Contre les artifices de la démocratie

Eduardo Casais

paru dans lundimatin#232, le 4 mars 2020

Stimulante lecture du texte de Micah L. Sifry, paru dans The New Republic en février 2017 déjà, sous le titre « L’armée perdue d’Obama » [1]. L’intérêt réside dans la trame du récit qui nous ramène au « syndrome du casse-coeur », une invariante de la pratique démocratique qui, depuis le moment reculé des débats devant l’assemblée athénienne [2], se répète chaque fois que les chefs politiques, pour apaiser leur soif de pouvoir, descendent de leur Olympe pour frayer avec le peuple, et qui prit une fréquence accrue depuis les flirts des leaders jacobins avec les sans-culottes dans la France de la fin du 18e siècle.

[Photo : Jean-Pierre Sageot]

Voyons d’abord l’épisode d’Obama. Le brillant sénateur se laisse gagner par le rêve de plus hautes destinées : il se voit volontiers en locataire de la Maison Blanche. N’a-t-il pas l’énergie, le charme, le savoir-faire, l’intuition politique, l’entregent, la vision et tous les autres prédicats requis ? Alors, pourquoi pas ? Cependant, il n’est pas dupe, la route est jonchée d’obstacles, notamment deux. D’abord, il est noir. Allons, un Noir président des États-Unis ? Ce n’est pas gagné d’avance ! Puis, il n’a pas été nourri dans le sérail du parti, il ne fait pas partie du cercle restreint des papables, il ne s’appelle pas Kennedy ou Clinton, il est tout simplement le challenger, le perdant virtuel – alors, comment amener l’appareil à l’élire comme paladin démocrate contre le candidat républicain ?

Puisqu’il ne pouvait pas compter sur l’appui des organes du parti, il fallait changer les règles du jeu. On allait donc s’adresser directement aux citoyens et tenter de soulever une vague de fond populaire qui accompagnerait d’abord le candidat, puis le futur président dans la mise en forme, puis la mise en œuvre des mesures progressistes de son programme. Pour cela, on a construit une plate-forme web, My.BarackObama ou MyBO, qui prit un essor fulgurant, glanant rapidement des centaines de milliers d’utilisateurs. Cet outil facilitait le travail politique des partisans d’Obama, en leur offrant, en plus d’un forum de partage et de massage d’idées et d’expériences, des instruments pour la mise sur pied de cellules locales, la réalisation d’événements de campagne et des actions de collecte de fonds. Tout cela de façon pleinement autonome, tant financièrement que politiquement, sans passer par le crible du DNC (Democratic National Committee).

En 2008, alors que la campagne était encore à mi-parcours, la réussite de MyBO était si évidente que des conseillers d’Obama ont songé à en prolonger le concept au-delà même de l’élection, en bâtissant une plate-forme – « Movement 2.0 » – qui continuerait MyBO et en hériterait les outils, destinée à démarrer le jour suivant l’élection, et qui deviendrait le port d’attache des supporters d’Obama, en syntonie avec celui-ci, mais œuvrant en toute indépendance du parti.

Le temps pressait. Obama était totalement pris par la campagne. Les initiateurs du Movement 2.0 se sont donc adressés directement aux instances du parti pour mettre en route la transition. L’idée se heurta à une ferme réserve. Le chef du DNC n’a point mâché ses mots : « J’ai beaucoup d’appréhensions à ce sujet…En tant qu’amoureux du ’Parti’ je n’aime vraiment pas ça. » [3] Traduction : il n’est pas question d’aller de l’avant avec un tel projet qui échappe au contrôle du parti.

La convention démocrate du 24 août signa le triomphe d’Obama – l’outsider est sorti gagnant contre la favorite Hillary Clinton. Le 4 novembre 2008, nouvelle victoire, cette fois-ci contre le candidat républicain McCain. Obama était le président élu. Ce jour-là, MyBO comptait 13 millions d’adresses courriel, 3 millions de donateurs, 2 millions d’utilisateurs actifs, dont 70 000 avec leur propre page web pour la récolte de dons. Une authentique armée politique parfaitement opérationnelle.

Le 5 novembre, le jour suivant la victoire, le bureau de campagne sombra sous l’avalanche d’appels téléphoniques et de courriels des supporters : maintenant que notre candidat a gagné, qu’allons-nous faire ? Comment profiter de l’élan et aller de l’avant ? Ils ne reçurent point de réponse.

Le même jour, « l’équipe de transition » [4] lança un nouveau site web, Change.gov, essentiellement un outil pour renseigner les intéressés sur l’avancement des plans et pour permettre aux postulants à un poste dans la nouvelle administration d’y soumettre leurs candidatures. Ça n’avait rien à voir avec l’ambition du Movement 2.0, dont les auteurs ne furent même pas consultés.

Le 7 novembre, le directeur de campagne s’inquiéta : comment entretenir la flamme des supporters après l’élection ? Comment assurer leur participation active et garantir la continuité de MyBO ?

Le DNC, toujours à l’insu des chevilles-ouvrières de MyBO et du Movement 2.0, concocta une nouvelle structure, « Organizing for America » (OfA) qui prit la relève de Change.gov dès l’investiture du président. Loin d’être le point de ralliement des millions d’activistes démocrates pendant et au-delà de la présidence démocrate, comme en rêvaient les auteurs du Movement 2.0, l’OfA dégénéra en un conventionnel centre de production de tasses à café souvenirs, de messages de remerciements et de félicitations, et autres piètres actions du même acabit. Le mouvement de masses était moribond et allait s’étioler de jour en jour.

En 2010, lorsque le président sonna le rappel pour sauver son plan d’assurance maladie, le parti ne réussit qu’à susciter 300 000 appels téléphoniques au congrès. Les élections de mi-mandat se soldèrent par la débâcle démocrate. L’armée politique démocrate n’était plus.

Pendant ce temps, les républicains affûtaient leurs armes. En 2009 ils repartaient à la conquête des masses, en lançant le mouvement conservateur des « Tea Parties ». Les démocrates alarmés ont fait ce qu’ils pouvaient pour sauver les meubles et ont réussi tout de même à donner à Obama un second mandat. Mais l’élan était brisé. L’arrogance, la frilosité du parti avaient fait le lit des républicains et ouvert la porte à la victoire de Trump. Les démocrates allaient perdre simultanément la présidence et la majorité au congrès.

C’est cela le syndrome du casse-coeur. Le tombeur use de tous ses tours pour séduire la belle : les promesses prononcées d’une voix chaude et enjôleuse, les serments de bonheur éternel, l’engagement d’un dévouement total, le vœu de l’installer sur le plus beau piédestal, un semblant d’écoute enivrée, tout cela entrelardé de flûtes de champagne grisantes et de caresses voluptueuses. Une fois la belle conquise, une fois pris son plaisir, la passion – si passion il y a eu – s’émousse et le souci du quotidien prosaïque reprend le dessus. Le manque de flamme de l’amant ne peut qu’entraîner le détachement aboulique, voire la soumission résignée de l’objet de son ancienne passion. Si, par hasard, le séducteur se trouve acculé à appeler la belle à son secours, il découvre trop tard qu’elle reste de marbre, rien ne peut vaincre son apathie ou sa froideur dépitée.

Stefan Zweig [5] a fait une pertinente distinction entre les deux archétypes concurrents du séducteur. Don Juan, personnage littéraire, et Casanova, personnage historique, ont tous les deux pris place dans le répertoire des mythes de l’humanité grâce à leur irrésistible fascination sexuelle. Pour eux, la femme, marquise ou paysanne, bourgeoise ou servante, était avant tout un objet de conquête amoureuse. Toutefois, remarque Zweig, il existait un abîme entre les deux en ce qui concerne le rapport à l’être séduit. Casanova, dans sa poursuite indéfectible des femmes, était entraîné par le souhait de leur faire dépasser leur condition du moment, de les faire s’épanouir en tant que femmes, découvrir les joies, les extases et les contentements dont leur quotidien ne leur permettait d’en soupçonner l’existence que par la rêverie. Plutôt que de se rengorger de sa conquête, Casanova se sentait comme l’outil au moyen duquel la femme conquise se sublimait. Sa gratification était totale lorsqu’il parvenait a cet achèvement. D’où, argumente Zweig, que les femmes de Casanova lui aient toujours conservé une éternelle estime et même qu’elles l’aient parfois introduit auprès de leurs meilleures amies, afin que, elles aussi, puissent découvrir avec lui les mêmes émerveillements qu’il leur avait révélés.

Avec Don Juan, c’est toute une autre affaire. Pour intense qu’il fût lors de la consommation de la conquête, son plaisir était encore plus extrême après, lors de la rupture humiliante dont il récompensait ses proies. Don Juan ne séduisait pas les femmes pour les glorifier ou pour en promouvoir l’épanouissement mais, en vrai égoïste, pour se sentir à chaque coup plus puissant, plus maître du bonheur et de la vie de ses victimes, pour accumuler les trophées comme le ferait un hobereau de ses trophées de chasse, pour s’en faire gloire, en tirer vanité. Pour Don Juan, les femmes deviennent inéluctablement de simples dépouilles attestant ses prouesses, ses réussites de chasseur. Pas surprenant donc qu’au lieu d’une fidèle affection, elles lui vouent une rancœur acerbe, pimentée de pulsions assassines – Elvira, Anna, Zerlina songent bien à le tuer !

Les casse-coeurs appartiennent à la catégorie de séducteur égoïste des Don Juan – ils en sont la variante rationaliste. En effet, alors que Don Juan se laisse conduire par l’amour pur du jeu de la séduction et ne justifie ses actes que par son attachement irréductible à la liberté (mais peut-on parler de liberté lorsqu’on dépend, comme un drogué, de l’assujettissement répété d’autres personnes ?), tout cela relevant de l’absurde, nos casse-coeurs poursuivent des buts immoraux peut-être, mais bel et bien conformes à la raison et au sens commun. Ils séduisent le peuple pour en détourner le pouvoir souverain à leur avantage. Ils savent que le pouvoir procure l’aisance, voire la richesse, que celle-ci à son tour consolide le pouvoir, que les deux enfin assurent à leur détenteur sinon la divinité, au moins le statut surhumain de monarque républicain. Les casse-coeurs ne font pas de l’art pour l’art – ce n’est pas pour exposer des trophées dans les murs du salon, autant que pour dépecer les victimes et transformer les bons et les bas morceaux en marchandises monnayables qu’ils se donnent tant de mal.

Les casse-coeurs peuvent s’incarner dans les plus disparates avatars, tout en conservant les traits fondamentaux de leur comportement : la chaîne de la séduction-trahison-reniement-jouissance- parfois regrets tardifs. Dans l’Angleterre des années 1640, Cromwell s’appuie sur l’armée du Nouveau Modèle, de recrutement populaire, sans exigence d’orthodoxie et très infiltrée par les quasi-anarchistes Niveleurs, pour contrer la royauté, l’aristocratie et l’église presbytérienne, dont le pouvoir arbitraire était devenu insupportable. Le principe parlementaire, une certaine liberté politique, religieuse et d’opinion, une relative sécularisation de la pensée s’introduisent dans la société au cours d’une longue guerre, aux fortunes fluctuantes. Cromwell en sort vainqueur et instaure le Commonwealth, la république.

La chambre des lords est dissoute et le roi décapité, provoquant l’effroi et l’indignation des monarchies européennes. La crise économique et sociale née de la guerre est à son comble, les Niveleurs mènent une agitation tenace en faveur d’avancées telles que : remettre tout le pouvoir à « la représentation du peuple », accorder le suffrage à « tous les hommes âgés de plus de vingt et un ans qui ne sont pas servants, ni indigents, ni anciens hommes d’armes du défunt roi », rendre tous les privilèges « nuls et non avenus », garantir les droits fondamentaux « des vies, [...] des libertés, [...] et des biens », rendre la justice « par douze hommes assermentés choisis d’une manière libre par le peuple », proscrire l’emprisonnement pour dettes, instaurer le libre accès aux charges, protéger la liberté de commerce, « préserver tous les gens de la cruelle misère et de la mendicité », simplifier la fiscalité. [6]

Cromwell y décèle la graine de l’anarchie, craint l’atteinte à la propriété et la subversion de son autorité. Il prend le glaive pour anéantir les contestataires. Les marchands de la Cité, rassurés, fêtent l’homme fort. Celui-ci ne tarde guère à rétablir la censure et à prendre les mesures de surveillance et de répression utiles à l’encontre de toute atteinte au régime. Le mouvement niveleur, dont l’idéologie avait nourri l’exaltation populaire qui porta Cromwell au pouvoir, sombre dans la lassitude d’un pays désormais fermement tenu en main. Devenu « Protecteur », sorte de roi républicain, en 1653, Cromwell dut encore faire face aux appels au meurtre (« Killing no murder » [7]) d’un irréductible niveleur, le colonel Sexby, mais conserva le pouvoir et finit par mourir de causes naturelles en 1658. Dès le rétablissement de la monarchie, celle-ci reprend et amplifie l’éventail des mesures d’intimidation, répression, éloignement et élimination des foyers d’opposition. La flamme des niveleurs s’éteint, quoique de ses cendres sortent des étincelles occasionnelles. Des textes et des mots d’ordre niveleurs sont repris par les agents de la révolution américaine, la française et même la russe.

En Amérique du Nord, Samuel Adams, l’un des pères fondateurs des États Unis d’Amérique, écrit en 1748 des mots à l’identique des niveleurs : « Tous les hommes sont par nature sur un seul niveau, nés avec une part égale de liberté et dotés de capacités presque identiques. » [8] Il venait de prendre connaissance des émeutes de 1747, à Boston, au cours desquelles un groupement de quelque 300 marins et travailleurs se révolta contre les enrôlements forcés sur l’ordre de l’amiral britannique Knowles. Rapidement suivis par une foule de milliers de gens du peuple, les révoltés ont réclamé, les armes à la main, leur « liberté » au nom de leurs « droits ». Adams fut de l’opinion que le peuple « incarnait les droits fondamentaux de l’homme par rapport auxquels le gouvernement lui-même devait être jugé ». Le ferment révolutionnaire soulevait la société américaine.

De nombreuses émeutes contre les abus et prépotences, notamment de nature fiscale, des autorités coloniales anglaises émaillèrent les décennies suivantes jusqu’à la guerre d’indépendance : 1765 (soulèvement contre le droit de timbre, le Stamp Act), 1765 et 1774 (contre l’obligation de fournir gîte et couvert aux troupes britanniques, les Quartering Acts), 1767 (contre le paquet fiscal connu par Townshend Revenue Acts), 1773 (lorsque les Enfants de la Liberté ont jetée par-dessus bord toute une cargaison de thé en protestation contre les lois de douanes, le Tea Party), 1774 (contre les mesures de rétorsion anglaises, les Intolerable Acts). Les classes populaires, animées par les marins, les ouvriers et même les esclaves, ont joué un rôle musclé dans ces actions de rébellion. Leur détermination et engagement pour la défense de la liberté et de la justice ont mérité l’approbation et la justification théorique des grands esprits de l’époque, à l’instar de Samuel Adams. À Boston, l’ecclésiastique Jonathan Mayhew s’est prononcé du haut de l’ambon en faveur de la désobéissance civile, en affirmant le droit de résistance à l’autorité y compris par la force. Le publiciste James Otis Jr. écrit que l’homme, « blanc ou noir » est un « souverain indépendant, n’obéissant à aucune loi, sauf à la loi écrite dans son cœur » et il en recommande l’émancipation immédiate, par la force si nécessaire. Tom Paine et John Allen appuient également cet élan émancipateur qui entraîne le peuple de la colonie à se libérer, à commencer par le rejet de la tyrannie monarchiste anglaise. Le chaudron révolutionnaire est en ébullition. Peter Timothy commente en 1775 que, « à l’égard de la guerre et de la paix, je puis seulement vous dire que les plébéiens sont toujours pour la guerre, mais la noblesse [est] parfaitement pacifique. »

Arrive le 4 juillet 1776. Les 13 colonies anglaises d’Amérique du Nord se déclarent indépendantes et forment les États Unis. La Déclaration d’indépendance, rédigée par Jefferson, énonce que « tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. » Ces mots suscitent la remarque sarcastique de l’abolitionniste anglais Thomas Day qui écrit dans une lettre de 1776 : ’S’il y a un objet vraiment ridicule par nature, c’est bien un patriote américain, signant des résolutions d’indépendance d’une main, et de l’autre brandissant un fouet sur ses esclaves affligés.’ [9]

En vérité, Jefferson avait bien inséré dans son premier brouillon de Déclaration, parmi les accusations contre la monarchie anglaise, une tirade condamnant l’esclavage, ce qui laisserait augurer la libération prochaine des esclaves en Amérique. Mais il l’a retirée dans la version définitive du texte, pour ne pas heurter ses amis et alliés – d’ailleurs lui-même ne possédait-il pas des esclaves dans son domaine de Monticello ? Pour baliser les frontières de la liberté sans laisser de place au doute, le nouveau pouvoir a tout de suite interdit aux Noirs volontaires de s’enrôler dans l’armée américaine pendant la guerre d’indépendance.

À cette date, la situation avait évolué et les opinions s’étaient repliées dans un conservatisme bourgeois de bon aloi. Adams ne voyait plus dans le peuple « l’incarnation des droits fondamentaux de l’homme » – au contraire, il approuvait la manière forte pour restaurer l’ordre dans les rues. En 1786, à la suite de la révolte de Shays contre l’injustice sociale et la violation des droits civiques, Samuel Adams alla jusqu’à rédiger une loi (Riot Act) donnant aux autorités le pouvoir de garder les gens du commun en prison sans jugement. Tom Paine, de son côté, n’hésitait plus : le changement de société devrait se faire par en haut, légalement, au sein du congrès. Il fallait à son avis éviter qu’un autre Masaniello – l’initiateur de la révolte qui créa l’éphémère République napolitaine de 1647 – ne « vienne soulever le peuple et ameuter les mécontents et les désespérés en exploitant leurs inquiétudes » !

Pour les leaders de la révolution américaine, le peuple avait joué son rôle d’idiot utile. Le temps des révoltes populaires était fini. La politique devait maintenant quitter la rue et s’installer dans les chambres législatives où les non-possédants, les gagne-salaires, les sans-culture et les esclaves n’avaient pas de siège, ni de voix. La république des notables prenait la relève de la démocratie du vulgaire.

Les qualités d’adresse des casse-coeurs ont atteint des sommets lors de deux moments marquants de l’histoire européenne, la révolution française, au soir du 18e, et la révolution russe d’octobre, à l’aube du 20e siècle. Dans les deux cas, une pléiade de séducteurs de génie se sont rapprochés du peuple, en ont emporté les cœurs, l’ont entraîné vers les cimes vertigineuses de la liberté, de la justice sociale et du partage du pouvoir, pour ensuite laisser s’effilocher les liens amoureux et n’en recueillir à la fin qu’une indifférence résignée dans un cas, l’abandon du combat et le passage sous le joug, dans l’autre.

Trois ans après la prise de la Bastille en 1789, la France est à la croisée des chemins [10]. La cour vacille, ses appuis s’enlisent, les armées des monarchies ennemies sont aux portes. La nation est déclarée « en danger », les hommes valides s’enrôlent, le peuple frétille, l’atmosphère est électrisante. La monarchie exsangue trouve dans la menaçante coalition austro-prussienne une alliée providentielle pour mater les républicains et se remettre en selle. La reine apeurée demande aux souverains coalisés un geste capable d’effrayer et de soumettre le peuple enfiévré. Le Prussien Brunswick s’exécute, en signant un manifeste agressif par lequel il annonce aux français l’arrivée imminente des troupes de la coalition et menace les parisiens d’une « vengeance exemplaire et à jamais mémorable » si on osait toucher à un cheveu de la famille royale.

C’en était trop ! Sous l’influence de Robespierre le tocsin sonna, les faubourgs se levèrent et la Commune insurrectionnelle prit le pouvoir à l’Hôtel de ville. Le petit peuple des sans-culottes prit les armes, accompagna les fédérés et les volontaires, et marcha sur les Tuileries. Le moment était venu de mettre le holà aux lubies royales, d’entrer en démocratie, d’en finir avec la misère quotidienne. Ce 10 août 1792 marqua la fin de l’ancien régime en France, le début du retournement du rapport des forces en Europe et l’ébranlement définitif de l’absolutisme. Les jacobins venaient de gagner le cœur de la nation française, en déposant le roi et en promettant aux sans-culottes le partage du pouvoir, la fin de la misère et de l’injustice sociale, et la victoire sur les ennemis extérieurs. C’était ce qu’il fallait pour éclipser les rivaux girondins et aristocrates, et pour devenir les rois du bal.

Bientôt une nouvelle constitution fut approuvée. Malgré « les vieilles et désespérantes idées sur le droit de propriété » [11] qu’y figuraient, elle contenait des dispositions de nature à séduire le peuple révolutionnaire. « La souveraineté réside dans le peuple » (art.25) ; « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux » (art.21) et doit « mettre l’instruction à la portée de tous » (art.22) . « Le droit de manifester sa pensée et ses opinions […] ne peuvent être interdits » (art.7) ; « Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens » (art.31), « La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent » (art.9) et, cerise sur le gâteau, « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple […] le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » (art.35).

Ce n’était rien de moins qu’un serment de grand amour, pour toujours, sans contrainte, de quoi forger les chaînes d’une union indissoluble. Aussi, forts de ce lien, les jacobins ont-ils pu éliminer leurs rivaux girondins au cours des journées de Prairial (31 mai-2 juin 1793), pendant lesquelles les sans-culottes se montrèrent aussi pleins d’initiative, déterminés et farouches que le 10 août.

Les jacobins se trouvent dès lors seuls maîtres à bord. Leurs adversaires neutralisés, il ne leur reste qu’à reconquérir l’entière liberté de mouvements, en secouant les liens dans lesquels leurs promesses et leurs serments d’amour éternel risquaient de les emprisonner. Pour commencer, sous prétexte d’état d’exception, il fallait oublier cette idée de partage du pouvoir avec les sans-culottes, il fallait suspendre les droits et garanties octroyées par la constitution et freiner la révolution sociale, en remettant le pouvoir dans les mains du tout puissant Gouvernement révolutionnaire et en remettant l’application de la constitution à des jours meilleurs – d’abord vaincre les armées ennemies, on verra tout le reste « après la paix » [12] !

Le vrai casse-coeur ne se laisse jamais enchaîner par l’amourette d’un soir, mais le petit peuple des sans-culottes, lui, il croit au grand amour et il exige de son partenaire une loyauté, une fidélité et un dévouement sans faille. Après tout, il avait accepté stoïquement la répression, les privations, et les humiliations et s’était uni aux jacobins pour changer le monde, non pas pour se payer un petit plaisir d’un soir. Pour lui, c’était une question de vie ou de mort. Il s’est senti trahi et il n’hésita guère à crier son mécontentement en bon vernaculaire. Si bien que le pouvoir s’est cru obligé d’user de la manière forte avec les « enragés » (Jacques Roux et compagnons) et les « exagérés » (Hébert et hébertistes). Ce furent les journées de Germinal (5-13 avril 1794). La guillotine éclaircit les rangs des contestataires populaires et, pour faire bonne mesure, en fit autant dans les bancs des députés rivaux.

Finis les soucis, étouffées les jalousies des rivaux bourgeois, étranglées les rancœurs des aristocrates, matées les exigences des compagnons sans-culottes. Les jacobins pouvaient enfin s’adonner à leur mission historique de créer une démocratie dont le peuple illettré et sans le sou serait exclu (à la manière athénienne), une république morale, raisonnable, de haute tenue, religieuse (« Culte de l’Être suprême »), selon l’esprit des Lumières.

C’était sans compter avec le levain riche des bactéries de la haine conservatrice, des dissensions internes et de la désaffection populaire, un levain qui continuait de travailler la pâte sans relâche. « La Révolution est glacée, tous les principes sont affaiblis ; il ne reste que des bonnets rouges portés par l’intrigue. » remarque Saint-Just [13]. Elle allait contre le mur sur tous les plans : économique, financier, social, politique et sécuritaire. La rigueur, la sévérité et la bonne-volonté jacobines ne suffisaient pas. Les opposants guettaient dans l’ombre. À moins d’une nouvelle mobilisation populaire, d’une réédition de la Commune insurrectionnelle, rien ne pourrait la sauver. Le 9 Thermidor (27 juillet 1794) la Convention met en accusation Robespierre, Saint-Just, et Couthon. Robespierre croit encore possible le renversement de la situation. La Commune tente de réagir, mais l’effort de soulèvement populaire fait long feu, le cœur n’y est plus. La Commune tombe sans combat. Le divorce entre le Gouvernement révolutionnaire et le mouvement des sans-culottes est acté. Le jour suivant, les 22 plus importants chefs jacobins sont guillotinés sans jugement, et encore un jour après s’ensuit une seconde fournée de 71 députés. La page est tournée, les jacobins ont perdu. La France populaire, bernée, méprisée, suit les événements avec apathie.

En trompant les sans-culottes, après les avoir séduits, Robespierre a enfanté Barras et Bonaparte. Tout comme Obama a enfanté Trump.

L’histoire ne se répète pas : « on ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve » [14] – pour cela, il faudrait des discontinuités : un arrêt, un hiatus et un recommencement. Or, l’histoire, comme les eaux du fleuve, ruisselle de façon continue, toujours renouvelée, toujours fantasque. Elle n’est jamais la même, mais elle ne s’arrête pas, n’a pas d’hiatus, ne connaît pas de commencement ni de fin. En changement continu, elle est sous-tendue et traversée par des forces invariantes qui, elles, se manifestent par des occurrences discrètes, tantôt inédites, tantôt déjà vues. Les casse-coeurs sont une des ces invariantes qui franchissent les ans, se réfugiant parfois dans l’invisibilité, se laissant emporter par les eaux profondes du courant, pour remonter inopinément à la surface, y provoquant des turbulences et des vortex qui peuvent marquer une époque et, comme on dit, faire l’histoire.

En février 1917 la Russie est à bout de souffle. Après la débâcle contre le Japon au début du siècle, l’empire épuise ses dernières forces dans la 1re Grande Guerre contre l’Allemagne impériale. Les habitants des grandes villes manquent de tout : combustibles, vêtements, beurre, viande, sucre, même de pain. « Il était impossible matériellement et moralement de continuer la guerre. Et il était absolument et définitivement impossible pour la population laborieuse des villes de se procurer des vivres. Le tsarisme ne voulait rien savoir. » [15] Les manifestations populaires tournent à l’émeute, sévèrement réprimée, les émeutes tournent au soulèvement, celui-ci devient révolutionnaire. Lorsque les soldats prennent le parti des manifestants populaires contre la police répressive, le tsarisme tombe.

« L’action des masses fut une action spontanée […] Cette action ne fut ni organisée ni guidée par aucun parti politique […] Du reste, à cause de la répression, tous les organismes centraux des partis de gauche, ainsi que leurs leaders, se trouvaient, au moment de la Révolution, loin de la Russie […] Ce ne fut qu’après la Révolution de février qu’ils regagnèrent le pays. » [16]

Les semaines qui suivirent mirent à nu l’incapacité du gouvernement provisoire à résoudre les problèmes qui avaient entraîné la chute de l’absolutisme tsariste : « la paix, le pain, la terre et un gouvernement du peuple. » [17] Devant le vide, les gens du peuple ont ressuscité les vieux « conseils ouvriers » (soviets [18]) qui ont essaimé dans toutes les localités importantes. Le terrain était prêt à recevoir la graine de la révolution socialiste.

Avec Lénine à la tête du parti bolchévik à Moscou, et Trotski aux commandes du puissant soviet de Petrograd, le parti organise la prise du pouvoir, tout en mobilisant le peuple par la promesse d’une mise en œuvre déterminée des mesures dont il désespérait. Les mots d’ordre bolchéviks de « À bas la guerre ! » et « Tout le pouvoir aux soviets ! » ont enflammé les masses des ouvriers et des soldats, la plupart d’origine paysanne, et gagné leur ralliement nécessaire à la réussite de l’insurrection armée, déclenchée avec succès le 24 octobre.

Le 2e congrès des Soviets, ouvert le 25 octobre, proclame que « le congrès prend en main le pouvoir ». D’une lancée, le congrès, puis le Gouvernement provisoire élu par le congrès « en attendant la réunion de l’Assemblée constituante », adoptent un train de mesures qui réjouissent les cœurs [19]. Le décret sur la paix, pressant « tous les peuples en guerre et [...] leurs gouvernements d’entamer immédiatement des pourparlers en vue d’une paix démocratique équitable ». Le décret sur la terre, en vertu duquel « La grande propriété foncière est abolie immédiatement, sans aucune indemnité ». Le décret sur la presse, décidant que « Dès que l’ordre nouveau sera consolidé, toutes les mesures administratives contre la presse seront suspendues ; liberté entière lui sera donnée ». Les décrets abolissant la peine de mort ; autorisant les « municipalités autonomes [...à...] réquisitionner tous les locaux d’habitation inoccupés ou inhabités [...pour y...] installer […] les citoyens qui n’ont pas de domicile » ; créant un système d’assurance sociale « pour tous les salariés sans exception ainsi que pour les pauvres [...s’étendant...] à toutes les catégories d’incapacité de travail [...sous...] le contrôle absolu des travailleurs » ; instituant « l’enseignement général obligatoire et gratuit » ; interdisant « la fabrication de l’alcool et de toutes les boissons alcoolisées » ; nationalisant les banques, dont les opérations « sont déclarées monopole d’État » ; abolissant « tous les grades et distinctions de l’armée, du grade de caporal à celui de général » ; décidant « l’émancipation » et « l’affranchissement [...] immédiats et définitifs » des nationalités de Russie.

Les bolchéviks ont su donner corps aux attentes du peuple et ont « triomphé en proclamant à la face des masses et du monde une démocratie de travailleurs libres qui n’avait pas de précédent. » [20]

Toutefois, une fois hissés aux commandes, si sincères que fussent leurs intentions premières, leur ligne de conduite fut vite détournée. Le nouveau pouvoir bolchevik est menacé de toutes parts : les partisans de l’ancien régime cherchent leur revanche, les alliés socialistes s’en méfient, peut-être à juste titre, les puissances étrangères mettent sur pied des interventions militaires et, au sein même du parti, les dissensions vont bon train. L’instinct de survie, le besoin de gagner du temps, les aigreurs de la guerre civile ont eu le dessus, fournissant l’alibi idéal aux casse-coeurs sournois, dissimulés dans la foule des vieux révolutionnaires. Et tant pis pour les masses : en attendant leur libération, on leur exige de tout sacrifier à la pérennité du pouvoir.

« Les bolchéviks avaient promis la Constituante sans délai ; ils durent l’ajourner, puis la dissoudre. Ils protestaient contre la peine de mort dans l’armée ; ils la rétablirent après l’avoir supprimée, puis la décrétèrent pour les civils comme pour les militaires. Ils s’opposaient violemment au transfert de la capitale à Moscou ; ils le réalisèrent. Ils reconnaissaient aux nationalités le droit à l’indépendance ; ils les incitèrent à se séparer de plein gré pour les soumettre ensuite de pleine force. Ils dénonçaient avec véhémence toute paix séparée ; ils furent contraints de la signer.[…] Ils voulaient la paix ’démocratique’ ; ils subirent une paix ’honteuse’. Ils promettaient la terre aux paysans ; ce fut pour en confisquer les produits. Quant à l’abolition de la police, de l’armée permanente et du fonctionnarisme, on la renvoya sine die. » [21]

Les bolchéviks ont pris la pente qui les éloignait du peuple. « Une fois cette pente prise, le glissement se fait tout seul. Rien ne peut plus l’arrêter […] Et même si les gouvernés crient casse-cou et se dressent contre les gouvernants pour leur faire remonter cette pente menaçante, il est trop tard ! » [22] Bientôt, domptés les soviets devenus un bureau sous la férule du gouvernement ; assujettis les syndicats dorénavant nommés par l’État ; oubliée la presse libre soumise au monopole d’État ; bâillonnée la pluralité avec la mise au ban des concurrents menchéviks, socialistes-révolutionnaires, anarchistes, etc. le pouvoir se laisse enfermer entre les mains du casse-coeur suprême, le secrétaire-général Staline, qui crée une bureaucratie privilégiée pour s’y appuyer. Il devient le maître absolu du pays, seul détenteur de la vérité, seul diseur du dogme, seul propriétaire de l’État et, partant, de toutes les richesses, de toutes les ressources, de toutes les énergies matérielles et humaines, de tous les moyens nécessaires pour annihiler les hérétiques, effacer toute velléité d’opposition et assurer la pérennité de son pouvoir personnel.

Le divorce d’avec les masses populaires est jalonné d’épisodes tragiques : l’écrasement par Toukhatchevski, pas encore maréchal, sous la direction de Trotski épaulé par Zinoviev, de la révolte des ouvriers et des marins de Cronstadt qui revendiquaient « tout le pouvoir aux soviets et non aux partis ! » en février-mars 1921 ; l’anéantissement de la Makhnovtchina, le mouvement makhnoviste abhorré par Trotski, l’un des plus longs (1918-1921), plus authentiquement populaire, social, égalitaire et plus combatif soulèvement paysan, qui mena la résistance à l’occupant austro-allemand jusqu’à son départ, mit en déroute l’offensive de l’armée blanche de Dénikine et joua un rôle clef dans la victoire sur le blanc Wrangel ; les famines de 1921 dans la Volga et de 1930-1931 en Ukraine, qui ont causé la perte de millions de vies.

L’expulsion du comité central du parti de Trotski et de Zinoviev, figures de proue de la révolution d’octobre, marque un tournant définitif. « Le Thermidor soviétique s’accomplit en novembre 1927, aux jours anniversaires de la prise du pouvoir. » [23] La révolution dévore ses enfants. En 1928 commencent les grandes épurations. Les condamnations, les déportations en masse et les « disparitions » des opposants et des boucs émissaires vont en crescendo. Le tout en conformité avec l’idée que Staline se fait de la théorie marxiste-léniniste du dépérissement de l’État : « L’État s’éteindra, non pas en raison d’un relâchement du pouvoir de l’État, mais en raison de son extrême renforcement » [24].

En 1936 démarrent les grands procès de Moscou [25] avec un agenda précis : éradiquer tout germe de contestation en discréditant et massacrant les « ennemis du peuple », dont la redoutable vieille garde bolchévik – Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Rykov, Radek,… –, et les chefs militaires de haut rang comme Toukhatchevski. On sait comment finit l’exilé Trotski, le rival le plus exécré, assassiné par Mercader à Mexico City en 1940 ; comment la hiérarchie militaire soviétique fut décimée au cours des années précédant l’opération allemande Barbarosssa en 1941 ; comment les « médecins empoisonneurs » furent sauvés de justesse par la mort de Staline en 1953.

Dès 1924 Staline, le « génial père des peuples », mena avec esprit de méthode, d’abord la neutralisation de ses proches concurrents, puis l’épuration du parti et de l’État, enfin l’élimination physique des rivaux, les vieux camarades devenus des témoins gênants, et celle des foules d’innocents subalternes désignés par le sort pour jouer le rôle sordide de complices obscurs ou de boucs émissaires. Tout cela en pérorant qu’il fallait « valoriser les cadres comme la réserve d’or du Parti et de l’État, les chérir, les respecter » [26]. Il est mort de sa belle mort dans son lit. L’État bolchévik lui survécut, finissant par « s’éteindre », non pas par en haut, « en raison de son extrême renforcement » comme Staline l’avait prédit en 1933, mais par le bas, rongé par la gangrène, en 1991.

La résurgence des casse-coeurs au cours de l’histoire, surtout à l ’occasion des moments pivotaux où le sort de la société peut basculer vers plus de la même chose, ou vers un monde tout autre, et les constatations après examen des coups de frein ou des virages calamiteux qu’ils engendrent, suscitent deux questions immédiates. L’humanité peut-elle s’en débarrasser ? Si ce n’est pas le cas, peut-elle parer efficacement leur potentiel de nuisance ?

À la première question, il semble qu’il faille répondre négativement. Bertrand Russell, en présentant « la philosophie comme partie intégrante de la vie sociale et politique » [27], a signalé une dichotomie fondamentale entre la vision du monde aristocratique, par exemple celle d’un Nietzsche, et l’égalitaire, celle de Christ ou de Rousseau. Selon lui, le flux de l’histoire ne les a pas départagés, le combat entre les deux conceptions dure depuis l’aube de l’humanité et continue de plus belle. De plus, il n’y a point d’espoir de voir l’une d’elles se convertir aux valeurs de l’autre, car elles sont antinomiques. Pour la première, l’humain n’est qu’un matériau dont le héros se servira à sa guise pour façonner un monde à l’image de son ambition ou de son rêve, tout comme le maçon touille le mortier pour édifier son mur, ou comme le berger élève son bétail pour en tirer profit, sans états d’âme. Toute violence, exaction, fourberie, iniquité semblent légitimées par le bon plaisir ou par l’utopie rationaliste du héros. L’affliction des victimes est dédaignable.

À l’opposé, les humains sont vus comme des personnes égales, sans prérogatives héréditaires, ni préséances, ni mérites hiérarchiques, dont la morale serait la « règle d’or » :« Traite les autres comme tu voudrais être traité [28]. » Plus de place pour la sujétion de personne, plus de servitude, plus d’arbitraire, fût-ce au nom des principes les plus raffinés.

Russell ajoute que l’on peut, comme lui, admirer la beauté et l’élévation de l’individualisme nietzschéen, et apprécier favorablement les critiques acerbes adressées par Nietzsche à l’encontre du fadasse sentimentalisme chrétien et du romantisme extravagant de Rousseau, sans pour autant partager sa posture aristocratique. À son avis, aussi haute que soit la conscience de la valeur unique de la personne individuelle et des imperfections de la foule, il n ’est pas admissible que le mépris de cette dernière puisse servir à justifier son asservissement, voire son annihilation – il est pathétique de placer Bonaparte, sur qui pèse la responsabilité du feu et du sang qu’il fit répandre à travers l’Europe, sur un piédestal de héros exemplaire, comme le fait Nietzsche.

Encore faut-il déterminer si l’on parle de ces deux visions « en soi », abstraites, ou dans leurs manifestations concrètes, « pour nous ». Car, si l’aristocratie qui se dit telle ne daigne pas cacher son jeu, elle énonce clairement ses intentions, on ne saurait dire autant de cette forme d’aristocratie dissimulée sous les oripeaux de l’égalitarisme altruiste qui cherche à leurrer ses victimes pour mieux les asservir. On sait comment l’amour chrétien a généré l’Inquisition et comment celle-ci « fournissait le modèle de tribunaux qui, mis en action sur de très faibles indices, poursuivaient avec persévérance les gens qui gênaient l’autorité, et les mettaient dans l’impossibilité de lui nuire. » [29] L’égalitarisme de Rousseau est fondé, lui, sur « un contrat social, un pacte proposé par le législateur et accepté par les citoyens ; seulement la volonté des acceptants, [n’est pas] unanime, sincère, sérieuse, réfléchie, permanente ; ainsi, […] le […] contrat est une fiction théorique. » [30] J’ai montré plus haut comment la fiction rousseauiste fut manipulée pour légitimer la mise entre guillemets de la Constitution de 1793 et l’instauration de la Terreur par le Gouvernement révolutionnaire en France, aussi bien que la dissolution de la Constituante russe aux premiers jours de 1918 et la mise en route du « communisme de guerre » avec sa flopée de mesures antithétiques aux promesses de 1917.

Tenons donc pour acquis que l’espèce aristocrate, dans la variante nue ou dans la camouflée – qui ressemble fort à mon casse-coeur – est éternelle, sans commencement ni fin, à moins d’une mutation dont on ne saurait prévoir la forme. Si l’on ne peut pas l’éliminer, il faut donc apprendre à vivre avec. Il ne reste qu’à examiner si et comment on peut tenir en échec sa nocivité.

Il faut d’emblée faire table rase du romantique triptyque « liberté, égalité, fraternité », un piètre attrape-nigaud qui n’emporte plus la conviction, tellement il a souffert d’atteintes à sa crédibilité. La liberté est devenue un mot creux. Je rappelle par exemple que, le 4 février 1794, la Convention décrète d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, sans indemnisations. C’était une grande première en Europe, bien dans l’esprit de la Révolution et de celui des charges virulentes de Raynal contre le colonialisme et l’esclavage. Ce fut néanmoins un feu de paille. Dès 1802, Bonaparte abrogea le texte et lança une expédition répressive contre le Haïti libéré. Quoique aboli définitivement en France et ses territoires sous l’impulsion de Victor Schœlcher en 1848, l’esclavage demeura une pratique courante dans les colonies françaises sous la forme de « travaux forcés » (corvées, prestations, réquisitions, etc. à l’abri du Code de l’Indigénat) jusqu’après la 2e Guerre, en plein 20e siècle. Cela mis à part, il serait superfétatoire d’épiloguer sur la douce « liberté » dont Marx disait que « Aucun homme ne combat la Liberté ; tout au plus combat-il la Liberté des autres. » [31] N’est-il pas vrai qu’on en jouit quotidiennement de cette belle liberté, celle d’être filé dans la place du village ou dans le magasin par les caméras vidéo officielles et privées, d’être surveillé dans ses déplacements au moyen du passeport biométrique, d’être traqué à chaque pas par les opérateurs de téléphonie mobile, d’être espionné dans les moindres gestes par les Google et autres « services » connectés, d’être censuré, voire bâillonné par des lois que des législateurs distraits autant que fayots ont voté sans se souvenir que le code pénal prévoyait déjà la répression de la calomnie, diffamation ou injure publique,... et j’en passe.

Sur l’égalité, l’essentiel a été dit. J ’ajouterai seulement qu’il devient ardu d’excuser sans brocarder la curieuse logique de ceux qui insistent à placer sur un pied d’ « égalité » le patron d’Amazon, d’ailleurs grand philanthrope – autrement dit un fameux sadique [32] –, libre de garder ou de mettre à la rue ses employés si ça lui convient, et le manutentionnaire rouspéteur qui refuse de se laisser implanter la pastille RFID permettant au « management » de contrôler ses pauses pipi, libre lui aussi de choisir de se soumettre ou de recueillir son barda et aller chercher ailleurs son gagne-pain. Il faut bien reconnaître que l’égalité n’existe rigoureusement que dans le domaine de la logique mathématique. Autrement, il faut concéder qu’« il ne peut y avoir d’égalité que dans l’abstrait et que l’essence du concret est l’inégalité. » [33]

La fraternité, elle mériterait une analyse plus fine, vu sa nature assez énigmatique. Elle existe bel et bien et se manifeste parfois là où on l’attendrait le moins, mais elle est aussi très fuyante et n’est pas souvent au rendez-vous. Restons donc à la remarque de Blanqui : « L’ouvrier opprimé devient patron oppresseur et il n’est pas le moins dur, les ateliers le savent. […] La fraternité n’est que l’impossibilité de tuer son frère. » [34]

Chassés ces concepts au fond du tiroir des idées morales éculées et bonnes à rien, que reste-t-il dans l’arsenal pour contrer les fourbes casse-coeurs ?

Jetons un nouveau regard du côté de la société pour vérifier si elle correspond bien au modèle de cette société-machine au goût des Lumières qui nous promettait l’harmonie sociale, le progrès, la justice, et la béatitude en prime, par l’opération des subtils poids et contre-poids conçus par Montesquieu (la séparation par des lignes constitutionnelles réputées infranchissables des trois pouvoirs, l’exécutif, le législatif et le judiciaire [35]), par Rousseau (le « pacte social », l’exercice de la démocratie directe) et Voltaire (la lutte contre le fanatisme et contre l’obscurantisme). J’ai rappelé comment cette machine a grippé en 1793 en France et dès 1918 en Russie. Dans notre 21e siècle l’engin n’arrête pas d’avoir des ratés et seul l’optimiste honni par Voltaire pourrait encore soutenir que les choses vont bien quand on est en enfer. Autant pour la société-machine.

La société humaine offre plutôt l’aspect d’un organisme, un système ouvert vivant, dont les éléments sont noués par des liens d’interdépendance et des boucles de rétroaction, les unes positives, les autres négatives, déterminant des oppositions ou des accords entre les organes et, parce que vivants, en changement, ou si l’on préfère en mutation permanente.

Des concepts tels que justice, solidarité, égalité ou liberté n’ont pas de place dans ce contexte. Cela ne ferait pas de sens de dire d’un organe, aussi noble fût-il, qu’il est « libre » – au mieux peut-il jouir de certains « degrés de liberté » (une grille des différentes possibilités de variation par rapport à une valeur médiane), mais il reste emprisonné dans les limites de la grille, laquelle d’ailleurs peut évoluer, s’élargir, se rétrécir, se modifier – on est bien dans un système vivant dont le changement ne s’interrompt jamais tant qu’il vit. Il serait tout aussi absurde de parler d’égalité : aucun organe ne remplit exactement la même fonction, ni présente exactement la même morphologie, ni peut se substituer à un autre. Plutôt que solidaires ou fraternels, les différents organes sont interdépendants et tous également soumis à un schéma de régulation qui contrôle les synchronismes nécessaires, les concours de différents organes dans certains processus, les actions correctrices de certains organes sur d’autres qui se sont écartés des balises, etc.

Au niveau du système, aucune place pour les bons comme pour les mauvais sentiments. Ceux-ci sont l’apanage des « organites » (par analogie avec les structures spécialisées contenues dans le cytoplasme) sociales : l’individu, la cellule familiale, le quartier, peut-être la commune, certainement pas les paliers au-dessus : la région, le département, l’État. Le système, lui, s’occupe de la transformation de l’énergie exogène en opérations de production et de régulation destinées à en assurer son propre équilibre, son développement et sa survie. Il remplit son rôle avec la patiente équanimité d’un cycle du carbone : tant que la quantité de carbone libérée dans l’atmosphère par la respiration, la fermentation et la combustion ne dépasse pas la capacité de synthèse organique de la tache végétale, le système reste en équilibre et tient la route. Mais si un abatage abusif des forêts, une pollution particulière ou une turbidité excessive des eaux viennent perturber le processus de photosynthèse, l’atmosphère accumulera une charge surabondante de carbone pouvant culbuter le milieu vers le déséquilibre, mettant en risque tout le système vivant planétaire. Un scénario probable dans ce cas-là est celui du réchauffement des océans, qui, même de faible amplitude, peut déclencher des phénomènes climatiques particuliers, tels que les ouragans, typhons et cyclones de force catastrophique.

Dans le cas d’espèce, le système est la société humaine majoritairement organisée sous la forme d’États avec leurs départements d’administration locale. C’est à ce niveau que les casse-coeurs fleurissent, tirant profit des régulations trop lâches, sinon inexistantes, héritées de la science politique des Lumières. N’en déplaise aux bateleurs de la politique, ce système social est gravement atteint.

Dans la sphère politique, seuls les « élus » y trouvent leur compte – et pour cause ! L’État nourrit bien ses molosses [36]. Ailleurs, la défiance et la désaffection marquent des points à tous les sondages et à tous les suffrages, faisant du mot démocratie une piètre galéjade. Quand trop c’est trop, les gens qui avaient pu considérer le gouvernement représentatif un expédient pour avoir la paix et vaquer à leurs occupations, découvrent désabusés qu’il est le plus souvent une nuisance [37].

Dans la sphère sociale, la contestation qui descend dans les rues de Paris à Téhéran, de Lima à Hong-Kong signale sans équivoque la conviction grossissante qu’un système qui fabrique des chômeurs à la pelle d’un côté, et qui de l’autre côté étend la durée hebdomadaire de travail et la durée de l’âge active ; ou qui d’un même revers de main alourdit la charge fiscale du contribuable, augmente le prix des services et réduit les prestations de l’État ; ou qui simultanément offre de nouvelles niches fiscales aux riches et abaisse les prestations sociales des pauvres, un tel système mérite à peine le sac à ordures où il devrait être enfermé avant de le placer dans l’incinérateur.

Dans la sphère économique, le système a épuisé les recettes pour continuer à créer de la valeur. Il est réduit, d’une part, à faire main basse des subterfuges comptables-financiers qui, en permettant de continuer à fourguer les marchandises contre l’endettement massif des consommateurs, lui apportent un dernier ballon d’oxygène ; et, d’autre part, à produire une camelote si médiocre qu’elle doit être substituée à des intervalles de plus en plus courts, en assurant ainsi le chiffre d’affaires, fût-ce au prix du galvaudage des ressources naturelles et de l’effort humain.

Le diagnostic ne serait pas moins sombre dans les sphères de la guerre et la paix, de la culture, de la justice ou de la vie quotidienne. Le désordre est rendu cependant particulièrement critique dans la sphère écologique, où l’effet conjugué de l’épuisement des ressources naturelles, du viol du sol et des océans, du gaspillage de l’énergie, et de la pollution du sol, des eaux et de l’atmosphère justifie que l’on puisse s’interroger sur lequel des malades poussera le dernier soupir le premier, et lequel des deux entraînera la chute de l’autre : du système social humain, ou du système écologique Terre.

Pour sortir de l’ornière, pour chercher à infléchir la route par laquelle les casse-coeurs mènent la société vers le cataclysme, il est urgent de faire la purge des potions que, depuis l’âge moderne, on nous fait ingurgiter à l’école, dans le foyer, dans la caserne, à l ’usine, dans la rue. Ces potions douceâtres portent les étiquettes trompeuses de démocratie, de valeurs républicaines, de liberté-égalité-fraternité, de droits de l’homme – mais ce sont des mots de « novlangue ». Ils signifient leur contraire, comme l’a bien raconté George Orwell dans son « 1984 ». Pour cela même, on se doit de les débusquer, les exposer, les démasquer, avant de les effacer.

Face à un monde irréductiblement imparfait, Voltaire suggérait dans « Candide ou l’optimisme » qu’il ne nous reste que l’accepter comme tel et, vu que l’État est corrompu sans rédemption possible, il faut s’en retirer pour se consacrer à son jardin. Au 19e siècle, le socialiste anglais Robert Owen suivit ce conseil en développant les communautés coopératives de Glasgow et d’Indiana qui se terminèrent rapidement sur un fiasco. À la même époque, le français Charles Fourier conçut les « Phalanstères » dont quelques essais ont été produits sans succès durable, eux non plus. La fuite dans un refuge local, fût-il parfait, ne change pas un iota à l’état du monde. Il est oiseux de rêver d’un îlot de perfection dans un milieu de grossièreté. On peut, on doit faire mieux.

Pour rester dans l’optique systémique, il faudrait identifier les organes dysfonctionnels, en diagnostiquer les anomalies, en chercher les causes efficientes et mettre en route les régulations capables d’établir le système dans son état d’équilibre. Vaste programme qui réclame d’emblée que l’agent réparateur se trouve en dehors du système – tout comme le chirurgien doit être quelqu’un d’autre que le patient. Nous ne saurions dire ou faire des choses au sujet du système en tant que tout, que si nous pouvions nous trouver en dehors du système [38], or nous sommes à l’intérieur, nous sommes partie du système.

En attendant, il faut prendre position sur la présente situation. « Si vous l’aimez, c’est bon pour vous ; si vous ne l’aimez pas, c’est mauvais pour vous. Si beaucoup l’aiment et beaucoup ne l’aiment pas, la décision ne peut pas être prise par la raison, mais seulement par la force, réelle ou cachée. » [39] La voie de l’insurrection [40] semble donc être la dernière proposition viable.

(Eduardo Casais, février 2020)

[2Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, livre VI, p.489 et ss. Robert Laffont, Paris, 1990. Voir par exemple le débat de Nicias et Alcibiade vers 415 av.J.-C.. Le premier essaye de détourner le peuple athénien de la funeste expédition en Sicile. À son avis, Athènes a suffisamment de problèmes en Grèce pour s’en chercher encore d’autres outre-mer. D’ailleurs, le coût de l’expédition est trop lourd, et en envoyant ses hommes guerroyer au loin, la ville s’expose à rester sans défense face à son ennemie Sparte. Alcibiade écarte ces arguments d’un revers de main : paroles d’un vieillard timoré ! Il comprend les pulsions de l’assemblée et y fait appel démagogiquement. Les hommes d’âge pensent aux conquêtes territoriales, les jeunes à l’aventure, les soldats à l’argent et aux « soldes indéfinies » promises aux vainqueurs, les fournisseurs aux recettes de la vente de matériel de guerre. Alcibiade l’emporte. Le vote de l’assemblée signe le désastre ultérieur d’Athènes, comme le prédisait le malheureux Nicias. Placé au commandement de l’expédition à laquelle il s ’opposait, Nicias fut exécuté en Sicile, à la suite de la déroute des forces athéniennes. Alcibiade, lui, il a changé de camp, s’est vendu à Sparte, qu’il a trahi pour un satrape perse, pour poursuivre, de fuite en trahison, sa quête inlassable du pouvoir jusqu’à sa mort suspecte dans un village de Phrygie.

[3Paul Tewes, 22 août 2008, https://wikileaks.org/podesta-emails/emailid/53329 : « I have many concerns about this..... as a lover of ’Party’ I really don’t like this. ».

[4« United States presidential transition team » : sorte de gouvernement éphémère qui assure la passation des pouvoirs de l’exécutif cessant à celui qui entourera le nouveau président élu.

[5Stefan Zweig, Casanova, éd. Attinger, Paris/Neuchâtel, 1930.

[6https://en.wikisource.org/wiki/An_Agreement_of_the_Free_People_of_England An Agreement Of The Free People of England, May 1, 1649.

[7Edward Sexby, Killing no murder, 1657. À Son Altesse, Oliver Cromwell [...] appartient à juste titre l’honneur de mourir pour le peuple et, dans les derniers instants de votre vie, vous ne pourrez qu’éprouver l’indicible consolation de savoir combien votre trépas sera bénéfique pour le monde. Ce n’est alors (mon Seigneur) que les titres que vous usurpez maintenant seront vraiment les vôtres ; vous serez alors effectivement le libérateur de votre pays (« To his Highness, Oliver Cromwell [...] justly belongs the Honour of dying for the people, and it cannot choose but be unspeakable consolation to you in the last moments of your life to consider with how much benefit to the world you are like to leave it. ’Tis then only (my Lord) the titles you now usurp, will be truly yours ; you will then be indeed the deliverer of your country. ») https://archive.org/details/killingnomurderb00sexbuoft/page/n5/mode/2up

[8Peter Linebaugh, Marcus Rediker. L’Hydre aux Mille Tètes, éd. Amsterdam, Paris, 2008. Références et citations aux pages 326 et ss.

[9Thomas Day, Fragment of an Original Letter on the Slavery of the Negroes, 1776. https://archive.org/details/fragmentoforigin00dayt/page/n6

[10Albert Soboul, La Révolution Française, éd. Gallimard, Paris, 1982.

[11Philippe Buonarroti, Conspiration pour l’égalité dite de Babeuf, 1828, Éditions Sociales, 1957, Tome 1, p.41.

[12Décret de la Convention du 10 octobre 1793.

[13Saint-Just, Fragments sur les Institutions Républicaines, Troisième fragment, 5. Œuvres complètes de Saint-Just, éd. Fasquelle, Paris, 1908,

https://fr.wikisource.org/wiki/fragments_d%e2%80%99institutions_r%c3%a9publicaines

[14Héraclite d’Éphèse. Fragment 91, in Les Penseurs Grecs Avant Socrate, Garnier, Paris 1964.

[15Voline. La révolution inconnue (1917-1921) : documentation inédite sur la Révolution russe. Ed. Les Amis de Voline, Paris, 1947, p.115 et ss.

[16Voline, ib.

[17Appel du Comité militaire révolutionnaire, 8 novembre 1917.

[18Le premier soviet a été créé spontanément en début 1905 par les ouvriers de Saint-Pétersbourg, à la suite d’une grève quasi-générale, comme une sorte de « permanence ouvrière sociale » d’entraide. Suite à l’arrestation de Nossar, son premier président, Trotski, alors social-démocrate, en assura la relève jusqu’à sa suppression à la fin 1905. Le soviet de Petrograd (ex- Saint-Pétersbourg) refit surface en février-mars 1917 et, sous la direction de Trotski, désormais bolchévik, joua un rôle capital dans la révolution d’octobre 1917. (Voline, ib., 2e partie, ch.2)

[19John Reed. Dix Jours Qui Ébranlèrent le Monde, éd. Rousseau, Genève, 1958.

[20Victor Serge, From Lenin to Stalin, Pioneer Publishers, New York 1937, p.22.

[21Boris Souvarine. Staline, Ed. Ivrea, 1992, p.176.

[22Voline, ib., p.216.

[23Victor Serge, Mémoires d’un Révolutionnaire, éd. du Seuil, Paris 1951, p.245.

[24J. Staline, The Results Of The First Five-Year Plan (Report Delivered At The Joint Plenum Of The Central Committee And The Central Control Commission Of The C P S U [b] , January 7, 1933) in Problems of Leninism, Foreign Languages Publishing House, Moscow, 1947, p. 425.

[25Pierre Broué (présentateur), Les Procès de Moscou, Archives Gallimard, Paris, 1964 : « En août 1936, en janvier 1937, en mars 1938, […] des dirigeants révolutionnaires universellement connus et dont les noms seuls évoquent encore pour quelques-uns l’épopée révolutionnaire de 1917, s’accusent des pires crimes, se proclament assassins, saboteurs, traîtres et espions, tous affirment leur haine de Trotsky, vaincu dans la lutte ouverte dans le Parti par la mort de Lénine, tous chantent les louanges de son vainqueur, Staline, le « chef génial » qui « guide le pays d’une main ferme. »

[26J. Staline, Report to the Eighteenth Congress of the CPSU (B) (1939), in Problems of Leninism, , Foreign Languages Publishing House, Moscow, 1947, p.626.

[27Bertrand Russell, A History of Western Philosophy, éd. Simon & Schuster, New York, 1967.

[28Et pourtant cette règle d’or, quelque juste et sensée qu’elle paraisse, ne va pas sans danger, comme le soulignait Shaw : les goûts et préférences des autres peuvent différer des nôtres. Bernard Shaw, Man and Superman, Penguin Books, Edinburgh, 1957. « Do not do unto others as you would that they should do unto you. Their tastes may not be the same. »

[29Georges Sorel, Réflexions sur la violence, 1908, p.78. http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

Rappelons aussi, avec Voltaire, la filiation spirituelle directe unissant l’abominable Inquisition aux tendres sentiments de bienveillance paternelle de Dieu le père et à l’amour fraternel du Christ : « Sans remonter à l’origine de l’Inquisition, que Paramo [Luis de Páramo, Inquisiteur de Sicile, auteur d’une histoire de l’Inquisition en 1598] prétend découvrir dans la manière dont il est dit que Dieu procéda contre Adam et Ève, bornons-nous à la loi nouvelle dont Jésus-Christ, selon lui, fut le premier inquisiteur. Il en exerça les fonctions dès le treizième jour de sa naissance, en faisant annoncer à la ville de Jérusalem, par les trois rois mages, qu’il était venu au monde, et depuis en faisant mourir Hérode rongé de vers, en chassant les vendeurs du temple, et enfin en livrant la Judée à des tyrans qui la pillèrent en punition de son infidélité. » Voltaire, Dictionnaire philosophique, Garnier, 1878 (art. Inquisition).

[30Hippolyte Taine, Le régime moderne, tome II, éd. Hachette 1899, Paris.p. 108.

[31Karl Marx, La liberté de la Presse, Oeuvres Philosophiques, trad. Molitor, t.V, p. 42.

[32Robert Brasillach, Le Marchand d’Oiseaux, Livre de Poche, Paris, 1974, p.141. « la philanthropie est une des formes les moins voluptueuses, mais les plus virulentes du sadisme. »

[33Julien Benda, La Trahison des Clercs, 1927, p. 100.

[34Auguste Blanqui, Critique sociale - Fragments et notes, éd. Félix Alcan, Paris, 1885.

[35Joly ironise au sujet de la constitution « à cylindres et à tuyaux » de Montesquieu, en faisant dire à Machiavel : « vous balancez les trois pouvoirs, et vous les confinez chacun dans leur département ; celui-ci fera les lois, cet autre les appliquera, un troisième les exécutera : le prince régnera, les ministres gouverneront. Merveilleuse chose que cette bascule constitutionnelle ! (…) Croyez-vous que les pouvoirs resteront longtemps dans les limites constitutionnelles que vous leur avez assignées, et qu’ils ne parviendront pas à les franchir ? (…) Vous avez créé des droits qui resteront éternellement pour la masse du peuple à l’état de pure faculté, puisqu’il ne saurait s’en servir. Ces droits, dont la loi lui reconnaît la jouissance idéale et dont la nécessité lui refuse l’exercice réel, ne sont pour lui qu’une ironie amère de sa destinée. Je vous réponds qu’un jour il les prendra en haine, et qu’il les détruira de sa main pour se confier au despotisme. » Maurice Joly, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, A. Mertens et Fils, Bruxelles, 1864, 4e Dialogue.

[36Max Stirner, L’Unique et sa Propriété, Stock, Paris, 1978 p.157. « L’État paie bien pour que les « bons citoyens », les possesseurs, puissent impunément payer mal. Il s’assure, en les payant bien, la fidélité de ses serviteurs et fait d’eux , pour la sauvegarde des « bons citoyens », une « Police » (à la police appartiennent les soldats, les fonctionnaires de tout acabit, juges, pédagogues, etc., bref toute la « machine de l’État »). Les « bons citoyens » de leur côté lui paient sans faire la grimace de gros impôts, afin de pouvoir payer d’autant plus misérablement les ouvriers à leur service. »

[37Henry David Thoreau, On the Duty of Civil Desobedience, Mentor Book, New York, 1959. Le gouvernement n’est au mieux qu’un expédient ; mais la plupart des gouvernements sont généralement, et tous les gouvernements sont parfois, nuisibles : « Government is at best but an expedient ; but most governments are usually, and all governments are sometimes, inexpedient. »

[38Ludwig Witgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Gallimard, Paris, 1961, art. 5.63, analogie du champ de vision : « Vous dites que le rapport est ici tout semblable à celui de l’oeil et du champ de vision. Mais vous ne voyez réellement pas l’oeil. »

[39Thrasymaque, cité par Platon, in République, 338c, 339b, 343c.

[40Max Stirner, L’Unique et sa Propriété, Stock, Paris, 1978, p.397 : « La révolution ordonne d’instituer, d’instaurer, l’insurrection veut qu’on se soulève ou qu’on s’élève. »

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