois millions d’euros. Et c’est cette valeur chiffrée qui entre dans les calculs ayant présidé, par exemple, à la décision du gouvernement actuel de faire passer la limitation de vitesse à 80 km/heure. Ceci, donc, selon le ratio CCB exprimé en : coût du temps perdu // gains en nombre de vies X €
The Moteur motivationnel… pose problème
La direction ne nous dit pas « tu n’es pas assez rentable » mais « tu n’es pas assez motivée ».
Les Grimm, Nous n’irons plus pointer chez Gaïa,Les éditions du bout de la ville (2017)
Le terme « motivation » provient de « movere » : se mouvoir. Tout comme les objectifs et les projets, la motivation relève de l’espérance, et ce qui est espéré est une réponse possible à une aspiration toute personnelle. Un individu motivé cherche donc une réponse fondée sur ses goûts intimes. Le plus souvent concrète, cette réponse peut être matérielle, esthétique, artistique, etc. Ce qui, traduit de façon plus rationnelle, donne ceci : la motivation est « ce qui déclenche l’activité, la dirige vers certains buts et la prolonge tant que ces buts ne sont pas atteints ». [70] Les caractéristiques essentielles de la motivation sont donc qu’« elle suscite le déclenchement de comportements, les dirige vers certains buts avec une certaine intensité. Enfin elle amène à persister jusqu’à l’atteinte des objectifs. ». [71] D’un point de vue marchand l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit des goûts individuels et des moyens de déclencher la prise de décision d’achat, c’est donc en particulier une préoccupation du marketing. En entreprise, il va s’agir de trouver comment capter les aspirations individuelles de façon à les canaliser au mieux dans le travail en lui-même, et, cela a été largement prouvé, une personne motivée travaille mieux : elle est persévérante dans l’atteinte de ses objectifs puisque ceux-ci correspondent à ses aspirations personnelles. La difficulté est, d’une part, que ces aspirations sont disparates d’un individu à l’autre, et, d’autre part, qu’elles peuvent entrer en contradiction avec les contraintes liées à l’exercice du travail… sauf, évidement, à ce que quelqu’un ait le pouvoir de définir les objectifs si bien mis en exergue dans les définitions citées, et que ce quelqu’un sache mettre l’huile de moteur nécessaire à la poursuite des objectifs finalisés par l’entreprise. Mais, dans ce cas, il s’agit de ce que l’on nomme couramment, non plus motiver, mais « stimuler », soit exactement ce qui a été défini pour la ludification managériale : son but est d’augmenter l’acceptabilité et l’usage en s’appuyant sur la prédisposition humaine au jeu, il ne s’agit pas d’une fin en soi mais de procédés. Les moyens qui sont alloués par l’économie comportementale à la stimulation sont extrêmement conséquents, comme nous allons pouvoir le constater dès à présent, mais nous reviendrons sur la stimulation en tant que notion centrale de l’article à suivre, puisque, en définitive, stimuler va s’avérer être le seul moyen effectif par lequel un tiers peut piloter le déclenchement et la mise en œuvre des objectifs de ses subordonnés.
Réjouissances CCB
Si l’on considère la variété des aspirations individuelles possibles, et en admettant qu’elles puissent être formalisées, les théories de la motivation devraient logiquement être infiniment variées. En fait, et comme en général dans le cadre de la formation continue, elles sont réduites, universelles et absolument simplistes. Elles se sont recyclées sans grands changements à travers les décennies, c’est dire que la pyramide du cher Maslow, né en 1908, qui définit les besoins humains en un graphe pyramidale hiérarchisé et 5 items [72], est toujours d’actualité dans les formations destinées aux managers [73], lesquels sont les principales personnes concernées par le thème de la motivation puisque c’est à eux que revient de motiver leur équipe. Mais rien ne sert de s’attarder trop longtemps sur l’antique édifice conceptuel de Maslow, car ses traductions concrètes sont pauvres : est-ce qu’il y a bien du chauffage dans les bureaux en hiver et de la clim en été, et si vous avez bien pensé à ce qu’il y ait de l’eau potable et une machine à café ? N’oubliez pas qu’un salaire équitable est chose d’importance, mais comme vous ne pouvez pas agir sur son montant, favorisez l’accès à la formation, sans oublier de renforcer l’esprit d’équipe. Et surtout, n’oubliez pas la reconnaissance, valorisez les résultats, faites-le publiquement si possible. Pour finir (sommet de la pyramide), aidez vos collaborateurs à atteindre leur plein potentiel.
J’ai été un peu vite en besogne en disant que les traductions concrètes de la pyramide de Maslow sont pauvres, car en fait, avec ce résumé, presque tout est dit. Et puisque les théories de la motivation sont universelles, quiconque serait muté aux Philippines devrait pouvoir s’en sortir. Mais la pyramide de Maslow se sera malgré tout révélée trop simple pour être pleinement opérationnelle, elle aura donc servi de rapide introduction, permettant ainsi au formateur de montrer qu’il a y de quoi dire, puis il s’empressera de passer aux choses sérieuses : la théorie du psychologue américain, Frederick Herzberg, né en 1923 [74] émane d’environ 200 enquêtes de terrain réalisées, en entreprise, sur la question de ce qui satisfait les personnes, ou qui leur cause du désagrément. (Herzberg ayant fait un tabac, passons sur les innombrables discussions remettant en cause la pertinence de ses analyses.)
Herzberg exposera les résultats statistiques de son enquête et les déductions théoriques auxquelles il aboutit dans Work and Nature of Man (1971), devenu un best-seller. Ses théories sont toujours utilisées à l’heure actuelle dans d’innombrables formations destinées aux managers de tous types d’organisations, c’est sans doute pourquoi Wikipédia professe qu’Herzberg « fait autorité dans le domaine de la théorie et de la pratique du management. Pour se faire comprendre, il présente une théorie : l’anthropologie de l’homme au travail, qu’il fonde sur l’analyse d’un double mythe, qu’il va baptiser le mythe d’Adam et le mythe d’Abraham.
Mythe d’Adam : il veut échapper à la souffrance et recherche ainsi tout ce qui va la réduire.
Mythe d’Abraham : lui est l’élu, Dieu l’a choisi et sa motivation est de réaliser sa destinée, d’accomplir ce pour quoi il a été choisi.
L’homme au travail est à la fois Adam et Abraham. Il recherche à souffrir le moins possible (fatigue, stress), mais également à s’épanouir, à se réaliser. » [75]
Le théorème universel qui s’en déduit est le suivant :
Motivation = satisfaction + absence d’insatisfaction.
Les envolées mythiques Adam/Abraham d’Herzberg semblent un brin superfétatoires, elles étaient cependant indispensables pour donner toute sa puissance à sa théorie, car, en digne représentant de son époque, Herzberg n’a fait que rationaliser, via des statistiques, de forts anciennes conceptions, on peut même se demander s’il n’a pas un jour fait une formation en TCR ? Comme dans tout calcul CCB, son approche motivationnelle se scinde en deux catégories : les « facteurs de satisfaction » qui favorisent l’épanouissement personnel, et les « facteurs « d’hygiène » (ou d’« insatisfaction » si l’on veut paraître moins old school) qui sont relatifs aux conditions et à l’ambiance de travail. Puisqu’il s’agit de résultats statistiques, les items sont classés du + au – important (haut vers le bas). Ici, ils sont présentés tels qu’en formation, c’est-à-dire sans classement statistique daté et, donc, selon le bon vouloir de chaque organisme de formation.
« L’avancement », qui était initialement proposé par Herzberg dans la colonne de droite, n’apparaît pas dans les approches françaises, on lui préfère la notion d’« évolution de carrière » : puisqu’on s’habitue à son salaire, en toute logique routinière, le salaire n’est pas motivant en lui-même ; de fait, il est classé dans les facteurs d’hygiène. Allons donc faire un tour dans la colonne de droite : faut-il vraiment songer à une augmentation, à une prime ? Ce n’est pas avéré, mais pourquoi pas, après tout. Puisqu’en somme l’argent compterait pour peu, les largesses d’une prime n’auront un effet motivant qu’à condition d’être des marques de reconnaissance. Si vous décidez d’en octroyer une à un collaborateur, il vous faudra donc insister avant tout sur les raisons valorisantes qui ont présidé à cette décision.
En fait, à bien y regarder, l’utilisation d’une telle théorie ne permet pas d’ajouter grand-chose à ce qu’une pyramide de Maslow permet d’argumenter concernant les motivations universelles. Pourquoi donc Herzberg a-t-il rencontré un si franc succès, jamais démenti jusqu’à ce jour ? D’une part, car, pour lui, il ne suffit pas de combler des besoins, comme le suggérerait benoîtement la théorie de Maslow, besoins qu’un employeur ne saurait de toute façon satisfaire. Ce dont il est question, c’est d’agir concrètement sur des facteurs psychologiques. Une voie royale va ainsi s’ouvrir pour aborder toutes sortes d’outillages psychologisants, ce en quoi la théorie d’Herzberg constitue une sorte de soubassement fondamental du champ du « développement personnel ».
Au plan plus concret, le succès de son approche réside dans la possibilité qu’elle a offert de scinder la motivation de façon binaire et de la critériser (items). Ce qui ouvre sur la possibilité opérationnelle de conduire des évaluations individuelles, et, lors de celles-ci, de focaliser l’attention sur ce qui va être requalifié en motivateurs, soit la colonne de droite renommée en tant qu’elle constituerait, à elle seule, une recette efficace pour motiver. Enfin, cette approche est statistique, or le protocole d’étude initié par Herzberg est reconduit périodiquement, les statistiques sont donc mises à jour et, régulièrement actualisée, cette théorie objectivée par des résultats quantifiés en devient presque indiscutable.
Les statistiques, à ma connaissance, ont toujours montré que les motivators (voir encadré) seraient plus importants pour les salariés que les facteurs d’hygiène (c’est précisément ce qui est contesté par des chercheurs, qui montrent d’importants biais de questionnement). Maslow et sa pyramide, qui prétendent que les besoins bassement physiologiques et de sécurité sont au fondement de tout, sont supplantés par des dimensions labiles psychologisantes, et par la possibilité qu’un argument bien senti convainque les managers que ce qui compte, pour leurs collaborateurs, ce sont les bénéfices, bien plus que les coûts. C’est du reste ce que relayent les spécialistes : « Si agir sur les facteurs d’hygiène - et donc limiter les insatisfactions sans trop toucher à la structure organisationnelle de l’entreprise - n’a souvent qu’un impact sur le court terme, améliorer les facteurs de motivation (moteurs) est une option qui, elle, a un effet plus durable dans le temps. » [76] Les « motivateurs » deviennent au passage des moteurs, l’essence de la motivation a donc enfin été trouvée !
Réjouissances objectives
Il convient d’ajouter à Maslow et Herzberg, l’incontournable théorie de la motivation par la fixation d’objectifs, des psychologues Edwin A. Locke et Gary Latham. Cette théorie est celle qui a permis de démontrer qu’un objectif finalisé est motivant, ce que les formations au management ne cessent de marteler en complément des subtilités avancées par Herzberg. Très pragmatiquement, cette approche est supposée permettre rien moins que de « définir des objectifs efficaces » : « En 1968, après de nombreuses recherches, E. Locke, psychologue des organisations, a développé une théorie mettant en exergue les liens existants entre les objectifs et la motivation des collaborateurs. » Passons sur les vérités définitives attestées par ces recherches, mais sans oublier celle-ci : un objectif se doit, quoi qu’il arrive, de répondre à des critères de Clarté, Simplicité, Défi, Engagement, Feedback. Cette théorie trouve une traduction fort courante, en France, avec les objectifs SMART : Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes, Temporellement définis.
Réjouissances émotionnelles
Les trois théories vues jusqu’ici ont longtemps suffi à faire le tour de la question de la motivation, elles sont toujours largement utilisées auprès des managers. Les conceptions plus “new age“ sont bien évidement basées, elles aussi, sur la recherche de ce qui met un individu en mouvement… le sport et le management sont devenus des sortes de miroirs mutuels pour l’efficacité comportementales. Les moyens d’action se font, quant à eux, encore plus intimistes qu’avec les théories assez générales concernant les sentiments : « Selon Thierry Paulmier, inventeur du modèle d’intelligence émotionnelle « homo emoticus », la motivation procéderait de nos émotions – notons que les mots émotion et motivation possèdent la même étymologie. T. Paulmier en identifie particulièrement quatre, plus ou moins positives et associées à des facteurs endogènes et exogènes [interne ou externe à la personne] entremêlés :
- La peur
- L’envie
- L’admiration
- La gratitude
Comme l’ajoute l’auteure, ces quatre émotions feraient naître un certain état d’esprit correspondant à quatre types d’Hommes au travail : « L’esclave pour la peur, le mercenaire pour l’envie, l’artisan pour l’admiration et le volontaire pour la gratitude […] Si l’on se réfère aux études que nous avons citées et aux théories que nous avons rappelées, avoir un coach, une vision extérieure professionnelle des capacités du sportif, représente un atout, lui permettant d’évaluer ses aptitudes afin de se fixer des objectifs SMART (pour spécifiques, mesurables, acceptables, réalistes et temporellement définis). Quelles que soient les croyances que l’individu a dans son potentiel, voire, quel que soit son potentiel réel, l’entraîneur va aussi l’aider à monter en puissance à une cadence raisonnable et ne pas l’exposer à un effondrement de confiance pour avoir brûlé les étapes. » [77]
Ce qui jusque-là, avec Herzberg, plaçait les discussions sur un plan presque rationnel mais inégalitaire, met à présent le manager-coach – terminologie de plus en plus employée en entreprise – en position de piloter rationnellement l’irrationnel de ses subordonnés : leurs croyances. Et ceci, en jouant sur une réorientation des émotions des subordonnés, la visée étant de les guider vers la rationalité : la capacité à se fixer eux-mêmes leurs objectifs finalisés. Le manager-coach devient une sorte de producteur de rationalité. On ne parle évidemment pas de manipulation, mais d’art de l’adaptation : « Là aussi, rappelons ce que nous avons dit plus tôt : amener une contrainte pour obtenir une réponse adaptative représente le cheminement vers l’atteinte des objectifs. » [78]
Les théories cognitives posent que la contrainte faite à l’humain par les nécessités relevant du règne naturel (se nourrir, se défendre, etc.) sont le principal “moteur“ de l’évolution, laquelle serait par essence adaptative, comme le professait également Wiener. Ici, le coach, qui définit les contraintes, devient l’équivalent d’un phénomène naturel ! Et sa place, quasi magique, est rendue vitale pour le sportif et pour ses pairs : « En sport comme en management, comme le soulignait fort justement Paracelse (1493-1541) médecin, philosophe et alchimiste : “Tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison ou l’hormèse (l’effet positif)“. C’est ce principe qui va éviter à un athlète de se “cramer“ ou à un salarié de foncer tout droit vers le burn-out. » [79]
Un coach-manager éclairés semble donc irrémédiablement nécessaires au bon guidage et au contrôle des « montées en puissance » individuelles, car assurément, les croyances de l’individu sont floues et ses émotions possiblement dangereuses, son coach est donc un sauveur providentiel contre les feux de l’enfer ! Inutile de préciser qu’il s’agit là d’une figure parentale extrêmement charpentée, bien plus encore que celle qui présidait aux entretiens d’évaluation de type CCB (Herzberg). Ici, il ne s’agit plus d’un dialogue inégalitaire sur le montant de l’argent de poche et sur les progrès que doit faire un adolescent, mais bien d’un procédé d’encadrement de sa libido et de sa santé physique et mentale (montée en puissance, médication alchimiste, risques de burn-out). Les pouvoirs potentiels, et, dans le même temps, les responsabilités que doivent assumer les managers vis-à-vis de leur propre hiérarchie, en sont presque exorbitants, mais que ne ferait-on pas pour activer le moteur des objectifs !
Bon sang, mais c’est bien sûr !
On comprendra mieux l’engouement actuel pour la question de l’irrationalité (croyances et émotions) si l’on considère que « certains travaux, issus de la finance, du marketing, mais aussi de l’économie et du droit décrivent de quelle façon les émotions peuvent induire des biais sur les décisions. Le courant de la finance comportementale s’est constitué à l’origine pour expliquer les anomalies de marché […] les investisseurs adopteraient des comportements déviants [non conformes à la TCR] tels que la difficulté à réaliser leurs pertes. Par conséquent, les biais, notamment émotionnels, conduisent les investisseurs, et plus généralement les individus, à s’écarter de la décision optimale fondée sur une rationalité substantielle. Ainsi, la littérature en économie et management met l’accent sur le rôle néfaste des émotions ; celles-ci induisent des biais qui constituent une source d’inefficience […] Les travaux issus de la psychologie et de la neurobiologie mettent également en évidence le rôle négatif des émotions. Il existe plus de cent cinquante théories qui se sont intéressées, en psychologie, aux relations entre émotions et décisions. Les modèles traditionnels de prise de décision en situation de risque ou d’incertitude se sont principalement centrés sur les aspects cognitifs du traitement de l’information (par exemple Von Neumann-Morgenstern, 1947). Des recherches plus récentes ont introduit le concept d’intelligence émotionnelle qui met en avant le rôle des capacités émotionnelles et non seulement cognitives dans le développement de l’intelligence. » [80]
L’extrait cité nous montre en quoi l’irrationalité des émotions s’est invitée dans les débats, notamment en finance comportementale. Lesquelles émotions sont à présent analysées par « la psychologie cognitive, qui étudie les processus de la pensée à l’aide des outils de la psychologie scientifique expérimentale. [Elle] a longtemps ignoré l’influence des affects, émotions et humeurs. Quelques raisons peuvent expliquer cet intérêt tardif. Les ordinateurs n’ont pas d’émotions (enfin, pas encore, au moment d’écrire ces lignes). Or l’ordinateur a servi de modèle de base pour guider l’étude des processus cognitifs humains. L’avènement de l’ordinateur, comme outil mais aussi comme métaphore, a fourni un vocabulaire et une taxonomie pour décrire les processus cognitifs. » [81]
La cybernétique version années 1940-60 a rencontré, avec les théories économiques, ses limites. Mais qu’à cela ne tienne, les avancées contemporaines en biologie du comportement, en neurosciences et en psychologie cognitive ont levé le lièvre : pour mettre en mouvement les processus de prise de décision, il convient d’outiller l’irrationnel : les croyances et les émotions, ce “caché“ qui serait enfin révélé par la science. Selon l’exemple déjà vu, cela se traduit comme suit en entreprise :
On voit qu’évidement, le rationnel cognitif procédurier (objectifs, cotation, jeux à points) n’a pas pour autant déserté la partie.
On ne peut s’empêcher d’en conclure que la « complexité » siège là : dans les injonctions contradictoires, et, dans l’émiettement du sensible en processus d’auto-gestion toujours plus précis, invasifs et pléthoriques. Nous avons vu que l’autogestion n’est pas seule à jouer cette partie puisque le contrôleur (manager-coach) y gagne en puissance, celle de gérer l’irrationnel des tiers qu’il encadre.
Pour clore cette première étape d’investigation éco-managériale, voici un petit retour sur les premières heures de gloire du néolibéralisme : celles du développement massif du développement personnel, mais également du mouvement étudiant contre les lois Devaquet et sa répression, qui eut pour conséquence la mort de Malik Oussekine (1986).
Les lascars du L.E.P. électronique [82]
ÉTUDIANTS, si vous critiquez seulement la loi « 2 caquets » et
pas l’université, vous vous battrez seuls et la loi passera d’un coup
ou par petits bouts, VOUS L’AUREZ DANS L’CUL ! Et, si par hasard
elle ne passait pas, alors tout serait comme avant et la moitié d’entre
vous se retrouverait dans les bureaux, VOS usines aseptisées.
ÉTUDIANTS c’est vous qui êtes appelés à gérer cette société et
nous à la produire.
SI VOUS BOUGEZ, SI NOUS BOUGEONS,
TOUT PEUT BOUGER.
Mais si vous voulez seulement jouer les « apprentis Tapie », si vous
voulez seulement gérer loyalement cette société et devenir à moin-
dres frais, éducateurs, assistantes sociales, animateurs, inspecteurs
du travail, cadres, sociologues, psychologues, journalistes, directeurs
du personnel ; pour demain nous éduquer, nous assister, nous ani-
mer, nous inspecter, nous informer, nous diriger, nous faire bosser…
ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE !
Mais si vous voulez, pour commencer, critiquer le système
scolaire qui nous exclut, et vous abaisse, si vous voulez lutter avec
nous, contre la ségrégation sociale, contre la misère, la vôtre et la
nôtre, alors…
FRÈRES, AVEC NOUS,
ON VOUS AIME !!
À suivre… Quelques considérations sur l’économie professionnelle du plaisir et du contrôle.
Amitiés
Natalie
Vous aimez ou au moins lisez lundimatin et vous souhaitez pouvoir continuer ? Ca tombe bien, pour fêter nos dix années d’existence, nous lançons une grande campagne de financement. Pour nous aider et nous encourager, C’est par ici.