De l’air !

Par un bureaucrate syndical sans moustache

paru dans lundimatin#103, le 9 mai 2017

“L’espace est bon pour l’âme :
cela élargit l’horizon et l’esprit s’aère.”
Charlie Chaplin

Pour que rien ne change...

L’élection de Macron à la présidence de la république sera peut-être le sommet paroxystique de la crise politique, sociale et écologique dans laquelle nous sommes depuis des années. Cet homme est par contre définitivement bel et bien le symbole de la virtualité de celles et ceux qui se succèdent pour prétendre nous représenter. Il est de ceux qui ne sont dans les faits que des marionnettes plus ou moins bien articulées d’une finance qui marchandise pour le profit de quelques uns l’ensemble de nos vies et les enferme dans les espaces étroits et connexes de la consommation et de l’individualisation.

Hollande aura ainsi réussi au bout de son quinquennat à faire naître une créature hybride, fusion d’un banquier-énarque avec une poupée Mattel évangéliste, dans le seul objectif de faire survivre sa ligne politique dans un terrible acharnement thérapeutique. Autour de son berceau, les rois-mages Attali, Minc et Orsenna déposent en offrande une politique libérale-sécuritaire, tout juste repeinte en pastel, qui ne tiendra sa victoire que sur le pire, la peur, la culpabilité, le chantage. D’où l’inéluctabilité de l’effondrement ultime de ce sinistre bricolage qui suivra, l’instant d’après car dans cette prise d’otage mainte fois répétée le syndrome de Stockholm ne fonctionnera plus bien longtemps...

Qui, quand, comment ?

Dans cette situation favorable pour nos idées, celles du progrès, de la mise en commun, de la douce chaleur de la fraternité humaine, de l’émancipation et de l’égalité, tout semble aujourd’hui si simple, si évident, si nécessaire que le rendre accessible en devient terriblement compliqué. Le meccano libéral a réussi au fil du temps à plus s’appuyer sur nos faiblesses que sur ses propres forces pour continuer à nous gouverner. Ces faiblesses nous conduisent à chaque instant à construire des petits fortins desquels nous lançons des vains assauts contre les autres mêmes fragiles constructions sous des prétextes futiles et en oubliant ce qui nous est commun… Autour de ces bâtisses en équilibre instable, les manipulateurs des marionnettes ont construit eux aussi des murs en faisant évoluer les outils capitalistes dans les lieus de travail et en dehors.

Entre ces murs, plus durs à effondrer que bien d’autres par leur caractère virtuel ou consanguin, les syndicalistes tentent depuis des années d’ouvrir des fronts, de construire des pistes, avec plus ou moins de réussite, afin de construire des luttes pour la transformation sociale. Sur la fresque de l’épopée de celles-ci se dressent l’hiver 1995, le long conflit des retraites de 2003, la bataille du CPE de 2006, celle des retraites de 2010 et enfin contre la loi travail en 2016. A chacune de ces batailles, nous avons su mettre en commun, par les actes, par les paroles partagées dans les manifestations, sur les piquets de grève et dans les actions de blocages, nos aspirations collectives.

Des espaces communs

A chacune de ces luttes, reste le souvenir d’une capacité commune à ouvrir des espaces qui furent des points d’appui, des outils pour ouvrir fugacement des perspectives dans ces temps incertains.

Pendant la bataille des retraites de 2010, ce fut la construction d’une mise en autonomie du cadre national d’un certain nombre de luttes dans des communes qui permis l’ouverture de ces espaces. A Rennes, Toulouse, Nantes, Lille ou bien Le Havre, pour prendre quelques exemples symboliques, ils s’installèrent, au-delà du seul cercle des militants syndicaux. Ils permirent souvent d’être à l’origine ou au soutien de grèves reconductibles et d’actions de blocage sur des points stratégiques. Par la suite, dans nombre de ces communes ces espaces communs surent perdurer, évoluer, se modifier et on a pu les retrouver pendant le conflit contre la loi travail ou contre l’aéroport de Notre Dame Des Landes.

Dans le même temps de nouveaux espaces se sont créés, comme ceux autour des nuits debout. Ils ont permis, avec leurs limites, comme par exemple celle de leur impossibilité à s’ancrer sur des espaces physiques pérennes, contrairement aux ZAD, à des individus, des collectifs, des organisations de se croiser, de se connaître, de se parler. Bien entendu, comme toujours, quelques petits fortins ont tenté d’envoyer un ou deux bardes entonner quelques vieilles rengaines et ont cherché à recruter pour venir tenir leurs maigres murs et sans chercher à construire des liens, à construire du commun. Une autre limite de ces nuits debout fut celui de rester ancrer sur des espaces restreints et, du coup, de se transformer elles aussi en petits fortins au fil des semaines, bientôt désagrégés.

Les espaces d’après

Ce qui fera notre force et notre capacité collective à agir dans les semaines et mois qui viennent, c’est la volonté que nous mettrons les uns et les autres pour quitter nos fortins et proposer des espaces communs. Des liens parfois improbables et souvent souterrains se sont déjà construits, à travers chacune de ses luttes et bien d’autres. La belle ondulation collective des cortèges du printemps 2016 a souvent permis l’expression de différentes formes et modalités d’actions sur des objectifs communs. Ces énergies si puissamment déployées ne doivent pas se perdre ou être enfermées, ni comme un objet sacré enjeu d’une improbable quête, ni comme le bien exclusif d’une de nos forces se l’accaparant, ni dans la répétition impuissante d’une gestuelle guerrière.

Des graines sont semées, il faut désormais nous employer à ce que nos cultures poussent, et du bon côté. Que chacune et chacun d’entre nous s’avance vers l’horizon avec le bonheur d’avoir cette chance de recréer le monde, puisque celui-ci, c’est bien nous qui le faisons tourner et l’avons dans nos mains contrairement à la pitoyable marionnette qui nous préside désormais. Construisons des espaces communs, mouvants, en fonction de nos luttes, de nos objectifs, permettant à chacune et chacun de s’y trouver, de s’y retrouver.

Ni chapelles, ni fortins, de l’air et de l’espace pour nos luttes !

Un bureaucrate syndical sans moustache.

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