De la précarité

« On veut pouvoir pleurer, rire et s’aimer et surtout ne plus jamais avoir à s’immoler. »

paru dans lundimatin#218, le 25 novembre 2019

Le vendredi 8 novembre, un étudiant 22 ans s’est immolé par le feu devant le CROUS de Lyon. Il est toujours actuellement plongé dans un coma artificiel.

Rapidement, des étudiants se sont mobilisés, notamment à Paris et Lyon, en soutien et pour dénoncer la précarité. Il s’agissait aussi de continuer de porter le message de cet étudiant, qui voulait viser « un lieu politique du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ». La mobilisation se poursuit. Des actions et manifestations sont encore prévues cette semaine.

Nous publions ce lundi ce poème.

La précarité tue. Et tout brûle encore. Vos routes, vos bâtiments, vos
symboles de pouvoir et nos corps.

Car on étouffe, on manque d’air. On s’asphyxie de votre austérité, de
vos mesures politiques, de vos coupes budgétaires, de vos gaz
lacrymogènes. On crève du nouveau monde, de son autorité drapée dans un
costume de velours, de sa matraque feutrée, de son horizon plus noir que
le feu d’une barricade. On vomit ses start-ups, son exploitation
d’auto-entrepreneurs, ses morts du travail, ses plans de carrières
épuisants et vides, ses métropoles lisses, ses désirs virtuelles, son
self-contrôle et ses uniformes.

Tout se fissure et on attend avec impatience le grand séisme qui viendra
tout bazarder. Renverser ce monde minable qui transforme un étudiant en
brasier de colère. Qui éborgne et mutile. Qui tue crânement l’enfance
d’un quartier, ou plus insidieusement dans les couloirs vides d’une
école tard la nuit.

On débecte vos lois travail, vos parcoursup, vos réformes des retraites,
vos expulsions, vos contrôles au faciès, votre état d’urgence. On crache
sur vos partis, vos éditorialistes fascisants et vos indignations de
circonstance. Sur votre monde aussi pathétique qu’un plateau de Cnews.
Sur vos institutions de contrôles, sur votre traque des chômeurs, sur
vos réflexes racistes.

On est devenu allergique aux uniformes, allergique à votre autorité
merdique. On est fatigué de vos effets de langage, de votre habitude
malsaine à vous dédouaner, de vos spécialistes en communication. On en
est à se demander qui ose encore vous prendre au sérieux.

Qui s’étonne encore des tirs de mortiers et des guerres au palais. Qui
s’étonne encore des Fouquet’s incendié, des arcs de triomphes saccagés,
des portes de ministères enfoncés. Quoi d’étonnant devant tant
d’obscénité.

Nos désirs sont des marées jaunes fluorescentes, des Champs-Elysées
vivants, des universités bloquées, des resto U autogérés, des cortèges
de tête et des communes en forme de ronds-points. On se laissera pas
crever d’ennuis, de précarité et de désespoirs. On veut des vies riches
et exaltantes. On bousculera vos présidences la rage au ventre. Et nos
grèves viendront éteindre votre normalité morbide.

La précarité tue. Et du Chili au Liban la rue secoue les tyrans. Partout
on se jette dehors avec le diable au corps. Partout on s’engage, on
s’enrage, on s’enjaille. Et les balles sifflent et les corps tombent et
les corps brûlent. Consumés. Et la goutte d’eau devient torrent et
l’intelligence collective se fraie un chemin à l’assaut du ciel.

On veut tout maintenant. Le feu et la joie. On a déjà trop attendu de
cette société malade qui convulse depuis tant d’années déjà. On cédera
pas au chantage ni à la peur ni à la déprime. On prend le risque de tout
renverser et de regarder ce qu’il y a derrière. On a fini d’attendre
les royaumes célestes et les grands soirs. On veut des aubes
incandescentes. On veut pouvoir pleurer, rire et s’aimer et surtout ne
plus jamais avoir à s’immoler.

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